14. Autisme Infantile et Psychoses chez L’enfant
HISTORIQUE
L’histoire des psychoses infantiles pourrait se subdiviser en trois périodes.
UNE PÉRIODE DITE «PRÉHISTORIQUE»
Dans cette période, la clinique est à la recherche de formes infantiles de schizophrénies sur le modèle adulte: démence précocissime (Sante de Sanctis (1905), démence infantile (Heller, 1908), schizophrénie de l’enfant (Potter, 1933; Lutz: 1936; Despert, Bender: 1937). Deux obstacles cliniques se dressent alors sur le chemin de cette continuité nosologique:1) la rareté du délire chez l’enfant, alors même que la nature du délire représente un des points de références des différenciations syndromiques dans la nosographie adulte; 2) la place particulière de la notion de démence, centrale dans la description de la démence précoce et à un moindre degré de la schizophrénie mais inutilisable chez l’enfant et s’opposant à l’idiotie, l’imbécillité ou la débilité. Rappelons la phrase d’Esquirol: «le dément est un riche devenu pauvre, l’idiot lui a toujours été dans l’infortune et la misère». À cette époque préhistorique la gangue de l’idiotie enserre encore la notion de psychose infantile (Duché, 1990).
UNE PÉRIODE HISTORIQUE
Elle est symbolisée par la description de l’autisme infantile proposée par Kanner en 1943. Autour de cette description princeps vinrent s’agglomérer un ensemble sémiologique aux contours cliniques moins rigoureux (psychose infantile précoce non autistique, psychose symbiotique: Malher, 1969; psychose à expression déficitaire: Misès, 1970; autisme secondaire régressif: Tustin, 1977, etc.).
UNE PÉRIODE DE DÉCONSTRUCTION
La déconstruction de ce concept unifié commence vers la fin des années 70 avec l’émergence des classifications internationales (CIM) et américaine (DSM) au cours de laquelle on voit se multiplier les diagnostics différentiels qui sortent de l’autisme typique et des psychoses infantiles (désormais appelés: «troubles envahissants du développement», pour supprimer toute référence au concept de psychose) certains tableaux cliniques particuliers: les syndromes de Rett, d’Angelman, de l’X fragile, deviennent des «entités» bien différentes du vaste champ des «troubles envahissants du développement » en particulier du fait de leur évolution ou d’une origine étiologique (organique) désormais précisée. Parallèlement la rigueur sémiologique démembre le cadre nosographique unifié pour décrire des entités au statut encore imprécis: syndrome d’Asperger (DSM-IV, CIM-10), hyperactivité associée à un retard mental et à des mouvements stéréotypés (CIM-10), dysharmonie psychotique (CFTMEA) ou «multiplex developmental disorder». Enfin, la notion de «désintégration» réapparaît (proche donc du concept de démence) à travers le trouble désintégratif de l’enfance (DSMIV, CIM-10) et même si cela n’est pas exactement identique on peut s’interroger sur la confluence naissante entre cette entité et les recherches de plus en plus nombreuses du côté de la psychiatrie adulte concernant les schizophrénies à installation précoce ou l’étiologie possible des schizophrénies hypothétiquement située dans les étapes les plus précoces du développement.
Ce bref rappel historique nous montre la situation désormais «éclatée» du cadre des psychoses infantiles regroupées sous l’appellation «troubles envahissants du développement». Certes, l’autisme infantile typique garde sa place mais il n’en va pas de même des autres formes «autismes atypiques» ou «psychoses précoces» qui, pourtant, sont loin d’être exceptionnelles. Nous prendrons le parti de décrire d’abord l’autisme infantile avant de décrire les autres psychoses infantiles puis dans une troisième partie d’aborder le fonctionnement psychique et interactif.
