17: Conduite automobile sous influence d’éthanol, de stupéfiants

Chapitre 17 Conduite automobile sous influence d’éthanol, de stupéfiants



Sur une route départementale, un cycliste fait une embardée et tombe dans le fossé. Il remonte sur la chaussée et titubant, se fait heurter par une voiture. Il décède quelques heures plus tard. Les analyses sanguines révèlent chez le cycliste une alcoolémie à 1,60 g/L, tandis que des cannabinoïdes sont présents à concentrations significatives dans le sang du conducteur de l’automobile. Ce cas réel illustre bien l’intérêt de traiter dans un même chapitre les problèmes causés par l’alcool et les stupéfiants sur la conduite automobile. La conduite d’un véhicule est un acte complexe, nécessitant une parfaite maîtrise des fonctions cognitives et motrices. Toute modification des temps de réaction, des capacités visuelles ou auditives, de la concentration, de l’état d’éveil, des facultés mémorielles peut avoir des conséquences néfastes pour soi-même ou pour autrui. Outre l’alcool et les stupéfiants, bien d’autres substances sont susceptibles de provoquer de tels effets par leur action psychotrope, comme bon nombre de médicaments psychoactifs (anxiolytiques, antidépresseurs, médicaments de substitution à l’héroïne, etc.) mais également les solvants (après « sniffage »), certaines plantes (datura, belladone, jusquiame noire, mandragore, etc.) ou champignons hallucinogènes. Dans ce chapitre, nous limiterons cependant nos propos à l’éthanol et aux quatre catégories de stupéfiants que sont le cannabis, la cocaïne, les opiacés et les amphétamines.



Effets sur l’aptitude à conduire un véhicule



Éthanol


Les perturbations provoquées par l’alcool apparaissent à de faibles alcoolémies et se généralisent à de multiples fonctions à partir de 0,5 g/L. Cependant les conséquences sur la conduite varient fortement d’un individu à l’autre, en fonction des consommations habituelles, de l’expérience de conduite et de la fatigue [1].




Effets sur les temps de réaction


L’allongement du temps de réaction est un facteur important d’insécurité routière [4]. L’imprégnation alcoolique est responsable d’une augmentation du temps de réaction qui va de 5 % pour une alcoolémie de 0,12 g/L à 55 % pour une concentration de 1,8 g/L. Par ailleurs, le temps moyen de réponse à un danger passe de 2,5 à 3,2 s pour une alcoolémie à 0,5 g/L [5].



Effets sur la vigilance et l’attention


La présence d’éthanol dans le sang même à faible concentration (inférieure à 0,5 g/L) favorise la somnolence, cela étant démontré par un risque d’erreur augmenté mais également par les mesures de l’électroencéphalogramme [6]. Plus généralement, le défaut d’attention peut produire une conduite « en zigzag », le maintien d’une vitesse inappropriée, la non-perception de certaines contraintes de la route comme par exemple la courbe d’un virage ou un véhicule en stationnement [1].



Effets sur la prise de risque


La littérature fait état de conclusions contradictoires dans ce domaine. Joly et Wilde en comparant des sujets sobres et des sujets ayant une alcoolémie à 0,8 g/L dans un test vidéo, observent que les individus alcoolisés sont plus prudents que les sujets sobres [7]. Mais d’autres études conduisent à des résultats contraires. Ainsi, Monograin et Standing, en utilisant des doses élevées d’alcool (1,2 et 1,6 g/L), observent une augmentation significative de la prise de risque dans une épreuve de conduite sur simulateur [8].



