45: Dangerosité et maladie mentale


Dangerosité et maladie mentale



Si les individus souffrant de troubles mentaux graves (troubles schizophréniques, troubles bipolaires, épisodes dépressifs majeurs) ont plus de risque de commettre des actes de violence, les études internationales, mises en œuvre ces dernières années, ont montré que cette augmentation du risque de violence était multifactorielle et que la maladie mentale en elle-même n’en était que peu responsable. De plus, il convient de rappeler que les individus souffrant de troubles mentaux sont plus souvent victimes de violence qu’ils n’en sont les auteurs.



Violence et maladie mentale : les études de prévalence



Les études de suivi de cohorte de naissance


Ce sont des études prospectives qui sont particulièrement intéressantes pour fournir des informations sur les relations de causalité entre l’occurrence d’une maladie mentale et de comportements violents. La plupart de ces études ont été réalisées dans les pays scandinaves. La première étude de cohorte de naissance a été menée en Suède, par Hodgins (1992), avec un suivi de la naissance à 30 ans. Elle retrouvait que les hommes et les femmes souffrant d’un trouble mental majeur étaient plus à risque d’être condamnés pour une infraction que les personnes sans trouble mental (OR 2,5 pour les hommes et OR 5 pour les femmes). Pour les infractions avec violence, les OR étaient encore supérieurs (OR 4,2 pour les hommes et OR 27,4 pour les femmes).


Dans une autre étude de cohorte de naissance, Hodgins et al. (1996) ont trouvé des résultats similaires, avec un risque de commettre au moins une infraction violente multiplié par 4,5 en cas de trouble mental majeur chez les hommes et par 8,6 pour les femmes par rapport à la population générale.


Brennan, Mednick et Hodgins ont examiné la même cohorte de naissance en 2000, en se centrant sur les troubles psychotiques et ont retrouvé des OR, pour les taux d’arrestation pour violence chez les hommes et les femmes souffrant de schizophrénie, respectivement de 4,6 et 23,2.


L’étude d’une cohorte de naissance finlandaise réalisée par Tiihonen et al. (1997) a, quant à elle, retrouvé un OR de 3,1 pour le risque d’infraction chez les sujets souffrant de schizophrénie mais un OR de 7,2 pour les infractions avec violence. L’OR pour les troubles de l’humeur avec symptômes psychotiques était également élevé (OR 10,4). À partir de la même cohorte de naissance, Rasanen et al. (1998) ont mis en évidence que les hommes souffrant de schizophrénie avec comorbidité d’abus d’alcool étaient 25,2 fois plus à risque de commettre une infraction violente que les hommes sans troubles mentaux.


Enfin, dans une étude de cohorte de naissance néo-zélandaise, Arsenault et al. (2000) ont trouvé des résultats comparables aux études scandinaves, avec un risque de condamnation multiplié par 5,1 en cas de schizophrénie par rapport à la population générale, même après contrôle des variables démographiques et des comorbidités.


Enfin, dans une étude récente, Erikson et al. (2010) ont mis en évidence que le diagnostic de schizophrénie multipliait par quatre le risque de condamnation pour une infraction avec violence.



Les études transversales réalisées dans la communauté


Ces études comparent la prévalence de comportements violents dans deux groupes de personnes (avec ou sans troubles mentaux majeurs).


La plus importante de ces études a été réalisée par Swanson et al. (1990) à partir des données de l’étude ECA comportant 10 000 participants. Les auteurs ont retrouvé, à partir d’éléments autorapportés, que 8 % des patients souffrant de schizophrénie avaient présenté des comportements violents contre 2 % des personnes sans troubles mentaux majeurs.


Stueve et Link (1997) ont également montré que les troubles mentaux majeurs augmentaient le risque de comportements violents. Dans leur étude, 29 % des patients avec des troubles psychotiques avaient présenté un comportement violent dans les cinq dernières années alors que la prévalence était de 8 % chez les individus sans troubles mentaux.


Dans une autre étude, Swanson et al. (2006) ont suivi 1 410 patients souffrant de schizophrénie et ont retrouvé une prévalence de 19,1 % d’actes de violence mineure (agression sans blessure et sans arme) et 3,6 % de violence sévère (agression sexuelle et agression avec arme). Dans cette étude, les symptômes psychotiques positifs augmenteraient le risque de violence sévère par trois, les antécédents de victimisation par 3,84 et les antécédents de trouble des conduites dans l’enfance par 4,81.


Néanmoins, dans une étude récente, Elbogen et Johnson (2009) ont retrouvé une augmentation de la prévalence d’actes violents en cas de trouble schizophrénique (6,1 % vs 2,3 % en absence de troubles mentaux), mais ils ont constaté, après contrôle des facteurs historiques, cliniques et contextuels, que la maladie mentale en elle-même (la schizophrénie) n’était pas prédictive de comportements violents futurs.


