8: L’examen clinique

Chapitre 8 L’examen clinique



Comme en médecine physique, l’examen d’un patient en psychiatrie vise à recueillir des signes cliniques dans le but d’établir un diagnostic, d’évaluer le pronostic et d’orienter une thérapeutique. Mais ici, la sémiologie est largement dominée par le « matériel » verbal ; si le corps s’exprime à la fois par ses symptômes (mimique, tonalité de la voix, ralentissement gestuel, etc.) et par ses comportements, il n’est guère, en psychiatrie, l’objet d’investigation directe, médiatisée par une technique codifiée de l’examen. Par ailleurs, à la différence de l’examen médical où le recueil des signes cherche à identifier les caractéristiques générales de la maladie plus que la singularité du patient, l’examen psychiatrique tend à une connaissance et une compréhension aussi larges que possible de la globalité de la personne et de son histoire personnelle et familiale, dont il privilégie les particularités. Enfin l’examen se situe d’emblée comme un acte thérapeutique, dans la mesure où il s’inscrit dans une relation interpersonnelle dont les modalités engagent largement la suite des soins, voire l’avenir des relations du sujet à l’ensemble du système de soins psychiatriques. Le premier examen doit tenir compte de cette perspective, qui rendrait fréquemment néfaste une attitude d’observation purement scientifique, neutre et strictement objectivante, si tant est qu’une telle attitude soit imaginable compte tenu de la subjectivité inhérente à toute investigation clinique en psychiatrie.


Deux particularités doivent également être soulignées qui tiennent à la nature des symptômes et au caractère spécifique de la démarche diagnostique :



les symptômes psychiatriques ont rarement la qualité objective et a fortiori pathognomonique qu’ils peuvent avoir en médecine somatique. Essentiellement subjectifs et très largement polysémiques, ils nécessitent un travail permanent d’interprétation, qui se situe à un double niveau : de confrontation avec le reste de la symptomatologie, pour leur attribuer ou non une valeur de signe, en référence aux données connues de la clinique, et de repérage de leurs liens avec l’histoire personnelle du sujet, pour tenter d’en apprécier le sens en fonction des difficultés et des conflits qui marquent cette histoire ;


la démarche diagnostique, si elle est aussi nécessaire qu’en médecine somatique, n’est certainement pas suffisante pour indiquer les orientations du traitement ou prévoir une évolution. Les principales décisions thérapeutiques tiendront compte d’informations concernant la personnalité du patient, sa culture, son passé personnel, son entourage familial, son milieu social. L’importance de ces facteurs non directement liés aux manifestations pathologiques implique une connaissance et une compréhension aussi larges que possible de la vie du patient, des données objectives qu’il mentionne et de l’expérience subjective qu’il traverse. On conçoit donc que l’examen psychiatrique doive se situer sur deux plans à la fois : celui d’une compréhension intuitive de l’expérience vitale du sujet telle qu’il l’exprime spontanément, et celui de la recherche d’éléments plus objectifs qu’il faut savoir solliciter en fonction des hypothèses que fait naître le discours spontané.


Si l’examen psychiatrique ne peut guère être systématisé de façon rigide, il comporte cependant quelques règles imposées par l’expérience et certaines difficultés qu’il importe de connaître.



Circonstances de l’examen


L’examen psychiatrique est pratiqué dans des circonstances très diverses, qui influent sur l’expression de la demande du patient et l’attitude du psychiatre.



Demande de soins émanant du sujet lui-même


C’est le cas le plus fréquent qui permet généralement une assez bonne coopération du sujet. Néanmoins, la première démarche auprès d’un psychiatre est souvent difficile, car vécue comme inquiétante ou vaguement honteuse. Se reconnaître psychologiquement malade est beaucoup plus difficile que d’exprimer à un médecin un symptôme somatique. De surcroît, la crainte de devenir « fou » ou d’être reconnu comme tel est souvent implicite dans une société où la maladie mentale est encore stigmatisée. Cependant, l’évolution du système de soins, de l’éducation sanitaire et des représentations culturelles tend à rendre la notion de souffrance psychique moins menaçante ou infamante. L’attitude du psychiatre doit ici s’efforcer d’être rassurante et de limiter la recrudescence de l’anxiété qu’entraînerait une attitude excessivement neutre et silencieuse, voire froidement indifférente. Néanmoins, répondre à l’angoisse du patient par une banalisation de la situation, par une chaleur affective artificielle ou des propos systématiquement rassurants serait à la fois inefficace et peu crédible. Contrôler l’angoisse durant l’entretien est nécessaire pour favoriser l’expression du patient, mais y répondre systématiquement en la disqualifiant empêche un échange réel et interdit de comprendre les ambiguïtés et les nuances authentiques de la demande d’aide.


Même si la demande émane bien du patient lui-même, non influencée par son entourage et sans objectif immédiatement utilitaire, elle n’est pas pour autant simple et univoque, explicite et légitime. On ne peut évaluer avec précision sa nature exacte qu’au terme d’un examen assez complet, éventuellement répété lorsqu’une décision immédiate ne s’impose pas. Toutefois, le psychiatre doit se poser ces questions dès les premières minutes de l’entretien, avant même d’élaborer ses premières hypothèses diagnostiques, car c’est un des éléments qui va en guider le déroulement, moduler la proximité ou au contraire la distance du praticien, et orienter ses premières réponses.




Demande d’examen émanant de l’entourage, sans être acceptée par le patient


Cette situation n’est pas rare au cours des consultations de psychiatrie d’urgence, notamment pour les patients souffrant de psychoses délirantes. Elle nécessite de dissiper certaines ambiguïtés, sans que cela soit toujours possible, du seul fait que l’examen ne répond pas au seul désir du malade.


Il faut, bien entendu, prendre le temps de s’enquérir de la situation du patient et de sa famille, de ses motivations, de son seuil de tolérance et de la demande de soins qu’elle formule pour l’intéressé. Le psychiatre doit essentiellement apprécier l’intérêt du patient et ne pas prendre parti dans un conflit familial. Il lui faudra faire accepter au sujet son examen et ses éventuelles conséquences, en expliquer les raisons et répondre aussi authentiquement que possible aux questions de chacun. Il s’interdira les subterfuges parfois proposés par des familles anxieuses ; c’est en tant que psychiatre qu’il procède à un examen ; le malade doit le savoir et doit savoir pourquoi.


Rappelons aussi une autre évidence : aussi tronqué et difficile que puisse être parfois l’examen, il doit obligatoirement avoir lieu s’il conduit à un certificat de placement. Même à propos d’un patient que l’on connaît bien, et dont on sait le passé pathologique, même si les faits actuels sont rapportés par une personne à qui l’on se fie, et quel que soit le caractère dramatique de la situation décrite, on ne peut rien dire, et a fortiori rien certifier, à propos d’un examen clinique qui n’a pas eu lieu.

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 8: L’examen clinique

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