Chapitre 5 Physiopathogénie
La survenue d’un décollement de rétine rhegmatogène résulte de la conjonction de plusieurs facteurs : en raison de modifications vitréennes aboutissant au décollement postérieur du vitré, des phénomènes tractionnels peuvent s’exercer sur des zones rétiniennes prédisposées à la formation de déhiscences, qui pourront alors permettre le passage de fluide dans l’espace sous-rétinien. Plus rarement, un décollement de rétine peut survenir en l’absence de décollement postérieur du vitré (en présence de trous atrophiques, par exemple) ; il est alors favorisé par la traction exercée par le vitré. Les modifications du vitré jouent donc un rôle primordial dans la physiopathogénie des décollements de rétine, d’autant plus si elles surviennent en présence de lésions prédisposantes de fragilité rétinienne.
Formation des déhiscences périphériques : rôle du vitré
Le vieillissement s’accompagne d’altérations rhéologiques, biochimiques et structurelles du vitré [16], aboutissant à son détachement de la rétine.
MODIFICATIONS DU VITRE
LIQUÉFACTION
Le vieillissement du vitré est caractérisé initialement par la présence de fibres vitréennes épaissies et la progression de sa liquéfaction. Les études post mortem précisent que la liquéfaction commence au centre de la cavité vitréenne [12] ; avec le temps, de plus en plus de poches de vitré liquéfié apparaissent et fusionnent [10, 14], correspondant cliniquement aux lacunes.
La liquéfaction du vitré est proportionnelle à l’âge. Ainsi, après quarante ans ou cinquante ans, le volume du vitré liquide augmente constamment, tandis que le volume de gel diminue de façon significative ; après quatre-vingts ans, plus de la moitié du corps vitré est liquide [16].
En fait, le processus de liquéfaction commence précocement, puisqu’il est possible de mettre en évidence du vitré liquéfié dès l’âge de quatre ans ; par ailleurs, dès que l’œil a atteint sa taille adulte (entre quatorze et dix-huit ans), environ 20 % du volume total du vitré est déjà liquéfié [2]. Aussi peut-on penser que la liquéfaction du vitré n’est pas uniquement la conséquence de l’âge. Elle peut être accélérée dans certaines circonstances, par exemple dans les yeux myopes ou lors d’une inflammation (uvéites, traumatismes, chirurgie). Une liquéfaction majeure et prématurée peut également intervenir lors de certaines anomalies héréditaires du métabolisme du collagène de type II, à transmission autosomale dominante [11] ; les maladies de Marfan, d’Ehlers-Danlos et de Stickler en sont les exemples les plus connus.
Le mécanisme de liquéfaction du vitré est mal connu. Il est probable que le processus de vieillissement entraîne la dégradation des glycosaminoglycanes (acide hyaluronique en particulier), en altérant leurs interactions avec les collagènes de types II, IX et XI. La dissolution du complexe acide hyaluronique-collagène entraîne la formation simultanée de vitré liquéfié et l’agrégation des fibrilles de collagène en faisceaux de fibrilles parallèles, qu’on peut visualiser macroscopiquement. Cette altération des glycosaminoglycanes et des interactions acide hyaluronique-collagène pourrait résulter du métabolisme vitréen et de réactions photochimiques responsables de la libération de radicaux libres [23].
Les modifications de la rhéologie du vitré pourraient également résulter de l’action d’enzymes endogènes, comme les métalloprotéinases [4]. Effectivement, le gel vitréen peut se liquéfier in vivo par destruction enzymatique du réseau de collagène [1] : ce sont ces systèmes enzymatiques (endogènes et exogènes) que des études récentes ont utilisés pour induire la liquéfaction lors de la vitréolyse pharmacologique [15, 17] (cf. chapitre 30).
MODIFICATIONS DE LA BASE DU VITRÉ
Chez les sujets âgés, on constate une extension de plusieurs millimètres de la base du vitré en arrière de l’ora serrata [22]. Cet élargissement de la base du vitré serait plus prononcé dans la portion temporale du globe. Il s’accompagne d’une agrégation latérale des fibrilles de collagène [8] semblable aux modifications observées au centre du vitré.
