41: Violences sexuelles


Violences sexuelles



Délinquance sexuelle : de la psychopathologie à la prise en charge, quelques repères



La rencontre avec un sujet auteur d’un délit sexuel oblige à prendre en considération une psychopathologie particulière, mais aussi un contexte spécifique, légal notamment, qui va donner un cadre particulier à cette rencontre. Celle-ci pourra déboucher sur une prise en charge qu’il faudra construire patiemment en recherchant une cohérence qui intègre repères cliniques, légaux, mais aussi éthiques.


Des questions se posent : quand sommes-nous dans le soin ? Ces sujets présentent-ils une pathologie ? Leur souffrance est-elle authentique ? Que peuvent-ils entendre d’un possible traitement ? Quel est le poids de leur histoire ? Qu’en restituer à ceux qui nous mandatent ? Comment soigner sans être hantés par le risque de récidive ?


Délinquance, infraction, violence, abus, les dénominations sont variées et induisent autant de représentations qui s’entremêlent avec la question de la perversion. Nous parlons, pour notre part, de sujets qui commettent un acte d’une violence particulière qui fait effraction dans l’intimité, psychique, physique et sexuelle, de leur victime.


La qualification pénale rend compte de la dimension délictuelle, et de la réprobation que les actes commis soulèvent. L’acte est d’abord « un acte puni » au sens où Durkheim fonde le crime. Il suscite colère, indignation, et incompréhension. Il représente maintenant l’expression la plus monstrueuse de la criminalité, une sorte de mal absolu. Il témoigne, dans sa violence, de l’indicible de ce qui s’y joue, mais aussi d’une défaillance particulière du rapport entre le psychisme et la loi.



Situer la perversion


L’approche thérapeutique actuelle de ces délinquances part d’un paradoxe : la transgression révèle le fait pathologique mais ne peut, en aucun cas, être considérée elle-même comme pathologie. C’est un couple indissociable, mais antagoniste sur le plan épistémologique, avec lequel nous devrons cheminer.


Longtemps la délinquance sexuelle a été synonyme de perversion et d’inaccessibilité thérapeutique. Pourtant, ce qui se joue va au-delà d’une sexualité marquée par la perversion. Certains comportements, symptômes et modes de relation ont, évidemment à voir avec celle-ci. Les comportements sexuels délinquants recouvrent un champ psychopathologique beaucoup plus large.


Les perversions ont été d’abord définies comme « déviation par rapport à l’acte sexuel normal (…). On dit qu’il y a perversion quand l’orgasme est obtenu avec d’autres objets sexuels (…) ou par d’autres zones corporelles (…) ou quand l’orgasme est subordonné de façon impérieuse à des conditions extrinsèques… » (Laplanche, Pontalis, 1973).


La perversion nous parle en premier lieu d’une expression érotique ritualisée où le partenaire est réduit à un objet partiel, considérablement investi et remplissant une fonction quasi magique. D’inerte, passif ou parfois consentant dans la conduite dite perverse, dès lors que cette conduite devient agression, le partenaire devient victime, objet de brutalité et d’emprise. La dimension orgasmique de ce qui est en jeu apparaît alors secondaire pour laisser la place à l’expression violente.


Le comportement ne qualifie pas le discours. Celui de la perversion est bien particulier. Quiconque se trouve face au discours pervers se sent envahi par le malaise. Pourtant, le discours est cohérent, compréhensible; les arguments présentés sont dans la norme. Un vécu désagréable indique que ce patient n’est pas dans le même échange que nous, que son insistance à nous convaincre ou à nous faire adhérer à son discours ne relève pas de l’intérêt dans lequel il tient notre opinion, mais de l’absolue certitude que nous n’existons que comme spectateur passif et consentant (Gravier, 1995). Ce malaise tient à la fois du vécu d’intrusion, du ressenti d’irrespect et de l’absence de pudeur dont il témoigne à notre égard.


Le discours pervers nous méconnaît comme il méconnaît la loi. Ce discours est tourné vers l’agir et la manipulation et s’exprime dans une modalité relationnelle où celui qui en est l’auteur recherche excitation et jubilation dans la maîtrise et le déni de celui qui en fait les frais.


Le DSM-IV a évacué la perversion de son vocabulaire pour évoquer les attirances sexuelles pathologiques sous le terme de paraphilies, « fantaisies imaginatives, sexuellement excitantes, impulsions ou comportements survenant de façon répétée et intense, impliquant : des objets inanimés, souffrance ou humiliation de soi-même ou de son partenaire, des enfants ou d’autres personnes non consentantes ». Cette définition place l’excitation sexuelle pathologique comme déterminant central, moteur de la violence et la découple du scénario pervers.


La perversion signe aussi des comportements destructeurs qui procèdent de la psychopathie et de la perversité narcissique. L’organisation défensive contre une terreur innommable est alors fondée sur le déni, l’expulsion et la projection sur autrui qui peut conduire aux comportements sexuels les plus violents (Balier, 2005 ; Bouchet-Kervella, 2001).