DÉFINITION
Regroupées sous l’appellation «Troubles envahissants du développement » (CIM-10, DSM-IV: cf. tableau 14-I), les psychoses infantiles se caractérisent par une altération globale des capacités de communication, des perturbations dans les relations aux autres, des activités et des intérêts restreints répétitifs, souvent stéréotypés. En théorie, il n’y a pas de retard mental associé mais dans la réalité clinique, le fonctionnement cognitif présente habituellement des particularités. Au plan psychopathologique, les psychoses infantiles se caractérisent par une altération de l’organisation progressive de la personnalité avec une capacité d’adaptation à la réalité variable en fonction du niveau d’exigence sociale et du niveau d’angoisse de l’enfant.
CIM-10 | DSM-IV |
---|---|
– Autisme infantile | – Troubles autistiques |
– Autisme atypique | – Syndrome de Rett |
– Syndrome de Rett | – Troubles désintégratifs de l’enfance |
– Autre trouble désintégratif de l’enfance | – Syndrome d’Asperger |
– Hyperactivité associée à un retard mental et à des mouvements stéréotypés | – Troubles envahissants du développement non spécifiés (y compris autisme atypique) |
– Syndrome d’Asperger | |
– Autres troubles envahissants du développement | |
– Troubles envahissants du développement: sans précision |
L’AUTISME INFANTILE
Si ce syndrome a pu être présenté comme relativement homogène, la réalité clinique en montre cependant la relative diversité et variabilité. Toutefois on retrouve toujours:
– une altération des capacités de communication;
– une altération des interactions sociales;
Évident à partir de 30–36 mois, les premiers symptômes apparaissent parfois après un intervalle libre de 12–18 mois mais le plus souvent des signes précurseurs peuvent attirer l’attention dès les 12 premiers mois.
ÉPIDÉMIOLOGIE
Le taux de prévalence oscille entre 0,7/10 000 et 13,9/10 000 avec une moyenne à 5/10 000 (Fombonne, 1995). Cette variation dépend à l’évidence des critères diagnostiques.
Le sex-ratio moyen de 3 garçons pour 1 fille tend à s’égaliser en cas de déficience mentale associée.
Seul un quart environ des autistes a un quotient intellectuel dans la zone de la normale (QI ≥ 70), les deux tiers d’entre eux se situant dans les zones de débilité modérée ou sévère (QI < 50). Si le modèle de l’autiste «intelligent» n’est pas faux il ne représente cependant pas la majorité des situations cliniques.
DESCRIPTION CLINIQUE
Le syndrome autistique typique
Constitué progressivement au cours de la seconde année, ce syndrome devient patent vers 2 ans-3 ans. On observe alors:
Les troubles du contact.
— On note des altérations dans les interactions sociales aboutissant à un isolement: refus ou fuite du contact oculaire, absence d’expression faciale et d’échange de mimique, absence de contact et d’échange tonique (dialogue tonico-postural). L’enfant autiste ne cherche pas à entrer en contact, à attirer l’attention, n’accroche pas du regard, n’imite pas autrui. Il n’y a pas d’expression de plaisir, de partage d’intérêt (absence de pointage). Au maximum l’autre est utilisé comme une partie de soi (prendre la main de l’adulte) ou par un segment isolé de son corps (cheveux, orifices du visage). Le regard semble vide, lointain, ailleurs.
Les troubles de la communication et du langage.
— Le langage n’apparaît pas à l’âge habituel et cette absence de langage ne s’accompagne d’aucune tentative de communication gestuelle ou mimique. Il n’y a pas de jeu de «faire semblant», pas de jeu d’imitation sociale.
Quand le langage apparaît, on note des particularités: outre le retard, il existe une écholalie immédiate ou retardée (répétition comme en écho de ce que vient de dire l’interlocuteur), une prosodie particulière monotone, saccadée, factice, une inversion pronominale (utilisation du «tu» ou du prénom pour se nommer soi-même); la syntaxe reste souvent pauvre, retardée, l’expression des émotions (joie, plaisir, surprise, colère) est le plus souvent absente en dehors de l’expression d’angoisse. Si le niveau de compréhension du langage est habituellement supérieur au niveau d’expression, on note cependant des anomalies: l’enfant comprend surtout les ordres simples, les mots concrets, les injonctions à réaliser une tâche simple. L’échange plus complexe (mots abstraits ayant trait à des qualités émotionnelles, en forme d’humour, de questionnement, etc.) entraîne au mieux une perplexité, au pire un refus.
