7: Prélèvements biologiques post mortem et sur le vivant

Chapitre 7 Prélèvements biologiques post mortem et sur le vivant



La toxicologie médico-légale a présenté un intérêt croissant depuis une dizaine d’années du fait des progrès très importants dont ont bénéficié les sciences analytiques. Elle est souvent présentée comme l’examen complémentaire apportant le plus de valeur ajoutée pour la détermination des causes de décès, et elle permet d’identifier une seule prise d’un produit sur un prélèvement de cheveux effectué un mois plus tard. Ces progrès importants reposent essentiellement sur l’amélioration des techniques chromatographiques et sur la démocratisation des détecteurs de type spectrométrie de masse. Mais il ne faut pas oublier que la qualité de ces analyses et l’interprétation qui va en résulter vont dépendre en premier lieu de la qualité du prélèvement. L’accréditation de l’ensemble des laboratoires qui sera rendue obligatoire en France au plus tard en 2018 devrait imposer au biologiste responsable de l’analyse la gestion de la partie pré-analytique, c’est-à-dire du prélèvement. La qualité des prélèvements est donc essentielle, que ceux-ci soient effectués en post mortem ou chez le vivant. Au Royaume-Uni, l’Association des toxicologues médico-légaux a récemment publié des recommandations pour le bon fonctionnement d’un laboratoire d’analyses toxicologiques médico-légales, notamment en matière de gestion de prélèvements [1].



Prélèvements post mortem


En post mortem, les prélèvements peuvent être effectués soit au décours d’une autopsie, soit lors d’une levée de corps (pour revue : voir [24]). Dans ce dernier cas, on verra que le prélèvement sera limité le plus souvent à un prélèvement sanguin, ` périphérique.



Prélèvements autopsiques



Orientation toxicologique de l’autopsie


Lors d’une autopsie, un certain nombre de diagnostics vont être directement posés par le médecin légiste. C’est le cas notamment de toutes les morts violentes, qu’elles soient traumatiques ou instrumentales, avec armes à feu, armes blanches, ou organiques (souvent appelées morts naturelles). En revanche, le diagnostic de mort toxique est un diagnostic de laboratoire. Le médecin légiste, durant son autopsie, en fonction de ses constatations et du contexte, peut parfois fortement suspecter une mort toxique, mais le diagnostic définitif ne pourra être posé qu’après l’analyse toxicologique. Deux signes caractéristiques peuvent faire évoquer un décès toxique au moment de l’autopsie : un syndrome asphyxique (ou agonique) non spécifique ou un syndrome de Mendelson. Le premier syndrome est caractérisé par une cyanose des extrémités, une congestion de la face, une congestion multiviscérale avec œdème pulmonaire et/ou cérébral. Ce syndrome est le reflet d’une période agonique en ante mortem. Cette période agonique peut être la conséquence d’une dépression du système nerveux central, et faire ainsi évoquer une intoxication par des substances ayant ce type de propriétés, comme les opioïdes, les anxiolytiques, les neuroleptiques. Mais ce syndrome est également observé pour d’autres types d’agonies, comme lors d’un décès consécutif à un coma acidocétosique chez un diabétique. Le syndrome de Mendelson, quant à lui, est un encombrement bronchique suite à la régurgitation du bol alimentaire dans les bronches. Ce syndrome signe nécessairement des troubles de la conscience en ante mortem avec coma et abolition des réflexes de déglutition. Ce coma intervenant en ante mortem peut être la conséquence d’une intoxication par des composés dépresseurs du système nerveux central, mais d’autres comas comme ceux observés chez le patient diabétique peuvent également donner un syndrome de Mendelson.



Informations issues de l’autopsie


À côté de ces constatations qui peuvent permettre d’orienter le médecin légiste vers un décès toxique, il existe un certain nombre d’informations importantes que le médecin légiste doit fournir au toxicologue afin d’orienter l’analyse ou de pouvoir répondre plus rapidement à la cause du décès. Ces informations peuvent être :








Intérêt de l’analyse toxicologique post-autopsique


L’analyse toxicologique réalisée suite à une autopsie doit permettre de répondre à un certain nombre de questions :








L’analyse toxicologique ne permet pas exclusivement de déterminer les causes de décès. Elle permet également dans un grand nombre de cas de déterminer les circonstances d’un décès dont le diagnostic est a priori connu. C’est le cas notamment de certaines noyades, défenestrations, chutes d’un point haut, passages sous un train… où l’analyse toxicologique peut révéler la présence de différentes substances psychoactives ayant pu participer au décès. Une étude a montré que l’analyse toxicologique pouvait permettre d’éclaircir les circonstances du décès de près de 40 % des décès de cause a priori connue [6], à condition que l’analyse toxicologique soit effectivement demandée par l’autorité judiciaire.



