Aphasies et Troubles Associés

4. Aphasies et Troubles Associés




APHASIES



DÉFINITION ET DÉLIMITATION


Les aphasies sont les troubles acquis du langage résultant d’une lésion cérébrale. Elles altèrent l’utilisation du langage comme instrument de communication indépendamment de la modalité: elles concernent généralement aussi bien la langue parlée que la lecture et l’écriture. Différents domaines spécialisés s’intéressent aux aphasies [75]: alors que les neurologues s’intéressent en premier lieu à la base organique des aphasies [79], les linguistes s’occupent des descriptions structurelles et fonctionnelles du langage [611], les orthophonistes des possibilités thérapeutiques et les neuropsychologues des altérations cognitives associées [498, 611]. Toutes ces approches ont grandement contribué à la compréhension des aphasies. C’est le point de vue neurologique qui sera surtout présenté dans ce chapitre, en particulier l’examen clinique et les corrélations anatomocliniques des aphasies.

Les aphasies se manifestent par une utilisation erronée du langage. Généralement, la production verbale et la compréhension du langage sont altérées [19, 79, 195]. Les patients ont de la peine à trouver les mots corrects et à former des phrases, ou ils ne comprennent pas le langage, interprètent faussement ce qu’ils entendent ou ne remarquent pas que leur propre langage est incompréhensible. Les aphasies doivent être différenciées des autres troubles du langage et de la parole, qui seront traitées dans un deuxième temps.

Lorsqu’un patient ne parle pas, une aphasie ne peut pas être diagnostiquée de façon fiable. Un tel état correspond à un mutisme. Celui-ci peut se manifester au stade initial d’une aphasie mais peut également constituer un syndrome propre après lésion cérébrale avec la perspective d’une récupération normale du langage (voir page 59) [75, 562, 606]. Les aphasies doivent également être différenciées des troubles de la parole, tels que la dysarthrie. Celle-ci peut faire suite à des troubles de l’activation de la musculature laryngopharyngée (voir page 61). Lorsque l’utilisation de la musculature respiratoire est altérée, on parle de dysphonie. Les troubles de la compréhension du langage sont à différencier de l’ agnosie auditive. Celle-ci concerne le traitement de différents types d’informations auditives, notamment celui de bruits environnementaux significatifs (voir page 62 et suivantes). Enfin, les aphasies sont également à différencier de l’état confusionnel [155, 770]. Les patients confus présentent fréquemment une pensée incohérente, occasionnellement accompagnée d’interruptions des phrases et de néologismes [155, 471]. Chez un patient souffrant d’un état confusionnel aigu, les troubles phasiques ne correspondent pas forcément à une lésion cérébrale circonscrite; fréquemment, les difficultés de langage régressent avec la disparition de l’état confusionnel. Ces considérations sont aussi valables pour le langage des patients psychotiques: il s’agit en général d’une altération de la pensée, et non du langage en tant que tel.


EXAMEN DES APHASIES


L’examen neurocomportemental du langage a deux buts principaux :




– déterminer si un patient souffre d’un trouble du langage de type aphasique; cela oriente avec certitude vers une lésion cérébrale hémisphérique, avec une grande probabilité d’atteinte de l’hémisphère gauche;


– réaliser une description du trouble du langage qui soit suffisamment détaillée pour suivre l’évolution de la pathologie cérébrale sous-jacente.

La classification de l’aphasie ne constitue pas une priorité car la corrélation anatomoclinique des différentes aphasies en phase aiguë reste encore relativement faible [842]; les syndromes aphasiques tendent de plus à se transformer dans les heures ou les jours suivant l’atteinte initiale [841]. Dans le cadre de certaines pathologies cérébrales, l’aphasie peut disparaître en l’espace de quelques minutes ou de quelques heures, par exemple dans un contexte épileptique ou dans l’aura migraineuse. La classification syndromique est en revanche utile dans la phase chronique car elle permet de déterminer de façon assez fiable la base anatomique de l’aphasie [19, 79, 432].

