Chapitre 5 Orthodontie
Principes : biomécanique et réactions tissulaires
Réactions tissulaires au cours du déplacement orthodontique1
Cette notion de force légère va, elle aussi, évoluer en fonction des techniques, des connaissances histologiques et de l’observation des effets iatrogènes des traitements orthodontiques (résorption radiculaire, perte d’attache et d’os marginal).
Ces effets et l’observation de déplacements physiologiques au cours du vieillissement ou lors de pertes dentaires prématurées, ont amené les orthodontistes à rechercher des systèmes mécaniques permettant de réaliser des déplacements dentaires les plus proches possibles des déplacements physiologiques.
Remaniement physiologique
Ce sont les phénomènes de remodelage des éléments du parodonte qui vont, suite à l’application d’une force, s’adapter et permettre le déplacement dentaire.
Remaniement du desmodonte
Le ligament alvéolodentaire a une double responsabilité au niveau du remodelage :
Remodelage ligamentaire
Les fibres de collagène sont détruites et remplacées de façon continue.
En effet, selon Ten Cate et al. [6], les fibroblastes ont des propriétés communes avec les macrophages, notamment de phagocytose.
Il a également montré que ces opérations pouvaient être réalisées simultanément par le fibroblaste.
Contrôle de l’activité osseuse
Lorsque le ligament alvéolodentaire est atteint, la dent s’ankylose.
D’après Andreasen [1], ce sont les fibroblastes, les cémentoblastes et les cellules périvasculaires qui permettent cette protection radiculaire.
Melcher [5], quant à lui, a montré, sans pouvoir en expliquer le mécanisme, que le ligament contrôle l’ostéogenèse, en empêchant les cellules progénitrices des ostéoblastes d’envahir la zone ligamentaire.
Remodelage de l’os alvéolaire
L’os alvéolaire est un tissu conjonctif dont la substance intercellulaire, fabriquée par ses cellules, se minéralise.
Remaniement thérapeutique
Il y a mise en jeu et orientation des phénomènes de remodelage avec, pour conséquence, le déplacement dentaire.
Effets immédiats
On observe après l’application d’une force sur une dent, des effets immédiats :
Effets à plus long terme
La dent se déplace, mais reste maintenue à l’os. Du côté en pression, il existe des zones en résorption et d’autres en apposition, mais avec, en valeur absolue, plus de résorption. C’est l’inverse du côté tension (figures 5.1 et 5.2).
Mise en jeu de ces phénomènes
L’application de la force entraîne plusieurs phénomènes pouvant participer à la mise en jeu du remodelage :
Force idéale
De nombreux auteurs ont essayé de définir une force idéale ou optimale pour le déplacement dentaire. Cette force doit permettre un déplacement le plus rapide possible. Ainsi, Storey et Smith ont observé un déplacement plus rapide lors d’un recul canin avec des forces de l’ordre de 150–200 g.
Plusieurs éléments peuvent expliquer ces phénomènes :
Au vu de ces éléments, idéalement, la force optimale est celle qui permet le déplacement le plus rapide sans phénomènes de hyalinisation tout en contrôlant l’inflammation. Cela est vrai pour la dent à déplacer, mais, pour les dents d’ancrage, le niveau de force doit être suffisamment faible pour se situer sous le seuil d’enclenchement des réactions histologiques afin de limiter le déplacement de ces dents (figure 5.3).
Principes mécaniques généraux2
Notion de force et de couple de forces
Une force se définit comme une action mécanique capable de déformer un corps ou de modifier la quantité de mouvement de ce corps, c’est-à-dire de le déplacer.
Une force est représentée par un vecteur, déterminé par :
Rythme d’application de la force
Intensité des forces
Selon l’intensité, on distingue des forces orthodontiques (80 à 160 g) applicables à la région alvéolodentaire et des forces orthopédiques (à partir de 400 g) à action plus squelettique et réservées au sujet en croissance.
Centre de résistance
Le centre de gravité d’une dent est le point d’application de son poids. La notion de centre de résistance (Cr) apparaît au moment où la dent est placée dans le milieu osseux. Cr est alors le point par lequel doit passer la ligne d’action d’une force appliquée à une dent pour obtenir un mouvement de translation pure de cette dent.
