47: Violences et homicides extrafamiliaux


Violences et homicides extrafamiliaux



Propos sur la typologie des homicides





Comme pour tout comportement complexe, ranger les conduites homicides dans un système de classification n’est pas simple : diversité des auteurs, des victimes, des motifs, des modes opératoires, des contextes socioéconomiques, démographiques, géographiques. Si l’affaire est résolue et le criminel identifié et arrêté, le classement typologique d’un homicide volontaire s’impose de lui-même, encore que parfois des zones d’ombre importantes peuvent subsister : refus d’explication du coupable, mobiles multiples ou complexes, cadavre de la victime introuvable… Si l’affaire n’est pas élucidée, restent les hypothèses des enquêteurs et le profil psychocriminologique de l’auteur élaboré par les services spécialisés par référence aux classifications établies à partir des crimes solutionnés ! Faisant abstraction des nomenclatures juridiques, nous nous en tiendrons ici aux taxonomies criminologiques et psychiatriques des meurtres les plus courants, excluant de ce fait les crimes contre l’humanité ou perpétrés en période d’émeute ou de révolution.



Homicide, suicide, accident, mort naturelle


Rappelons d’abord que la mort par homicide volontaire n’est pas toujours évidente et que nombre de situations laissent planer un doute certain sur la cause exacte du décès. À titre d’exemple, on connaît depuis longtemps les faux suicidés par pendaison qui ont été criminellement pendus ou accrochés à une corde après leur meurtre pour tromper les services enquêteurs. Certaines défenestrations, qui paraissent suicidaires ou accidentelles, sont en réalité des homicides volontaires. La « mort subite » du très jeune enfant n’est pas toujours aussi « naturelle » qu’elle devrait l’être, car étouffer un nouveau-né n’est pas techniquement difficile et laisse peu d’indices si l’on est habile. En sens inverse, certaines personnes mettent en scène leur suicide pour faire croire à un homicide, espérant ainsi se moquer des autorités ou faire accuser un innocent avec lequel elles sont en conflit (un héritier par exemple). L’histoire du crime est remplie ainsi de faux crimes, faux suicides, faux accidents, fausses morts naturelles…



Classification par style et type (FBI)


L’ensemble du monde de la criminologie a maintenant adopté la classification de Ressler et al. (1993), de l’Unité des sciences du comportement de l’Académie du FBI, cataloguant les homicides par style et type selon le nombre de victimes, d’actes criminels, de lieux d’exécution et selon l’existence d’une période de calme émotionnel entre les meurtres. Rappelons qu’après l’homicide unique, double ou triple, l’homicide de masse comporte au moins quatre victimes dans un même temps et un même lieu, alors que l’homicide de bordée se définit par au moins deux victimes dans un seul événement criminel mais dans au minimum deux lieux différents. L’homicide en série se caractérise par au moins trois homicides entrecoupés par un intervalle de temps et perpétrés chaque fois dans un lieu différent.



Classification par niveau d’organisation


Dans le même ouvrage, Ressler et al. (1988) divisent les auteurs d’homicides sexuels en deux catégories selon le profil criminologique de l’agresseur et les caractéristiques de la scène de crime : meurtrier organisé (acte prémédité, planifié, méthodique) et meurtrier désorganisé (acte imprévu, improvisé, désordonné). Nous-même, en 1992 puis en 1994, avons classé les meurtriers plus ou moins pathologiques en deux catégories extrêmes, tous les intermédiaires existant entre elles : criminel psychopathe et criminel psychotique. Le premier, souvent addictif et aux antécédents pénaux, peut agir pour des motifs rationnels (mode opératoire organisé) ou sous l’empire de la colère (mode opératoire désorganisé). Il ne souffre au temps de l’action ni de troubles mentaux aigus ni de symptômes délirants. Le second, au passé psychiatrique habituel, présente un état pathologique aigu ou chronique (maladie bipolaire, schizophrénie, paranoïa) ou des phénomènes confusionnels sévères. Incapable le plus souvent d’avoir un comportement cohérent et sous l’effet aggravant de l’angoisse et de la colère, il passe à l’acte violemment sur un mode désorganisé, le lieu du crime présentant un désordre important, sans mise en scène ni maquillage (Bénézech, 1994).