L’évaluation du langage nécessite un examen ciblé de ses différentes modalités [79]. Bien qu’un examinateur expérimenté puisse déjà reconnaître une aphasie en écoutant le langage spontané du patient et qu’il puisse ainsi avoir une idée du type d’aphasie [608], les différentes modalités du langage doivent toujours être examinées précisément. Cela est d’autant plus vrai que les troubles de la compréhension, de la répétition et de l’écriture sont plus faciles à quantifier et à documenter que les troubles du langage spontané. De fait, des troubles sévères de la compréhension du langage peuvent ne pas être immédiatement identifiés. Certains patients ont une bonne compréhension situationnelle et interprètent les gestes de l’examinateur de façon correcte, bien que leur compréhension du langage soit fortement altérée. De plus, les patients aphasiques peuvent présenter un manque de prise de conscience de leur maladie (anosognosie) avec, par exemple, un comportement de lecture, mais sans compréhension du contenu [284]. Nous avons observé à plusieurs reprises une anosognosie chez des patients souffrant de troubles sévères de la compréhension dans la phase aiguë d’une aphasie de Wernicke (voir page 53) ou d’une aphasie globale (voir page 52). Par ailleurs, l’examen peut démontrer de façon étonnante qu’un patient à peine capable de produire un mot et ayant apparemment perdu toute compétence langagière se trouve être capable d’exécuter des ordres complexes et de répéter des phrases. Le tableau 4.I résume les modalités langagières qui devraient être évaluées dans le cadre de l’examen clinique du langage. Le tableau 4.II présente la signification de ces modalités langagières dans une classification des aphasies [79, 190].






















































Tableau 4-I – Examen clinique du langage.
Langage spontané
Fluence: fluent, non fluent
Paraphasies: sémantiques, phonologiques
Agrammatisme, paragrammatisme
Écholalie
Dysarthrie, aprosodie
Compréhension du langage
Ordre simple, double ou plus
Ordres complexes d’un point de vue syntaxique
Répétition
Mots isolés, nombres, phrases
Phrases contenant des mots propositionnels
Dénomination
Parties du corps, objets
Dessins d’objets
Couleurs
Production de mots
Mots qui commencent par une lettre spécifique
Mots d’une catégorie sémantique
Lecture
Texte (compréhension)
Mots isolés, chiffres
Écriture
Phrase entière (spontanée ou dictée)
Chiffres



















































Tableau 4-II – Répartition fonctionnelle des aphasies [79, 190].
*Ces types d’aphasies correspondent à des « syndromes aphasiques standard » [611].
Type d’aphasie Langage spontané Compréhension Répétition Dénomination
Globale* Non fluent Très perturbée Très perturbée Très perturbée
Broca* Non fluent Bonne Très perturbée Très perturbée
Wernicke* Fluent Très perturbée Très perturbée Très perturbée
Conduction Souvent fluent Bonne Très perturbée Très perturbée
Anomique* Fluent Bonne Bonne Très perturbée
Transcorticale
Mixte
Motrice
Sensorielle
Sous-corticale
Non fluent
Non fluent
Fluent
D’habitude non fluent
Très perturbée
Bonne
Très perturbée
D’habitude bonne
Bonne
Bonne
Bonne
Souvent bonne
Très perturbée
Très perturbée
Très perturbée
Souvent très perturbée


Langage spontané


Au début de l’examen, on laisse le patient s’exprimer librement. On l’encourage éventuellement au moyen de questions ouvertes telles que: «Comment allez-vous ?», «Qu’est-ce qui vous a amené à l’hôpital ?» Un langage normal se caractérise par un rythme et une fluence verbale harmonieux, une utilisation aisée et précise en correspondance avec le niveau du patient et avec l’objet de la conversation, et par la formation de phrases complètes.


Un langage fluent, au contraire, ne semble pas nécessiter d’effort. Les phrases des patients souffrant d’une aphasie fluente peuvent cependant présenter une construction incorrecte; des morceaux de phrases peuvent être répétés, les phrases peuvent être interrompues ou mal formulées. Cela est décrit comme paragrammatisme ou dyssyntaxie (par exemple, un patient à qui l’on demande comment il se sent, répond: «Toujours ainsi et doit toujours être bien devoir»). D’autres patients ont un langage fluent et grammaticalement correct mais leur discours reste non informatif (par exemple, un patient auquel on demande de quel problème langagier il souffre, répond: «Oui, c’est donc ainsi que l’on ne peut pas dire facilement»); d’autres encore surmontent leur manque du mot en utilisant des circonlocutions (par exemple, un patient auquel on demande comment s’est passée sa toilette du matin, répond: «Oui, j’ai utilisé cette chose (il montre le fauteuil roulant) pour aller là-bas (il montre le lavabo) et j’ai ensuite fait ce que je fais le matin» et le patient se frotte la joue).

