9: Leucémies chroniques

Chapitre 9


Leucémies chroniques





Leucémie myéloïde chronique






Épidémiologie: La LMC représente un cinquième de tous les cas de leucémie aux États-Unis. Elle est diagnostiquée chez 1 ou 2 personnes pour 100 000 par an et a une légère prédominance masculine. Cette incidence de 5000 à 6000 cas par an n’a pas beaucoup changé au cours des dernières décennies. L’incidence de la LMC augmente avec l’âge, l’âge médian au diagnostic étant de 50 à 55 ans. La LMC Ph positive est rare chez les enfants et les adolescents. Aucune association familiale de la LMC n’a été notée ; par exemple, le risque n’est pas augmenté chez les jumeaux monozygotes ou chez des proches de patients atteints de LMC. En raison de la disponibilité d’un traitement efficace, la mortalité annuelle a été ramenée de 15 à 20 % avant 2000 à 1 à 2 % à l’heure actuelle. Ainsi, la prévalence de la LMC aux États-Unis devrait augmenter progressivement de 15 000 à 20 000 cas avant 2000 jusqu’à 250 000 cas en 2040.


Souvent, aucun agent étiologique n’est incriminé dans la LMC. L’exposition aux rayonnements ionisants (par exemple les survivants des explosions atomiques au Japon en 1945 ou les personnes soumises à des radiothérapies pour spondylarthrite ankylosante ou cancer du col de l’utérus) augmente le risque de LMC, le pic d’incidence se situant 5 à 12 ans après l’exposition ; le risque dépend de la dose. Aucune augmentation du risque de la LMC n’a été démontrée chez les personnes travaillant dans l’industrie nucléaire. Les radiologues qui travaillaient sans protection adéquate avant 1940 étaient plus susceptibles de développer une leucémie myéloïde, mais dans des études récentes, aucune association n’a été trouvée. L’exposition au benzène augmente le risque de leucémie myéloïde aiguë (LMA), mais pas de LMC. La LMC n’est pas une leucémie secondaire fréquente après traitement d’autres cancers par irradiation, agents alkylants, ou les deux.



Physiopathologie:



Pathogénie moléculaire: Le chromosome Ph, présent chez plus de 90 % des patients atteints de LMC typique (fig. 9-1), est le résultat d’une translocation équilibrée de matériel génétique entre les bras longs des chromosomes 9 et 22 : t(9;22)(q34;q11.2). La cassure dans la bande q34 du chromosome 9 entraîne la translocation de l’oncogène ABL1 (anciennement c-ABL) dans une région du chromosome 22 codant la principale région de la protéine BCR (breakpoint cluster region). ABL1 est un gène homologue de l’oncogène v-ABL du virus d’Abelson, cause de leucémie chez la souris. La translocation permet la juxtaposition d’une portion 5′ d’une BCR et d’une portion 3′ d’ABL ; les deux séquences génétiques produisent un oncogène hybride (BCR-ABL), qui code une nouvelle oncoprotéine BCR-ABL ayant une masse moléculaire de 210 kD (p210BCR-ABL). L’oncoprotéine p210BCR-ABL exerce, de manière incontrôlée, l’activité kinasique de BCR-ABL, ce qui déclenche une prolifération excessive et une diminution de l’apoptose des cellules de la LMC. Cet avantage de croissance par rapport aux cellules normales supprime progressivement l’hématopoïèse normale. Bien que, dans la plupart des cas, 100 % des métaphases sur l’analyse cytogénétique montrent la jonction BCR-ABL, certaines cellules souches normales apparaissent à la culture à long terme de la moelle osseuse, ainsi qu’après le traitement par l’interféron-α (IFN-α), l’imatinib, une chimiothérapie intensive et une autogreffe de cellules souches.



