9: Soins sans consentement prévus par la loi du 5 juillet 2011


Soins sans consentement prévus par la loi du 5 juillet 2011






Introduction : pourquoi cette réforme ? Quels sont les principes qui sous-tendent la loi ?



Pourquoi ?


La loi du 5 juillet 2011 a été votée en procédure d’urgence pour répondre à l’injonction du Conseil constitutionnel qui déclarait certains aspects de la loi du 27 juin 1990 inconstitutionnels en donnant au législateur jusqu’au 1er août 2011 pour la réformer et mettre en place une nouvelle loi.


Elle résulte de décisions du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme, plus que de la volonté sécuritaire exprimée par le gouvernement de l’époque.


Les arrêts qui en sont à l’origine soulignent une évolution constante de la jurisprudence allant dans le sens du renforcement des droits et des garanties du respect des libertés individuelles en se centrant sur trois points : l’obligation de recueillir les observations de la personne malade, le bref délai de recours et le respect de la dignité :



• Le Conseil constitutionnel dans des décisions du 26 novembre 2010 et du 9 juin 2011 relève une double inconstitutionnalité des textes de la loi de 1990 : pour le Conseil constitutionnel, la loi de 1990 permettait que l’hospitalisation contrainte en HDT et en HO soit maintenue au-delà de 15 jours sans l’intervention d’un juge de l’ordre judiciaire, au mépris des exigences de l’article 66 de la Constitution, qui précise que l’autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle. La loi de 1990 comportait aussi une autre inconstitutionnalité dans le fait que rien n’était prévu pour le réexamen à bref délai de la situation de la personne hospitalisée en cas de divergence entre le psychiatre traitant, estimant que l’hospitalisation n’est plus justifiée, et l’autorité administrative, qui refusait la levée de la mesure. L’inconstitutionnalité avancée par la QPC (question prioritaire de constitutionnalité) du 26 novembre 2010 concernait l’HDT et s’est élargie par la QPC du 9 juin 2011 relative à l’HO. Dans sa décision du 18 novembre 2008, le Conseil constitutionnel rappelle que la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation est au centre des droits inaliénables et sacrés de tout être humain et constitue un principe à valeur constitutionnelle.


• Dans une décision du 18 novembre 2011, la CEDH condamne la France au motif que l’articulation des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif quant aux voies de recours offertes à la personne hospitalisée viole le droit au recours effectif garanti par la Convention (Baudoin contre France). Quelques mois auparavant, le Conseil d’État avait considéré que le juge des référés et des libertés pouvait se prononcer sur la régularité d’une mesure d’hospitalisation sans consentement, par nature privative de liberté d’aller et de venir, même si cela le conduit à examiner le bien-fondé de la mesure et ainsi à exercer un office proche de celui du juge judiciaire (décision n° 335753 du 1er avril 2010).


• Le 27 mai 2011, le Conseil d’État décide que les décisions de maintien d’une hospitalisation d’office sont au nombre des mesures de police qui doivent être motivées et qui supposent que la personne ait été mise à même de présenter des observations. Cet arrêt est dans le sillage de celui de la Cour administrative d’appel de Versailles qui, le 18 novembre 2008, estimait que l’hospitalisation sous contrainte « ne peut intervenir qu’après que l’intéressé a été mis à même de présenter ses observations écrites ou le cas échéant ses observations orales ».


• Le problème du délai de recours est posé par la CEDH le 14 avril 2011 (Patoux contre France) quand la cour condamne la France pour violation de l’article 5.4 de la Convention européenne qui prévoit que « toute personne privée de sa liberté par arrestation ou de détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. » La cour considère qu’un délai de 46 jours entre la demande de sortie immédiate et l’audience devant le juge ne correspond pas à l’exigence d’un « bref délai » envisagé par la convention.


Avant de présenter les dispositions actuelles de la loi, il faut aussi faire sa place à l’étude d’impact, maintenant obligatoire avant tout vote du Parlement. Elle donne des éléments d’appréciation précieux. En 2008, environ 69 000 personnes ont été hospitalisées sans leur consentement au moins une fois dans l’année. La part des hospitalisations sans consentement sur l’ensemble des hospitalisations reste stable entre 1998 et 2007 : elle varie entre 11 % et 13 %. En 2009, le rapport de l’IGAS de Mesdames Lalande et Lépine fait état de 80 235 hospitalisations sans consentement dont 62 155 en HDT et 15 570 en HO (IGAS, rapport N° RM2011-071P).