Les paraphasies sont un autre élément typique des aphasies. Ce sont des confusions, néologismes et déformations de mots. Les paraphasies sémantiques sont caractérisées par la substitution de mots proches sur le plan sémantique («chaise» au lieu de «table») voire de mots moins proches («coiffeur» au lieu de «dentiste»). Les paraphasies phonémiques ou phonologiques sont caractérisées par la modification de la forme des mots («traroubet» au lieu de «tabouret»). Lorsque les paraphasies et les néologismes déforment le langage au point qu’il n’est plus compréhensible, on parle de jargon.



Compréhension du langage



La compréhension du langage doit être examinée au moyen d’ordres ou de questions concrètes et dont les réponses sont vérifiables. On donne pour cela des ordres tels que: «Fermez les yeux», «Tirez la langue» ou «Levez le bras !» De nombreux patients aphasiques comprennent ces ordres. La sévérité d’un trouble de la compréhension peut être facilement quantifiée lorsque l’on présente au patient des commandes de difficulté croissante :




– des commandes concrètes simples: «Montrez-moi la porte.», «Montrez-moi votre nez.»;


– des commandes concrètes en deux ou trois étapes: «Montrez-moi la porte, puis la fenêtre, et enfin votre oreille.» Il faut cependant se rappeler que pour de telles phrases, de bonnes capacités de mémoire à court terme sont nécessaires. Même si l’exécution de ces ordres complexes nécessite une compréhension du langage intacte, l’échec du patient n’est pas toujours attribuable à un trouble aphasique de la compréhension;


– des commandes avec pronom possessif: «Montrez-moi mon nez.», «Montrez avec votre doigt gauche mon coude droit.»;


– les commandes langagières complexes mais de contenu simple: «Montrez-moi où vous mangeriez.» (table); «Montrez-moi où il faut appuyer pour éclairer cette pièce la nuit.» (interrupteur);


– des phrases complexes qui décrivent des manipulations simples d’objets. La figure 4.1 en présente un exemple simple. D’abord, on s’assure que le patient reconnaît les objets. Puis les tâches demandées sont de plus en plus complexes pour finalement présenter des phrases d’un niveau tel que: «Posez la gomme de l’autre côté du trousseau de clefs et tournez le crayon. » ; « Donnez-moi le stylo après avoir touché le trombone.» [408].








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Fig. 4-1
– Étalage d’objets utile pour l’examen de la compréhension du langage.La compréhension de mots isolés est tout d’abord testée (« Montrez-moi le stylo »), puis la compréhension d’une définition (« Avec quel objet pourrais-je attacher ces feuilles ? ») et finalement la compréhension de phrases syntaxiquement complexes (« Posez le crayon sur la gomme après avoir posé le stylo de l’autre côté du porte-clés »).


L’examen doit permettre de déterminer le degré de compréhension dont le patient dispose encore. Quasiment toutes les aphasies induisent une certaine perturbation de la compréhension du langage; par ailleurs, le langage spontané est également altéré dans presque tous les cas d’aphasie. L’atteinte particulièrement sévère de la compréhension du langage est importante pour la classification de l’aphasie; elle indique la présence d’une aphasie globale, de Wernicke ou transcorticale sensorielle.

En revanche, un trouble de la compréhension n’est pas garant de la présence d’une aphasie. Les troubles auditifs qui altèrent la compréhension de la langue parlée seront discutés dans un paragraphe séparé (agnosie auditive, voir page 62). Attribuer un trouble de la compréhension à la présence d’une aphasie est en général chose aisée: le langage spontané et la lecture, perturbés, en constituent des indices fiables.


Répétition


Dans la plupart des cas, la répétition et le langage spontané sont altérés de façon similaire. Cependant, dans certaines aphasies, la répétition se trouve mieux conservée que le langage spontané (aphasies transcorticales et sous-corticales). Le contraire existe aussi mais reste rare (aphasie de conduction). Lors de l’examen, on teste tout d’abord la répétition de mots simples («lit», «hôpital»), puis de mots plus complexes tels que («parapluie», «réfrigérateur»), puis de phrases concrètes («Je suis venu aujourd’hui à la consultation») et finalement de phrases contenant des mots propositionnels («Pas de mais, de si, ni de et»).


