48: Brève histoire de la victimologie


Brève histoire de la victimologie



Apparue au milieu du XXe siècle, la victimologie est l’une des disciplines scientifiques les plus en vue relativement à la compréhension et au traitement du phénomène criminel. Très curieusement, elle fut occultée par les chercheurs durant de longues décennies, leurs travaux portant très massivement sur les infracteurs. Les premières études en victimologie ont vu le jour après la seconde guerre mondiale, ce qui n’est pas vraiment un hasard au regard des crimes atroces dont a souffert un nombre considérable de victimes, de l’holocauste comme des faits de guerre, toutes victimes dans leur chair, dans leur dignité humaine, dans leurs biens socioculturels au sens large. Et parmi celles-là, les pionniers de la victimologie eux-mêmes.


Après maintes oppositions, dont certaines ne sont pas éteintes, il convient de considérer la victimologie comme une branche de la Criminologie, en totale complémentarité avec l’agressologie, dans leurs dimensions générale et clinique respectives. Naturellement, de la définition de la victime (Cario, 2012) découle celle de la victimologie, laquelle doit circonscrire son domaine, comme toutes les autres sciences criminelles, aux transgressions des valeurs sociales essentielles (Cario, 2008). Dans cet esprit, la victimologie peut être définie comme la discipline scientifique multidisciplinaire ayant pour objet l’analyse globale des victimisations, sous leur triple dimension individuelle, collective et sociale, dans leur émergence, leur processus, leurs conséquences et leurs répercussions, afin de favoriser leur prévention et, le cas échéant, la réparation corporelle, psychologique, sociale et/ou matérielle de la victime et/ou de ses proches.


La définition victimologique conduit de surcroît à considérer « l’aide aux victimes », au sens large, comme un ensemble d’activités, d’informations, d’accompagnements, de soutiens et, le cas échéant, de suivis au regard des réels besoins des victimes, dans l’ordre juridique, médical, psychologique et social. Les services d’aide aux victimes ont vocation à mener cette mission généraliste, en partenariat avec les réseaux professionnels institutionnels ou associatifs plus spécialisés, ainsi qu’avec les associations de victimes dont les objectifs doivent néanmoins être très nettement distingués.


La nécessaire complémentarité entre agressologie et victimologie souligne peut-être davantage encore la pertinence de l’approche globale et intégrée du crime, sous sa double dimension agie et subie, pour une meilleure connaissance des caractéristiques psychologiques et sociales des uns comme des autres qui, en ce qui touche aux atteintes graves aux valeurs essentielles pour le moins, n’entrent pas et ne demeurent pas dans le conflit d’ordre criminel par hasard ou par déterminisme biopsychologique, socioéconomique ou culturel. En totale harmonie, l’agressologie et la victimologie doivent promouvoir, avec des stratégies de prise en compte adaptées, le retour d’êtres humains parmi les autres êtres humains (Dubec et al., 1992).


Pour se développer sur une courte période, l’histoire de la victimologie a été traversée par une double rupture épistémique : la première provient des travaux féministes et la seconde, en cours, de ceux des restaurativistes. En d’autres termes, si l’accent fut essentiellement mis sur la culpabilité de la victime dans un premier temps, sa vulnérabilité (sous de multiples formes) démontrée a conduit, à l’opposé et dans un second temps, à privilégier sa prise en compte en qualité de personne victimisée. La seconde rupture développe actuellement toutes ses promesses. Fruit des avancées théoriques de la philosophie et des pratiques restauratives, elle prône la nécessité d’une régulation globale du conflit, en ayant le souci de tous les protagonistes.



La culpabilité de la victime d’infraction


Les premières recherches entreprises en victimologie sont nettement étiologiques. La question centrale demeure celle du rôle tenu par la victime dans le déclenchement et/ou le déroulement de l’acte criminel. La plupart des auteurs se sont attachés, par la construction de typologies plus ou moins sophistiquées, à déterminer, en termes de « cause » du passage à l’acte, la part de culpabilité encourue par la victime, diminuant d’autant celle de l’infracteur. De Von Hentig (1948) et Ellenberger (1954) à Schafer (1968), en passant par Mendelsohn (1956) et Fattah (1966, 1996) notamment, diverses échelles ont été élaborées pour la mesurer.


Pour constituer un progrès remarquable dans la connaissance victimologique, de tels apports doivent être nuancés, au regard de la radicalité de certains d’entre eux : la victime « le plus coupable ou uniquement coupable » car agissant en état de légitime défense, la victime affichant des « prédispositions générales ou spéciales » à la victimisation comme encore la victime « récidiviste », notamment. Dans le même sens, les premières études menées sur le couple pénal autour du concept de « victime précipitante » méritent d’être accueillies avec prudence (Wofgang, 1958; Amir, 1971).