Modulation sensorielle et motricité.
— On note une hypo ou une hyper réactivité aux stimuli sensoriels avec pour beaucoup d’enfants autistes une recherche de tels stimuli: faire tourner un objet, se balancer, battre des mains, tournoyer, faire des bruits de bouche, de gorge, sucer sa langue, avoir un objet dur dans la bouche, etc. À l’opposé, il existe une fréquente indifférence au monde sonore en particulier aux bruits sociaux (l’enfant ne répond pas quand on l’appelle) et un intérêt pour des bruits ou des sonorités particulières: attirance pour un bruit (aspirateur, chasse d’eau, etc.), une musique ou une chanson, un froissement de papier, etc. Certains bruits peuvent susciter des réactions d’effroi, de panique, de colère, surtout quand ils surprennent l’enfant autiste.
La motricité peut être limitée, l’enfant paraissant figé, inerte, sans initiative motrice. À l’opposé, il peut apparaître agité, sans cesse en mouvement, avec des postures et des régulations motrices inhabituelles ou bizarres (allure saccadée, mécanique).
Les fonctions intellectuelles.
— Malgré «l’expression intelligente» signalée par Kanner, ces enfants ont souvent des niveaux de performance globalement abaissés avec des profils hétérogènes: les performances visuospatiales et de mémorisation sont en général meilleures que les capacités de raisonnement, de traitement de l’information. La majorité d’entre eux présente un quotient intellectuel non verbal inférieur à 70 et global inférieur à 55, même s’il existe quelques autistes avec un niveau normal. Il existe un décalage très fréquent sinon constant en faveur des épreuves non verbales avec en outre une grande hétérogénéité intrascalaire.
Les signes précoces d’autisme
Si le diagnostic est assez évident à partir de 2 ans-3 ans, en clinique il est souhaitable de repérer les enfants à risque d’autisme dès le plus jeune âge. L’analyse clinique rétrospective et plus encore le visionnement des films familiaux (Malvy et coll., 1997) montrent l’existence fréquente de signes précoces.
De 0 à 6 mois.
— On peut retrouver des distorsions précoces d’interaction: bébé sage ne pleurant jamais, ne réclamant pas, bébé «qui se fait oublier»; trouble tonique sous forme d’hypotonie et plus encore d’absence de dialogue tonique à partir de 2-3 mois, sans tonus ni geste anticipatoire; à l’opposé, attitude hypertonique avec gesticulation incessante, incapacité à se lover calmement dans les bras; décrochage fréquent du regard qui peut prendre précocement l’aspect d’un évitement du regard; le strabisme est fréquent; troubles du sommeil avec insomnie en général calme (bébé plutôt inerte, les yeux grand ouverts attendant dans son lit); troubles de l’alimentation (absence de succion, anorexie); absence de sourire volontaire à partir du 3e mois avec maintien d’un visage sérieux presque figé.
De 6 à 12 mois.
— Les manifestations précédentes se confirment et envahissent la qualité de l’interaction mère-bébé; l’absence de dialogue tonique devient manifeste avec absence de bras tendus (quand on prend l’enfant), absence de mimique (en particulier absence du cérémonial d’accueil au réveil); l’enfant est hypotonique (poupée de son) ou au contraire hypertonique, raide (bout de bois) semblant refuser le contact; les activités stéréotypées apparaissent et leur particularité est de persister voire de s’accentuer quand l’adulte vient auprès de l’enfant (différent en cela des jeux avec les mains observable vers 5-6 mois, transitoire et surtout s’interrompant dès qu’une interaction est proposée); l’évitement du regard peut devenir manifeste, actif, intense; l’absence de mimique, l’absence fréquente de babillage et de vocalise, l’air sérieux, donne à cet enfant un style relationnel mécanique; on note souvent une absence de réaction face à l’étranger et une apparente indifférence aux séparations et aux retrouvailles.