Près de la moitié des personnes hospitalisées sans leur consentement le sont pour des pathologies psychotiques, schizophrénie, troubles schizoptypiques et délirants, bouffées délirantes, troubles délirants persistants (29 427 patients), alors que les troubles de l’humeur, dépressions avec ou non idées suicidaires et états maniaques constituent le deuxième groupe des pathologies les plus représentées dans les soins sans consentement (12 043 patients concernés). Les troubles de la personnalité représentent 8 675 personnes et les troubles mentaux et troubles du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives 7 639 personnes.



Les principes de la loi


La loi 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge est depuis le 1er août 2011 le droit applicable en matière de soins sans consentement pour les patients ayant des troubles mentaux. En apparence, elle modifie relativement peu les régimes possibles d’hospitalisations. Persistent en effet deux modalités de soins hospitaliers sans consentement : celui qui s’appuie sur le risque d’un trouble à l’ordre public et est désormais appelé soins psychiatriques sur décision du représentant de l’état (SDRE); et celui qui est pris en principe dans l’intérêt du patient sur décision du directeur de l’établissement de santé (SDDE), avec maintenant intervention ou non d’un tiers. Cette loi nouvelle instaure également une possibilité de soins sans consentement en dehors de l’hospitalisation complète qui doit s’appuyer sur un programme de soins (PDS) élaboré par un psychiatre de l’établissement. Une des modifications majeures de la loi par rapport à ses devancières est de placer l’ensemble de la procédure sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD) de manière systématique dès les premiers jours de l’hospitalisation ou à la demande du patient dans d’autres circonstances. À partir du 1er janvier 2013, tout le contentieux relatif à cette hospitalisation est jugé par le JLD alors qu’auparavant une répartition complexe était opérée entre le juge administratif pour certains aspects et pour le juge judiciaire pour d’autres. Ce point concernant les sanctions et les responsabilités éventuellement encourues méritera quelque développement en fin de chapitre.


Pour bien comprendre les modifications apportées par cette loi à celles qui l’ont précédée et les aspects qui doivent désormais être privilégiés et le seront notamment par le regard du JLD, il est important d’apporter quelques informations sur le contexte juridique dans lequel une telle loi peut être adoptée dans un pays comme le nôtre (Pechillon, 2012).


La France est un pays de droit. En ce sens, toute norme juridique doit être conforme à sa constitution mais également aux conventions internationales qui ont été adoptées et ratifiées par le pays. Pour ce qui nous intéresse, il convient donc de donner quelques informations sur ce que dit la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ainsi que sur le droit constitutionnel.


La CEDH est destinée à protéger la liberté individuelle des ressortissants européens. Chaque État doit pouvoir justifier les limitations qui sont apportées à cette liberté. La jurisprudence de la Cour de Strasbourg est néanmoins pragmatique et apporte une limite à cette liberté : la capacité d’une personne à s’opposer à une décision extérieure et donc sa capacité ou non à consentir. Cela justifie des privations de liberté pour certains malades mentaux, à priori dans leur intérêt. Cependant, pour limiter le risque d’arbitraire, la Cour européenne impose de prévoir une intervention de l’autorité judiciaire (CEDH, 24/10/1979, Winterwerp). Cette procédure doit pouvoir être engagée à tout moment et éventuellement à plusieurs reprises (CEDH, 02/09/2010, SHOPOV contre Bulgarie). Le patient doit pouvoir disposer d’un contrôle judiciaire à intervalles réguliers et dans un court délai (CEDH, 18/11/2010, Baudouin contre France, précité). De manière très pragmatique la recommandation 2004/10 du Conseil de l’Europe (Recommandations du Comité des ministres, 2004) détaille les différents droits du patient et notamment son droit à l’information ainsi que le principe de restriction minimale que les soins doivent revêtir (Jonas, Recommandations, 2004).


