Conduite à tenir en présence d’une suspicion de maladie métabolique héréditaire
Définition
Les maladies héréditaires du métabolisme, bien que peu fréquentes sont importantes à prendre en considération par les médecins des urgences car elles se révèlent volontiers dans un contexte d’urgence, à n’importe quel âge de la vie (de la période néonatale à l’âge adulte), par des symptômes peu spécifiques et le pronostic est souvent corrélé à la rapidité de mise en œuvre du traitement. Leur diagnostic doit donc être suspecté dans toute situation pathologique ne recevant pas d’explication claire et immédiate ou lorsque la situation se dégrade malgré les mesures de traitement habituelles bien conduites.
On peut distinguer deux grands cadres clinico-biologiques relevant de deux types de mécanismes différents : 1) les maladies par intoxication (symptômes neurologiques, digestifs et/ou psychiatriques) avec acidose et/ou cétose évocatrice d’une aminoacidopathie ou d’une acidurie organique, ou avec hyperammoniémie évocatrice d’un déficit du cycle de l’urée ; 2) les maladies par carence énergétique avec défaillance viscérale évocatrice d’une anomalie du métabolisme des glucides ou des lipides. Les anomalies héréditaires du métabolisme des molécules complexes, pour laquelle les symptômes sont le plus souvent progressifs, nécessitent moins souvent une prise en charge en urgence et ne seront donc pas abordées dans ce cadre.
Dans ce contexte, la préoccupation du médecin des urgences tient en trois points : penser à évoquer une maladie métabolique, prescrire en urgence les examens nécessaires au diagnostic, mettre en œuvre les premières mesures thérapeutiques qui seront poursuivies le plus souvent dans une unité de soins intensifs en lien avec une équipe spécialisée si nécessaire.
Examen clinique
Les signes d’appel sont peu spécifiques : altération progressive de l’état général, difficultés alimentaires, vomissements, détresse respiratoire, hypotonie, troubles de la conscience, convulsions, déshydratation. Mais certains éléments peuvent orienter vers une maladie métabolique et devront être recherchés systématiquement :
• le principal argument est la discordance entre la dégradation progressive de l’état de l’enfant et l’absence de cause apparente : il s’agit d’un nouveau-né à terme, pour lequel on ne retrouve aucun signe en faveur d’une affection néonatale habituelle (anoxie, infection, pathologie pulmonaire en particulier) ;
• la notion d’un intervalle libre de quelques heures à quelques semaines est très évocatrice d’une maladie métabolique par intoxication mais peut manquer, en particulier dans les défauts de production énergétique. Le début des troubles peut correspondre au début de l’alimentation ou à une modification diététique ;
• des signes neurologiques évocateurs sont surtout retrouvés dans les maladies métaboliques de mécanisme toxique : troubles de conscience importants, conduisant au coma avec troubles neurovégétatifs et convulsions, hypertonie périphérique relative contrastant avec une hypotonie axiale, mouvements anormaux des membres avec accès d’opisthotonos ;
• l’association à d’autres signes viscéraux a également une bonne valeur d’orientation : atteinte hépatique (insuffisance hépatocellulaire, hypoglycémie, cytolyse ou cholestase), atteinte cardiaque (cardiomyopathie ou troubles du rythme), atteinte hématologique (anémie, leucopénie, thrombopénie) ;
• une odeur anormale des urines peut témoigner de l’excrétion urinaire d’un composé anormal ;
• enfin, l’existence de signes dysmorphiques peut se voir dans certains défauts de production énergétique.
Après la période néonatale
Dans environ un tiers des cas, la décompensation survient de façon retardée, à un âge variable, pouvant concerner aussi bien le nourrisson, l’enfant, l’adolescent ou même l’adulte. Le facteur déclenchant peut être une infection, une modification diététique, ou encore la mise en route d’un traitement (valproate de sodium par exemple). L’évolution de cette décompensation peut être spontanément favorable, la répétition des épisodes ayant alors une grande valeur d’orientation ; au contraire, l’évolution peut être dramatique et fatale très rapidement, en dépit de tout traitement. Ces épisodes aigus peuvent coexister avec des signes chroniques de la maladie, tels qu’un retard de développement non spécifique. Plusieurs types de présentations sont possibles.
Coma et accès de vomissements
Tous les types de coma peuvent être rencontrés : ni l’âge de début, ni les signes neurologiques ou les autres atteintes viscérales associées, ni les examens biologiques de routine, ne suffisent à éliminer une anomalie héréditaire du métabolisme. L’association à une atteinte hépatique peut orienter vers une maladie par intoxication, plus particulièrement un déficit du cycle de l’urée, ou par carence énergétique, notamment un déficit de la β-oxydation des acides gras ou de la chaîne respiratoire.
