5. Anesthésie rachidienne qui se lève avant la fin de l’intervention
Une femme de 68 ans, en bonne santé, doit bénéficier de la cure chirurgicale d’une importante hernie inguinale. Elle est Mallampati III, pèse 104kg pour 155cm, et présente un reflux gastro-œsophagien (RGO) . Elle vous rapporte de grandes difficultés d’intubation endotrachéale lors d’une précédente anesthésie générale peu de temps auparavant. Il lui avait été conseillé d’informer le médecin en charge de toute anesthésie ultérieure de ce problème éventuel. L’anesthésie générale l’inquiète et elle réclame une anesthésie rachidienne. Vous réalisez sans problème une rachianesthésie au niveau L3-L4 avec 1,4ml de bupivacaïne à 0,5 %. L’anesthésie installée, l’intervention peut débuter. Des problèmes opératoires surviennent, essentiellement dus à un défaut de matériel adéquat, et l’intervention initialement prévue pour durer 30min est toujours en cours au bout de 2h. La patiente commence à se plaindre de ressentir une douleur. Vous administrez jusqu’à 2mg de midazolam et 75μg de fentanyl pour la sédater, tandis que le chirurgien infiltre le site opératoire avec 50ml de lidocaïne à 1 %. L’effet obtenu n’est pas satisfaisant et la patiente se plaint toujours de la douleur, semblant irritée par le déroulement de l’intervention. Vous envisagez une intubation vigile à l’aide d’un fibroscope, suivie d’une anesthésie générale. Malheureusement, vous êtes alors informé du fait qu’aucun matériel d’intubation fibroscopique ne sera disponible avant le lendemain pour des raisons de maintenance. Vous écartez les options de sédation supplémentaire ou d’induction d’une anesthésie générale au masque, en raison du risque encouru. Le chirurgien, qui est un de vos amis et dont l’estimation des durées opératoires est habituellement très précise, vous annonce la fin de l’intervention pour 10–15min plus tard. Vous ne le mettez pas en doute, mais qu’allez-vous faire ?
Solution
Vous demandez à la patiente d’avaler 30ml de Bicitra® (un anti-acide), ce qu’elle fait. Puis lui sont administrés 10mg de métoclopramide, 0,5mg d’atropine [1] et 1–2mg/kg de kétamine, en intraveineuse. Dans ces cas la kétamine peut être d’un grand secours car elle ne déprime pas la ventilation, sauf à dose élevée [1]. Une anesthésie de qualité chirurgicale est obtenue et le chirurgien peut terminer son intervention. Il est très reconnaissant.
Discussion
La prévention de l’inhalation gastrique ne peut être garantie par l’utilisation de kétamine sans sécurisation des voies aériennes. Lorsqu’il existe un risque d’inhalation, les administrations d’un anti-acide oral et de métoclopramide intraveineuse doivent être pratiquées. Ces deux médicaments élèvent également le tonus du bas œsophage [1, 2], et l’anti-acide élève le pH gastrique [3]. De la même famille que la kétamine, la phencyclidine qui était utilisée en anesthésie a été retirée de la pharmacopée humaine en raison de l’incidence élevée d’hallucinations [4], mais elle est encore employée chez l’animal. Une dose de 2mg/kg de kétamine intraveineuse entraînera une anesthésie au bout d’un délai de 30s pour une durée de 5–10min. Une dose de 10mg/kg intramusculaire entraînera une anesthésie au bout d’un délai de 3–4min, pour une durée de 10–20min. N’oubliez pas de toujours utiliser une benzodiazépine ou du dropéridol avant la kétamine, afin de réduire l’incidence d’effets secondaires lors du réveil [4]. Ces effets peuvent être : désorientation postopératoire, confusion et comportement irrationnel, hallucinations auditives et visuelles. Ces dernières, ainsi que des rêves terrifiants, sont selon l’auteur plus fréquentes que les problèmes auditifs [5, 6]. Ces effets indésirables furent un réel problème lorsque la kétamine fut introduite en 1965 par Domino et al. [7], jusqu’à ce que Dundee et al. [8] suggèrent une solution pour en réduire l’incidence en utilisant une prémédication par hyoscine-morphinique. Toutefois, de petites doses de benzodiazépines sont plus efficaces. L’hypersialorrhée due à la kétamine peut également être problématique et nécessiter du glycopyrrolate ou de l’atropine.