La localisation du centre de résistance, indépendante du système de forces, dépend alors :
Centre de rotation
C’est le point autour duquel tourne un solide si on lui applique une force qui ne passe pas par son centre de résistance. Il est dépendant du système de forces et, à la différence du centre de résistance, n’est pas obligatoirement situé sur la dent. Il s’agit en réalité d’un centre instantané de rotation car il varie avec le déplacement de la dent et la désactivation du dispositif orthodontique.
Moment d’une force, d’un couple
Fig. 5.6 Rétraction incisive sur fil rond, le centre de rotation (Co) est proche du centre de résistance.
Situations d’équilibre
Les déplacements orthodontiques sont très lents. Ainsi à un instant t, le système dento-alvéolaire est en équilibre. La somme des forces et des moments est alors nulle. Dans ce contexte, il est possible de mieux appréhender les effets recherchés ou parasites des dispositifs orthodontiques. Trois principales situations d’équilibre sont classiquement commentées.
Situation en V symétrique (encadré 5.1)
Encadré 5.1 Situation en V symétrique : exemple clinique
Dérotation molaire par Gosh-Garian ou courbure esthétique entre 11 et 21 en Edgewise standard (figure 5.11). Les moments des couples de forces sont égaux et opposés.
Situation en V asymétrique (encadré 5.2)
La courbure du fil est décentrée entre les attaches nivelées (figure 5.12). L’effort d’insertion du fil est plus important du côté décentré, le couple de forces apparaissant à l’entrée et à la sortie de cette attache sera plus important, générant un moment (et donc une rotation) plus fort et de sens inverse à celui apparaissant au niveau de l’attache opposée. La somme des forces mises en jeu est nulle, celle des moments ne l’est pas.
Encadré 5.2 Situation en V asymétique : exemple clinique
Courbure d’inclinaison antérieure (tip forward) d’une canine avant sa rétraction (figure 5.12). L’asymétrie des couples de forces mis en place est compensée par un couple d’arcade provoquant une égression canine et une ingression prémolaire associées dans une bascule anti-horaire du plan d’occlusion.
Fig. 5.12 Situations en V asymétrique : courbure d’inclinaison mésiale d’une canine mandibulaire.
A. Courbure de version mésiale sur une canine mandibulaire.
Situation en V très asymétrique et situation en escalier (encadré 5.3)
Ces deux situations produisent des actions et réactions similaires.
Encadré 5.3 Situation en V très asymétrique et en escalier : exemple clinique
Une situation équivalente est rencontrée lors de l’insertion d’un arc de base d’ingression incisive : tip back molaire très accentué et torque radiculo-vestibulaire incisif. Le moment d’équilibre favorise l’ingression incisive, l’égression molaire, une bascule horaire du plan d’occlusion, phénomènes d’autant plus marqués que les forces occlusales sont faibles (cf. figure 5.14c).
Fig. 5.14 Situations en escalier.
A. Courbures de version distale sur les prémolaires.
B. Situation équivalente lors de l’insertion d’un fil droit durant le nivellement.
c. Situation équivalente lors de l’insertion d’un arc de base d’ingression incisive.
Appareils multi-attaches
Principes3
Même si certains déplacements dentaires peuvent être effectués avec des appareils amovibles et malgré les progrès des gouttières d’alignement, seuls les appareils multi-attaches permettent d’assurer un contrôle rigoureux des déplacements dentaires dans les trois dimensions de l’espace. Ce chapitre sur l’orthodontie se limite donc aux principes des techniques multi-attaches.
Informations
Ces informations concernent les trois dimensions de l’espace (encadré 5.4).
Encadré 5.4 Informations
Fig. 5.15 Informations de 1er ordre en techniques non informées et en techniques pré-informées.
A. Compensation des différences d’épaisseur de la partie vestibulaire des dents.
B. Information anti-rotation sur la molaire.
C. Courbures de 1er ordre sur l’arc en techniques non informées.
Fig. 5.16 Informations de 2e ordre (angulation) en techniques non informées et en techniques pré-informées.
Fig. 5.17 Informations de 3e ordre (inclinaison) en techniques non informées et en techniques pré-informées.