Dénomination


La capacité à dénommer des objets est une des fonctions du langage les plus critiques [70]. Un trouble de la dénomination (anomie) est présent dans presque toutes les aphasies. Les troubles de la dénomination et un manque du mot dans l’expression spontanée sont les caractéristiques principales de l’aphasie anomique, avec une compréhension par ailleurs préservée. Un patient aphasique – tout comme un sujet sain – trouve plus facilement un mot fréquent («lit») qu’un mot plus rare («hamac»). De même, la dénomination est plus facile pour les patients aphasiques si l’information véhiculée par l’objet à dénommer est redondante [96]. Ainsi, il est plus facile de dénommer des objets réels tridimensionnels de couleur naturelle que des objets dessinés.

L’examen doit débuter par des tâches simples afin de s’assurer que le patient les comprend: «Comment appelez-vous ceci ?» (l’examinateur montre son nez, son œil ou sa bouche). De nombreux patients souffrant d’anomie parviennent à trouver des mots fréquemment utilisés. Ensuite, la dénomination concernera des mots plus rares: sourcils, lobe de l’oreille, annulaire, cadran d’une montre, etc. L’examen est encore plus sensible quand on utilise des dessins d’objets. Quelques exemples sont illustrés dans la figure 4.2. L’utilisation régulière d’une telle série de dessins permet également de quantifier le degré d’une anomie. On n’oubliera pas ensuite de tester la dénomination des couleurs, considérant la possibilité que le patient présente une anomie isolée des couleurs (voir page 118).








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Fig. 4-2
– Dessins pour tester la dénomination (d’après J.G. Snodgrass, M. Vanderwart: A standardized set of260 pictures: norms for name agreement, image agreement, familiarity, and visual complexity. J Exp Psychol Hum Learn Mem 1980 ; 6: 174-215 [728]).


Si un patient échoue dans la dénomination d’objets, la présence d’un trouble de reconnaissance visuelle (voir figure 6.7) ou d’une atteinte mnésique, altérant la connaissance des objets (atteinte de la mémoire sémantique, voir page 146 et suivantes), devront être exclus, avant de pouvoir conclure à la manifestation d’un trouble phasique.


Évocation de mots


L’évaluation de la capacité à produire des mots commençant par une lettre donnée ou appartenant à une certaine catégorie a déjà été présentée comme un test verbal d’initiation dans le chapitre traitant des troubles frontaux (voirpage 28). Ce test n’est valable pour tester l’initiation cognitive que si le langage est intact. Les patients aphasiques échouent généralement à ce test; c’est pourquoi il constitue un test de dépistage très sensible – même s’il n’est pas spécifique – pour définir la présence d’une aphasie. Une production correcte de mots permet d’écarter, avec une grande probabilité, une aphasie.

Le patient reçoit en premier lieu la consigne d’énoncer le plus grand nombre de mots, en 1 minute (ou en 3 minutes), commençant par une lettre donnée (F, A, S, E, etc., mais pas Q, X, Y, Z) et il est avisé de n’évoquer ni les noms propres ni les noms de lieux. Les caractéristiques des troubles que présentent certains patients souffrant de lésions frontales ou d’amnésie lors de ce test ont déjà été décrites (voir tableau 3.II). Un sujet sain va produire sans peine 10 à 12 mots en 1 minute et au moins 20 mots en 3 minutes.



Écriture










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Fig. 4-3
– Exemple d’écriture d’une patiente aphasique qui essaie de décrire une image sur laquelle un garçon, observé par une fille, monte sur une échelle pour voler un biscuit, tandis qu’à côté, l’eau coulant du robinet est en train de déborder du lavabo.









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Fig. 4-8
– Anarthrie pure (aphémie). Ce patient, âgé de 74 ans, est soudainement devenu mutique. Il présentait à l’admission une discrète parésie faciale droite. Il demandait avec insistance de quoi écrire afin de décrire son problème. Au CT-scan, on observe une atrophie cérébrale globale et une hypodensité de l’opercule frontal gauche (aire 44). En l’espace de 24 heures, il devint capable de parler moyennant un effort considérable et était difficilement compréhensible. Après une semaine, le langage était normal.