DÉCOLLEMENT POSTÉRIEUR DU VITRÉ
Le décollement postérieur du vitré est défini comme la séparation du cortex postérieur du vitré de la limitante interne de la rétine [13]. Il persiste une incertitude quant au niveau exact de séparation : sur le plan histologique, la jonction vitréorétinienne ne présente pas de plan de clivage bien défini. La séparation se fait de façon très variable, en fonction de la zone considérée du fond d’œil, de l’âge et des circonstances pathologiques. Elle se réalise vraisemblablement au niveau de la couche fibrillaire de la membrane limitante interne, une partie plus ou moins importante des fibrilles restant fermement adhérentes à la lame basale.
Sur le plan clinique, on retiendra que le décollement postérieur du vitré se définit par l’existence d’un espace optiquement vide entre la rétine et la partie postérieure du vitré condensé, ou hyaloïde postérieure [3].
Ce volume de liquide qui se déplace depuis le centre du vitré vers l’espace prérétinien entraîne le collapsus vitréen, ou synérèse [24].
Le plus souvent, ce sont les modifications physiologiques du vitré, liées à son vieillissement, qui vont conduire au décollement postérieur du vitré. Il existe en effet une relation entre degré de liquéfaction et de synérèse du gel vitréen et survenue du décollement postérieur du vitré, selon l’âge [7] : le décollement postérieur du vitré est présent (dans au moins un œil) chez 10 % des sujets de moins de trente ans, 27 % des sujets entre soixante et soixanteneuf ans et 63 % des patients de plus de soixante-dix ans.
CONSÉQUENCES SUR LA RÉTINE
CRÉATION DE DÉHISCENCES RÉTINIENNES
Une fois le décollement postérieur du vitré commencé, le vitré exerce sur des zones d’adhérences vitréorétiniennes une traction dynamique (fig. 5-1) liée à son poids et surtout à sa force d’inertie lors des mouvements oculaires.
Fig. 5-1 Effet de la traction dynamique du vitré décollé dans l’apparition d’un décollement de rétine.
(D’après fig. 8-4, in ; G. Brasseur et al. Pathologie du vitré. Rapport de la Société Française d’Ophtalmologie, Masson, Paris, 2003.)
Devenu plus mobile, le gel vitréen se déplace vers l’avant, avec passage du vitré liquéfié (voire d’humeur aqueuse) vers l’espace rétrovitréen. La densité du vitré détaché étant plus élevée que celle du liquide intraoculaire, une force gravitationnelle s’exerce, en position debout ou assise, sur la rétine supérieure. D’autre part, les mouvements oculaires provoquent un balancement du vitré dans la cavité vitréenne (lié à son inertie) qui est responsable de forces de traction sur la rétine bien plus puissantes que le simple effet gravitationnel [25].
Cette explication courante rend peut-être compte de certaines déchirures, mais il semble que les signes de déchirure apparaissent souvent simultanément à ceux du décollement postérieur du vitré : ceci pourrait signifier que la force qui s’exerce pour arracher le vitré de la papille serait aussi capable d’entraîner, à l’opposé, une déchirure rétinienne équatoriale [21].
DÉCOLLEMENT DE RÉTINE
La traction vitréenne sur la base de la déchirure, transmise par le clapet, semble être un de ces éléments. La traction, si elle est forte, peut décoller la base et les bords de la déchirure. Si la traction est forte non seulement sur la déchirure mais aussi sur la rétine avoisinante, elle peut entraîner un décollement de rétine. La présence d’un liquide de faible viscosité en regard de la déhiscence va permettre à ce liquide de passer facilement sous la rétine grâce à la dépression créée par la traction vitréenne. Une fois la rétine décollée, un courant liquidien peut s’établir à travers la déhiscence pour remplacer le liquide pompé par l’épithélium pigmentaire. Les courants liquidiens vont aussi contribuer à disséquer et décoller la rétine. À l’inverse, l’absence de traction sur les bords des trous à opercule associée à leur petite taille réduit l’effet des courants liquidiens et expliquerait le faible taux de décollement dû à ces déhiscences par rapport aux déchirures où la traction du vitré persiste sur la base [25].
Enfin, un dernier facteur favorisant l’extension d’un décollement de rétine est la différence de densité de la rétine avec le liquide environnant qui, avec la gravité, provoque la chute des décollements supérieurs, expliquant que ces décollements soient en général plus bulleux que les décollements inférieurs [21].