Dans un registre similaire, MacCulloch et al. (1995) classent les violences physiques multiples potentiellement meurtrières en deux sous-catégories : attaques non préméditées et attaques préméditées. Les premières témoignent d’une absence de préparation, d’un self-control faible ou absent, avec un lieu du crime non choisi, la victime étant connue de son agresseur et frappée avec une arme trouvée sur place. Le crime est désorganisé et les violences sont aléatoires. Les diagnostics psychiatriques courants chez les agresseurs sont l’état maniaque, les troubles mentaux organiques, la schizophrénie paranoïde et non paranoïde, les troubles de la personnalité, les tumeurs cérébrales, le retard mental, les traumatismes crâniens et intoxications, l’abus et dépendance à l’alcool et aux drogues. En ce qui concerne les attaques préméditées, il existe une préparation soigneuse, un bon self-control mais une évolution est possible vers la fureur, un lieu du crime préparé. L’agression est planifiée, organisée avec contrôle et violences systématisées, commises au moyen d’une arme amenée et ramenée après les faits, sur une victime inconnue quoique sélectionnée. Les diagnostics courants chez les agresseurs sont l’état dépressif, l’état maniaque, la schizophrénie paranoïde, les troubles de la personnalité, l’abus et dépendance à l’alcool et aux drogues (McCulloch et al., 1995).



Classification par mobile (FBI)


C’est le classement du FBI qui nous semble le plus complet et le plus précis, encore qu’il ne réponde pas suffisamment à la réalité occidentale et française. Nous en donnons simplement ici les très grandes lignes. Ressler et al. (1993), dans la première édition du Crime Classification Manual, divisent les homicides volontaires en quatre grandes catégories :




L’homicide par motif personnel


L’acte découle d’une agression interpersonnelle résultant d’un conflit émotionnel, sans notion de mobile matériel, sexuel ou de groupe. Cet homicide comprend neuf sous-catégories : érotomaniaque (fixation fusionnelle ou érotomaniaque sans attrait sexuel), domestique (au sein d’un ménage, d’une même famille), par dispute ou conflit (entre personnes non apparentées), par autorité (lien d’autorité symbolique ou réel entre l’auteur et sa victime), par vengeance (en représailles d’un tort supposé ou réel causé au criminel ou à un de ses proches), sans mobile spécifique (irrationnel, mobile connu seulement de l’agresseur solitaire et excentrique), extrémiste (idéologie politique, religieuse ou socioéconomique), euthanasique ou héroïque (abréger les souffrances, compassion, pouvoir pour le premier, état critique créé par l’auteur qui tente ensuite de sauver sa victime pour le second), d’otage (victime capturée sur place par vengeance ou conflit).




L’homicide par motif de groupe


Il concerne au moins deux personnes ayant une idéologie commune qui autorise l’acte criminel. Cet homicide, qui vise à sanctionner un ou plusieurs de ses membres dissidents ou de la communauté sociale, comprend trois sous-catégories : de culte (cause spirituelle sans notion de gain), extrémiste (paramilitaire ou d’otage, mobile politique, religieux, socioéconomique), par excitation de groupe (composante spontanée et contagieuse dans le groupe criminel).


Dans la 2e édition du Crime Classification Manual, Douglas et al. (2006) reprennent la même typologie générale en quatre grands groupes, mais individualisent une cinquième sous-catégorie d’homicide sexuel : Elder female sexual homicide. Il s’agit de l’homicide à connotation sexuelle de la femme âgée qui, le plus souvent, a lieu par étranglement et sans effraction au domicile d’une victime vulnérable vivant seule. C’est un crime généralement assez désorganisé, accompagné de vol, et perpétré par un agresseur jeune et toxicomane habitant dans les environs et inconnu de sa victime. Comme on le voit, la typologie du FBI est complexe. Elle compte 24 ou 25 sous-catégories d’homicides dont certains ne se rencontrent qu’exceptionnellement dans notre pays où les meurtres entre parents, proches et personnes connues constituent une part importante de la criminalité majeure. De nature médicolégale, objective et athéorique, ce classement fait peu de place aux facteurs psychopathologiques dont l’incidence sur les comportements violents n’est plus à démontrer. On trouvera dans une de nos publications antérieures les quelques notations psychiatriques de cette classification américaine (Bénézech, 1996).



Classification de l’homicide domestique


Il n’y a ici rien de bien original, ce type d’homicide étant malheureusement un des crimes le plus banaux dans nos sociétés européennes. On lui connaît quatre catégories principales : le meurtre d’un nouveau-né (néonaticide) par la mère le plus souvent, le meurtre d’un enfant (filicide) par l’un de ses parents, le meurtre d’un parent ou d’un grand-parent (parricide, matricide), le meurtre du conjoint (uxoricide pour la femme) par le partenaire ou l’ancien partenaire sexuel. Dans l’ensemble de ces homicides, deux pôles psychopathologiques sont importants. Dans les homicides d’enfants et de parents, il s’agit chez l’auteur des deux sexes (adolescent ou adulte) de la dépression et de la psychose (schizophrénie), alors que dans les homicides du partenaire ou de l’ancien partenaire sexuel, l’auteur souffre généralement de troubles de la personnalité (dépendante, psychopathique, narcissique) et de dépression (drame de la rupture). En moyenne, en France métropolitaine, une femme meurt tous les trois jours victime de violences conjugales, contre seulement un homme toutes les deux semaines. La séparation apparaît comme une période à risque puisqu’elle est directement impliquée dans près de la moitié des cas. Les agresseurs sont en inactivité professionnelle dans plus de 50 % de ces violences conjugales mortelles et l’alcool est présent dans au moins un quart des faits.