L’activation constitutive de BCR-ABL entraîne l’autophosphorylation et l’activation de plusieurs voies en aval qui affectent la transcription génique, l’apoptose, l’organisation du cytosquelette, les cytoadhérences et la dégradation des protéines inhibitrices. Les voies de transduction du signal concernées impliquent RAS, des MAP (mitogen-activated-proteins) kinases, des transducteurs de signal et des activateurs de transcription (signal transducers and activators of transcription [STAT]), PI3K (phosphatidyl inositol 3-kinase), MYC et bien d’autres facteurs. Beaucoup de ces interactions sont assurées par la phosphorylation de tyrosines et nécessitent la liaison de BCR-ABL à des protéines adaptatrices comme GRB-2, CRK, CRKL (CRK-like protein) et SHC (SCR-homology containing proteins). Malgré le remarquable succès de l’imatinib dans l’inhibition spécifique de BCR-ABL, il importe de comprendre la physiopathologie des événements en aval pour que ceux-ci puissent devenir des cibles de futurs agents en développement.


Dans la leucémie lymphoïde aiguë (LLA) Ph positive, la cassure sur le chromosome 22 se situe plus en 5′, au niveau du premier intron, dans une région appelée m-BCR ou point de cassure mineur. En conséquence, le fragment de BCR joint à ABL est plus petit ; il en est de même pour le gène de fusion qui en résulte, pour l’ARN messager correspondant et pour l’oncoprotéine BCR-ABL (p190BCR-ABL). Un troisième, mais rare, point de cassure BCR mu (μ), distal par rapport au point de cassure majeur, produit une oncoprotéine hybride, p230BCR-ABL, qui est associée à une LMC d’évolution plus lente.


Ce qui induit ce réarrangement moléculaire est inconnu. Les techniques moléculaires qui amplifient la détection de BCR-ABL ont démontré sa présence dans les cellules médullaires de 25 à 30 % de volontaires sains et 5 % de nourrissons, mais pas dans le sang de cordon. Puisque la LMC ne se développe que chez 1 à 2 personnes sur 100 000 (soit 1 à 2 personnes pour 25 000 à 30 000 qui expriment BCR-ABL dans leur moelle osseuse), des processus régulateurs immunitaires ou d’autres événements moléculaires contribuent probablement au développement de la LMC.


BCR-ABL se trouve uniquement dans les cellules hématopoïétiques et a une origine proche de la cellule souche pluripotente. Par exemple, le chromosome Ph se forme dans des cellules érythroïdes, myéloïdes, monocytaires et mégacaryocytaires ; moins souvent dans les lymphocytes B ; rarement dans les lymphocytes T ; et pas du tout dans les fibroblastes médullaires. Le gène fusionné BCR-ABL et la protéine p210 peuvent être trouvés dans des cas de LMC typiques au plan morphologique, mais dans lesquelles aucune anomalie cytogénétique ne survient ou dans lesquelles des changements autres que le type t(9 ; 22)(q34 ; q11.2) sont identifiés. Ces patients ont un taux de survie et une réponse au traitement similaires à ceux des patients atteints de LMC Ph positive. Les patients atteints de LMC atypique (généralement plus âgés et atteints plus fréquemment d’anémie, de thrombopénie, de monocytose et de dysplasie) qui sont Ph négatifs et BCR-ABL négatifs ont un plus mauvais pronostic que ceux qui sont soit Ph positifs soit négatifs mais BCR-ABL positifs ; ils ressemblent plus à des patients atteints de syndrome myélodysplasique (chapitre 7). Ainsi, trois groupes de patients atteints de LMC peuvent être identifiés : (1) ceux qui sont positifs pour Ph et BCR-ABL, (2) ceux qui sont Ph négatifs, mais BCR-ABL positifs, et (3) ceux qui sont négatifs pour Ph et BCR-ABL. Le gène PDGFB (précédemment SIS), qui code le facteur de croissance dérivé des plaquettes (platelet-derived growth factor [PDGF]) et est homologue du virus du sarcome simien, est également transporté du chromosome 22 sur le chromosome 9 dans la LMC, mais il est distant du point de cassure et n’est pas exprimé.



Manifestations cliniques: Environ 40 à 50 % des patients chez qui le diagnostic de LMC est posé sont asymptomatiques jusqu’à ce que la maladie soit révélée par un examen physique ou des tests sanguins de routine. Chez ces patients, le nombre de globules blancs peut être relativement faible au moment du diagnostic. Le degré de leucocytose reflète la charge tumorale, qui peut être évaluée sur la base de la taille de la rate.