Troubles du comportement
L’association d’une ataxie aiguë intermittente et de troubles du comportement peut évoquer une forme tardive de déficit du catabolisme des acides aminés ramifiés (leucinose, acidémie organique,…). Des troubles psychiatriques intermittents peuvent être trompeurs dans les formes tardives de déficit du cycle de l’urée.
Épisodes d’acidose et/ou de cétose
L’association en proportions variables d’une acidose et d’une cétose épisodiques découvertes à l’occasion de troubles digestifs ou de petits troubles de conscience ou du comportement doit faire rechercher une maladie métabolique, plus particulièrement un déficit du catabolisme des acides aminés ramifiés. L’existence d’une acidocétose et d’une hyperglycémie peut simuler une acidocétose diabétique.
Hypoglycémies récidivantes
Elles peuvent être aussi bien le fait d’une cause métabolique que d’une cause endocrinienne. L’orientation étiologique sera guidée par l’horaire des hypoglycémies, l’existence ou non d’une hépatomégalie et les perturbations biologiques associées (cétose, hyperlactatémie en particulier).
Dans tous les cas : rechercher des arguments génétiques
La grande majorité de ces maladies héréditaires se transmettent sur un mode autosomique récessif. Cependant, certaines affections sont transmises sur un mode récessif lié au chromosome X (en particulier le déficit en ornithine-transcarbamylase, enzyme du cycle de l’urée) ou obéissent à une hérédité de type maternel (certains déficits de la chaîne respiratoire mitochondriale). Enfin, certaines affections peuvent correspondre à des néomutations ou être sporadiques. Quoi qu’il en soit, une étude précise de l’histoire familiale est indispensable (consanguinité, épisodes de décompensation et décès inexpliqués, etc.), mais n’élimine pas une anomalie héréditaire du métabolisme si elle n’est pas informative.
Au total, quelle que soit la présentation, un premier bilan biologique de base contribuera à orienter l’enquête étiologique ultérieure. Ce bilan doit être réalisé en urgence dans toutes les présentations aiguës car les anomalies biologiques peuvent disparaître à distance de l’épisode de décompensation.
Examens complémentaires nécessaires
Quelques examens simples, réalisables dans la plupart des centres hospitaliers seront complétés par des prélèvements stockés en vue d’examens plus spécialisés (tableau 69.1). Les conditions de prélèvement et de dosage doivent être particulièrement rigoureuses car elles peuvent avoir une influence déterminante sur les résultats des examens. Pour faciliter ces prélèvements dans un contexte d’urgence, il est très utile de préparer et de maintenir en permanence une boîte contenant tous les tubes nécessaires avec la quantité de sang ou d’urine requise et les bons d’envoi aux différents laboratoires. Cette procédure permet de gagner un temps précieux et réduit le risque d’oubli. On n’omettra pas de recueillir les premières urines qui sont les plus informatives. Les données des premiers examens associées au contexte clinique permettront d’orienter l’enquête étiologique ultérieure et d’utiliser de façon cohérente les prélèvements stockés pour des examens plus spécialisés. Cette deuxième étape plus délicate de l’enquête étiologique sera discutée avec une équipe spécialisée dans ce type de pathologie si nécessaire. Les différentes étiologies évoquées en fonction du tableau clinico-biologique initial sont détaillées dans la partie « prise en charge ».
Tableau 69.1
Examens biologiques et prélèvements à envisager en première intention en cas de suspicion de maladies héréditaires du métabolisme en situation d’urgence
Examens biologiques courants | Prélèvements pour examens spécialisés | |
Sang | Gaz du sangIonogramme, Ca, P, bicarbonatesGlycémie (capillaire et veineuse)(a)Numération formule sanguineTransaminases, temps de QuickUrée, créatinineLactate(b), pyruvate(b), (± corps cétoniques(b), acides gras libres)Ammoniémie(c)Acide urique | Plasma hépariné 3 à 5 mL à −20 °C en 2 ou 3 échantillons (pour chromatographie des acides aminés en particulier)Sang sur papier buvard (de type Guthrie) pour acylcarnitines ou étude de l’ADNSérothèque |
Urines | Acétone, pH, glycosurie, protéinurie Ionogramme± Sucres réducteurs (Clinitest®),Acides alpha-cétoniques (DNPH(d)), Sulfites (Sulfitest®) | Congeler les urines miction par miction à −20 °C (pour chromatographie des acides aminés et des acides organiques en particulier) |
(a) Si hypoglycémie, ajouter dosage insuline, cortisol, ACTH, GH
(b)Conditions de prélèvement particulièrement rigoureuses : pas de garrot, 1 mL de sang dans 2 mL d’acide perchlorique (précipité chocolat), conserver dans la glace pour dosage immédiat ou congeler sans centrifuger
(c)Tube EDTA ou hépariné, dans la glace, doser le plus rapidement possible
(d)Dinitrophénylhydrazine, test de détection des acides alphacétoniques, très élevés dans la leucinose

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