Violences et homicides intrafamiliaux
Violences familiales
Les violences familiales (violences sur enfant, violences incestueuses, violences conjugales) ont plusieurs caractéristiques spécifiques, dans l’ensemble des comportements violents :
• la première est qu’elles s’inscrivent dans un sous-ensemble de violences dans des systèmes clos (avec parallèlement les violences institutionnelles ou en milieu professionnel); sous ensemble qui a la particularité suivante : les dévoiler est un élément très fort de prévention, dans la mesure où elles se déroulent dans un espace restreint, facilement contrôlable, dès que la situation est repérée. La question de la précocité du dévoilement est donc une préoccupation centrale ;
• la deuxième caractéristique, c’est les différentes possibilités d’intervention judiciaire ;
• la troisième caractéristique, c’est qu’après le dévoilement, certains couples ou familles éclatent, et d’autres, parfois après un temps de latence choisi ou sur injonction judiciaire, reprenant la vie commune.
Pourquoi un si long silence entre la première violence et le moment du dévoilement ?
Quels sont les différents ressorts psychologiques de cette difficulté à dire ?
Il y a donc une difficulté à être lucide, au-delà de la répétition de la violence : un temps pour prendre conscience de ce qui se joue, de ce qui est peut-être la face cachée de l’autre, qu’on n’a pas vu, qu’on ne veut pas voir ou qu’on espère temporaire.
De cette difficulté à dire, découlent plusieurs messages sociaux à préconiser (et à discuter) :
• le premier message s’adresse à la victime. Tout faire pour « casser la bulle du silence : en parler à un membre de la famille, à un proche, à un professionnel, à un numéro anonyme (39 19) ;
• le deuxième message s’adresse à l’entourage, résultant de cette phrase de victime trop souvent entendue : « si quelqu’un avait deviné, je l’aurais dit plus tôt »; s’autoriser à deviner cette violence pour faciliter le fait d’en parler, avec un corollaire, s’interroger dans les cas de maltraitance sur un droit d’ingérence, trouver le moyen d’interpeller la victime, avec tact. C’est un questionnement qui renvoie chacun à la réflexion, et à l’éthique personnelle.
• soit orienter vers la comparution immédiate en cas de violences importantes ou d’antécédents du même type; le jugement ayant lieu à l’issue de la garde à vue ;
• soit convoquer l’auteur devant le tribunal correctionnel dans un délai de 2 mois maximum. Cette procédure peut être associée à un contrôle judiciaire socioéducatif qui permet au juge, dans l’attente de l’audience, d’éloigner l’auteur du domicile ou (et) de le soumettre à une obligation de soins ;
• soit proposer un classement sous condition. Dans une situation de premier épisode où les faits ne sont pas trop graves, c’est une alternative intéressante aux poursuites judiciaires. La procédure est alors adressée au délégué du procureur, qui soumet le classement à la condition d’un suivi, notamment psychologique.
Au moment du jugement, le tribunal correctionnel peut :
• soit renvoyer l’audience de jugement à une date ultérieure, ce qui permet de prolonger le contrôle judiciaire et l’obligation de soins ;
• soit ajourner le prononcé de la peine pour un délai de 6 mois à 1 an; le sujet interpellé étant soumis à une série d’obligations, dont l’obligation de soins ;
• soit prononcer la sentence avec sursis et mise à l’épreuve (SME) et définir une période pendant laquelle le sujet condamné est astreint à une série de contraintes, dont l’obligation soins.
De façon pragmatique, on peut définir des indications et des contre-indications.
Nous proposons donc quatre critères pour préciser une éventuelle indication de suivi de couple, parallèlement à un suivi personnel :
• reconnaissance par le sujet violent de son comportement violent (et que celui-ci a cessé) ;
• reconnaissance par l’agresseur d’une problématique propre ;
• appréhension par le sujet du retentissement psychologique du côté de la victime ;
• sensibilité du sujet violent au regard de ses enfants, au regard de ses proches.
Néonaticide et infanticide
Introduction, définition légale et terminologie
L’infanticide est un des crimes qui soulève dans l’opinion publique le plus d’incompréhension, effroi et interrogations, eu égard au caractère de la victime, qui demeure, dans la représentation collective, vulnérable, innocent, dépendant de la protection des adultes, et notamment de l’attention de leurs plus proches parents.