Il demeure que des résultats particuliers sont aujourd’hui toujours d’actualité, pour peu qu’ils soient gommés de leurs excès et insuffisances. Malheureusement, la recherche victimologique semble aujourd’hui en panne d’inspiration scientifique. En effet, revisitées à l’aune des connaissances psychologiques et sociales aujourd’hui disponibles, quelques propositions de cette « première victimologie » présentent un intérêt certain, comme par exemple : le type criminel-victime (doer-sufferer) qui, selon les circonstances, conduira de l’état d’infracteur à celui de victime – et réciproquement – de manière successive, simultanée ou par la manifestement brutale d’un aspect inconnu de la personnalité; les interrelations entre infracteurs et victimes; les aspects généraux du contexte victimogène, d’ordre sociodémographique et/ou culturel (Shoham and al., 2010; Rodriguez Manzanera, 2010; Lopez, 2011; Cario, 2012).


D’inspiration assez strictement positiviste, ces approches de surcroît ont fait l’objet de vives contestations féministes autour de la notion de « couple pénal », au début des années 1970. Proche parfois des problématiques de genre, très influentes à l’époque, elles ont conduit à déplacer, très empiriquement, les observations vers les réalités du phénomène et, surtout, vers le vécu et l’expérience des victimes d’actes criminels, accablées de vulnérabilités.



La victimisation de genre et l’aide aux victimes


Les travaux des victimologues féministes ont en effet été déterminants à ces égards (Clark, Lewis, 1977). Ils ont très certainement permis à la victimologie de conquérir une autonomie légitime. Néanmoins, la riposte opposée à « l’art de blâmer les victimes » décourage sans doute aujourd’hui encore un investissement scientifique de profondeur des chercheurs en victimologie, fustigeant parfois eux-mêmes cette posture « victimagogique ».


Pour l’essentiel, les critiques se sont tout d’abord focalisées sur le couple pénal. Cristalliser la relation criminel-victime autour de la recherche de la culpabilité de cette dernière a pu conduire à des propositions inacceptables. Que le crime soit « précipité/catalysé » par la victime n’enlève rien à la volonté consciente de l’auteur de l’infraction d’accomplir un acte illicite, en tout cas dans les infractions volontaires, massivement concernées. Si la « psychodynamique » des deux protagonistes, comme la « sociodynamique » de la situation demeurent essentielles dans la compréhension de l’acte commis par l’infracteur, elles sont sans conséquence sur la victimisation elle-même, définitivement subie. En matière d’infractions (violences physiques, sexuelles, psychologiques) commises au sein de la famille, la domination du genre masculin est toujours flagrante. Céder à d’éventuelles tentations criminelles reste de la responsabilité de l’infracteur, pas de celle de la victime. Que le juge tienne pleinement compte de la situation criminelle, de manière globale, pour apprécier la sanction applicable à l’infracteur est légitime et justifié. Mais une telle recherche de sanction équitable est inopposable à la victime, chaque fois qu’elle a été injustement atteinte, plus ou moins gravement, dans son intégrité physique, psychique ou dans ses biens.


De manière toute aussi pertinente, les victimologues féministes se sont ensuite intéressées à la condition, si longtemps oubliée, voire négligée, de la victime des actes criminels, qu’ils soient reportés ou non, ou encore évacués en cours de procédure. La mise en place d’enquêtes de victimisation, à l’instar de celles de « délinquance autoavouée », a permis de mesurer l’ampleur du phénomène dans sa pleine réalité, notamment dans sa dimension jusqu’alors cachée pour de multiples raisons (honte, souillure, peur des représailles, ignorance des recours notamment). La victime est alors mieux connue, en termes de profil psycho-socio-culturel, reconnue surtout au travers des souffrances diversifiées, profondes et souvent durables qu’elle subit. Mais les enquêtes de victimisation révèlent encore, de manière incroyable, que lors de leur prise en charge par le système de justice pénale, du policier au juge (procureur, juge d’instruction, de jugement et de l’exécution des peines), elles sont frappées par une victimisation secondaire. Celle-ci se manifeste au travers de négligences graves, attentatoires à leur dignité même comme aux principes fondamentaux du procès équitable : dérision (quant à l’appréciation des faits reportés), provocation (quant à la « crédibilité » des déclarations), mépris (quant aux suites données à l’affaire et au déroulement du procès), abandon (quant au recouvrement des indemnisations obtenues)…


Fort de ces constats, les auteures défendent avec justesse la nécessité de prises en compte, nettement plus élaborées, sans aucun doute au plan juridicopénal (sanction de l’auteur et indemnisation de la victime) mais davantage encore aux plans psychologique et social (accompagnements professionnels des répercussions du crime). C’est alors que naissent les premiers services d’aide aux victimes de violences, provoquées massivement par le genre masculin, comme les mauvais traitements conjugaux et les agressions sexuelles.

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May 10, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 48: Brève histoire de la victimologie

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