Cannabis


Parmi les nombreux effets attribuables au cannabis, ceux qui peuvent avoir des conséquences sur l’aptitude à conduire un véhicule en toute sécurité sont :



des perturbations sensorielles [10] : perception exacerbée des sons et surtout des modifications de la vision associées à une mydriase, une diplopie et un nystagmus. Ces perturbations altèrent de façon significative la conduite nocturne. Un rétrécissement du champ visuel est également responsable de bon nombre d’accidents ;







Effets observés sur simulateurs de conduite


De nombreuses études sur simulateurs de conduite ont montré des altérations significatives de la capacité à conduire un véhicule, observables chez les sujets ayant consommé du cannabis.


Barnett et al. [12] ont montré, chez des sujets ayant fumé une cigarette de cannabis, que les effets négatifs (diminution du temps de réponse, sorties de route) du cannabis sur les performances de conduite étaient à leur maximum 15 minutes après consommation et qu’ils étaient observables pendant plusieurs heures (2 à 7 selon les paramètres étudiés). Par ailleurs, ces auteurs ont montré, chez des sujets ayant fumé des cigarettes contenant différentes concentrations en principe actif, l’existence d’une relation significative entre le nombre d’erreurs de conduite et la concentration en principe actif dans le sang.


Liguori et al. [13], chez des sujets ayant consommé des cigarettes dosées à 3,75 % de THC, ont montré que le temps de réaction au freinage était augmenté de 55 ms (p < 0,1), ce qui correspond à une distance de freinage augmentée de 1,5 m à 90 km/h.



Effets observés sur tests comportementaux


La prise de cannabis entraîne une altération des performances psychomotrices lors de l’accomplissement de tâches complexes liée aux troubles de l’attention, de la coordination perceptivomotrice et à l’allongement du temps de réaction [14]. Une diminution de vitesse de la poursuite visuelle dans le champ central et périphérique est observée pendant plus de 5 heures après 15 minutes d’inhalation de cannabis [15]. Les perturbations psychomotrices induites par une consommation de cannabis limitent ainsi les activités que les individus sont susceptibles de faire de manière efficace ou en toute sécurité comme la conduite automobile.



Cocaïne


Les effets de la consommation de cocaïne [1618] induisent d’une façon générale une surestimation des capacités du conducteur (euphorie, confiance en soi, sentiment d’omnipotence, sensation de plaisir intense, course à la performance, dépassements hasardeux, etc.). Tous ces facteurs entraînent une prise de risque accrue responsable de vitesse excessive, d’agressivité au volant, de faux sentiment de confiance, parfois d’inattention au décours de la phase euphorique, de perte de coordination et aussi du fait de la dilatation des pupilles, une mauvaise adaptation à une lumière vive lors d’un croisement au cours d’une conduite de nuit.


L’usage régulier de cocaïne peut entraîner chez le consommateur une grande instabilité caractérielle (dysphorie) avec délire d’interprétation à forme paranoïde, agressivité vis-à-vis des autres conducteurs, attaques de panique, hallucinations, associés à des troubles de la vigilance et de la concentration qui se révèlent en fait peu propices à une conduite sereine.




Héroïne et morphine


L’effet des opioïdes sur le système nerveux central et le relâchement des muscles lisses a une action particulièrement dommageable pour la conduite automobile car ils induisent une perte de l’attention, des réflexes, de la réalité et de la conscience du danger et des obstacles [20]. Chez 80 conducteurs usagers d’héroïne soumis à des tests cliniques de perturbations des fonctions psychomotrices, Bachs et al. ont montré que la présence de morphine et de morphine-6-glucuronide était associée dans 80 % des cas à des perturbations des fonctions psychomotrices et que ces perturbations étaient concentrations-dépendantes [21].



Impact de la consommation d’alcool et/ou de stupéfiants sur l’accidentologie routière



Principales études de prévalence réalisées en France


Les premières études réalisées en France et ayant utilisé une technologie fiable, la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse, remontent à 1999 [22]. Les auteurs rapportaient les résultats de deux études épidémiologiques, réalisées en 1998 par un groupe de treize experts agréés par différentes Cours d’Appel en France.


