Psychotraumatisme : interventions précoces
La connaissance, et l’intérêt pour la clinique de troubles psychotraumatiques se sont accélérés depuis 30 ans. La prise de conscience du handicap psycho-socio-professionnel causé par ce type de trouble une fois constitué, a été décrite notamment chez les vétérans de la guerre du Vietnam, aux États-Unis, et a motivé l’inscription du syndrome de stress posttraumatique dans les classifications internationales de troubles mentaux en 1980 (DSM-III). La répétition de l’exposition de la population civile à des événements traumatiques collectifs ou microsociaux a confirmé les descriptions historiques anciennes : le développement de troubles psychiques après l’exposition à un événement traumatique ne concerne pas exclusivement la population militaire.
La prévalence du syndrome de stress posttraumatique est élevée, estimée à 2 % sur la vie entière dans la population générale en Europe (2,7 % chez les femmes et 0,6 % chez les hommes en France (Cohidon, 2007). Cette prévalence est majorée en population exposée (vétérans de guerre, pompiers ou sauveteurs, victimes d’agression, d’attentats, de catastrophe, de viol).
Les soins précoces pour blessés psychiques ont été développés par la psychiatrie militaire. Le développement d’armes nouvelles, les conflits multiples, les survivants et mutilés en grand nombre ont motivé l’organisation et le développement d’une prise en charge spécialisée précoce dès le début XXe siècle, et la création d’hôpitaux psychiatriques pour les combattants blessés psychiques, à l’arrière des lignes (Crocq, 1999).
Le principe de la « psychiatrie de l’avant » décrit par Guillain en 1915, insiste sur l’importance d’un traitement rapide, proche des zones armées, permettant un retour rapide au combat. Les principes d’intervention précoce proposés par Salmon en 1917 sont aujourd’hui encore utilisés : proximité du lieu d’intervention, immédiateté des soins, espérance de guérison, simplicité des moyens et du dispositif de soins utilisés (courte psychothérapie suggestive centrée sur l’épisode en cause), et centralité de la prise en charge (Crocq, 1999).
Si les descriptions de prise en charge précoce datent du début du XXe siècle, les descriptions cliniques des troubles posttraumatiques sont bien plus anciennes, riches de descriptions célèbres depuis l’Antiquité. Le général Crocq en dresse l’historique : se succèdent notamment le cas d’Epizelos à la bataille de Marathon rapporté par Hérodote; les rêves de bataille rapportés par Lucrèce; les hallucinations de Charles IX après le massacre de la Saint-Barthélemy; la névrose traumatique de Pascal; les états confusostuporeux engendrés par « le vent du Boulet » par Larrey; les névroses de la circulation par Pinel, l’hystérie postémotionnelle par Briquet (déterminée par la frayeur, les émotions morales vives). Les descriptions psychiatriques s’organisent à la fin du XIXe siècle, avec Oppenheim et la névrose traumatique, Charcot et l’hystéroneurasthénie morale, Pierre Janet et l’automatisme psychologique (où la souvenance de l’événement serait une idée fixe non assimilée par le langage, dans une dissociation de la conscience), Breuer et Freud et l’hystérie traumatique. Au début du XXe siècle, les deux premières guerres mondiales ont permis d’enrichir cette clinique descriptive, avec la description des névroses et psychonévroses de guerre par Ferenczi (Crocq, 1999).
On estime que l’effroi est le marqueur de l’effraction traumatique. « Il y aura trauma si la mort s’est imposée au sujet comme un réel, une perception sans médiation, dans un moment d’effroi. La scène du trauma a fait intrusion dans l’appareil psychique et s’y est incrustée, hors signification » (De Clercq, Lebigot, 2001).
La clinique des troubles précoces
La réaction clinique du vécu de l’événement, constitue la détresse péritraumatique, regroupant une altération de la perception du temps (vécu au ralenti, ou de façon accélérée, pouvant aller jusqu’à la dissociation), du lieu et de soi, d’une impression d’irréalité. S’y associent un sentiment d ’arbitraire (secondaire à la confrontation à l’imminence de la mort, traduisant la blessure narcissique liée à la perte, au moins momentanée, du statut de sujet), un sentiment de culpabilité (à caractère parfois incohérent, correspondant à la tentative par le sujet de donner du sens à l’événement et de s’en réapproprier la maîtrise), et une rupture du sentiment d’appartenance au groupe de référence (dû à l’isolement extrême du sujet, lié au caractère unique de l’expérience vécue et au sentiment de culpabilité) (De Clercq, Lebigot, 2001).