Dans son article 300, le Code pénal de 1810 qualifiait d’infanticide le meurtre d’un enfant nouveau-né. Les références criminologiques actuelles offrent d’autres repères en la matière (Dalloz, 2001) :
• l’infanticide, terme générique, qui définit le meurtre d’un enfant en général, ne préjugeant pas du lien qui unit l’auteur à sa victime ni de l’âge de celle-ci ;
• le néonaticide, en revanche, est le meurtre d’un nouveau-né dans ses 24 premières heures de vie. L’auteur est un parent au premier degré (Resnick, 1969) ;
• le filicide est le meurtre d’un enfant, quel que soit son âge, perpétré par sa mère ou son père ;
• enfin, le libéricide se définit comme le meurtre d’un enfant mineur par son père ou sa mère.
D’un point de vue légal, dans son article 221-1, le Code pénal français définit le meurtre par l’action de donner volontairement la mort à quelqu’un (homicide volontaire) et le distingue de l’assassinat qui lui est décrit comme un meurtre avec préméditation, relevant du « dessein avant l’action » (art. 132-72 du Code pénal). Selon l’article 221-4, des circonstances aggravantes, au premier rang desquelles on trouve l’âge de la victime, et notamment la victime mineure de moins de 15 ans, peuvent être retenues (Dalloz, 2001).
Données épidémiologiques
En 2010, on estime que 563 000 homicides, tous types confondus, ont été commis dans le monde (soit 10,5 pour 100 000 habitants) (Center for disease control and prevention, 2013), avec un ratio homme-femme de 3,4. Certains sous-groupes de la population, dépendamment de leur âge et de leur genre sont susceptibles d’être surreprésentées parmi les victimes d’homicides (Reza, et al., 2001). Ainsi, à l’échelle mondiale, le taux d’homicide, dont l’auteur est une femme, est plus élevé pour les victimes âgées de 0 à 4 ans (8,7 pour 100 000). Il existe des disparités géographiques marquées, en fonction, entre autres, des contextes culturels (Chine : 15,5 pour 100 000; Pays de l’Europe de l’Est : 15,0 pour 100 000; Inde : 12,3 pour 100 000).
Même s’il existe une certaine hétérogénéité des chiffres avancés dans la littérature scientifique concernant les meurtres d’enfants en général (sans présumer du lien avec l’auteur), il semble que ces derniers ne représentent qu’une faible proportion du total des homicides, et dont la prévalence avoisine 5 %. En effet, Flynn et al. ont étudié 2 260 meurtres commis en Royaume-Uni et au Pays de Galles entre 1996 et 2001 (Figure 46.1), et parmi lesquels 112 (5 %) sont des meurtres d’enfants. Ils notent que l’âge des enfants victimes est, dans 44 % des cas, inférieur à 3 mois, et pour seulement 22 % des cas supérieur à 1 an (Flynn, et al., 2007). De même, dans une série de 70 filicides finlandais, les mêmes proportions sont retrouvées : 37 % des enfants étaient tués avant l’âge d’1 an et 79 % avant l’âge de 5 ans (Vanamo, et al., 2001). La plupart des infanticides sont commis dès les premiers instants de vie, et le risque de voir perpétrer un tel geste s’amoindrit à mesure que l’enfant grandi.
La journée au cours de laquelle une personne a le plus haut risque d’être tuée est en effet le premier jour de sa vie (Marks, et al., 1993). Ainsi, Resnick a consacré le terme « néonaticide » pour décrire le meurtre de nouveau-né dans les premières 24 heures de vie (Resnick, 1969). Les taux de néonaticide seraient sous-estimés dans les études épidémiologiques (Botash, et al., 1998; Newton, et al. 2006), en raison des cas de néonaticides dissimulés, et de classification en mort accidentelle de certains cas effectifs de néonaticides. On note par ailleurs qu’il existe une hétérogénéité marquée du taux de néonaticide : chaque année aux États-Unis, 2,1 nouveau-nés pour 100 000 naissances sont tués ou décèdent dans les suites d’un abandon précoce (Herman-Giddens, et al., 2003), alors que ce même taux se situe entre 0,07 et 0,18 pour 100 000 naissances en Finlande (Putkonen, et al., 2007).
Dans plus de 70 % des cas d’homicides d’enfants âgés de moins de 5 ans, les parents sont les auteurs du crime : 26 % à 49 % sont imputables au père et 41 % à 61 % à la mère (Tableau 46.I) (Vanamo et al., 1970; Putkonen et al., 2009; Kauppi et al., 2010). Cette dernière est, de façon significative, plus souvent l’auteur du filicide que le père, et ceci est une donnée constante dans la littérature (Vanamo et al., 1970; Putkonen et al., 2009; Kauppi et al., 2010), d’autant plus que l’enfant est jeune. Sur les 56 néonaticides d’une série de 200 meurtres d’enfants en Finlande, 52 cas étaient le fait de la mère (Kauppi et al., 2010).