De 12 à 24–30 mois.
Les troubles fonctionnels (troubles du sommeil, troubles alimentaires) peuvent persister; les stéréotypies, le maniérisme gestuel, l’intérêt exclusive pour des objets bizarres (ficelle, morceau d’objet) s’accentuent.
Du côté des parents et surtout de la mère, il existe une plainte fréquente.
— «L’enfant n’est pas normal», «il n’est pas comme les autres» (quand il y a des aînés). Les parents ont parfois le sentiment confus de ne pas être reconnus par cet enfant avec un vécu de gêne et de malaise dans l’interaction. Il n’est pas rare qu’ils consultent pour ces motifs. Il faut entendre cette plainte comme la perception précoce par les parents que leur enfant n’interagit pas avec eux comme on l’attend habituellement. Si cette plainte peut parfois traduire une excessive anxiété parentale, elle doit aussi éveiller la vigilance du clinicien et le conduire à rechercher activement les signes précoces ci-dessus évoqués.
Les formes cliniques
Les autistes de «bon niveau».
— Les troubles de la communication et de la relation apparaissent au premier plan alors même que les performances cognitives peuvent être normales ou en avance dans un secteur: capacité de mémorisation exceptionnelle (calculateur prodige de calendrier), de calcul, intérêt dans un domaine sensoriel (dessin, musique). Toutefois cette avance ou cet intérêt a un aspect répétitif, stéréotypé et n’entraîne pas de tentative de communication ou de partage du moins spontanément. Ces enfants accèdent souvent au langage même s’ils gardent longtemps des particularités (cf. Description clinique). Le syndrome d’Asperger, individualisé par les classifications DSM et CIM, en est très proche (cf. Évaluation et examens complémentaires).
Polyhandicap et syndromes neurologiques associés.
— L’existence concomitante de manifestations cliniques d’allure autistique et de troubles multiples (troubles neurologiques type encéphalopathie néonatale, déficit cognitif profond, déficit sensoriel: voir infra) est fréquente.
La cooccurrence des manifestations autistiques et des troubles associés est diversement interprétée (troubles spécifiques ou simple association) et seule l’évolution sous l’effet de la prise en charge permet souvent la différenciation diagnostique. Il est bien évident que dans ces formes un bilan soigneux des divers déficits associés et la collaboration des autres specialists s’avèrent indispensables.
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
La surdité
L’absence de langage et de réaction apparente à la voix et à d’autres stimulations auditives pose souvent la question de la surdité. En cas de surdité isolée, il existe une appétence à la communication non verbale (gestes, regard). Cependant, l’association surdité-autisme n’est pas exceptionnelle. Le bilan complémentaire (Potentiels Évoqués Auditifs) est nécessaire. En cas de manifestation clinique autistique une double prise en charge est le plus souvent nécessaire.
Les dysphasies graves
Perturbations majeures du langage, les dysphasies sont théoriquement isolées (cf. chap. 6). Cependant, des troubles de la personnalité parfois primaires mais plus encore secondaires aux difficultés de communication (impulsivité, retrait relatif, etc.) peuvent induire en erreur. Toutefois, les enfants dysphasiques graves gardent des compétences relationnelles en dehors du langage (imitation, intérêt partagé pour des tâches concrètes) et des capacités d’expression émotionnelle qui les distinguent nettement. En revanche, ces enfants présentent une entrave majeure dans l’apprentissage graphomoteur en particulier au niveau des séquences rythmiques alors même qu’ils se montrent parfois avides d’utiliser des symboles graphiques élémentaires (pictogrammes).
La carence affective et la dépression du nourrisson
Plus l’enfant est jeune, plus il peut être difficile de poser un diagnostic différentiel. Le syndrome de retrait du nourrisson apparaît comme l’expression symptomatique commune à diverses conditions: un bébé trop sage, passif, inerte, l’existence de stéréotypies des extrémités, une absence d’expressions mimiques, des troubles du tonus peuvent se voir dans le cas de la depression anaclitique ou de la carence affective grave (cf. chap. 16 et chap. 20).