La première étude concernait la recherche dans le sang de stupéfiants (cannabis, amphétamines, cocaïne et opiacés) et de médicaments psychotropes, effectuée sur réquisitions spécifiques d’Officiers de Police Judiciaire et à la demande d’un Procureur de la République suite à des accidents corporels graves ou à des décès. Les résultats indiquaient que 56,4 % des 94 échantillons analysés contenaient au moins un des quatre stupéfiants, dont 34 % pour le cannabis. Par ailleurs, 39,1 % des échantillons positifs à un stupéfiant ou médicament ne contenaient pas d’alcool.


La deuxième étude concernait la recherche systématique de stupéfiants dans le sang de 164 conducteurs ayant été impliqués dans un accident de la circulation routière et pour lesquels du sang a été prélevé aux fins de détermination de l’alcoolémie. Le pourcentage des sangs contenant au moins une des quatre drogues était de 19,5 %, dont 16 % pour le cannabis.


Des études de prévalence plus récentes ont été consacrées à des sujets décédés immédiatement au cours d’un accident, afin d’éviter le biais lié à la poursuite du métabolisme lorsqu’il s’agit d’accidents corporels.


L’analyse du sang de 2 003 conducteurs de moins de 30 ans, décédés dans un accident de la voie publique en France pendant la période du 1er janvier 2003 au 31 juillet 2004 a confirmé que le cannabis était de loin le stupéfiant le plus fréquemment retrouvé [23]. En effet, 793 conducteurs (39,6 %) avaient fait usage de cannabis, le métabolite acide du THC (THC-COOH) étant présent dans le sang. Par ailleurs, du THC était retrouvé chez 579 d’entre eux (28,9 %). Dans 80,2 % de ces cas positifs, le THC était le seul stupéfiant présent. Les amphétamines étaient présentes dans 3,1 % des cas, le métabolite de la cocaïne (benzoylecgonine) dans 3,0 % des cas tandis que de la morphine était observée dans le sang de 3,5 % des conducteurs décédés.


Une étude similaire portant sur les années 2005 et 2006 [24], effectuée sur 908 échantillons sanguins provenant de conducteurs décédés de moins de 30 ans, a montré que le THC était aussi fréquemment retrouvé dans le sang (27,6 %) que l’éthanol (30,2 %). Les amphétamines n’étaient retrouvées que dans 1,1 % des cas tandis que les usagers de cocaïne et d’opiacés étaient aussi nombreux avec une prévalence de 2,7 %. Le tableau 17.1 regroupe le nombre d’analyses réalisées par paramètre et les résultats correspondants.




Études cas-témoins


Une étude multicentrique [25] a permis de confirmer et de quantifier le risque relatif d’accident associé à un usage récent de substances psychoactives. Les auteurs ont analysé le sang de 900 conducteurs impliqués dans un accident corporel et comparé ces résultats à ceux de 900 sujets témoins. Des différences de prévalences très significatives (p < 0,01) étaient observées chez les moins de 27 ans pour le cannabis (le THC était seul présent chez 15,3 % des conducteurs et 6,7 % des témoins), quel que soit l’âge pour morphine (2,7 % des conducteurs et 0,3 % des témoins) et pour l’alcool (17 % des conducteurs et 5 % des témoins). Parmi les conducteurs positifs au cannabis, celui-ci était seul présent chez 60 % d’entre eux.


L’analyse statistique de ces résultats (calcul des odds-ratios) a permis aux auteurs de montrer que, chez les moins de 27 ans, la fréquence des accidents était multipliée par (entre crochets, l’intervalle de confiance à 95 %) :


1,7 [1,242] avec les benzodiazépines ;

2,5 [1,5–4,2] avec le cannabis seul ;

3,8 [2,16,8] avec l’alcool seul ;

4,6 [2,010,7] avec l’association alcool et cannabis ;

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Aug 19, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 17: Conduite automobile sous influence d’éthanol, de stupéfiants

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