Clinique du néonaticide
Nous n’aborderons ici que ce qui concerne le néonaticide commis par la mère, et dans les pays occidentaux. Comme nous l’avons déjà précisé, les parents ayant commis un geste homicide sur leur nouveau né sont en effet majoritairement les mères (Rodenburg, 1971; Marks et al., 1993; 1996), même si ont été décrits des cas de participation paternelle au geste hétéroagressif, ce qui reste marginal (Adelson, 1991; Kaye et al., 1990; Resnick, 1970). Les cas de néonaticides paternels, sans participation maternelle, sont encore plus rares.
Données sociodémographiques
Dans l’étude princeps de Resnick déjà citée, les mères qui ont commis des néonaticides étaient caractérisées par leur jeune âge (entre la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte) et le célibat. Même si cette donnée relative à l’âge maternel est constante dans la littérature, certaines études font état d’une plus grande disparité quant à cette variable. Le pourcentage de cas pour lesquels l’enfant victime est un premier-né varie entre 35 à 82 % dans la littérature scientifique (Herman-Giddens et al., 2003; Putkonen et al., 2007; Mendlowicz et al., 1999; Mendlowicz, et al., 1998).
Selon les études, 50 à 88 % des femmes auteures de néonaticide sont célibataires (Herman-Giddens et al., 2003; Putkonen et al., 2007; Friedman et al., 2009; Mendlowicz et al, 1998), et près de la moitié vivent au domicile de leurs parents. Un faible niveau d’instruction et d’éducation de la mère auteure de l’homicide est aussi une constante (Mendlowicz, et al., 1998). Ces femmes ne sont en général pas connues pour avoir perpétré antérieurement des gestes violents, transgressifs, judiciarisés ou non (Amon et al., 2012).
Données concernant le contexte de la grossesse
La grossesse surviendrait plus précocement au cours de la vie, pour les mères qui commettront un néonaticide à son issue, que dans une population contrôle représentative de la population générale (Amon et al., 2012). Cette grossesse ne bénéficie classiquement pas d’un suivi obstétrical adéquat, ou de soins prénataux indiqués. Un élément explicatif de ces derniers constats peut être la fréquence élevée, chez les femmes ayant commis un néonaticide, d’un déni et/ou d’une dissimulation de l’état de grossesse (voir plus loin). On notera que seule l’absence de soins prénataux constitue un facteur prédictif statistiquement valide de néonaticide (Friedman et al., 2009; Amon, et al, 2012. Dans une étude récente sur 32 cas de néonaticide en Finlande, Putkonen et al. retrouvaient chez la majorité de ces femmes, de mauvaises relations, voire l’absence de relation avec le père de l’enfant à naître (Bonnet, 1993). Le motif invoqué était le plus souvent une grossesse non planifiée, survenue malgré l’usage d’une méthode contraceptive (Amon et al., 2012).
Le déni de grossesse, défini comme une méconnaissance complète d’une grossesse au-delà du premier trimestre (Bonnet, 1993), se distingue de la dissimulation qui désigne un processus actif visant à cacher la grossesse (Friedman, et al., 2009). Pour autant, la plupart des études portant sur le néonaticide n’ont pas distingué le déni de la dissimulation, bien que les processus psychologiques impliqués soient différents, même s’ils peuvent régulièrement coexister (Friedman, et al., 2007; Spinelli, 2010). Pour cette raison, certains auteurs ont récemment utilisé le terme de « négation » plutôt que celui de déni ou dissimulation (Beier et al., 2006). Le déni de grossesse se caractérise classiquement par la discrétion des signes physiques liés à la grossesse, et des métrorragies qui peuvent persister jusqu’à la fin de la grossesse. Les mouvements fœtaux ne sont pas ou peu ressentis, niés ou assimilés à des troubles digestifs. Dans la majorité des cas, le déni est spontanément levé vers le 4e mois, et l’on parle de déni partiel. Dans d’autres cas, le déni est total, et persiste jusqu’à l’accouchement (Bonnet, 1993). C’est dans ce dernier cas que le risque de geste néonaticide est réputé le plus important.