Pour tester l’écriture de façon rapide, on demande au patient d’écrire un mot à orthographe complexe («orchestre», «oignon»), ou une phrase complexe («Il n’y a pas de oui, ni de non, ni de mais»). On obtient également une information utile en demandant au patient simplement d’écrire une phrase complète. L’écriture de son propre nom est moins significative; un patient aphasique y parvient en général encore. L’agraphie (trouble de l’écriture) sera discutée dans un paragraphe à part (voir page 67).


Lecture


Les aphasies sont généralement associées à des troubles de la lecture, à savoir une alexie. La lecture d’un texte à haute voix, la compréhension de mots isolés et de chiffres doivent être testées. L’alexie sera discutée dans un paragraphe à part (voir page 69).


Examen standardisé


Il existe plusieurs batteries de tests standardisés pour quantifier les fonctions du langage. Dans les pays francophones, le test de Montréal-Toulouse [569] s’est imposé comme l’instrument d’évaluation le plus adapté. L’examen est subdivisé en évaluation du langage spontané, de la répétition, de la dénomination, de la compréhension du langage oral et écrit et de la production écrite. Il dure environ de 60 à 90 minutes.


Syndromes Aphasiques Et Leur Anatomie


Les aphasies présentent en général une bonne corrélation anatomoclinique. La spécificité de cette corrélation reste cependant controversée. Le clinicien le plus critique reconnaîtra toutefois que la présence d’une aphasie est hautement spécifique d’un trouble de la fonction hémisphérique gauche. Chez les droitiers, l’hémisphère gauche constitue presque toujours l’hémisphère dominant du langage (tableau 4.III) [295, 498]. Une aphasie résultant d’une lésion hémisphérique droite chez un droitier – à savoir une aphasie croisée [21] – est rare. Chez plus de 60 % des gauchers, l’hémisphère dominant du langage est également l’hémisphère gauche. Les gauchers ont néanmoins une distribution de la dominance moins claire, si bien qu’ils souffrent plus fréquemment de troubles aphasiques suite à une lésion cérébrale unilatérale. En revanche, la distribution moins stricte de la dominance leur permet une meilleure compensation de l’aphasie, avec possiblement un meilleur pronostic de récupération.

























Tableau 4-III – Latéralisation et fréquence de l’aphasie après une lésion cérébrale.

Droitier Gaucher
Côté de la lésion Gauche Droite Gauche Droite
Incidence d’aphasie suite à une lésion unilatérale 32 % 0,8 % 29 % 14 %
Côté de la lésion en cas d’aphasie 98 % 2 % 68 % 32 %

Les défenseurs de la corrélation anatomoclinique accordent aux aphasies une signification importante en termes de localisation lésionnelle et classifient les syndromes aphasiques par leur correspondance à des localisations cérébrales précises [19]. Ces corrélations anatomocliniques plus précises ont cependant une certaine limitation: la classification syndromique des aphasies repose à la base sur l’analyse de patients en phase chronique de lésions cérébrales vasculaires ischémiques. La constance des syndromes aphasiques dans ce type d’atteinte est en partie la conséquence d’une relative constance de l’anatomie de la vascularisation cérébrale [608]. Les aphasies générées par des pathologies cérébrales autres que l’infarcissement (hémorragie, tumeur, encéphalite, traumatisme) produisent fréquemment une constellation de troubles qui ne s’insèrent pas dans le cadre de ces syndromes. De plus, un syndrome aphasique évolue généralement au cours du temps, cela en particulier dans la phase aiguë [841, 842]; une aphasie globale, par exemple, va évoluer vers une aphasie de Broca, qui finalement se transformera en aphasie anomique.





























Tableau 4-IV – Signification topique de troubles aphasiques aigus tels qu’ils peuvent être déterminés sur la base des images IRM en séquence T2 dans les 3 premiers mois [432].
Trouble Lésion
Aphasie non fluente Lobe frontal, putamen
Répétition perturbée Insula, capsule externe
Trouble de la compréhension Lobe temporal
Paraphasies phonémiques Capsule externe avec extension dans le lobe
temporal postérieur et l’insula
Paraphasies sémantiques Lobe temporal, noyau caudé
Persévérations Noyau caudé
Anomie Variée








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Fig. 4-4
– Anatomie fonctionnelle des aphasies et symptômes discriminatoires majeurs.


