Chapitre 5 Distraction

P.-A. Diner, P. Rousseau, E. Galliani, C. Tomat

Historique de la distraction osseuse ostéogénique 114

Distraction du squelette maxillofacial 114

Définition 114

Les trois modes de distraction 114

Protocole de distraction 115

Évolution des appareils de distraction 115

Histologie de l’os néoformé 115

Limites de la distraction 115

Indications 115

Présentation des indications actuelles de la distraction 116

Distraction alvéolaire 136

Indications 136

Analyse critique de la littérature 138

Technique chirurgicale 141

Résultats histologiques 141

Conclusions 144

Historique de la distraction osseuse ostéogénique

P.-A. Diner, P. Rousseau

Les techniques de manipulation mécanique de fragments osseux sont très anciennes. Déjà, Hippocrate décrivait le placement de forces de traction sur des os fracturés. Au début du xx^e siècle, Codivilla, combinant différentes techniques, décrit l’allongement d’un membre en utilisant un dispositif externe de traction sur un fémur après ostéotomie. Puis, en 1951, Gavriel Ilizarov contribue largement à fonder les principes de la distraction ostéogénique. Dans les années 1990, par la modification des systèmes d’action squelettique, la distraction ostéogénique est appliquée au traitement des syndromes affectant le massif craniofacial. Puis Joe McCarthy et César Guerrero montrent la possibilité d’allonger une mandibule par distraction, la complexité des distracteurs extra-oraux limitant toutefois les indications thérapeutiques. Avec la réalisation de dispositifs intrabuccaux, P.-A. Diner permet ensuite de sécuriser les procédures et de faciliter la prise en charge de ces malformations de l’enfant.

Depuis, les auteurs se sont tous écartés des principes d’Ilizarov, grâce à la richesse vasculaire de la face. La réalisation d’ostéotomies véritables, avec mobilisation des segments, et le dépériostage, sur une voire trois faces au bord des pièces osseuses, ce qui allait à l’encontre de la technique de préservation maximale d’endoste et de périoste, n’ont empêché ni la production d’os nouveau ni la consolidation.

Distraction du squelette maxillofacial

P.-A. Diner, E. Galliani, C. Tomat

Définition

La distraction est un processus biologique de néoformation osseuse entre deux segments osseux graduellement séparés par des forces de traction. La néoformation osseuse est induite par ces forces sur les cellules dotées d’ostéorégulation ; ces forces sont appliquées directement sur l’os par des appareillages dérivés de l’Hyrax® mais l’absence de suture naturelle nécessite une fragilisation osseuse donc un geste chirurgical. Cet os nouvellement formé va subir des phases de maturation puis de remodelage jusqu’à qu’il devienne indifférencié par rapport à l’os adjacent.

Depuis 14 ans, la correction des déficits de croissance ou des défects osseux du squelette maxillofacial a bénéficié des nombreux avantages de la technique de distraction osseuse :

• créer de novo l’os basal ou alvéolaire en évitant de recourir à des greffes osseuses quelle que soit la nature de l’os, qu’il s’agisse d’une greffe osseuse préalablement mise en place sans potentialité de croissance ou d’os irradié ;

• pouvoir appliquer cette procédure très précocement dès les premiers mois de la vie, pendant la phase de croissance sans attendre la fin de celle-ci en évitant de laisser en place définitivement des matériels d’ostéosynthèse pouvant entraver la future croissance osseuse (notion de chirurgie interceptive) ;

• permettre un allongement progressif des parties molles (enveloppes musculaires, nerfs…) suivant l’allongement osseux ce qui a pour conséquence de diminuer l’effet de rappel en particulier musculaire et donc de diminuer l’importance ou la survenue de récidive partielle dans les grands déplacements osseux ;

• respecter, par le caractère progressif de l’allongement osseux, l’adaptabilité des articulations temporomandibulaires et l’étirement physiologique des nerfs en particulier du nerf alvéolaire inférieur ;

• n’avoir aucune limite théorique dans l’amplitude de l’allongement qui dépend uniquement de l’appareil de distraction mis en place ;

• diminuer les troubles de la sensibilité de la pulpe dentaire, contrairement à la chirurgie orthognathique.

Protocole de distraction

La distraction active commence 4 à 7 jours après le geste chirurgical d’ostéotomie à raison de 1 mm par jour en règle générale, en une à deux fois pour ménager le seuil douloureux. Cette phase active est arrêtée une fois l’allongement désiré obtenu, contrôlé morphologiquement et occlusalement avec souvent une discrète surcorrection.