Le contexte environnemental reste un des éléments les plus importants du diagnostic différentiel, de même que l’évolution sous l’effet de la prise en charge.
Association encéphalopathie et syndrome autistique
De nombreuses atteintes encéphalopathiques, d’étiologie connue ou encore imprécise, peuvent s’accompagner d’un syndrome autistique posant ainsi les limites nosographiques de cette entité. En effet tous les intermédiaires existent depuis l’existence de quelques signes neurologiques ou malformatifs associés sans qu’un diagnostic précis puisse en l’état actuel des connaissances être porté jusqu’à la description de tableaux cliniques précis (syndrome de l’X fragile, d’Angelman, de Williams). L’exploration complémentaire (cf. Évaluation et examens complémentaires) doit tenir compte de ces données. En revanche, le syndrome de Rett (cf. ci-dessous) reste traditionnellement dans le cadre des psychoses infantiles précoces.
ÉVALUATION ET EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
Il n’existe pas, à l’heure actuelle, un examen complémentaire permettant de poser avec certitude le diagnostic d’autisme infantile. Aucun examen clinique et paraclinique n’a pu faire la preuve de «signes pathognomoniques » d’autisme. Le diagnostic repose donc sur:
– un repérage clinique soigneux des symptômes en s’aidant d’échelles et de questionnaires;
– une évaluation des diverses lignes développementales souvent impliquées;
– des examens complémentaires choisis avec discernement quand un signe clinique justifie une exploration plus approfondie dans un domaine particulier.
Ces explorations dans le domaine de la clinique quotidienne doivent être différenciées des multiples explorations entreprises dans le champ de la recherche
Échelles et questionnaires (cf. Diagnostic différentiel)
Ces échelles (échelles de Rimland, Échelle du Comportement Autistique: ECA de Barthélémy et Lelord, Échelle du Comportement Autistique-Nourrisson ECA-N de Sauvage) sont utiles à plus d’un titre:
– lors de l’examen initial pour s’assurer d’un examen complet;
– pour évaluer l’évolution par des passations régulières;
– pour fixer des objectifs de soin et évaluer l’efficacité des actions thérapeutiques entreprises;
– pour disposer d’un support médiateur permettant un échange avec les parents.
Sans aucunement appauvrir la relation clinique, ces échelles constituent en réalité autant de points de repères utiles aux cliniciens et aux divers professionnels impliqués et des points d’échanges avec les parents de l’enfant.
Les bilans cliniques complémentaires
Sans les détailler ici, il est essentiel d’évaluer les manifestations symptomatiques mais aussi le niveau développemental à l’aide d’une série de bilans spécialisés:
– bilan orthophonique évaluant d’une part l’audition en situation relationnelle et le niveau de langage dans ses aspects phonologique, lexical, syntaxique, sémantique, pragmatique, prosodique;
– bilan psychomoteur pour évaluer le retard éventuel, les particularités de l’équilibre et de la cinétique tonico-posturale (posture bizarre, mouvements anormaux, dyspraxie, etc.);
– bilan neurologique et pédiatrique recherchant d’une part des manifestations neurologiques discrètes mais surtout des syndromes épileptiques associés. L’association épilepsie-syndrome autistique semble fréquente (20 à 80% selon le critère retenu) (cf. chap. 13) en dehors même des manifestations électroencéphalographiques anormales (cf. ci-après). Dans quelques cas des syndromes autistiques secondaires ou associés ont été décrits après un syndrome de West ou de Lennox-Gastaud (cf. chap. 13).
À côté de l’épilepsie, toutes les encéphalopathies déficitaires de l’enfant peuvent s’accompagner peu ou prou de manifestations autistiques associées (syndrome de l’X fragile, d’Angelman, de Williams, etc.). Il importe donc quand un signe clinique particulier attire l’attention (malformation particulière, habitude motrice spécifique et étrange, antécédents familiaux, etc.) de compléter le bilan dans un domaine particulier. Nous renvoyons le lecteur au chapitre 13.