Des associations typiques entre syndrome aphasique et territoire lésé ont été mises en évidence dans des groupes de patients examinés en phase chronique [19, 79]. La figure 4.5 présente les localisations classiques des lésions rencontrées dans les différents types d’aphasies.








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Fig. 4-5
– Localisation de lésions typiques des différentes aphasies et de leurs troubles associés (aphémie, surdité verbale pure) dans la phase chronique [19].




Aphasie transcorticale mixte




Aphasie de Broca


L’aphasie de Broca (ou aphasie motrice) [126] est caractérisée par un langage spontané non fluent associé à une compréhension relativement bien conservée et une mauvaise répétition. Les patients sont fréquemment mutiques dans la phase initiale. Par la suite, leur langage est laborieux et la structure des phrases fortement simplifiée (style télégraphique, agrammatisme). Ces patients produisent des paraphasies phonémiques et sémantiques. La compréhension du langage peut s’avérer insuffisante pour les phrases syntaxiquement complexes, la compréhension de telles phrases nécessitant, entre autres, une bonne capacité de répétition. Néanmoins, en comparaison de l’appauvrissement du langage spontané, la compréhension reste relativement préservée. Beaucoup de ces patients souffrent d’hémiparésie droite à prédominance faciobrachiale, en raison de la proximité du territoire cortical de représentation du visage et de la main avec celui de l’aire de Broca. Les patients souffrent fréquemment d’une apraxie buccolinguofaciale (voir page 78). Le champ visuel, en revanche, est intact. Ce type d’aphasie est typiquement dû à une lésion située dans l’opercule frontal gauche, c’est-à-dire dans la partie inférieure du gyrus précentral (aire 44, aire de Broca) [19]. Une aphasie de Broca ne persiste cependant que si la lésion dépasse l’aire anatomique de Broca (aire 44) et touche également l’aire 45 (en avant de l’aire 44), l’opercule pariétal, l’insula antérieure ainsi que la substance blanche sous-jacente (voir figure 4.5). Une lésion limitée à l’aire de Broca se manifeste en phase aiguë par un mutisme, qui évolue rapidement vers une anarthrie (aphémie; incapacité à s’exprimer oralement mais langage écrit conservé, voir page 59, figure 4.8) [75, 545].


Aphasie transcorticale motrice


Celle-ci se différencie de l’aphasie de Broca par le fait que le patient répète mieux qu’il ne peut parler spontanément. L’aphasie débute fréquemment par un mutisme. La lésion touche le lobe frontal gauche. Les lésions typiques comprennent le cortex frontal dorsolatéral, en arrière de l’aire de Broca, la substance blanche périventriculaire située sous l’aire de Broca ou l’aire motrice supplémentaire (AMS) du côté interne du lobe frontal postérieur (aire paramédiane 6), en arrière du territoire de la représentation motrice de la jambe (voir figure 4.5) [19, 79]. Une aphasie similaire a aussi été décrite en cas de lésion sous-corticale, en particulier du striatum antérieur [516, 623]. Beaucoup de ces patients souffrent d’une hémiparésie droite touchant la face et la main (lorsque la lésion est située dans le cortex frontal dorsolatéral) ou la jambe droite (lorsque la lésion se trouve dans l’aire motrice supplémentaire).


Aphasie de Wernicke


Les caractéristiques majeures de l’aphasie de Wernicke (ou aphasie sensorielle) [836] sont un langage fluent dyssyntaxique (grammaire incorrecte) et jargonné (paraphasies et néologismes) ainsi qu’une altération sévère de la compréhension du langage. Les patients sont logorrhéiques; ils produisent un flot de mots incompréhensibles ponctués de paraphasies. On le décrit sous le terme de jargon. Les patients sont parfois, indépendamment de leur langage qui reste incompréhensible, si volubiles que l’on a l’impression qu’ils n’ont pas conscience de leur déficit langagier (anosognosie) [284]. La répétition est aussi mauvaise que le langage spontané. Les patients souffrant d’aphasie de Wernicke n’ont généralement pas de parésie mais fréquemment un déficit du champ visuel homonyme droit. La lésion classique touche la partie postérosupérieure du lobe temporal (aire de Wernicke, aire 22), souvent avec extension dans les territoires d’association situés dans le lobe pariétal inférieur (gyrus angulaire et supramarginal) et vers le lobe occipital. Beaucoup de ces patients souffrent d’autres troubles cognitifs, notamment en raison de l’implication du lobe pariétal inférieur [18].


