8. Collagénoses
Nous traiterons dans ce chapitre des collagénoses du point de vue dermatologique, en insistant sur la signification des lésions cutanées. D’un point de vue de médecin généraliste, il faut savoir que le suivi d’un patient atteint de collagénose nécessite habituellement une collaboration avec une équipe hospitalière, voire plusieurs en fonction de l’expression de la maladie.
LUPUS ÉRYTHÉMATEUX (LE)
L’expression cutanée du LE est variable. Quel que soit l’aspect dermatologique, un bilan général simple permettra de savoir si ces signes cutanés sont isolés, ou si le patient présente des manifestations de lupus extracutané (lupus systémique).
Lésions cutanées de lupus érythémateux chronique
Il s’agit de plaques fixes, érythémateuses et hyperkératosiques, siégeant surtout sur les zones photo-exposées : le visage et le cuir chevelu, éventuellement le haut du tronc, rarement au-delà (figure 8-1).
Figure 8-1 |
Ces plaques, même si elles résument la maladie dans de nombreux cas, doivent être traitées aussi précocement et efficacement que possible, car elles évoluent vers une cicatrice définitive très inesthétique : atrophie et troubles de la pigmentation, en blanc ou en brun. Le préjudice esthétique peut être considérable.
Il est habituel de confirmer le diagnostic par l’histologie : hyperkératose, atrophie épidermique, infiltrat lymphocytaire à prédominance périfolliculaire. L’IF directe montre une bande d’IgG et de C3, de forme granuleuse, à la jonction dermo-épidermique (appelée « bande lupique »).
Le reste de l’examen clinique ne trouve aucun élément de lupus extracutané. Il n’y a pas de syndrome inflammatoire. Cependant, il existe parfois des anticorps antinucléaires circulants.
Il faut également savoir que ces lésions à type de lupus chronique sont parfois présentes chez des patients atteints de lupus systémique.
L’éviction solaire est indispensable : les lupus cutanés sont en général très photosensibles.
En cas d’échec, les alternatives sont :
• la thalidomide, souvent efficace, mais entraînant au long cours des neuropathies périphériques (outre le risque tératogène) ;
• l’acitrétine (Soriatane), souvent efficace dans les formes hyperkératosiques ; il s’agit d’un rétinoïde, nécessitant une contraception pendant toute la durée du traitement et les deux années suivantes ;
• rarement, une corticothérapie générale.
Lésions cutanées de lupus érythémateux subaigu
Ces formes méritent d’être individualisées car elles sont relativement fréquentes dans un recrutement dermatotologique.
Il n’y a pas ou peu de signes extracutanés : parfois un phénomène de Raynaud, des arthralgies, mais pas de localisation viscérale.
Sur le plan sérologique, ce type de LE est caractérisé par des anticorps antinucléaires particuliers, appelés anti-Ro (ou anti-SSA) (voir plus loin).
Le traitement est le même que celui du LE chronique ; il faut insister sur l’importance des mesures d’éviction solaire, car ce type de lupus est nettement déclenché par les expositions ultraviolettes.
Lésions cutanées de lupus érythémateux systémique
Ce sont des taches érythémateuses, de topographie caractéristique : visage, souvent symétriquement « en loup de carnaval », ou rappelant le masque de la chauve-souris, d’où le terme « vespertilio » (figure 8-2), décolleté, haut du dos, pulpes des doigts et des orteils.
Figure 8-2 |
Après confirmation du diagnostic par un examen spécialisé, et souvent une biopsie cutanée pour examen histologique, complété par une IF directe, un bilan complet est indiqué, pour rechercher :
• des anomalies biologiques évocatrices de la maladie lupique (voir ci-dessous) ;
• des signes généraux (fièvre, fatigue, etc.) ;
Le traitement dépend des résultats de ce bilan, qui retrouve ou non des éléments de gravité nécessitant une corticothérapie générale. Les lésions cutanées interviennent peu dans cette décision. En elles-mêmes, elles nécessitent essentiellement une photoprotection, des dermocorticoïdes, voire des antipaludéens de synthèse. Les dermocorticoïdes sont cependant peu efficaces sur les lésions uniquement congestives du LE systémique. Lorsqu’une corticothérapie générale est nécessaire, du fait d’une atteinte rénale, neurologique, hématologique, elle est en général très efficace sur les lésions cutanées.
Anomalies biologiques de la maladie lupique
Elles doivent être interprétées avec prudence en prenant en compte l’ensemble des données, cliniques (surtout) et biologiques.
Syndrome inflammatoire
L’augmentation de la VS est un signe d’évolutivité de lupus systémique.
Anticorps antinucléaires
Ils sont fréquemment retrouvés dans les lupus systémiques, rarement dans les formes uniquement cutanées.
Certaines spécificités ont une signification particulière :
• les anticorps anti-DNA natif et anti-Sm sont spécifiques du lupus systémique ;
• les anticorps anti-Ro s’observent dans les LE systémiques, mais surtout dans les LE subaigus photosensibles. Ces anticorps peuvent être transmis au fœtus et causer des blocs auriculoventriculaires congénitaux ou des lésions cutanées de lupus néonatal ;
• les anticorps antiphospholipides sont importants à rechercher car ils exposent au risque de thromboses artérielles et veineuses et d’avortements spontanés. Ce syndrome des antiphospholipides s’observe dans le cadre de la maladie lupique, mais également de façon indépendante (syndrome des antiphospholipides dit « primitif »).
Il faut savoir que ces anticorps (comme la plupart des autoanticorps) peuvent être présents chez des sujets asymptomatiques ; ils ne suffisent donc pas à porter le diagnostic de lupus.
Autres examens biologiques
L’étude du système du complément est intéressante car les poussées de la maladie lupique s’accompagnent d’une consommation, et donc d’une diminution des taux plasmatiques, du complément total et de ses fractions (en pratique, on dose CH50, C3, C4). Par ailleurs, certains déficits congénitaux en protéines du complément se compliquent de lupus érythémateux.
SCLÉRODERMIES
Une sclérose cutanée, désignée par le terme de sclérodermie, s’observe dans deux maladies qui sont nettement distinctes :
• la sclérodermie purement cutanée, en plaques (dites « morphées », du grec forme), plus rarement en bandes ;
• la sclérodermie systémique progressive, maladie générale, potentiellement associée à une atteinte viscérale.
Les formes de passage entre ces deux affections sont exceptionnelles.
Sclérodermies cutanées
Sclérodermie en plaques (morphées)
Elle prédomine chez l’adulte mais peut s’observer à tout âge.
Les plaques de sclérodermie se présentent comme des zones dures de taille variable, où la peau a perdu durablement sa souplesse et sa consistance normales. Le centre des plaques est blanc brillant, ivoire, et surtout induré à la palpation (figure 8-3). C’est là le signe essentiel. La périphérie est souvent annulaire, rose-lilas (ce lilac ring constitue un signe d’évolutivité).