La phase de contention dure environ 4 semaines chez l’enfant, 8 semaines chez l’adulte. Elle peut être prolongée si nécessaire. L’utilisation d’élastiques permet de modeler le cal et de corriger certains troubles occlusaux après l’ablation du distracteur ou lorsque sa fixation aux segments osseux a été intentionnellement réduite.

Limites de la distraction

• Nécessité d’un stock osseux suffisant demandant à être allongé (impossible à utiliser devant les absences totales de ramus type microsomie hémifaciale Pruzansky 3).

• Absence d’effet volumétrique sur les parties molles, uniquement extension contrairement à ce que les premiers résultats de McCarthy laissaient espérer.

• Effet starter non systématique sur la croissance du côté atteint, opéré et distracté. Le différentiel de croissance de la zone hypoplasiée par rapport à la zone saine réapparaît souvent entraînant une récidive partielle en raison du programme génétique héréditaire. Cet effet starter est, cependant, observé lorsque les conformateurs organofonctionnels (musculaires) sont présents. Si la distraction est réalisée en période de croissance, elle doit donc être considérée comme une première étape d’un protocole finissant après la phase de croissance.

• Caractère douloureux pendant la phase active conduisant à des protocoles antalgiques.

• Importance de la durée globale de traitement additionnant le temps de latence, le temps d’élongation, le temps de consolidation.

Indications

Dans les premiers mois de la vie ou les toutes premières années, cette procédure est utilisée dans le cadre des troubles respiratoires obstructifs du sommeil par rétrécissement majeur de la filière naso-pharyngolaryngée (cranio-facio-sténose, rétromaxillie, rétromandibulie dans le cadre des syndromes de Treacher-Collins…) pour éviter ou supprimer une trachéotomie.

En période de croissance, les indications sont portées :

• devant la sévérité constatée du déficit squelettique, un décalage des bases osseuses supérieur à 8 mm entraîne un trouble occlusal majeur. Il crée des déformations des pièces squelettiques adjacentes : déficit de croissance du ramus dans les microsomies hémifaciales empêchant la croissance du maxillaire homologue ou par un effet de scissor bite d’un côté et de cross bite de l’autre, une bascule complète du plateau maxillaire ;

• devant l’impossibilité de réaliser un traitement orthodontique ;

• devant les conséquences psychologiques parfois majeures de la malformation, rendant difficile la vie sociale et la scolarisation (asymétrie faciale, face concave de rétromaxillie dit de « vieillard édenté ») mais cette procédure doit toujours être mise en balance avec les alternatives possibles, en particulier un traitement orthopédique de relance de la croissance ;

• après la phase de croissance, lorsque la chirurgie conventionnelle associée à l’orthodontie est impossible à réaliser ou a été un échec, lorsque l’avancement osseux nécessaire est supérieur à 10 mm (dans certaines rétromandibulies syndromiques ou lors de l’allongement de greffes osseuses ou ostéochondrales dont la croissance ne s’est pas effectuée).

Présentation des indications actuelles de la distraction

Encombrement dentaire mandibulaire antérieur – sélection des patients (cas clinique 1)

Ces encombrements dentaires mandibulaires antérieurs sévères se rencontrent essentiellement dans des formes syndromiques type Hanart, Silver-Russel, Freeman-Sheldom, dans les cranio-facio-sténoses mais aussi dans des formes non syndromiques. Pour poser l’indication d’une distraction, il faut suivre l’arbre décisionnel suivant :

• éliminer les autres possibilités thérapeutiques comme le stripping, les extractions dentaires ou l’expansion orthodontique (qui reste limitée) en tenant compte de leur stabilité à long terme ;

• rassembler les critères d’indication de distraction ostéogénique :

– déficience supérieure à 5 mm,

– manque d’expansion latérale comme on le constate dans les syndromes de Brodie,

– nécessité d’une chirurgie interceptive permettant la mise en place d’un maximum de dents sur l’arcade. Cette technique reste utilisable après la fin de la croissance dans les formes syndromiques ;

• une fois les critères de distraction retenus, il faut choisir le type de distracteur : à appui osseux ou dentaire ou dento-osseux. Il faut préciser le type d’ostéotomie médiane ou paramédiane. Cette dernière a une action plus importante sur l’expansion du même côté.

Il existe comme après toute distraction une différence entre l’écart obtenu sur le distracteur et l’élargissement constaté en particulier au niveau canin et surtout au niveau molaire. Certaines manœuvres permettent d’y remédier soit en écartant immédiatement de façon importante le foyer de fracture, soit en changeant en cours de distraction la vis d’activation centrale, pour augmenter les capacités du distracteur, soit en poursuivant le traitement orthodontique d’expansion après l’ablation du distracteur.