Les examens complémentaires
Rappelons qu’il n’existe pas, à ce jour, d’examen complémentaire apportant «la preuve» de l’autisme infantile. Il convient de distinguer les examens complémentaires nécessaires pour compléter un bilan clinique quand un signe d’appel le justifie (bilan audiophonologique avec Potentiels Évoqués Auditifs en cas d’hypothèse d’une surdité associée, bilan génétique avec sonde génétique précise en cas de syndrome malformatif particulier, etc.) et les explorations paracliniques entreprises dans le cadre d’une recherche. Rappelons encore qu’à ce jour aucune étiologie précise n’a pu être affirmée comme origine de l’ensemble des syndromes autistiques. L’état actuel des recherches semble plutôt s’orienter vers une pluralité d’anomalies possibles qui, chacune, pourrait être à l’origine d’une forme particulière sans pour autant pouvoir affirmer que de telles anomalies sont constantes.
AUTRES PSYCHOSES INFANTILES PRÉCOCES
À côté du syndrome autistique caractéristique, les principales classifications (DSM, CIM) décrivent quelques entités succinctement résumées ci-après.
L’AUTISME «ATYPIQUE»
Il se caractérise par un âge de survenue après trois ans ou par l’absence de certains symptômes dans l’un des trois domaines (interactions sociales, communication, comportement restreint, répétitif, stéréotypé). Il s’observe très souvent chez des enfants présentant un retard mental profond.
LE SYNDROME DE RETT
Il s’agit d’une encéphalopathie évolutive non congénitale, d’étiologie encore inconnue (atteinte métabolique, trouble d’un neurotransmetteur, virus lent?) touchant principalement les filles. Les critères de diagnostic sont les suivants (Aicardi et coll.):
– développement neurologique et mental normal pendant les 7 à 18 premiers mois de la vie;
– stagnation du développement à partir de cet âge, suivie d’une détérioration mentale et comportementale rapide, conduisant à un état de démence avec autisme en moins de 18 mois;
– ataxie du tronc et de la marche;
– microcéphalie acquise;
– période prolongée de stabilisation apparente avec apparition insidieuse d’anomalies neurologiques (syndrome pyramidal modéré, épilepsie, troubles vasomoteurs, etc.);
– sexe féminin mais quelques cas masculins ont été décrits.
Certaines conduites fréquentes dans l’autisme infantile ne s’observent pas dans le syndrome de Rett, en particulier il n’y a pas: les habitudes de jeux stéréotypés, la mise en rotation des objets, le refus des contacts corporels et des marques d’affection partagées, l’hyperactivité motrice, l’attachement excessif à certains objets.
Il n’existe pas de traitement spécifique connu. Si un soutien psychologique peut apparaître nécessaire auprès des parents, il est bien évident que l’abord thérapeutique de l’enfant doit tenir compte du diagnostic de ce syndrome.
LE SYNDROME D’ASPERGER
Il constitue une entité clinique dont la validité est discutable: il s’agit d’un syndrome autistique qui se caractérise par l’absence de retard et de déficience du langage ou du développement cognitif. Bien que de niveau intellectuel normal ou supérieur, ces sujets paraissent maladroits et handicapés au plan social et interactifs. L’évolution ne se fait pas vers un déficit cognitif mais plutôt vers la persistance des troubles avec parfois, à l’adolescence, l’apparition d’épisodes psychotiques.
LES AUTRES TROUBLES DÉSINTÉGRATIFS DE L’ENFANCE
Leur caractéristique est de survenir après une période développementale normale et de s’accompagner d’une régression des acquisitions en même temps que les manifestations symptomatiques de l’autisme apparaissent. La perte des acquisitions concerne en particulier la communication et le langage. On est très proche ici du concept de «démence» propre aux psychoses de l’adulte (cf. aussi: psychoses de la seconde enfance).
