Chapitre 8 Agénésies dentaires
Le traitement des agénésies dentaires qui touchent environ 5 % de la population demande au praticien de faire un choix difficile entre une solution de fermeture, principalement orthodontique, et une solution de remplacement de la dent manquante par une prothèse imposant un traitement pluridisciplinaire.
Généralités
Fréquence
Selon Polder et al. [1], les agénésies sont plus fréquentes en Australie et en Europe qu’aux États-Unis. Elles touchent davantage les femmes que les hommes (1,37 femme pour 1 homme) et concernent principalement les dents de fin de série :
• les deuxièmes prémolaires mandibulaires (41 % des agénésies dents de sagesse exclues);
• les incisives latérales maxillaires (22,9 %);
Les agénésies peuvent être uni- ou bilatérales.
À la différence des autres agénésies, celle de l’incisive latérale est le plus souvent bilatérale.
Étiologies
Les agénésies sont liées le plus souvent à des facteurs génétiques à fort degré de pénétrance. Des mutations des gènes MSX1 et PAX9 ont été mises en évidence dans certains cas [2]. Cependant, le plus souvent, il n’y a pas d’étiologie précise mais peut-être une conjonction de plusieurs facteurs prédisposants (facteurs génétiques, anomalies de développement, troubles endocriniens, pathologies, traumatismes) [1].
Anomalies associées
Les agénésies sont associées parfois à :
• des inclusions canines, par perte du guidage par l’incisive latérale;
• des retards de développement surtout dans les cas d’agénésies multiples;
• des anomalies morphologiques des autres dents (microdontie) ou de la dent controlatérale (dent riziforme ou naine);
Agénésie de l’incisive latérale
Critères de choix
Le praticien doit choisir entre :
• une solution dite de substitution par fermeture de l’espace d’agénésie, la canine jouant alors le rôle d’incisive latérale et la première prémolaire celui de canine;
• une solution de remplacement par un élément prothétique. La reconstruction prothétique est réalisée par une couronne implantoportée, un bridge collé, exceptionnellement un bridge conventionnel ou un bridge cantilever [3].
Plusieurs facteurs interviennent dans ce choix. Ils concernent :
• le contexte esthétique lié à la dysmorphose et la malocclusion associée;
• la morphologie de la canine;
Facteurs généraux concernant le patient
Ce sont principalement son âge et sa motivation.
Âge
• la nécessaire temporisation avant la réalisation de la prothèse définitive. Cette période d’attente peut soulever :
• le vieillissement de la prothèse et des dents adjacentes, avec en particulier le risque d’une croissance alvéolaire tardive;
• la réfection quasi inéluctable de la prothèse au cours de la vie.
Motivation
La solution par substitution nécessite le plus souvent un traitement orthodontique plus long mais elle est définitive dès la fin de l’adolescence [4, 5]. L’esthétique de fin de traitement peut être moins satisfaisante dans certains cas mais ne se dégrade pas avec le temps. Cette solution est, de plus, moins onéreuse.
Esthétique faciale, dysmorphose et malocclusion associées
Ce sont aujourd’hui les principaux critères de choix.
Cas favorables à la solution de remplacement
Ce sont principalement les cas où la solution de substitution doit être évitée car :
• la rétraction incisive qu’elle entraîne est contre-indiquée en raison de :
• la place disponible sur l’arcade est importante. Ceci concerne :
Fig. 8.1 Jeune patiente de 16 ans présentant une agénésie des incisives latérales dans un schéma squelettique et occlusal de classe III contre-indiquant une thérapeutique par substitution.
Fig. 8.2 Occlusion en bout à bout incisif : la fermeture des espaces d’agénésie entraînerait une occlusion inversée incisive.
Cas favorables à la solution de substitution
Ce sont tous les cas qui nécessitent des extractions ou une rétraction incisive :
• dysharmonies dentomaxillaires par excès;
• classes II squelettiques par prognathie maxillaire;
• profils convexes, avec un angle nasolabial fermé;
• hyperdivergences mandibulaires;
• déviations importantes du milieu maxillaire, en cas d’agénésie unilatérale. Pour Philip-Alliez et al. [5], elles peuvent nécessiter l’extraction de l’incisive controlatérale surtout si elle est de morphologie anormale, conduisant alors plutôt à un traitement de substitution.
Aspect de la canine
Classiquement, les canines de teinte trop saturée et trop foncée, et celles dont la forme se prête mal à la transformation (canines globuleuses, triangulaires ou dont la face vestibulaire est très convexe) sont des contre-indications aux thérapeutiques de substitution (figure 8.3).
Fig. 8.3 Morphologie de la canine défavorable à une coronoplastie par soustraction. Une facette esthétique semble préférable.
Thérapeutique précoce
Lorsque l’agénésie de l’incisive latérale est diagnostiquée précocement, il est souhaitable, quelle que soit la solution thérapeutique retenue à long terme, de faire évoluer la canine en position d’incisive latérale en pratiquant l’avulsion de l’incisive temporaire (figure 8.4).
Fig. 8.4 Agénésie des incisives latérales dépistée précocement. A et B. Photographie endobuccale et radiographie panoramique de début de traitement C. Photographie endobuccale montrant l’évolution des canines en position d’incisive latérale après extraction des dents temporaires (cas du Dr Sampeur).
Solution de substitution : fermeture de l’espace d’agénésie
Avantages et inconvénients
Cette solution présente, comme nous l’avons vu, plusieurs avantages :
• elle assure la compensation définitive de l’agénésie dès l’adolescence [4] uniquement par un traitement d’orthodontie;
• elle est relativement économe en tissu dentaire (simple coronoplastie le plus souvent);
• elle évite la prothèse, excepté quand la morphologie de la canine impose la réalisation d’une facette;
• elle donne pleine satisfaction au patient sur le plan esthétique : en effet Robertsson et Mohlin [6] ont montré que 93 % des patients étaient satisfaits du résultat esthétique en cas de substitution contre seulement 65 % en présence de prothèse de remplacement. Cependant l’étude relativement ancienne n’inclut pas les restaurations implanto-portées;
Cependant, on peut lui reprocher les modifications esthétiques et occlusales qu’elle génère :
Principes généraux de la gestion du traitement orthodontique de substitution
• sans extractions à l’arcade mandibulaire, l’occlusion de fin de traitement est une occlusion de classe II molaire et de classe II canine. La classe II molaire doit donc être équilibrée en respectant les critères déjà évoqués (cf. p. 49) et une protection de groupe doit être établie en latéralité. En effet, une pseudo-protection canine entre la première prémolaire maxillaire et la canine mandibulaire n’est pas souhaitable car elle solliciterait trop la prémolaire [5, 7]. C’est la situation la plus difficile à équilibrer, pouvant nécessiter une équilibration occlusale (cas clinique 1);
• avec extractions de prémolaires à l’arcade mandibulaire, l’occlusion de fin de traitement est une occlusion en classe I molaire et classe II canine. Les contacts postérieurs de classe I sont rétablis et facilitent l’obtention de la protection de groupe imposée par la classe II canine (cas clinique 2);
• avec extraction d’une incisive latérale mandibulaire. Une classe I canine et molaire est ainsi rétablie assurant une meilleure fonction mandibulaire. Sur le plan occlusal, c’est la meilleure solution, mais ce choix réduit fortement l’arc incisif perturbant l’esthétique du sourire.
Cas clinique 1 Traitement d’une agénésie des deux incisives latérales par substitution