Les symptômes de la LMC, lorsqu’ils sont présents, sont dus à l’anémie et à la splénomégalie et sont, notamment, de la fatigue, une perte de poids ainsi que des sensations de malaise, de satiété rapide, de plénitude ou de douleur dans le quadrant supérieur gauche. Des saignements (associés à un faible nombre de plaquettes ou à une dysfonction plaquettaire) ou une thrombose (associée à une thrombocytose ou une leucocytose marquée) peuvent survenir, mais ils sont peu fréquents. D’autres manifestations rares sont : une arthrite goutteuse (due à des taux élevés d’acide urique), du priapisme (généralement associé à une thrombocytose ou une leucocytose marquée), des hémorragies rétiniennes et des ulcérations gastro-intestinales supérieures avec saignements (en raison de l’histamine libérée par les nombreux basophiles). Des maux de tête, des douleurs osseuses, des arthralgies, des douleurs d’infarctus splénique et la fièvre sont rares dans la phase chronique, mais deviennent plus fréquents avec l’évolution de la LMC. Les symptômes de leucostase, comme la dyspnée, la somnolence, la perte de coordination ou la confusion, qui sont dus à l’agrégation des leucocytes dans les vaisseaux pulmonaires ou cérébraux, sont rares dans la phase chronique, malgré un nombre de leucocytes excédant 50 000/μl, mais ils sont plus fréquents durant la phase accélérée ou la phase blastique.


Une splénomégalie, le signe physique le plus constant dans la LMC, est palpée dans 50 à 60 % des cas. L’hépatomégalie est moins fréquente (10 à 20 %) et généralement mineure (de 1 à 3 cm en dessous du rebord costal droit). L’adénopathie est rare, comme l’infiltration de la peau ou d’autres tissus. Leur présence suggère que la LMC est Ph négative ou a atteint la phase accélérée ou la phase blastique.



Diagnostic: Le diagnostic de LMC typique n’est pas difficile. Les patients atteints de LMC et non traités ont généralement une leucocytose allant de 10 000 à 500 000 μl. Les cellules prédominantes sont des neutrophiles, avec un décalage vers la gauche s’étendant jusqu’aux cellules blastiques. Les basophiles et les éosinophiles sont généralement augmentés. Les monocytes peuvent l’être légèrement dans certaines formes intermédiaires entre LMC et leucémie myélomonocytaire chronique (LMMC ; voir plus loin). La thrombocytose est fréquente, alors que la thrombopénie est rare et, si elle est présente, elle indique un mauvais pronostic. Chez un tiers des patients, le taux d’hémoglobine est inférieur à 11 g/dl. Les anomalies biochimiques dans la LMC comprennent une faible teneur en phosphatase alcaline leucocytaire (PAL). Cela s’observe également chez certains patients avec métaplasie myéloïde agnogénique. Les taux sériques de vitamine B12, de lactate déshydrogénase, d’acide urique et de lysozyme sont souvent augmentés. Certains patients montrent une oscillation cyclique du nombre des globules blancs. La présence d’une leucocytose myéloïde inexpliquée (fig. 9-2) avec splénomégalie devrait conduire à un examen de la moelle osseuse et à l’analyse cytogénétique.





Cytogénétique: La translocation t(9;22)(q34;q11.2) établit le diagnostic de LMC. Si le chromosome Ph n’est pas trouvé chez un patient présentant une suspicion de LMC, la détection moléculaire du gène hybride BCR-ABL est nécessaire. Environ 25 à 30 % des patients avec un tableau morphologique typique de LMC et qui sont Ph négatifs ont un réarrangement BCR-ABL. Le chromosome Ph est habituellement présent dans 100 % des métaphases, souvent comme seule anomalie. Entre 10 et 15 % des patients ont d’autres anomalies chromosomiques (perte du chromosome Y, trisomie 8, perte supplémentaire d’ADN en 22q, ou Ph double). Certains patients ont des changements chromosomiques complexes impliquant le chromosome 9 ou le chromosome 22 (variantes du Ph, translocations à trois voies).



Diagnostic différentiel: La LMC doit être différenciée des réactions leucémoïdes, qui produisent généralement un nombre de leucocytes inférieur à 50 000/μl, une vacuolisation toxique et des corps de Döhle dans les granulocytes, l’absence de basophilie et une teneur normale ou élevée de PAL ; l’histoire clinique et l’examen physique suggèrent généralement l’origine de la réaction leucémoïde. Les corticoïdes peuvent parfois causer une neutrophilie extrême avec un décalage vers la gauche, mais cette anomalie est autolimitée et de courte durée.