Pour sa part, la Constitution française apporte d’autres précisions importantes. On les retrouve dans les décisions prises sur questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) échelonnées entre la fin de l’année 2010 et la fin de l’année 2011, qui ont joué un rôle majeur dans la modification de la loi et sa rédaction actuelle (Jonas). Le conseil affirme que le législateur se doit « d’assurer la conciliation entre, d’une part, la protection de la santé des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que la prévention des atteintes à l’ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeurs constitutionnelles, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties » et un peu plus loin une phrase particulièrement importante reprise dans la loi « les atteintes portées à l’exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis ». En d’autres termes, une loi prévoyant des soins sans consentement est constitutionnelle. Elle est destinée à assurer une conciliation entre la protection de la santé de personnes souffrant de troubles mentaux et les préventions à l’atteinte de l’ordre public et de la sécurité des tiers mais il faut qu’elle apporte suffisamment de garanties au patient pour que ces libertés constitutionnelles soient préservées. Ainsi il n’est pas étonnant que l’architecture de la loi en dehors d’une description précise des conditions dans lesquelles peuvent être décidés SDDE et SDRE ainsi que les soins ambulatoires proposent dans un premier chapitre de détailler les droits du patient. Nous suivrons ce plan particulièrement logique.



Les droits des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques


Il s’agit d’un long chapitre préliminaire de la loi qui détaille les garanties offertes au patient. Dans le Code de la santé publique, il correspond à des articles numérotés L3211-1 et suivants.



Les droits généraux des patients


La loi énonce d’abord dans l’article L3211-1 du CSP le principe de base : celui du consentement nécessaire de toute personne avant les soins qui est inscrit à l’article 16-3 du Code civil. À ce droit s’ajoute celui du libre choix du médecin ou de l’équipe de santé mentale publique ou privée à l’intérieur comme à l’extérieur du secteur psychiatrique.


L’article suivant confirme que le patient, hospitalisé librement en psychiatrie, dispose des mêmes droits concernant sa liberté individuelle que tout autre malade soigné pour une autre cause. Lorsqu’un patient qui souffre de soins psychiatriques est hospitalisé dans un autre établissement, son transfert vers un établissement habilité doit être organisé au plus tard sous 48 heures (article L3211-2-3 du CSP).


L’article L3211-3 revêt une importance particulière et doit être bien connu des professionnels. Il définit largement les droits et libertés des patients soignés sans leur consentement. Ainsi précise-t-il, comme l’avait mis en avant le Conseil constitutionnel, que les restrictions à la liberté individuelle doivent être « adaptées, nécessaires et proportionnées à l’état mental du patient et à la mise en œuvre du traitement requis ». Il impose le respect de la dignité de la personne mais aussi la recherche de sa réinsertion.


Il impose une obligation d’information qui doit survenir avant chaque décision après que le patient a été à même de faire valoir ses observations par tout moyen. Une limite existe cependant : « dans la mesure où son état le permet ». L’information doit notamment porter sur les décisions d’admission, sur la situation juridique du patient et sur ses voies de recours (de la jurisprudence existe déjà à ce propos). Comme cela a été le cas auparavant, ce long article définit certains droits et libertés qui doivent être maintenus en tout état de cause :



Comme auparavant, ces droits, à l’exception des 5, 7 et 8e, peuvent être exercés à leur demande par les parents du sujet ou les personnes susceptibles d’agir dans l’intérêt du malade.



Mesures de protection spécifiques


Dans cette partie de la loi, la législation rappelle les obligations du médecin du fait de la vulnérabilité particulière des malades mentaux. Ainsi est-il écrit que le patient conserve son domicile durant l’hospitalisation mais aussi et surtout (art. L3211-6) que lorsque l’état du patient requiert une mesure de protection, le placement sous sauvegarde de justice par simple déclaration au procureur de la République est une obligation pour le médecin travaillant en établissement.


La loi prévoit également une situation particulière où le mineur dont on sait qu’il peut être placé en SDRE mais pas en SDDE, l’admission ou la levée de la mesure sont demandées par les titulaires de l’autorité parentale ou le tuteur. Ceci a d’ailleurs fait réagir certains acteurs et notamment le Syndicat de la magistrature, qui estime que de ce fait le mineur a plutôt moins de garanties qu’un majeur.

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May 10, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 9: Soins sans consentement prévus par la loi du 5 juillet 2011

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