Prélèvements effectués lors de l’autopsie


Douze prélèvements doivent être systématiquement effectués à chaque autopsie lorsqu’ils sont disponibles (tableau 7.1), quelle que soit leur utilisation ultérieure. Ces douze prélèvements sont le sang périphérique et le sang cardiaque, les urines, le contenu gastrique, l’humeur vitrée, la bile, les viscères (et plus particulièrement le poumon, le foie, le rein, le cœur et le cerveau) et enfin les cheveux. Tout médecin légiste travaillant dans un cadre médico-légal doit effectuer ces prélèvements quelle que soit l’origine présumée du décès. Il n’est pas rare en effet d’observer qu’un décès par suicide se transforme après enquête en un décès par homicide. Le recueil systématique de ces prélèvements permet ainsi de réduire les exhumations souvent difficiles à accepter par les familles. Ces prélèvements devraient pour les mêmes raisons être pratiqués en systématique lors des autopsies dites « médicales », celles-ci pouvant se judiciariser suite à une plainte ultérieure déposée par la famille. À côté de ces prélèvements obligatoires, existent des prélèvements facultatifs ou alternatifs comme les prélèvements nasopharyngés, les liquides de putréfaction, parfois même les larves ou insectes retrouvés sur les corps putréfiés et enfin les os lorsque subsiste uniquement le squelette.



Tous ces prélèvements doivent être effectués en double, notamment dans les affaires criminelles, permettant ainsi une éventuelle contre-expertise. En pratique, cela est rarement le cas, sauf s’il en est fait mention explicitement sur la réquisition destinée au médecin légiste. Il est donc important que le toxicologue conserve correctement les prélèvements qui lui restent après avoir accompli sa mission. À la demande d’un juge, il pourra ainsi les confier à un autre expert après avoir reconstitué les scellés.


Les différents prélèvements doivent être parfaitement identifiés par le médecin légiste pour le toxicologue qui aura à les analyser. Comme on le verra plus loin, le sang périphérique et le sang cardiaque n’ont pas la même utilité analytique. Pourtant, il est totalement impossible de distinguer ces deux matrices dans un tube si elles n’ont pas été clairement identifiées lors du prélèvement. L’étiquetage des prélèvements est donc primordial. Cet étiquetage doit comporter un certain nombre de mentions :






Tous ces prélèvements seront conservés au congélateur durant des mois, voire des années. Toute inscription manuscrite est donc à proscrire. Il est fortement conseillé d’utiliser des étiquettes autocollantes préparées avant l’autopsie. L’étiquetage des flacons et des tubes de prélèvements se fait avant le recueil, ou immédiatement après mais toujours en salle d’autopsie. Dès la fin du recueil, les étiquettes restantes non utilisées sont placées avec les notes d’autopsie pour garder une traçabilité des prélèvements effectués et ceux non effectués. Le rapport établi par le médecin légiste après l’autopsie précisera le nombre de chaque type de prélèvement réalisé.


Une fois effectués, ces prélèvements doivent être scellés par les enquêteurs qui assistent à l’autopsie, notamment dans les affaires d’homicide. Cette pratique pourtant obligatoire n’est malheureusement pas systématique, et il existe un certain nombre de centres médico-légaux où les prélèvements ne sont pas scellés après l’autopsie. Dans ce cas, le regroupement des prélèvements dans un sac thermosoudé au moment de l’autopsie est un moyen, certes imparfait, mais qui évite de mélanger ces prélèvements avec ceux provenant des autopsies suivantes.


Tous ces prélèvements provenant d’un même sujet peuvent être stockés dans une même boîte (ou un même sac thermosoudé), à l’exception des cheveux, puisque leur conservation est différente. Cette boîte (ou sac) est stockée au congélateur alors que les cheveux sont conservés dans une enveloppe à température ambiante. Si aucune analyse toxicologique n’est demandée, le médecin légiste conserve ces échantillons durant un temps qu’il jugera suffisant, et ne pourra les détruire qu’après accord du parquet. Souvent, ces prélèvements sont conservés durant une année. Dans certains centres où la toxicologie n’est pas présente, les enquêteurs ayant assisté à l’autopsie prennent en charge ces prélèvements pour les acheminer vers un expert toxicologue. Il est important, dans ce cas, que le médecin légiste qui fournit ces prélèvements s’assure que leur transport s’effectuera dans des conditions satisfaisantes notamment en matière de maintien de la chaîne du froid. Si le toxicologue vient lui-même prendre en charge les prélèvements, le médecin légiste lui remet l’intégralité de ces prélèvements contre présentation d’une réquisition émanant d’un Parquet ou d’une ordonnance de commission d’expert émanant d’un juge d’instruction. Une copie de cette réquisition ou de cette ordonnance est archivée par le médecin légiste justifiant ainsi l’abandon de ces prélèvements au profit du toxicologue qui en devient seul responsable.


Seule la durée de conservation des prélèvements pour dosage de l’alcool dans le sang dans le cadre de la sécurité routière est aujourd’hui définie. Cette durée est de 9 mois. Pour tous les cas de prélèvements d’autopsie, il n’existe aucune limitation de durée dans les textes. Le toxicologue doit donc conserver tous ses prélèvements sauf s’il a reçu l’autorisation d’un magistrat pour les détruire. En pratique, il doit lister l’ensemble des prélèvements qu’il se destine à détruire et les communiquer au Parquet. En ce qui concerne les prélèvements d’autopsie, un bon compromis est probablement celui de conserver les échantillons de sang et de détruire les autres prélèvements après un certain temps (au moins égal à une année). À noter également que la destruction de ces prélèvements ne peut se faire que par incinération par des circuits adaptés à ce type d’échantillons si cette destruction a lieu en dehors d’une structure hospitalière.