Une LMC peut être plus difficile à distinguer des autres syndromes myéloprolifératifs ou myélodysplasiques (chapitre 7). Les patients avec métaplasie myéloïde agnogénique avec ou sans myélofibrose ont souvent une splénomégalie, une neutrophilie et une thrombocytose. La polycythémie vraie associée à une carence en fer, qui normalise la teneur en hémoglobine et l’hématocrite, peut se manifester avec une leucocytose et une thrombocytose. Ces patients ont généralement une teneur normale ou élevée de PAL, un nombre de leucocytes inférieur à 25 000/μl et pas de chromosome Ph.


La plus grande difficulté est rencontrée chez les patients qui ont une splénomégalie et une hyperleucocytose, mais n’ont pas le chromosome Ph. Dans certains cas, le gène hybride BCR-ABL peut être mis en évidence en dépit d’une tendance cytogénétique normale ou atypique. Les patients qui sont Ph négatifs et BCR-ABL négatifs sont considérés comme atteints d’une LMC Ph négative ou d’une LMMC (voir plus loin). Rarement, des patients ont une hyperplasie myéloïde, ce qui implique presque exclusivement la lignée cellulaire neutrophile, éosinophile ou basophile. Chez ces patients décrits comme ayant une leucémie chronique à neutrophiles, à éosinophiles ou à basophiles, on ne trouve pas de chromosome Ph ni le gène BCR-ABL. Une hyperplasie mégacaryocytaire isolée peut être observée dans la thrombocytémie essentielle avec une thrombocytose marquée et une splénomégalie. Certains patients qui présentent des caractéristiques cliniques de thrombocytémie essentielle (avec thrombocytose marquée, mais sans hyperleucocytose) ont une LMC ; des études cytogénétiques et moléculaires montrant le chromosome Ph, le réarrangement BCR-ABL ou les deux aboutissent à un diagnostic et un traitement appropriés.



Évolution clinique:



Évolution vers les phases accélérée et blastique: Plus de 90 % des patients se présentent avec une LMC en une phase bénigne ou chronique ou qui devient asymptomatique dès que la maladie est contrôlée. La mort survient rarement pendant la phase chronique d’une LMC.


Lorsqu’elle est mal contrôlée, la LMC évolue vers une phase accélérée, généralement définie par la présence de 15 % ou plus de blastes, 30 % ou plus de blastes plus promyélocytes, 20 % ou plus de basophiles, une thrombopénie inférieure à 100 000/μl indépendamment du traitement ou une évolution clonale cytogénétique. La phase accélérée est également caractérisée par : aggravation de l’anémie ; augmentation de la splénomégalie ou hépatomégalie ; infiltration des ganglions, de la peau, des os ou d’autres tissus ; fièvre, malaises, perte de poids. Dans la phase accélérée, la moelle osseuse peut montrer des changements dysplasiques, des pourcentages accrus de blastes et des basophiles, une myélofibrose et des anomalies chromosomiques, en plus du chromosome Ph (évolution clonale). Environ 5 à 10 % des patients se présentent en phase accélérée.


Avant l’ère du traitement à l’imatinib, le risque de développer la phase accélérée ou blastique de la LMC était de 10 % par an au cours des deux premières années après le diagnostic et ensuite 15 à 20 % par année, à moins que des thérapies comme l’IFN-α ou des cellules souches hématopoïétiques allogéniques n’aient été utilisées. Avec l’imatinib, l’incidence annuelle de la progression de la LMC de chronique à la phase accélérée ou blastique a été de 2 % au cours des dix premières années d’observation (fig. 9-3). Avant le traitement par l’imatinib, la médiane de survie des LMC en phase accélérée était de 18 mois ou moins, mais la survie est maintenant passée à 4 ans ou plus.