Par contre, Fazel et al. (2009), dans une étude prospective de suivi sur 13 ans de sujets souffrant de schizophrénie, ont retrouvé une augmentation du risque de violence par deux par rapport à la population générale, même en l’absence de comorbidité d’abus de substance.



Les études réalisées à partir des registres criminels


Il s’agit d’études rétrospectives où les données sont recueillies à partir des dossiers judiciaires et des dossiers cliniques.


En 1990, à partir des dossiers de la police, Lindqvist et Allebeck ont suivi, pendant 15 ans, 644 sujets souffrant de schizophrénie. Ils ont retrouvé que ces individus avaient environ quatre fois plus de risque de commettre une infraction avec violence que la population générale.


Dans une autre étude, Wallace et al. (2004) ont comparé les dossiers judiciaires, sur une période de 25 ans, de patients admis pour schizophrénie avec ceux de sujets contrôles de la communauté. La prévalence d’infractions avec violence était de 8,2 % dans le groupe de sujets souffrant de schizophrénie contre 1,8 % dans le groupe contrôle. Pour les patients ou le groupe contrôle ayant une comorbidité d’abus de substance, la prévalence était respectivement de 68,1 % et 11,7 %.



Homicides et troubles mentaux


Cinq études scandinaves ont permis l’investigation de l’ensemble des cas d’homicide d’une population donnée. Eronen, en 1996, a, par exemple, retrouvé une augmentation du risque d’homicide par sept en cas de trouble mental majeur par rapport à la population générale et par 17 lorsqu’il existe une comorbidité d’abus d’alcool ou de drogue. Cette augmentation du risque a été répliquée dans les autres études (Eronen, 1996; Tiihonen et al., 1996).


De même, Wallace et al. (1998), en Australie, ont retrouvé un risque d’homicide multiplié par sept en cas de trouble schizophrénique par rapport à la population générale, mais par 28,8 lorsqu’il existe une comorbidité d’abus de substance psychoactive.


S’il existe une augmentation du risque d’homicide en cas de trouble mental majeur, la prévalence d’individus présentant des troubles mentaux graves est néanmoins faible chez les auteurs d’homicide. En effet, les études retrouvent une prévalence entre 5 et 10 % de schizophrénie et de 3 à 6 % d’épisode dépressif majeur chez les auteurs d’homicide (Schanda et al., 2004; Meehan et al., 2006).



Méta-analyses


Fazel et al., dans deux méta-analyses récentes (2009 et 2010), ont retrouvé que les personnes souffrant d’un trouble schizophrénique seraient à l’origine de moins de 10 % des actes de violence hétéroagressive (3,2 à 9,9 % selon les études). Ils ont constaté néanmoins une augmentation du risque de violence chez les sujets souffrant de troubles mentaux par rapport à la population générale, avec un risque multiplié par un à neuf chez les hommes et quatre à 29 chez les femmes en cas de trouble schizophrénique, risque multiplié par deux à neuf en cas de trouble bipolaire. Ces méta-analyses mettent également en exergue le rôle majeur joué par la comorbidité d’abus de substance dans cette augmentation du risque (Fazel et al., 2009; 2010).


Dans une méta-analyse réalisée en 2012 comparant des sujets sans troubles psychiatriques ou neurologiques, des sujets présentant un retard mental ou des troubles cognitifs et des sujets souffrant de troubles mentaux graves, Hughes et al. ont retrouvé une prévalence d’actes violents (physiques, sexuels) de 24,3 % en cas de trouble mental, de 6,1 % en cas de retard mental et de 3,2 % en l’absence de troubles. L’OR moyen pour le risque de violence serait de 3,86 en cas de trouble mental par rapport à la population générale (Hughes et al., 2012).



Violence et maladie mentale : les facteurs de risque



Facteurs de risque statiques




Antécédents de violences : subies, agies


De nombreuses études ont montré qu’un vécu précoce de violences physiques ou psychiques, des antécédents d’agressions sexuelles dans l’enfance et l’adolescence sont des facteurs de risque élevé de violence à l’âge adulte (Swanson et al., 2002). La victimisation à l’âge adulte augmenterait également le risque de comportement hétéroagressif, ce qui est à prendre en compte en raison de la victimisation importante des sujets souffrant de troubles mentaux par rapport à la population générale.


Swanson et al. (2008) ont mis évidence que les antécédents de troubles des conduites dans l’enfance augmentaient significativement le risque de violence chez les patients schizophrènes. De même, Elbogen et al. (2009) mettent en évidence que les antécédents de violence multiplient par 4,14 le risque de violence sévère chez les patients présentant des troubles mentaux majeurs et que les antécédents de détention juvénile multiplient ce risque de violence sévère par 2,96 (Elbogen, Johnson, 2009).


Les antécédents d’hospitalisation pour des comportements violents seraient également associés dans l’étude de Fazel et al. (2010) au risque de passage à l’acte homicide chez les sujets souffrant de schizophrénie (OR 5,7).

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May 10, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 45: Dangerosité et maladie mentale

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