L’exploration neuropédiatrique toujours indispensable écarte les éventuelles étiologies neurodégénératives auxquelles il convient de penser en priorité. L’évolution est souvent défavorable avec un retard mental sévère, toutefois des récupérations partielles et des reprises développementales sont possibles.
LES LIMITES DES CLASSIFICATIONS DESCRIPTIVES
Nous citons ce passage comme illustration de la démarche théorico-clinique qui anime M. Malher: il montre clairement combien les symptômes sont décryptés grâce au présupposé théorique, lequel sert ensuite à organiser le tableau clinique. Ainsi l’évolution des psychoses symbiotiques est décrite comme une succession de manifestations affectives ambivalentes, tantôt recherche impérieuse d’un contact affectif avec autrui qui prend vite une allure fusionnelle, tantôt réaction d’angoisse et de fuite devant la menace représentée par cet engloutissement fusionnel. L’ambivalence agie des affects est extrême: l’enfant peut mordre et étreindre en même temps, caresser et pincer…
De la même manière, F. Tustin centre ses recherches puis ses classifications sur l’étude de la conduite autistique et de ses fonctions défensives. Elle décrit trois types d’autisme:
– dans l’autisme secondaire à carapace (ASC) l’enfant semble construire une sorte de carapace autour de son moi à la manière d’un crustacé. La fuite du contact est extrême. L’expression clinique de l’ASC est proche de l’autisme infantile de Kanner typique;
– l’autisme secondaire régressif (ASR) enfin se caractérise par une régression protectrice face à la terreur éprouvée devant le non-moi, l’inconnu. La fragmentation, la dispersion et le clivage sont les mécanismes prévalents. Le tableau clinique où domine la confusion dans les repères tant internes qu’externes est proche des «autres psychoses précoces» décrites cidessus ou encore de ce que L. Bender appelle la schizophrénie infantile.
Dans la littérature de langue française, le problème posé par les psychoses précoces, en dehors de l’autisme de Kanner, paraît être dominé par les relations entre les symptômes psychotiques, le développement de la personnalité et les manifestations de la série déficitaire.
Misès proposa le concept de «dysharmonie psychotique» repris dans la classification française (CFTMEA, 1987) pour décrire des tableaux complexes survenant chez des enfants de 3–4 ans et associant des troubles de l’état affectif avec anxiété (anxiété, phobies multiples, variabilité émotionnelle), une altération du comportement et des relations sociales (désintérêt, repli sur soi, relations difficiles aux pairs, manque d’empathie et de comprehension d’autrui, etc.), des troubles cognitifs variables (confusion réalité/imaginaire, trouble d’apprentissage, pensée d’allure magique, vécu persécutif ou omnipotent, etc.). L’ensemble représente un tableau aux limites sémiologiques imprécises mais qui trouve sa cohérence dans la description d’un fonctionnement psychique dominé par les mécanismes psychotiques (cf. ci-dessous), préservant cependant les capacités d’adaptation à la réalité et de contrôle des irruptions fantasmatiques ou des affects. Cette entité dont les limites et la validité ont pu paraître contestables se rapproche cependant de descriptions récentes cherchant à mieux cerner le groupe des «troubles envahissants du développement non spécifique» (DSM-IV, CIM 10) catégorie «résiduelle» dans laquelle se retrouve un nombre non négligeable de sujets. C’est ainsi que Towbin (1997), Volkmar, Klein et Cohen (1997) décrivent de leur côté un tableau appelé «troubles complexes et multiples du développement » présentant d’incontestables analogies avec «les dysharmonies psychotiques» (Tordjman et coll., 1997).
Enfin, Misès isole également «les psychoses précoces à expression déficitaire» marquées par un niveau d’efficience très bas. Toutefois, il ne s’agit pas là d’un critère distinctif d’avec l’autisme de Kanner, puisque l’efficience y est aussi très faible. L’importance de la prise en considération du deficit paraît avoir une double origine: d’un côté le mode de recrutement, essentiellement institutionnel des populations étudiées, d’un autre côté la place considérable qu’a toujours occupé le problème de la débilité et l’écran que ce diagnostic place devant toute recherche psychopathologique en raison des fréquents présupposés organiques implicites.