La phase blastique de la LMC est diagnostiquée lorsque 30 % ou plus de cellules blastiques sont présentes dans la moelle osseuse et/ou le sang ou lorsqu’une maladie blastique extramédullaire est présente. La plupart des patients développent des caractéristiques de la phase accélérée avant de passer à la phase blastique, mais 20 % des patients passent rapidement à la phase blastique sans avertissement. La plupart des patients en phase accélérée ou blastique ont d’autres anomalies chromosomiques (évolution clonale) telles que la duplication du chromosome Ph, une trisomie du chromosome 8 ou le développement d’un isochromosome 17. La phase blastique extramédullaire de la LMC peut se produire dans la rate, les ganglions lymphatiques, la peau, les méninges (en particulier dans la phase blastique lymphoïde), les os et d’autres sites ; une transformation extramédullaire est généralement suivie de près par des signes d’implication médullaire. La LMC en phase blastique est associée à une durée médiane de survie très faible de 5 mois. Environ 25 % des patients développent une phase blastique lymphoïde ; leur taux de réponse à une chimiothérapie de type anti-LLA et imatinib est d’environ 60 %, et leur durée médiane de survie est d’environ 1 an.


Les LMC Ph négatives et BCR-ABL négatives ont souvent des caractéristiques intermédiaires avec celles de la LMMC en termes de comportement, d’évolution et de réponse au traitement, et ressemblent à des syndromes myélodysplasiques (chapitre 7) plus qu’à une LMC Ph positive. Une prépondérance masculine et un âge avancé sont notés ; la splénomégalie est commune (60 à 70 % des cas). La numération leucocytaire est habituellement de l’ordre de 25 000 à 100 000/μl. L’anémie, la thrombopénie et la monocytose sont plus fréquentes que dans la LMC Ph positive, alors que l’éosinophilie et la basophilie sont moins fréquentes. La durée médiane de survie est de 18 à 24 mois ; les patients meurent d’une infection, d’hémorragie ou de transformation en leucémie aiguë.



Traitement



Choix du traitement de la leucémie myéloïde chronique


Les décisions de traitement dans la LMC sont fondées sur la phase de la maladie, l’âge du patient et la disponibilité d’un donneur de cellules souches. Pour les patients qui se présentent avec une LMC en phase chronique (> 90 % des patients nouvellement diagnostiqués), le mésylate d’imatinib, un inhibiteur sélectif de la tyrosine kinase BCR-ABL, est le traitement de première ligne pour la grande majorité des patients. La transplantation allogénique de cellules souches est considérée comme un traitement efficace de deuxième intention dans les LMC en phase chronique après un échec de l’imatinib. Des thérapies alternatives de deuxième ligne sont des inhibiteurs de tyrosine kinase plus puissants, de deuxième génération, dont le dasatinib (double inhibiteur de la kinase SRC-ABL) et le nilotinib (inhibiteur sélectif et plus puissant de la kinase BCR-ABL). Pour les patients atteints de LMC en phase accélérée ou blastique, il faut envisager une allogreffe de cellules souches comme thérapie définitive immédiate ; dans cette situation, l’utilisation d’inhibiteurs de tyrosine kinase comme une mesure provisoire avant la transplantation de cellules souches peut réduire de façon significative le fardeau de la LMC et améliorer les résultats de l’allogreffe de cellules souches.



Mésylate d’imatinib


Depuis sa découverte en 1999, le mésylate d’imatinib est devenu le traitement standard de la LMC. L’imatinib est un dérivé de la 2-phénylaminopyrimidine qui se lie au triphosphate d’adénosine (ATP) canonique situé dans la rainure entre les lobes N et C du domaine kinase d’ABL, bloquant ainsi la phosphorylation des résidus tyrosine du substrat protéique. Le blocage de la liaison de l’ATP inactive la kinase ABL, car elle ne peut pas transférer le phosphate à son substrat. En inhibant la phosphorylation, l’imatinib empêche l’activation des voies de transduction du signal qui induisent les processus de transformation qui causent la LMC (fig. 9-4). L’imatinib inhibe plusieurs tyrosine kinases, dont p210BCR-ABL, p190BCR-ABL, v-ABL, c-ABL, c-kit et le récepteur du PDGF.



