43: L’utilisation des instruments d’évaluation du risque de violence


L’utilisation des instruments d’évaluation du risque de violence



L’évaluation du risque de violence chez les patients souffrant de troubles mentaux graves a fait l’objet de nombreuses publications et fait partie du quotidien des cliniciens en psychiatrie. Il s’agit d’un sujet de recherche d’actualité et une préoccupation pour les tribunaux et les instances carcérales. Au fil des ans, avec une plus grande connaissance de ce phénomène et une meilleure conscience des enjeux qui l’entourent, chercheurs et cliniciens sont passés de la notion de prédiction des comportements violents à celle d’évaluation et de gestion du risque.


Le présent chapitre est une réflexion sur la place des méthodes actuarielles et de jugement clinique structuré dans l’évaluation du risque de violence en clinique. Après un survol épistémologique des méthodes d’évaluation du risque, nous nous centrerons sur deux instruments utilisés dans le domaine médicolégal au Canada, soit le Violence Risk Appraisal Guide (VRAG) (Vernon et al., 2006) et le Historical, Clinical, Risk Management-20 (HCR-20) (Webster, 1997). Nous nous attarderons davantage sur le HCR-20 utilisé dans notre pratique clinique à l’institut Philippe Pinel de Montréal auprès de patients psychotiques ayant commis un crime violent et jugés non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux. Il est possible de se référer au texte écrit sur le même sujet pour un tableau plus exhaustif des outils d’évaluation en psychocriminologie (Millaud et Dubreucq, 2012).



Des instruments, des approches


L’évaluation de la dangerosité est une entreprise complexe et implique des éléments de différentes natures. Cet exercice s’est longtemps effectué en alliant l’évaluation clinique à des outils non-spécifiques comme des tests projectifs. Les années 1980–1990 ont été marquées par l’arrivée d’instruments standardisés dont les fondements reposent sur des prémisses théoriques différentes : l’approche objectiviste et l’approche subjectiviste.


Avec l’approche objectiviste, toute réalité est un phénomène observable, mesurable et vérifiable. Sur le plan épistémologique, la compréhension d’un phénomène (la dangerosité) passe par un processus inductif : l’observation de la régularité de certains comportements ou symptômes, objectivée dans l’optique d’émettre des lois qui les régissent (prédire). Au plan méthodologique, l’approche objectiviste se base sur des protocoles de recherche et des techniques nomothétiques dérivées des sciences physiques et statistiques. Dans le contexte qui nous intéresse, cette approche est représentée par des outils comme le VRAG qui vise à prédire les comportements violents sur une base probabiliste.


Avec l’approche subjectiviste, la réalité est dépendante de la conscience humaine. Dans ce courant d’idées, l’épistémologie réfère à la réflexion du répondant : la nature des sciences est une construction faite à partir d’idées et de concepts utilisés afin de décrire la réalité. La conception de la recherche s’avère également idiographique : centrée sur l’importance de refléter le point de vue unique du répondant. Cette conception caractérise l’approche clinique et qualitative, basée sur le jugement de l’évaluateur et liée à la prévision des risques de violence pour un individu particulier. Le HCR-20, que son concepteur considère comme un outil de jugement clinique structuré, s’inscrit dans la ligne de pensée de cette seconde stratégie d’évaluation (Millaud, Dubreucq, 2012).



Les instruments


Le VRAG (Annexe 43.1) est un outil actuariel de l’évaluation du risque de récidive violente qui se base sur l’analyse de tendances centrales en attribuant une pondération statistique spécifique aux différents facteurs de risque dont il est composé. Les 12 facteurs de risques qui le composent sont reconnus par la recherche expérimentale comme étant liés à l’adoption de comportements violents. Ils ont été construits en se basant sur un groupe de sujets comparables dont on connaît l’évolution au cours du temps. Ces facteurs sont statiques, ils ne varient pas dans le temps. Le résultat obtenu suite à la pondération de chacun de ces facteurs nous indique un pourcentage de risque de commette un acte violent sur les sept et dix prochaines années.



Plusieurs limites sont associées aux instruments actuariels sur les plans méthodologique et épistémologique (Côté, 2001), mais aussi éthique (Côté, 2001; Dvoskin, Heilbrun, 2001; Mullen, 2001). Ainsi, l’évaluation du risque devrait être motivée avant tout par le désir de proposer les meilleurs soins, de gérer le risque en fonction d’éléments cliniques que les traitements peuvent modifier. La question éthique des « faux positifs » est aussi soulevée (Freedman, 2001 ; Szmukler, 2001). On doit souligner également que la notion de facteur de risque implique une corrélation et non un lien de causalité (Fazel, Grann, 2006).


Devant la complexité des rapports entre maladie mentale et violence, ceci associé aux préoccupations de la gestion du risque et de l’offre des meilleurs soins possibles (Côté, 2001; Millaud, Dubreucq, 2005; Monahan et al., 2001), chercheurs et cliniciens se tournent de plus en plus vers l’utilisation du jugement clinique structuré à l’aide d’outils comme le HCR-20 pour évaluer la dangerosité psychiatrique (Douglas et al., 2003; Gravier, Lustenberger, 2005; Millaud, Dubreucq, 2005; 2010).


Le HCR-20 (Annexe 43.2) a été élaboré en 1995 au Canada par Webster et se voulait une réponse aux besoins de la British Columbia Forensic Psychiatric Services Commission de standardiser l’évaluation du risque des patients suivi en médicolégal (Webster, 1998). Depuis, l’auteur a collaboré avec plusieurs cliniciens et chercheurs en établissements correctionnels et de santé mentale dans divers pays. L’instrument est composé de 20 facteurs qui sont empiriquement associés aux comportements violents. Ces facteurs doivent être documentés et approfondis plutôt que strictement quantifiés. La cotation chiffrée de certains instruments est une possibilité et peut devenir une tentation dangereuse pour le clinicien peu expérimenté. Cette cotation peut avoir un grand intérêt, par exemple, pour des recherches quantitatives, avec des objectifs catégoriels. Sur le plan clinique, comme le suggère Webster pour le HCR-20, il est préférable de ne pas chiffrer le résultat final. Outre la difficulté d’interpréter un nombre brut, le même score total peut revêtir des significations bien différentes. Les facteurs de risque peuvent pour un sujet se retrouver tous dans la section historique et pour un autre sujet ayant le même score total se situer dans les indices cliniques actuels ou ceux associés au contexte futur.


May 10, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 43: L’utilisation des instruments d’évaluation du risque de violence

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