52: Psychotraumatisme : interventions précoces


Psychotraumatisme : interventions précoces



La connaissance, et l’intérêt pour la clinique de troubles psychotraumatiques se sont accélérés depuis 30 ans. La prise de conscience du handicap psycho-socio-professionnel causé par ce type de trouble une fois constitué, a été décrite notamment chez les vétérans de la guerre du Vietnam, aux États-Unis, et a motivé l’inscription du syndrome de stress posttraumatique dans les classifications internationales de troubles mentaux en 1980 (DSM-III). La répétition de l’exposition de la population civile à des événements traumatiques collectifs ou microsociaux a confirmé les descriptions historiques anciennes : le développement de troubles psychiques après l’exposition à un événement traumatique ne concerne pas exclusivement la population militaire.


La prévalence du syndrome de stress posttraumatique est élevée, estimée à 2 % sur la vie entière dans la population générale en Europe (2,7 % chez les femmes et 0,6 % chez les hommes en France (Cohidon, 2007). Cette prévalence est majorée en population exposée (vétérans de guerre, pompiers ou sauveteurs, victimes d’agression, d’attentats, de catastrophe, de viol).


La médiatisation des conflits et la reconnaissance du statut des victimes sont des éléments qui ont participé au développement de l’organisation d’une intervention précoce par la société.


En France, ces interventions sont dévolues aux services d’urgences et aux équipes préhospitalières organisées dans les cellules d’urgences médicopsychologiques. Nous détaillons ici la psychopathologie posttraumatique et les modalités d’intervention précoce.


Les soins précoces pour blessés psychiques ont été développés par la psychiatrie militaire. Le développement d’armes nouvelles, les conflits multiples, les survivants et mutilés en grand nombre ont motivé l’organisation et le développement d’une prise en charge spécialisée précoce dès le début XXe siècle, et la création d’hôpitaux psychiatriques pour les combattants blessés psychiques, à l’arrière des lignes (Crocq, 1999).


Le principe de la « psychiatrie de l’avant » décrit par Guillain en 1915, insiste sur l’importance d’un traitement rapide, proche des zones armées, permettant un retour rapide au combat. Les principes d’intervention précoce proposés par Salmon en 1917 sont aujourd’hui encore utilisés : proximité du lieu d’intervention, immédiateté des soins, espérance de guérison, simplicité des moyens et du dispositif de soins utilisés (courte psychothérapie suggestive centrée sur l’épisode en cause), et centralité de la prise en charge (Crocq, 1999).


Si les descriptions de prise en charge précoce datent du début du XXe siècle, les descriptions cliniques des troubles posttraumatiques sont bien plus anciennes, riches de descriptions célèbres depuis l’Antiquité. Le général Crocq en dresse l’historique : se succèdent notamment le cas d’Epizelos à la bataille de Marathon rapporté par Hérodote; les rêves de bataille rapportés par Lucrèce; les hallucinations de Charles IX après le massacre de la Saint-Barthélemy; la névrose traumatique de Pascal; les états confusostuporeux engendrés par « le vent du Boulet » par Larrey; les névroses de la circulation par Pinel, l’hystérie postémotionnelle par Briquet (déterminée par la frayeur, les émotions morales vives). Les descriptions psychiatriques s’organisent à la fin du XIXe siècle, avec Oppenheim et la névrose traumatique, Charcot et l’hystéroneurasthénie morale, Pierre Janet et l’automatisme psychologique (où la souvenance de l’événement serait une idée fixe non assimilée par le langage, dans une dissociation de la conscience), Breuer et Freud et l’hystérie traumatique. Au début du XXe siècle, les deux premières guerres mondiales ont permis d’enrichir cette clinique descriptive, avec la description des névroses et psychonévroses de guerre par Ferenczi (Crocq, 1999).


La notion de traumatisme psychique est limitée à la survenue brutale d’un événement violent inhabituel, susceptible de créer chez un individu un bouleversement momentané ou durable dans son organisation psychique. Le trauma correspond à un phénomène d’effraction des défenses psychiques, c’est une blessure. L’effraction traumatique est assez forte pour rompre la barrière de protection de l’appareil psychique (pare-excitation), mobiliser tous les moyens de défense et pénétrer tel quel l’appareil psychique. L’événement traumatique représente un fait extérieur, repérable, généralement brutal, introduisant une rupture avec distinction radicale entre l’avant et l’après, indépendant de la personne, mais chargé d’une dimension subjective. Il existe ainsi une variabilité interindividuelle de la perception de ce qui est traumatisant ou non. L’événement traumatique peut être générateur : d’un vécu de mort, d’un sentiment d’arbitraire; d’une culpabilité; d’une altération (ou d’une rupture) du sentiment d’appartenance au groupe de pairs. C’est un événement considéré comme déshumanisant.