Dans un essai randomisé sur 1106 patients atteints de LMC, l’imatinib, 400 mg/jour par voie orale, a fourni des taux significativement plus élevés de réponse cytogénétique majeure (87 % contre 35 %) et de réponse cytogénétique complète (76 % contre 14 %), ainsi qu’une baisse des taux de progression (8 % contre 26 %) et de transformation (3 % contre 9 %) après 12 mois de traitement, par rapport à une thérapie standard antérieure sans transplantation (une combinaison d’IFN-α et de cytosine arabinoside) 1,2. Le suivi à plus long terme a confirmé les résultats exceptionnels du traitement à l’imatinib (tableau 9-1 ; voir fig. 9-3) : avec un suivi médian de 7 ans, le taux de réponse cytogénétique complète (survenant au moins une fois durant le traitement) est de 87 % ; le taux estimé de réponse cytogénétique complète durable pendant 5 ans est de 65 à 70 % ; le taux annuel de progression vers une phase accélérée ou blastique est ramené à 1 à 2 %, et l’on estime qu’un taux de survie de 7 ans est supérieur à 86 % (94 % si les décès non liés à la LMC sont écartés) 3. L’association imatinib plus péginterféron alfa-2a est un peu plus favorable que l’imatinib seul dans l’induction d’une réponse moléculaire persistante durant 12 mois 4, mais son rôle précis dans le traitement de routine reste à déterminer.



La plupart des médecins experts en LMC considèrent dorénavant l’imatinib comme traitement de première ligne pour tous les patients chez qui l’on vient de diagnostiquer une LMC Ph positive en phase chronique, indépendamment de l’âge et de la disponibilité de donneurs. Les seules exceptions sont les rares patients dont la LMC est associée à p190BCR-ABL et dont le pronostic serait plus mauvais sous imatinib.


L’imatinib a un taux de 5 %, ou moins, d’effets secondaires graves, qui comprennent des nausées, des vomissements, de la diarrhée, des éruptions cutanées, des crampes musculaires, des douleurs osseuses, de l’œdème périorbitaire ou des jambes, un gain de poids et, plus rarement, des dysfonctionnements hépatiques, rénaux ou cardiorespiratoires ; la plupart d’entre eux répondent à une réduction de la dose ou à une interruption de traitement. Une myélosuppression liée au médicament survient chez 10 à 20 % des patients atteints de LMC ; elle peut être corrigée par des interruptions brèves du traitement, des modifications de dose, ou les deux, ou par l’administration de facteurs de croissance : érythropoïétine en cas d’anémie G-CSF (granulocyte colony-stimulating factor) en cas de neutropénie. Comme une altération du métabolisme osseux peut entraîner une hypophosphatémie, il faut surveiller le taux de phosphate sérique. Des anomalies chromosomiques peuvent apparaître dans les cellules diploïdes Ph négatives chez 5 à 10 % des patients répondeurs, probablement en raison de démasquage d’une cellule souche fragile propice au développement de la LMC ou à une instabilité chromosomique ; ces changements disparaissent spontanément dans 70 % des cas et évoluent rarement vers un syndrome myélodysplasique ou une leucémie myéloïde aiguë, probablement dans le cadre de l’évolution naturelle de la LMC.



Allogreffe de cellules souches


La transplantation de cellules souches hématopoïétiques allogéniques, une thérapie à visée curative pour des patients atteints de LMC et sélectionnés, est la plus efficace lorsqu’elle est pratiquée au cours de la phase chronique ; elle assure alors un taux de survie de 20 ans dans 40 à 50 % des cas. La mortalité liée à la transplantation varie de 5 à 50 %, en fonction de l’âge du patient, du caractère apparenté ou non du donneur, du degré de compatibilité et d’autres facteurs moins importants, tels que la positivité pour le cytomégalovirus, les soins avant et après la transplantation et l’expertise institutionnelle. Les taux de survie sans maladie liée à la transplantation allogénique de cellules souches sont de 40 à 80 % en phase chronique, 15 à 40 % en phase accélérée et 5 à 20 % en phase blastique. En cas de LMC en phase chronique, les patients de moins de 30 à 40 ans ont un taux de survie sans récidive de 60 à 80 %, contre seulement 30 à 40 % pour les patients âgés de plus de 50 ans. Une limitation importante de la transplantation allogénique de cellules souches est la disponibilité de donneurs apparentés. Des donneurs non apparentés compatibles sur le plan HLA (human leukocyte antigen) peuvent être trouvés pour 50 % des patients ; le délai médian entre le début de la recherche de donneurs et la transplantation est de 3 à 6 mois.