La lecture de l’information dépend aussi du remplissage de la gorge par l’arc. L’information ne peut être lue en totalité par le couple « arc-attache » que s’ils sont de même dimension. L’utilisation d’arcs sous-dimensionnés induit un jeu entre l’arc et la gorge de l’attache d’où résulte une perte des informations de deuxième ordre et surtout de troisième ordre (figure 5.18).
De plus, en raison de la convexité des faces vestibulaires des dents, les informations de troisième ordre contenues dans l’attache dépendent de la position de l’attache sur la dent et de la régularité de l’épaisseur de colle sous l’attache (figure 5.19).
De plus, le déplacement dentaire obtenu, surtout dans les phases de glissement, est aussi fonction des phénomènes de friction entre l’arc et la gorge de l’attache. Plus cette friction est importante, plus la force utilisée pour un même déplacement devra être importante.
La friction dépend principalement :
Choix des différentes attaches
Chaque type d’attaches présente des avantages et des inconvénients qui, selon les diverses techniques, sont plus ou moins compensés par d’autres éléments de l’appareil. Sans entrer dans le détail de chaque technique, on peut retenir les principaux éléments suivants.
Attaches étroites ou attaches larges
Selon les techniques, les attaches peuvent présenter deux ou quatre plots (attaches simples ou doubles). L’augmentation de la largeur de l’attache et de sa gorge diminue la distance de travail interattache de l’arc réduisant par là même l’élasticité de ce segment. À l’opposé, elle améliore le contrôle de la dent en particulier dans le sens mésiodistal limitant les versions qui peuvent freiner le glissement de l’attache sur l’arc et facilite la correction des rotations.
Gorge .018×.025 ou gorge .022×.028
Même s’il existe d’autres dimensions de gorge, ce sont les dimensions les plus courantes.
La sélection de gorges .022×.028 permet :
Les niveaux des forces délivrées peuvent être plus importants.
Attaches non informées ou attaches pré-informées (figure 5.20)
Lors de l’utilisation d’attaches non informées (technique de Tweed-Merrifield ou Edgewise standard), la réalisation des informations sur l’arc :
Ces arcs assurent aussi un meilleur contrôle et un meilleur respect de la forme d’arcade.
À l’opposé, les attaches pré-informées :
Ce type d’attaches nécessite une individualisation des informations en fin de traitement.
Attaches autoligaturantes ou non
Les attaches autoligaturantes limitent les phénomènes de friction liés aux ligatures élastomériques et métalliques. Elles assurent ainsi le glissement des dents sur l’arc avec des forces légères compatibles avec les conditions histologiques optimales du déplacement dentaire. Leurs avantages biomécaniques et ceux des arcs auxquels elles sont couplées seront développés lors de la présentation des techniques autoligaturantes (cf. p. 188).
Baguage et collage4
Position des attaches
Classiquement, en technique Edgewise non informée (Edgewise standard ou technique de Tweed-Merrifield), l’attachement est centré sur la face vestibulaire dans le sens mésiodistal, selon le grand axe de la dent, sa gorge étant parallèle au bord occlusal de la dent à une distance donnée de celui-ci (tableau 5.1).
Collage
Principes et systèmes de collage
L’application des progrès des techniques de collage en orthodontie permet d’assurer la stabilité des attachements sans utilisation de bagues, facilitant ainsi la prophylaxie.
L’émail est un substrat essentiellement minéral (86 à 98 %). Le mécanisme d’adhésion à l’émail repose sur un ancrage micromécanique. Les substrats non amélaires, rares chez l’enfant, ne sont pas envisagés ici.
Le collage s’effectue en quatre étapes dont la qualité conditionne le succès de l’assemblage.
Il est suivi dans tous les cas d’un rinçage soigneux et d’un séchage.
3. La pénétration de la colle dans les zones déminéralisées.
4. La polymérisation de la colle.
Selon le mécanisme initiateur de la réaction de polymérisation, on distingue :
Le collage de l’attachement sur la dent constitue un assemblage présentant deux interfaces :
Cahier des charges des systèmes de collage orthodontique
Les systèmes de collage utilisés en orthodontie doivent répondre à un certain nombre d’impératifs :
Actuellement, aucun système de collage ne peut remplir toutes ces conditions imposant une sélection en fonction des propriétés des colles utilisées et de la situation clinique (tableaux 5.2 et 5.3).