Données criminologiques
Dans la grande majorité des cas, les mères qui n’ont pas décelé leur grossesse ou l’ont dissimulée accouchent seules (Yamauchi et al., 2000). La grossesse est considérée comme une sorte de « malédiction », avec incapacité de la femme à se confier à quiconque ou d’entreprendre la moindre action pour changer quelque chose du cours des événements. Se confinant dans une sorte de pensée magique, elles entretiennent l’idée que la grossesse pourrait disparaître. Elles accouchent alors « clandestinement » et sont prises de panique en présence de l’enfant vécu, comme une menace. Le crime a lieu au domicile de l’auteur, dans la salle de bain, les toilettes, plus rarement dans une autre pièce de la maison (Mendlowicz et al., 2000; Yamauchi et al., 2000). De rares cas de néonaticide survenant dans des établissements de soins ont été rapportés (Mendlowicz, et al., 2000). Bonnet (1993) distingue le néonaticide « actif », incluant un geste meurtrier, du néonaticide « passif », négligence extrême et abandon. Les deux causes principales de décès sont en effet l’absence de premiers soins (entraînant hypothermie, déshydratation) et l’asphyxie provoquée par strangulation ou suffocation (Herman-Giddens et al., 2003). Les décès par immersion ou traumatismes (notamment craniocéphaliques) sont des causes moins fréquentes. Enfin, rappelons que des néonaticides multiples lors de grossesses successives, en « série », ont été décrits dans la littérature (Putkonen et al., 2007; Yamauchi et al., 2000).
Contexte psychiatrique
Contrairement aux meurtres d’enfants plus âgés (Friedman et al., 2005), il semble que la littérature ne relève qu’une faible proportion de femmes auteures de néonaticide atteintes d’un trouble mental grave (Friedman et al., 2005; 2009). Les troubles mentaux les plus représentés dans cette population sont les troubles de l’humeur caractérisés (épisode dépressif surtout) et les troubles psychotiques (Amon et al., 2012). Les troubles de la personnalité seraient assez fréquents parmi les mères auteures de néonaticide (Putkonen et al., 2007; 2009) (Tableau 46.II).
Tableau 46.II
Diagnostic psychiatrique des auteurs de néonaticides examinés en unité médicolégale finlandaise (n = 14) (Putkonen et al., 2007).
Diagnostic psychiatrique | N (%) |
Trouble psychotique. | 4 (29) |
Dépression psychotique du post-partum. | 3 (21) |
Psychose non spécifiée. | 1 (7) |
Trouble de la personnalité | 10 (71) |
Non spécifié. | 6 (43) |
Personnalité borderline. | 4 (29) |
Abus de substances psychoactives | 1 (7) |
L’acte du néonaticide, commis par définition dans le premier jour de vie de l’enfant, survient donc bien avant l’émergence d’un éventuel épisode psychotique ou thymique du post-partum, qui n’est pas le facteur déterminant du geste, dans l’immense majorité des cas. Le suicide de la mère est un comportement postinfractionnel rare, peu documenté dans les cas de néonaticides, contrairement aux filicides maternels, après lesquels 16 à 29 % des mères se suicident (Porter et al., 2010).
Sur le plan psychologique, les mères néonaticides apparaissent carencées sur le plan affectif, dans l’inhibition et la répression de leurs émotions, en situation de fréquente dépendance affective, avec parfois la crainte d’être abandonnées par un conjoint ayant laissé entendre qu’il ne voulait pas d’(autre) enfant (Porter et al., 2010).
Conclusion
L’hétérogénéité des données de la littérature, le caractère paradoxal ou « immotivé » attribué au néonaticide témoignent probablement de notre propre incompréhension face à un geste que nous ne pouvons le plus souvent pas prévenir. L’auteur d’un néonaticide ou infanticide partage des facteurs communs, généraux et aspécifiques, de tout meurtrier (Audition publique, 2011), mais s’en distingue aussi par les enjeux souvent inconscients que représentent la parentalité, la filiation et ses avatars narcissiques.
Références
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Le syndrome de Münchausen
Le syndrome de Münchausen appartient à la catégorie des troubles factices ou pathomimies dans les classifications psychiatriques internationales. Il se définit par la production ou simulation intentionnelle de signes ou de symptômes physiques ou psychologiques, conduisant à des investigations médicales multiples, inutiles et préjudiciables, sans motif autre que le fait de jouer le rôle de malade (American, 2000).