Le traitement orthodontique de l’arcade inférieure est commencé en règle générale 4 semaines après l’ablation du distracteur (après utilisation d’un distracteur à appui dentaire, les dents peuvent être mobiles). La distraction symphysaire doit être parfois précédée ou accompagnée par une expansion classique ou une disjonction du maxillaire.

Rétromaxillie

L’hypoplasie maxillaire sévère est observée essentiellement dans les fentes, syndromiques ou non, dans les cranio-facio-sténoses ou parfois dans le cadre d’hypoplasie familiale ou sporadique. Pour poser l’indication d’une distraction, il faut suivre l’arbre décisionnel suivant :

• éliminer les autres possibilités thérapeutiques : traitement orthopédique par masque de Delaire, compensation dento-alvéolaire, en tenant compte de la possibilité d’une chirurgie orthognathique en fin de croissance et d’une profiloplastie ;

• rassembler les critères d’indication de distraction ostéogénique :

– overjet déjà important, supérieur à 8 mm, qui va s’aggraver inexorablement par manque de coordination maxillomandibulaire,

– impossibilité d’un traitement orthodontique,

– demande du patient et des parents pour une amélioration morphologique permettant une meilleure intégration de l’enfant dans la vie scolaire sans attendre la fin de la puberté ;

• l’avancée maxillaire par distraction est différente d’une avancée orthopédique, car elle avance les bases osseuses et dans le même temps les procès alvéolaires avec création d’os dans la région ptérygomaxillaire, gage d’une stabilité de l’avancée réalisée. Ce geste peut être effectué en cours de croissance sans laisser de matériel d’ostéosynthèse ou en fin de croissance, surtout si la compétence vélopalatine risque d’être décompensée par l’avancement secondaire à une chirurgie conventionnelle ;

• une fois l’indication de la distraction posée, il faut préciser le tracé d’ostéotomie qui est celui d’une ostéotomie classique de Le Fort I, et un peu plus haut si l’on intervient chez l’enfant pour ménager les racines et les germes dentaires. Il faut choisir le type de distracteur :

– distracteur extra-oral, utilisé encore par la grande majorité des opérateurs. Les appuis sont crâniens, le plus souvent bitemporaux (RED System®). Il se compose d’une ou de deux tiges verticales médianes (pour les Le Fort II et Le Fort III) reliées à un double arc dentaire :

– les avantages sont la facilité de mise en place et de dépose, la modification théorique du vecteur de distraction tout au long de la phase d’avancement,

– les désavantages sont nombreux : la fixation au crâne reste grevée de complications, la scolarisation est impossible pendant le port du halo. Il existe un impact psychologique important qui conduit à une dépose plus précoce et au remplacement durant la phase de contention par un masque de Delaire ;

– distracteur interne : la tendance est donc d’évoluer vers les distracteurs internes dont certains ont une capacité de distraction illimitée avec un appui non plus crânien mais zygomatique endobuccal avec une tige verticale toujours reliée au double arc (cas clinique 2).

Lorsque l’ancrage dentaire est impossible ou insuffisant, il faut utiliser un distracteur à appuis osseux au-dessus et en dessous du trait d’ostéotomie dont le dessin est plus complexe chez l’enfant car il doit tenir compte des germes dentaires.

Une seconde intervention est nécessaire pour retirer un distracteur interne mais la phase de contention peut être prolongée ce qui améliore la stabilité du résultat.

Asymétrie mandibulaire par hypoplasie

Cette asymétrie appartient au tableau clinique des microsomies hémifaciales ou des séquelles d’ankylose post-traumatique ou postinfectieuse chez l’enfant.

Il faut éliminer certains pièges :

• écarter une hypercondylie controlatérale ;

• tenir compte de l’absence de parallélisme anatomoclinique, fréquemment constaté dans les hypoplasies mandibulaires congénitales. La décision chirurgicale doit rester essentiellement clinique. En effet, les hypoplasies majeures du ramus ne sont pas toujours à l’origine d’une asymétrie mandibulaire ; une position plus basse du condyle temporal, une augmentation importante de l’interligne articulaire, un coroné servant de pivot articulaire, qui vont compenser le déficit de hauteur, et le niveau asymétrique des deux angles mandibulaires. Il peut n’y avoir ni obliquité du plan occlusal,

ni déviation menton et des points interincisifs. Une distraction n’est donc pas nécessaire même si l’hypoplasie du ramus est patente (cas clinique 3) ;

• distinguer les asymétries mandibulaires avec anomalies radiologiques mais dont la croissance peut être stimulée par un traitement orthopédique (microsomies hémifaciales ou pseudo-microsomies hémifaciales) ;