Au plan clinique, toutes les modalités d’aménagement symptomatique sont possibles, depuis le tableau dominé par le pôle déficitaire (cf. chap. 9) et, à l’autre extrémité, le tableau dominé par les perturbations relationnelles et affectives de type psychotique: l’isolement de cadre nosographique trop rigoureux devient alors factice et aléatoire.
LES FORMES «FRONTIÈRES»
Nous ne ferons que rappeler ici le vaste champ de la pathologie «intermédiaire » entre les organisations névrotiques et les organisations psychotiques: dans tous les cas, le rapport à la réalité semble partiellement préservé, mais la nature des relations établies, le mode d’aménagement défensif, le vécu fantasmatique rapprochent toutes ces formes de ce qu’on observe dans les psychoses infantiles.
Appartiennent à ce champ (cf. chap. 18):
– les dysharmonies évolutives à versant psychotique;
– les dysthymies graves;
– les prépsychoses et états limites;
– les parapsychoses;
– les organisations caractérielles graves.
Cette énumération n’est pas exhaustive.
ÉVOLUTION DES PSYCHOSES PRÉCOCES
Étant donné la diversité sémiologique, les divergences psychopathologiques, la multiplicité des hypothèses étiopathogéniques, on ne s’étonnera pas de la variabilité évolutive des psychoses infantiles.
De l’ensemble des études consacrées à ce problème, nous ne retiendrons ici que les grandes lignes. Sur un plan purement descriptif on observe globalement les évolutions suivantes.
ÉVOLUTION VERS LA DÉBILITÉ PROFONDE OU SÉVÈRE
ÉVOLUTION CENTRÉE SUR L’AUTISME
On observe un maintien de l’état initial «a-relationnel». Le langage peut être acquis, mais il reste bizarre, asyntaxique, l’inversion pronominale est de règle. L’intensité de l’autisme constitue une barrière aux tentatives de scolarisation ou d’insertion professionnelle malgré un investissement cognitive parfois partiellement conservé.
Dans les deux cas précédents, à l’âge adulte le tableau clinique sera celui d’une psychose déficitaire ou d’une psychose schizophrénique dominée par le symptôme autistique. La dépendance institutionnelle est en general complète, l’adulte n’accédant pas à l’autonomie (hospitalisation temps plein) ou seulement de façon partielle (hôpital de jour au long court). Cette evolution concernerait environ un quart des cas (Manzano et coll.).
AMÉLIORATION PARTIELLE
La symptomatologie évolue:
– soit vers des conduites mentalisées de type phobique ou surtout obsessionnel plus ou moins handicapantes qui traduisent les tentatives d’enkystement et de contrôle interne par le sujet de la menace d’éclatement;
– soit vers l’apparition de troubles majeurs du comportement de type caractériel grave ou psychopathique qui traduisent les tentatives de projection sur l’extérieur des mêmes pulsions destructrices.
Dans ces dernières formes le cap de l’adolescence paraît particulièrement difficile, mais constitue cependant par la réélaboration pulsionnelle qu’il suscite, une possible chance de remaniement. Il n’est pas rare que l’adaptation et la tolérance réciproque entre l’enfant et son milieu familial soient alors brusquement rompues. Dans certains cas, ces évolutions temporairement chaotiques permettent toutefois une réélaboration de l’organisation fantasmatique et un relatif dégagement par rapport au processus psychotique, aboutissant à des états «cicatriciels» autorisant une vie sociale au prix d’une discrète «bizarrerie».
À l’âge adulte, ces patients entrent dans le cadre des «troubles de la personnalité» avec un déficit cognitif plus ou moins important, mais fréquent. L’insertion socioprofessionnelle est précaire, l’adulte reste souvent dépendant de milieux protégés ou spécialisés (CAT). Cette évolution concernerait environ un quart des patients.
ÉVOLUTIONS FAVORABLES

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