C’est un trouble qui a été individualisé pour la première fois en 1951 par Richard Asher, médecin interniste, pour décrire des cas cliniques d’automutilations associées à la présence de fabulations dans le récit des histoires de vie et à un nomadisme médical. Le nom lui a été inspiré de l’histoire du baron de Münchhausen, militaire allemand, auquel ont été attribuées nombre de prouesses rocambolesques (Asher, 1951).
Le syndrome de Münchausen peut se manifester de plusieurs manières. La plupart des sujets se provoquent volontairement des lésions physiques ou organiques, directement ou par l’intermédiaire de médicaments ingérés ou injectés, dans le but d’attirer l’attention du corps médical. Il s’agit dans ce cas de symptômes à prédominance physique. Ces patients affichent souvent le besoin de réaliser de nouveaux examens complémentaires, même les plus invasifs, voire d’être hospitalisés. Ils éprouvent, à travers le rôle de malade et de la prise en charge médicale qui en découle, une satisfaction régressive. Cependant, la motivation réelle de leurs actes échappe à leur conscience (Gasman, 2002), ils ne poursuivent pas de but autre que celui d’être malade. Il est également possible de rencontrer des troubles factices avec des symptômes psychiatriques et non physiques (Limousin, 1999). Ceux-ci sont tantôt simplement simulés, tantôt provoqués par des médicaments ou des drogues.
Avec le développement de l’informatique, des nouveaux réseaux de communication et d’information, il est aisé de trouver soi-même toutes les données relatives aux pathologies médicales et un nouveau mode d’expression du syndrome de Münchausen voit le jour : le syndrome de Münchausen « paraclinique ». La littérature rapporte ainsi des cas de falsifications d’examens complémentaires, par exemple des bilans biologiques pour simuler par exemple une hémopathie maligne, à l’aide de logiciels de traitement de texte (Thabuy, 2008). Il peut s’agir d’une forme de début de la maladie, avec des objectifs identiques au syndrome de Münchausen classique (simulation d’une pathologie grave avec fabulations anamnestiques et multiplication des explorations) sans atteinte à son propre corps.
G. Fénelon décrit trois symptômes caractéristiques du syndrome de Münchausen (Fenelon, 1998) :
• la présence de troubles factices simulant une pathologie urgente et grave, somatique ou psychique, conduisant à une démarche médicale lourde ;
• une biographie faite de fabulations incessantes, souvent particulièrement dramatique ;
• une errance médicale avec une tendance à la répétition des actes et des hospitalisations.
Peu de cas de syndrome de Münchausen sont rapportés dans la littérature. Il est beaucoup plus fréquent de rencontrer des observations de syndrome de Münchausen par procuration, dans lequel les troubles factices sont feints sur autrui, le plus souvent un enfant. Cette entité nosographique est isolée pour la première fois en 1977 par R. Meadow pour décrire la pathologie d’une fillette induite par sa mère (Meadow, 1977). Ce trouble se définit par quatre caractéristiques :
• la maladie d’un enfant produite ou simulée délibérément par un parent ;
• des investigations médicales multiples et la prescription de traitement dans le but d’obtenir une reconnaissance ;
• le ou les parents responsables disent ne pas connaître la cause des symptômes ;
• les symptômes régressent lorsque l’enfant est séparé du parent responsable.
Ce syndrome, se situant au carrefour de la pédiatrie, de la psychiatrie et de la justice, est considéré par nombre d’auteurs et par la classification internationale des maladies (CIM-10) comme une forme de maltraitance à enfant. Son incidence est estimée à 0,4/100 000 chez les enfants de moins de 16 ans (Lieder, 2005). Cependant, contrairement à la maltraitance classique où les parents se montrent réticents à l’idée de consulter un médecin, les parents à l’origine d’un syndrome de Münchausen par procuration inventent, simulent ou génèrent des symptômes chez leur enfant pour consulter. Les symptômes sont variés, mais il est fréquent d’observer des troubles neurologiques (malaises, convulsions), cardiorespiratoires (apnées, suffocation), hématologiques (saignements spontanés), digestifs (vomissements, diarrhées), métaboliques (hypoglycémie, hypernatrémie) ou infectieux (fièvre inexpliquée). Généralement, l’enfant présente toujours le même symptôme, à répétition (Bocquet, 1997). L’induction d’une pathologie chez l’enfant peut parfois aboutir à des conséquences graves avec perte de substance par exemple (nécroses de tissus par injections sous-cutanées de produits toxiques), voire au décès (Moussaoui, 2009). Les méthodes utilisées sont variées : administration de médicaments par voie orale ou par injection (anticonvulsivants, opiacés, psychotropes…), action mécanique (étouffement, lésion traumatique…). Les examens ne retrouvent jamais d’étiologie organique aux troubles.