Classification des homicides pathologiques


De nombreux spécialistes se sont penchés sur les diverses catégories de meurtres et de meurtriers atteints de troubles mentaux. On en trouvera la revue dans une de nos recherches précédemment mentionnée (Bénézech, 1996). Citons simplement ici quelques auteurs classiques. Tardieu (1857) individualise clairement pour la première fois l’homicide sexuel (hétéro- et homo-) lorsque le meurtre a été précédé d’un viol ou d’actes contre nature. Lombroso (1895) donne la description du criminel né (fou moral et épileptique), du criminel par passion (force irrésistible), du criminel fou et du criminel d’occasion. Claude (1932), après avoir distingué les crimes passionnels et ceux en rapport avec les perversions sexuelles, rapporte les réactions médicolégales des diverses catégories d’aliénés mentaux : déséquilibrés, fous moraux, pervers, obsédés, persécutés, érotomanes, maniaques et mélancoliques, syphilitiques, déments précoces et séniles, encéphalopathes, alcooliques, toxicomanes.


Hesnard (1963) identifie le vol avec conduite homicide, le meurtre passionnel et pseudo-passionnel, les crimes spéciaux (parricide, infanticide), les meurtres idéologiques (religieux, politiques), les crimes de motivation partiellement névrotique et les crimes imparfaits (inachevés, non préparés, non volontaires). Guttmacher (1965) distingue onze types de meurtriers : normal, antisocial, alcoolique, par vengeance, schizophrène, passagèrement psychotique, suicidaire, gynocide, homosexuel, passif-agressif, sadique. Leyrie (1977) classe les auteurs d’homicides en quatre groupes :



Pour notre part, nous reconnaissons huit catégories cliniques d’homicides peu ou prou pathologiques :










L’homicide non classable ailleurs


Ce dernier groupe comprend une grande variété de crimes pathologiques qui ne correspondent pas toujours aux critères des définitions précédentes. Il s’agit par exemple des crimes des autistes adultes qui peuvent prendre trois formes cliniques : avec retard mental et colère (homicide impulsif), avec syndrome hébéphrénique (homicide psychotique non délirant), avec syndrome schizophrénique hallucinatoire (homicide psychotique délirant). On peut encore citer les meurtres perpétrés dans un moment de panique par un voleur pathologique surpris par le propriétaire ou un témoin, les meurtres sans motivation apparente chez l’adolescent psychologiquement fragile ayant gardé une importante fixation œdipienne à la mère, les meurtres des personnes infériorisées ou présentant des traits de personnalité passive-agressive, certains fratricides, etc.


Tel que pour les autres systèmes de classement, notre essai de catégorisation est bien entendu réductionniste. Le meurtre commis par des malades mentaux est, en effet, un phénomène très complexe qu’il est toujours arbitraire de réduire à quelques composantes permettant de le cataloguer plus aisément. Dans ce domaine, la réalité dépasse de loin la description clinique et criminologique qui en est faite. Par exemple, il est évident qu’un homicide passionnel possède généralement une forte connotation dépressive, la dépression étant d’ailleurs positivement corrélée avec les passages à l’acte homicides toutes catégories confondues (Bénézech, 1991). Le fréquent homicide-suicide est là pour nous le rappeler. De même, les homicides psychotiques, qui représentent en Europe environ 10 % de l’ensemble des homicides, répondent à de nombreux facteurs criminogènes généraux et psychopathologiques : anxiété, impulsivité, personnalité antisociale comorbide, abus de substances, dépression, délire de persécution, etc. (Bénézech et al., 2008).


Si cependant notre typologie nous semble correspondre, autant que faire se peut, à la réalité des homicides plus ou moins pathologiques, elle ne préjuge cependant en rien de la responsabilité pénale de leurs auteurs. En pratique expertale actuelle, seuls les criminels psychotiques ou dépressifs graves peuvent espérer bénéficier d’une décision d’irresponsabilité, à condition encore qu’il y ait une relation directe entre les troubles mentaux observés et les faits criminels.

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May 10, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 47: Violences et homicides extrafamiliaux

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