On estime que l’effroi est le marqueur de l’effraction traumatique. « Il y aura trauma si la mort s’est imposée au sujet comme un réel, une perception sans médiation, dans un moment d’effroi. La scène du trauma a fait intrusion dans l’appareil psychique et s’y est incrustée, hors signification » (De Clercq, Lebigot, 2001).


Les troubles psychiques posttraumatiques peuvent s’observer chez les victimes directes de l’événement que sont les « blessés physiques » (appelés « urgence absolue », et « urgence relative » par le SAMU), chez les impliqués (un impliqué est une victime qui a assisté à l’événement traumatique mais qui n’a pas été blessée physiquement, c’est un « blessé psychique » potentiel), et chez les personnels de secours (exposés régulièrement).



La clinique des troubles précoces


La clinique est décrite de façon différente et non superposable dans les classifications internationales actuelles qui incluent des symptômes correspondant à des temps cliniques différents. La CIM-10 différencie la « réaction aiguë à un facteur de stress », la « réaction à un facteur de stress important » le « trouble de l ’adaptation » de la « stupeur dissociative » (CIM-X); le DSM-IV-TR regroupe les symptômes dans « l’état de stress aigu » (DSM-IV).


Cette clinique des troubles précoces s’articule autour d’une pathologie initiale et éphémère, dans laquelle sont différenciés la clinique immédiate du vécu de l’événement; et celle de la réaction immédiate (dans les premières heures, et premier jour inclus), puis celle des troubles postimmédiats (à partir du 2e jour et jusqu’au 30e jour).


La réaction clinique du vécu de l’événement, constitue la détresse péritraumatique, regroupant une altération de la perception du temps (vécu au ralenti, ou de façon accélérée, pouvant aller jusqu’à la dissociation), du lieu et de soi, d’une impression d’irréalité. S’y associent un sentiment d ’arbitraire (secondaire à la confrontation à l’imminence de la mort, traduisant la blessure narcissique liée à la perte, au moins momentanée, du statut de sujet), un sentiment de culpabilité (à caractère parfois incohérent, correspondant à la tentative par le sujet de donner du sens à l’événement et de s’en réapproprier la maîtrise), et une rupture du sentiment d’appartenance au groupe de référence (dû à l’isolement extrême du sujet, lié au caractère unique de l’expérience vécue et au sentiment de culpabilité) (De Clercq, Lebigot, 2001).



La réaction immédiate


C’est une traduction symptomatique du stress qui suit l’agression. Cette réaction de stress peut être adaptée, dépassée, ou prendre l’aspect d’un état de stress à coloration psychopathologique. Le stress est une réaction biologique, physiologique, psychologique d’alarme, de mobilisation, de défense de l’individu face à une agression ou à une menace. La libération de catécholamines et d’hormones corticosurrénaliennes induite par la peur va provoquer un climat d’hyperadrenergie.


La plupart des états de stress observés sur le terrain sont des états de stress adapté, où l’individu concentre et mobilise instantanément ses compétences cognitives (de vigilance, d’attention, de raisonnement), de contrôle affectif, volitionnelle (entretenant l’action) et comportementale (conduites adaptées de combat, retrait, fuite), et motrices.


Lorsque les capacités d’attention soutenue, de contrôle émotionnel ou de mémorisation sont épuisées, chez un sujet fragilisé, la réaction immédiate de stress peut être inadaptée. Des manifestations d’états de stress dépassé peuvent être observées, elles correspondent à des réactions archaïques, inadaptées, évocatrices de dissociation péritraumatique (rupture immédiate ou postimmédiate de l’unité psychique au moment du traumatisme, sentiment d’irréalité) et s’accompagnent souvent d’amnésie secondaire (dissociative).


Ces états de stress dépassé sont l’agitation stérile (hyperactivité stérile), les activités automatiques (gestes stéréotypés, répétitifs inefficaces ou incongrus), l’état de sidération (où la personne est immobile dans le danger par exemple) ou de fuite panique (fuite en avant, vers la source de danger sont décrits).


Parfois, des états de stress avec coloration psychopathologique, paraissant exprimer des pathologies latentes sont observés (décompensations d’allure psychotique, phénomènes conversifs, attaques de panique, accès maniaques, mélancoliques).

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May 10, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 52: Psychotraumatisme : interventions précoces

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