Aphasie transcorticale sensorielle


Celle-ci se distingue de l’aphasie de Wernicke principalement par une répétition nettement meilleure que le langage spontané. Fréquemment les patients éprouvent de la difficulté à saisir la signification d’un matériel visuel, comme par exemple celle des objets qu’on leur désigne. Ils souffrent donc d’une légère agnosie visuelle (voir page 103 et suivantes). Le plus souvent, la lésion se situe davantage postérieurement et ventralement que lors de l’aphasie de Wernicke et touche la jonction temporo-occipitale (voir figure 4.5) [409, 631]. Une aphasie semblable a été décrite lors d’hémorragies sous-corticales touchant le thalamus ou le striatum [23].


Aphasie de conduction


Les aphasies de conduction sont rares. Les patients souffrant de ce type d’aphasie ont des difficultés à répéter [85]. Contrairement à l’aphasie de Broca, le langage spontané est plus fluent, parsemé cependant de nombreuses paraphasies phonémiques. L’aphasie de conduction se distingue de l’aphasie de Wernicke par une compréhension du langage relativement bien préservée. Alors qu’une hémiparésie s’y associe rarement, un hémisyndrome sensitif est fréquemment présent. La lésion typique touche l’opercule pariétal et les fibres sous-jacentes (figures 4.6 et 4.7). On suspecte que cette lésion interrompt le faisceau arqué, correspondant au faisceau de connexion le plus important entre les aires de Wernicke et de Broca. Cette aphasie a été rarement décrite lors d’une lésion de l’aire de Wernicke gauche. Dans ce cas, il a été suspecté que l’aire de Wernicke droite permettait une compréhension du langage relativement préservée et que l’aire de Broca gauche permettait la production verbale. Or, l’aphasie de conduction a également été attribuée à une interruption entre l’aire de Wernicke – dans ce cas, dominant à droite – et l’aire de Broca [85, 205].








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Fig. 4-6
– Aphasie de conduction: exemple d’une lésion typique chez une patiente âgée de 57 ans.









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Fig. 4-7
– Reconstruction de la lésion de la figure 4.6 au moyen des schémas de H. Damasio et A.R. Damasio [206].Dans la vue latérale, la partie illustrée en noir correspond à la partie de la lésion qui touche lecortex. La surface rayée verticalement délimite la partie lésionnelle sous-corticale. Ces schémas sont disponibles pour différentes inclinaisons et permettent une localisation topique précise d’une lésion.


On peut observer sur le CT-scan cérébral une prise de contraste dans la région centrale gauche.


Aphasie sous-corticale


Des lésions du thalamus antérolatéral [115, 311] ou de la capsule interne et du striatum antérieur de l’hémisphère gauche [199, 830] peuvent également conduire à une aphasie. La fréquence des aphasies qui ont pour origine des lésions sous-corticales a seulement été reconnue suite à l’introduction des techniques neuroradiologiques (CT-scan, IRM), permettant ainsi d’établir systématiquement une corrélation anatomoclinique. De ce fait, leur dénomination est restée anatomique. Elles se présentent par une hypophonie et un langage non fluent, souvent dysarthrique, associés à une bonne capacité de répétition et une bonne compréhension du langage [623].


Des lésions thalamiques peuvent provoquer différents types d’aphasie. Il semble que les aphasies soient particulièrement fréquentes lors d’infarctus antérolatéraux [115, 311] ou d’hémorragies postérolatérales [744]. Un mutisme initial se transforme alors en aphasie transcorticale sensorielle (fluente) ou transcorticale mixte [23, 501]. L’aphasie secondaire à des lésions combinées de la capsule interne antérieure et du striatum antérieur est celle qui ressemble le plus à une aphasie transcorticale motrice [199, 516, 561]. La plupart des patients sont initialement mutiques et présentent par la suite un langage dysarthrique non fluent et parfois une dysarthrie isolée. La compréhension du langage et la capacité de répétition sont en général relativement bien préservées.


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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Aphasies et Troubles Associés

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