Sang


Le sang est le milieu le plus important de tous les prélèvements réalisés lors d’une autopsie. C’est le seul milieu pour lequel les données de la littérature permettent de déterminer le niveau d’imprégnation d’une personne à une substance au moment du décès. On connaît en effet, pour les substances médicamenteuses, les concentrations sanguines dites thérapeutiques ou usuellement rencontrées lors de traitement chronique par ces molécules. Pour un très grand nombre de ces substances, on connaît également les concentrations sanguines toxiques, pour lesquelles vont apparaître les premiers signes de toxicité, voire les concentrations létales lorsque ces substances peuvent engendrer directement le décès. De la même manière, pour les substances non médicamenteuses ou illicites, les concentrations sanguines toxiques ou létales sont le plus souvent connues. À noter toutefois que les données de la littérature concernent le plus souvent des concentrations plasmatiques ou sériques alors que les prélèvements de sang d’autopsie sont toujours des prélèvements de sang total hémolysé. Il existe dans la littérature des données sur les rapports de concentrations entre sang total et plasma ou sérum [2], mais toutes ces données proviennent d’études réalisées chez des patients vivants, alors que le sang total post mortem est très différent du sang total du vivant. Les concentrations les mieux adaptées à l’interprétation post mortem sont probablement celles disponibles sur le site du TIAFT (The International Association of Forensic Toxicologist, www.tiaft.org), accessibles aux membres de cette association internationale. Ce site regroupe pour un grand nombre de substances les concentrations thérapeutiques, toxiques ou létales dans le plasma, le sérum ou le sang total lorsqu’elles sont connues.


Quoi qu’il en soit, seule la concentration sanguine d’une substance permet au toxicologue d’imputer cette substance dans les causes du décès. Si le volume disponible est faible, le toxicologue travaille sur d’autres prélèvements, par exemple les viscères, afin de déterminer les substances présentes dans l’organisme au moment du décès, et utilise le sang pour quantifier spécifiquement ces molécules dans ce milieu et pouvoir imputer ou non ces substances dans la survenue du décès.


Le médecin légiste a la possibilité de prélever le sang au niveau de deux sites différents, soit au niveau cardiaque, soit en périphérie (extracardiaque). En théorie, dans les deux cas, il s’agit de sang. Or ces deux matrices ont un intérêt très différent pour le toxicologue, et la méconnaissance de l’origine du sang peut amener le toxicologue à de graves erreurs d’interprétation sur les survenues d’un décès. Il est donc indispensable de correctement mentionner sur les prélèvements s’il s’agit de sang cardiaque ou de sang périphérique.


Dans certains cas, comme les accidents traumatiques sévères, seul un liquide rougeâtre situé dans la cavité thoracique ou abdominale est présent. Ce liquide est en fait un mélange de sang et de lymphe, dont la composition est différente de celle du sang. Les conclusions de l’analyse toxicologique ne peuvent donc être que « présence » ou « absence » des molécules retrouvées à l’analyse, toute interprétation quantitative s’avérant obligatoirement erronée.


En fonction de sa demi-vie, une molécule impliquée dans une intoxication disparaît plus ou moins vite du sang. En cas d’hospitalisation et de décès différé (souvent plusieurs jours après), il est très fréquent de ne plus retrouver la molécule impliquée dans le décès dans le sang prélevé à l’autopsie. Le toxicologue analyste peut demander à l’autorité judiciaire de faire saisir les tubes prélevés lors de l’hospitalisation, en particulier ceux le plus proche possible de l’entrée à l’hôpital. L’analyse de ces tubes peut permettre de diagnostiquer les causes du décès, contrairement à ceux prélevés lors de l’autopsie. Ces tubes sont récupérés dans les services de biologie en relation avec l’hôpital impliqué, en prenant soin de privilégier ceux qui ont été les mieux conservés, en particulier au froid, ou au mieux congelés.


Devant toute suspicion d’intoxication aux éléments traces métalliques (ou « métaux lourds »), un prélèvement sur tube particulier destiné à ce type de dosage doit être pratiqué.



Sang cardiaque


C’est le sang le plus facile à prélever. Il est présent en grande quantité lorsque le cadavre est relativement frais, et devient difficile à prélever si l’autopsie est réalisée plus de 4 à 5 jours après le décès. Une quantité de 10 mL est suffisante pour l’analyse toxicologique. Ce sang n’a qu’un intérêt qualitatif. Il va servir au toxicologue pour effectuer les criblages, c’est-à-dire des recherches larges non spécifiques. Il ne doit pas être utilisé pour un résultat quantitatif car les résultats peuvent être rendus à tort en excès pour deux raisons :



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Aug 19, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 7: Prélèvements biologiques post mortem et sur le vivant

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