• apprécier les anomalies associées qui ne sont pas traitées par le geste osseux et participent pourtant à l’asymétrie : importante hypoplasie des parties molles, atteinte du nerf facial, aplasie du muscle triangulaire du menton ;

• rechercher des compensations occlusales, en particulier dans les formes unilatérales. Les critères occlusaux sont parfois en opposition avec les objectifs morphologiques et peuvent faire modifier le type et la date de la distraction. Dans les microsomies hémifaciales, la ligne médiane interincisive inférieure ne correspond pas toujours avec le milieu du menton. Or, l’objectif principal pour le patient, et donc pour le chirurgien, est de corriger la déviation du menton et de recentrer les points interincisifs. L’effet d’une distraction du ramus est complexe : il y a allongement, avancement mais aussi rotation controlatérale et latérodéviation vers le

côté sain. Cela se traduit par un recentrage du menton, un glissement controlatéral de la ligne médiane interincisive et un possible articulé croisé postérieur controlatéral à la distraction. Si avant la distraction, les compensations occlusales ont placé le patient dans une relation adaptée, le point médian interincisif peut se retrouver très décalé du fait de la distraction ;

• préciser l’hypoplasie mandibulaire osseuse et son accessibilité à une amélioration par distraction. En effet, le déficit de hauteur du ramus, même dans les formes unilatérales, s’accompagne souvent d’une échancrure pré-angulaire importante qui crée à elle seule la majeure partie de l’asymétrie. Cette échancrure peut aussi entraîner un manque de relief et surtout de hauteur du corpus. Cette anomalie ne peut être totalement corrigée par une simple distraction du ramus et rend nécessaire un geste complémentaire ultérieur. Dans les microsomies hémifaciales, la position médiale du ramus participe à l’hypoplasie du galbe de la joue et n’est pas toujours complètement corrigée, malgré l’effet tridimensionnel de la distraction, quel que soit le type de distracteur.

Il faut évoquer les autres possibilités thérapeutiques, en particulier par le traitement fonctionnel, en sachant que le résultat est souvent décevant pour les formes unilatérales.

Il faut rassembler les critères des formes sévères d’hypoplasie qui justifient l’indication d’une distraction :

• l’élévation de l’angle, la déviation du point menton du côté atteint, l’obliquité ascendante du plan occlusal vers le côté atteint (plans occlusaux mandibulaire et maxillaire plus ou moins parallèles) ;

• l’élévation de la commissure labiale, la diminution de hauteur de l’étage moyen de la face du côté atteint (retentissement maxillaire, analyse de l’orifice piriforme) ;

• les troubles occlusaux pernicieux qu’il sera difficile de traiter secondairement comme la bascule du plateau maxillaire, en particulier lorsque l’hypoplasie du ramus est compensée par une déviation de la ligne interincisive du côté opposé conduisant à des scissor bite et cross bite ne pouvant pas être traités orthodontiquement, ou lorsque la ligne interincisive reste du côté de l’hypoplasie, un freinage de la descente verticale du maxillaire du côté atteint entraînant alors une bascule inverse (cas clinique 4) ;

• la demande du patient. La dimension psychosociale joue aussi un rôle, en particulier dans la détermination de la date de la distraction. Une étude rétrospective effectuée à l’hôpital Armand-Trousseau sur 28 patients distractés pour des anomalies craniofaciales a montré que 81 % des enfants souffraient de leur apparence faciale, avec des effets négatifs sur leur propre représentation se traduisant par une perte de confiance, des relations difficiles avec autrui, une peur de ne pas réussir du fait de leur aspect physique. La demande du patient est essentiellement esthétique pour « être comme tout le monde », « avoir un visage enfin ». Il faut intervenir avant que la blessure narcissique ne soit définitive. Il faut aussi s’assurer de la coopération et l’adhésion au projet chirurgical et souvent orthodontique. Tout cela explique que, dans les formes sévères où un geste précoce est requis, la première distraction est réalisée vers 5 ou 6 ans (cas clinique 5).

Une fois l’indication de distraction posée, il faut choisir le tracé d’ostéotomie, sa localisation, le type du distracteur en fonction de la localisation de l’hypoplasie et surtout des répercussions occlusales. On va ainsi différencier deux types de patients :

• dans le premier type (cas clinique 6), une distraction du ramus va résoudre dans le même temps les problèmes occlusaux et morphologiques. Les anomalies occlusales et morphologiques (menton et ligne interincisive inférieure, situation plus haute de l’angle mandibulaire, élévation discrète de la commissure labiale) « désignent » le côté atteint ;

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