Chapitre 45 Décollement de rétine sur pathologie dégénérative
Dans ce chapitre sont détaillés, après un bref rappel sur la myopie forte, les syndromes de dégénérescence vitréorétinienne (syndrome de Stickler et syndrome de Wagner) et les maladies du tissu conjonctif (maladie de Marfan), les particularités de ces décollements de rétine ainsi que leur prise en charge.
Myopie forte isolée
La myopie forte axile, ou myopie pathologique, est définie par trois critères : anatomo-clinique, biométrique et réfractif [28].
Sur le plan anatomique, la myopie forte se caractérise par une distension anormale et évolutive du segment postérieur du globe prédominant au niveau du pôle postérieur (staphylome) associée à un amincissement choroïdo-scléral. La biométrie en donne la définition la plus fiable, à savoir une longueur axiale supérieure ou égale à 26 mm chez l’adulte [10], puisque la longueur axiale — plus particulièrement celle du vitré (supérieure ou égale à 20,84 mm, contre 15 mm à 16 mm chez l’emmétrope) — est le principal déterminant de la réfraction myopique.
Les myopes représentent 25 % à 30 % de la population dans les pays développés occidentaux [13,41] et, selon Duke-Elder [12], 27 % à 32 % de la population myopique sont des myopes forts. Mais la prévalence de la myopie varie en fonction des lieux géographiques, des conditions de vie, du sexe et de l’âge. Les études sur l’ensemble de la population sont rares et les résultats divergent. La plupart des travaux sont des études transversales.
La principale complication de la myopie forte est le décollement de rétine rhegmatogène. Les décollements de rétine du myope fort représentent 30 % à 35,5 % [24] des décollements de rétine rhegmatogènes, alors que la myopie forte ne représente qu’environ 1 % de la population générale. Le risque de décollement de rétine du myope fort est 220 fois supérieur par rapport à un sujet emmétrope, respectivement de 2,2 % [9] contre 0,01 % [5]. Ce risque de décollement de rétine passe à 35,9 % en présence de palissades [7].
La fréquence élevée de décollement de rétine chez les myopes forts s’explique en partie par les modifications du vitré. Ces dernières se caractérisent par une liquéfaction précoce du vitré, survenant environ dix à vingt ans plus tôt que chez l’emmétrope et ce d’autant plus que le degré de myopie est élevé [9, 32, 36]. Ce vitré liquéfié précocement joue mal son rôle de tampon et explique notamment la grande fréquence chez le myope fort des décollements de rétine par trous multiples sur palissades en l’absence de décollement postérieur du vitré (fig. 45-1). De même, les déhiscences se compliquent plus fréquemment de décollement chez le myope fort que chez l’emmétrope [28]. Par ailleurs, l’insertion de la base du vitré chez le myope fort est très irrégulière, ce qui explique la localisation parfois très postérieure des déhiscences ou leur topographie souvent étagée.
Les décollements de rétine sur myopie forte se caractérisent également par un fort taux de bilatéralité : Scott, en 1980 [33], avait retrouvé un taux de 50 %, probablement à mettre en rapport avec un fort taux de déchirures géantes (50 %).
Le taux de réapplication des décollements de rétine sur myopie forte après une première chirurgie est satisfaisant, estimé selon les études entre 80 % et 92,5 % [8, 31], donc équivalent à celui des décollements de rétine dans la population générale (82 %) [44]. Une étude récente réalisée par Cheng et al. retrouve comme facteur de bon pronostic sur le plan anatomique l’âge du patient [8].
De même, sur le plan fonctionnel, les résultats sont encourageants, avec une acuité visuelle supérieure à 20/50 dans 60 % à 65 % des cas [8, 16, 31]. Les facteurs pronostiques pour l’acuité visuelle finale semblent être l’acuité visuelle initiale, le nombre et le type de procédures chirurgicales — la chirurgie endoculaire serait de moins bon pronostic — et, pour certains, le degré de myopie.
Syndromes de dégénérescence vitréorétinienne
SYNDROME DE STICKLER
Le syndrome de Stickler a été décrit en 1965 par Stickler [42, 43] sous le nom d’arthro-ophtalmopathie progressive héréditaire. Son incidence est d’un pour dix mille [45].
DESCRIPTION CLINIQUE
L’atteinte oculaire se caractérise par une myopie habituellement forte (entre 75 % et 85 % des cas [15]), une cataracte souscapsulaire postérieure bilatérale (distinctive cataract) décrite par Seery [34] (45 % à 50 % des cas) et, surtout, par une dégénérescence vitréorétinienne présente dans 85 % à 100 % des cas. On distingue deux types de phénotypes vitréens pathognomoniques de la maladie :
Fig. 45-3 Syndrome de Stickler de type 2 avec différents aspects cliniques des condensations vitréennes.
L’atteinte systémique associe des anomalies orofaciales (fig. 45-4) présentes dans 75 % des cas — aplatissement médiofacial, fente palatine (35 %) et anomalies dentaires (40 %) —, une hypoacousie souvent modérée, dont la prévalence varie de 6 % à 87 % selon les études [18, 20], une hyperlaxité ligamentaire, une arthropathie et un prolapsus de la valve mitrale, retrouvé selon les publications entre 0 % et 45,6 % des cas [17, 40].
GÉNÉTIQUE
Le syndrome de Stickler a essentiellement un mode de transmission autosomique dominant à pénétrance complète et expressivité variable. Les gènes mutés COL2A1, COL11A1 et COL11A2 sont associés au syndrome de Stickler respectivement de types 1, 2 et 3 (absence d’atteinte oculaire) et codent des chaînes du collagène de type II ou de type XI. Il existe également une forme oculaire pure du syndrome de Stickler de type 1 par mutation de l’exon 2 de COL2A1 [38] et une forme récessive par mutation du gène COL9A1 [2].
PARTICULARITÉS DU DÉCOLLEMENT DE RÉTINE DANS LE SYNDROME DE STICKLER
Le décollement de rétine fait toute la gravité de l’affection, avec un risque de décollement de rétine proche de 50 % et un taux de bilatéralisation de 48 % [3]. Vingt-cinq pour cent de ces décollements de rétine sont en rapport avec une déchirure géante [6]. L’âge moyen de survenue du décollement est compris entre seize et vingt-cinq ans.
Les résultats anatomiques après première chirurgie sur ces décollements de rétine sont satisfaisants et globalement comparables à ceux de la population générale. Abeysiri a observé une réapplication dans 78,6 % des cas, avec un succès plus élevé après chirurgie endoculaire de première intention (84,2 % contre 67 % après chirurgie ab externo) [2] (fig. 45-5). Les résultats fonctionnels sont encourageants, avec une acuité finale supérieure à 6/60 dans 75,9 % des cas pour Abeysiri après un nombre moyen de chirurgies de 2,2.