Des soins préparatoires non myéloablatifs ont élargi les indications de la greffe allogénique de cellules souches pour les patients âgés et ont réduit la mortalité et les complications liées à la transplantation. Les premiers résultats montrent des degrés acceptables de prise de greffe, moins de mortalité et de dommages aux organes, mais une maladie résiduelle plus persistante, et des degrés similaires de réaction du greffon contre l’hôte. Les patients dont la LMC récidive après la transplantation allogénique de cellules souches peuvent répondre à des perfusions de lymphocytes du donneur, à l’imatinib ou aux inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération (dasatinib, nilotinib), à l’IFN-α ou à une seconde greffe allogénique.


L’avantage de la transplantation allogénique de cellules souches est le fait qu’elle a fait ses preuves, avec un taux de guérison à 20 ans estimé à 40 %. Cependant, elle est associée à un taux de mortalité à 1 an de 5 à 40 % ainsi qu’à des morbidités telles que cataracte, stérilité, cancers secondaires (5 à 10 %), complications immunitaires et réactions chroniques du greffon contre l’hôte. Retarder une transplantation allogénique de cellules souches au-delà de 1 à 3 ans après le diagnostic peut fournir de moins bons résultats et permettre une éventuelle transformation blastique soudaine, qui peut ne pas être récupérable. Le résultat de la transplantation allogénique de cellules souches peut encore être meilleur après traitement à l’imatinib.



Traitement de la LMC après un échec de l’imatinib


L’échec de l’imatinib est strictement défini comme (1) l’absence de toute réponse cytogénétique après 6 mois de traitement par imatinib, (2) pas de réponse cytogénétique majeure (Ph ≤ 35 %) après 12 mois, (3) aucune réponse cytogénétique complète (0 % Ph) au-delà de la première année de traitement (généralement moins de 18 mois ou plus) ou (4) rechute hématologique ou cytogénétique ou transformation de la LMC à tout moment. Pour les patients atteints de LMC en phase chronique sous imatinib, on ne doit envisager une transplantation allogénique de cellules souches que si la thérapie à l’imatinib échoue. Alternativement, si l’on constate une résistance à l’imatinib, il peut être utile de recourir à un inhibiteur de tyrosine kinase plus puissant. Il s’agit notamment du nilotinib (AMN107), qui est 20 à 50 fois plus puissant que l’imatinib, et du dasatinib (BMS-354825), qui est 300 fois plus puissant que l’imatinib. Les deux agents sont maintenant approuvés pour le traitement de la LMC après échec de l’imatinib (dasatinib pour toutes les phases de LMC ; nilotinib pour les phases chronique et accélérée). Le dasatinib et le nilotinib ont donné des taux de réponse hématologique complète de 70 à 80 % et des taux de réponse cytogénétique complète de 40 à 50 % en phase chronique, avec une estimation des taux de survie à 2 ans de 90 % (avant leur disponibilité, la mortalité annuelle atteignait 10 à 20 % après échec de l’imatinib). Après échec de l’imatinib, ils ont également montré des résultats encourageants en phase accélérée ou blastique 5,6. Une question importante est de savoir si ces inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération peuvent être utilisés comme traitement plus définitif, et si l’on peut retarder la transplantation de cellules souches allogéniques jusqu’à l’échec du traitement médicamenteux. Cela dépend de l’âge du patient (les patients de 70 ans ou plus peuvent décider de ne pas courir les risques d’une transplantation de cellules souches allogéniques, même si elle peut être curative), de la disponibilité d’un donneur idéal (apparenté ou non ; compatible ou non), de la réponse initiale aux inhibiteurs de tyrosine kinase (une réponse cytogénétique majeure dans les 12 mois prédit un contrôle favorable à long terme de la maladie) et de la présence de mutations et leur type particulier ; par exemple, en cas de mutation T315I, les patients sont résistants à tous les inhibiteurs de tyrosine kinase actuellement approuvés ; d’autres mutations sont responsables, pour un agent particulier, d’une CI50 élevée (c’est-à-dire la concentration du médicament qui supprime, in vitro, 50 % de la croissance clonale) ; dans ce cas, le contrôle à long terme de la maladie est improbable.

Only gold members can continue reading. Log In or Register to continue

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

May 6, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on 9: Leucémies chroniques

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access