Des cas de syndrome de Münchausen par procuration à forme psychiatrique sont également rapportés dans la littérature. Ils semblent moins connus et plus difficiles à diagnostiquer (Schreier, 2000 ; Auxéméry, 2011).
Le parent responsable est le plus souvent la mère, qui exerce une profession paramédicale ou appartenant au milieu de l’enfance. Le père est absent physiquement ou moralement de l’éducation des enfants, il n’assure pas leur protection. Il est souvent difficile pour les médecins de suspecter que la mère est à l’origine de la maltraitance, alors qu’elle apparaît très protectrice et dévouée à son enfant. Elle est particulièrement impliquée dans la prise en charge, et du fait de ses quelques connaissances médicales, se sent tout à fait à l’aise en milieu hospitalier. Paradoxalement, elle encourage les explorations médicales, même invasives et douloureuses, se montrant peu inquiète pour le retentissement sur son enfant; mais cela n’entraîne aucune jouissance (Wulfman, 2001). Le médecin devient indirectement acteur du syndrome de Münchausen par procuration, au moins au début de la prise en charge, en cherchant par tous les moyens l’étiologie des symptômes de l’enfant. Il entretient la maltraitance en multipliant les investigations et les traitements.
La majorité des enfants victimes ont moins de 5 ans lors des premiers faits et le sex-ratio est égal à 1. L’apparence de ces enfants peut paraître surprenante et ne correspond pas à celle d’enfants gravement malades. Ils se montrent souvent gais, dociles, attentifs, de contact facile, s’adaptant très bien au milieu dans lequel ils se trouvent. Derrière cet équilibre apparent se cache une grande fragilité, liée à une relation fusionnelle et ambivalente avec la mère, rendant l’intervention des soignants compliquée. La mère considère son enfant comme un prolongement d’elle-même, un objet de satisfaction de ses désirs et ne lui donne pas la possibilité de construire sa propre identité. Elle présente souvent des carences affectives anciennes, des troubles de la personnalité avec mésestime de soi, un isolement social ou une problématique conjugale. Le syndrome de Münchausen par procuration lui apporte des bénéfices secondaires authentiques au détriment du corps de l’enfant : l’attention du milieu médical, de son entourage, une apparence de cohésion familiale autour de l’enfant malade, qui constituent autant de récompenses qui viennent combler la faille narcissique (Wulfman, 2001).
• enfant présentant depuis longtemps les symptômes d’une maladie inexpliquée, répondant mal aux divers traitements proposés et avec une discordance entre les plaintes symptomatiques et les résultats médicaux ;
• symptômes annoncés par la mère, qui se produisent le plus souvent en sa présence ;
• mère très présente, apparaissant comme « exemplaire », plutôt complice avec le personnel soignant ;
Le diagnostic, complexe, est généralement tardif, venant mettre un terme aux sévices après plusieurs années d’évolution (2,7 ans en moyenne) (Gasman, 2002). La maladie factice est à l’origine de contraintes pour l’enfant qui la subit, comme par exemple l’absentéisme scolaire, l’interdiction d’exercer des activités sportives, un isolement social progressif. Cette situation entraîne un repli sur soi et une relation quasi-exclusive à la mère. Le pronostic vital de l’enfant est parfois engagé (10 % de mortalité) (Dauver, 2003). Les traumatismes subis par l’enfant durant cette longue période auront des conséquences non négligeables sur son développement, surtout psychoaffectif, et son avenir : il peut conserver des plaintes somatiques, développer une réelle maladie, une invalidité physique ou un trouble psychiatrique (hypochondrie, troubles alimentaires, délire d’empoisonnement, syndrome de Münchausen) (Bocquet, 1997).
Les répercussions physiques et psychologiques sur les victimes du syndrome de Münchausen par procuration montrent l’intérêt d’une prise de conscience du personnel soignant sur l’existence de cette pathologie et la nécessité d’un repérage précoce. Une prise en charge thérapeutique multidisciplinaire de l’enfant et de sa famille s’impose après le diagnostic, incluant médecins somaticiens, psychiatres, assistantes sociales et organismes sociaux et judiciaires de protection de l’enfance (Moussaoui, 2009).
Références
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