Situer la dynamique agressive du patient : les typologies


Un exhibitionniste a un fonctionnement psychique différent de celui d’un pédophile, d’un père incestueux ou d’un auteur de viol. Celui qui commet une agression sexuelle isolée a peu à voir avec celui dont la psyché est envahie par des compulsions obsédantes ou celui pour qui la violence sexuelle n’est qu’une des multiples expressions de sa violence. Certains vont organiser toute leur vie, psychique ou sociale, autour de l’agression sexuelle. Pour d’autres, l’agression sexuelle sera un raté de la trajectoire existentielle, mouvement régressif, et déstructuration plus ou moins momentanée du sujet.


Même s’il s’agit d’un champ qui « par nature, échappe et résiste à toute entreprise de rassemblement » (Adam, 2006), les typologies aident à appréhender la dynamique agressive, délictuelle et violente de ces sujets. Elles s’appuient sur certaines données de l’acte : degré de violence, volonté de contrôle et de domination, présence de désinhibiteurs, violences associées. Elles essayent de rendre compte du fonctionnement psychique de l’auteur : fantasmes sous-jacents, attitudes irrationnelles, traits psychopathologiques et distorsions cognitives. Elles s’intéressent aussi à son fonctionnement social, à son cadre de vie familial ou extrafamilial (Prentky, 1991; Conférence de Consensus, 2001).


Mac Kibben (Mac Kibben, 1993) propose de regrouper les auteurs de viol autour de quatre axes qui soulignent les dimensions psychopathiques ou narcissiques.



• Le sadisme : les agressions sont alors planifiées, ritualisées, les mauvais traitements infligés à la victime apparaissent érotisés. On parle de la fusion de la sexualité et de l’agression.


• Le mode de vie antisocial : l’impulsivité apparaît centrale chez ce type de délinquant, véritable mode de vie organisé autour de la recherche de la satisfaction immédiate des besoins. Le délit sexuel est alors secondaire au mode de vie et à l’impulsivité plus qu’à l’aboutissement d’un processus.


• La rage : l’agression est alors brutale, son but est de dégrader et de détruire la victime. Le délit est souvent impulsif, consécutif à un événement déclencheur (dispute), sans élaboration fantasmatique suscitant l’excitation sexuelle.


• La recherche de pouvoir : le viol apparaît comme une manière de nier les doutes relatifs à une virilité vécue comme défaillante. Le délit est planifié et associé à une volonté de maîtrise de la victime.


• En ce qui concerne les pédophiles, la littérature (Groth, 1977 ; Knight, 1989) distingue :




Identifier les traumatismes et leur retentissement sur le psychisme


Le vécu de violence infantile augmente la probabilité de devenir agresseur sexuel (Lee, 2002 ; Starzyk, 2003). Le psychisme de ces sujets a dû faire face à nombre d’événements traumatiques ou violents : décès et suicides de proches, séparations, placements, abus sexuels, abandon, alcoolisme familial, les faits marquants se retrouvent dans 74,4 % des dossiers étudiés dans notre recherche (Gravier, 2001).



Maltraitance, violence et punitions abusives dans l’enfance


Les violences auxquelles ont été exposés les sujets sont peu spécifiées, les descriptions recourant de manière indifférenciée aux termes d’abus ou de maltraitance. Les travaux distinguent cependant quatre catégories de maltraitance : la discipline non violente, les agressions psychologiques, les agressions physiques et la négligence (Stanley, 2004). L’enfant aurait été confronté à un climat violent ou a des victimisations répétitives.


La relation avec le père serait précocement marquée par le rejet et la négligence, tandis que la relation avec la mère apparaîtrait bienveillante, mais avec des frontières approximatives (McCormack, 2001).


Ces sujets entretiennent un rapport particulier aux traumatismes vécus et aux émotions qui en découlent en se trouvant le plus souvent dans l’incapacité de mettre en lien les unes avec les autres. De plus, les punitions que ces sujets ont vécues dans leur enfance relèvent souvent de la maltraitance sans pouvoir être identifiées comme telle ce qui contribue à la confusion et aux difficultés de repérage (Abbiati, non publié).



Abus sexuel subi, climat familial incestuel, et initiation sexuelle pathologique


Le rapport à la sexualité, en dehors de l’acte d’agression, est bien souvent pathologique. Ces sujets ont connu une initiation précoce et inadéquate à la sexualité, parfois dans un contexte familial où la sexualité est vécue dans l’excès et l’absence de limites entre les membres de la famille, dans un climat souvent qualifié d’incestuel. À l’inverse, la sexualité peut être marquée du sceau d’un tabou familial et des interdits oppressants.


Les abus sexuels subis par les sujets pendant leur propre enfance sont fréquents. Les pourcentages donnés dans différentes études témoignent toutefois d’une grande dispersion et varient entre 28,6 % et 93 % selon les études. Cette variation pourrait rendre compte, indépendamment des questions méthodologiques, de la difficulté de ces sujets à retracer leur anamnèse et du polymorphisme de leur vécu.


Il n’est pas rare que ces patients soient dans l’incapacité de reconnaître comme tels les abus dont ils ont été victimes et vivent dans le souvenir d’une sexualité imposée et intrusive qu’ils ne peuvent pas nommer.



Un fonctionnement psychique qui s’en trouve perturbé


Ces sujets ont vécu dans un univers de violence psychologique difficile à reconnaître comme telle et qui se masque derrière un couvert de normalité, ce qui complique l’identification de la violence subie durant leur enfance et leur adolescence. Pour la même raison, différencier ce qui relève d’une violence maltraitante et ce qui relève de comportements punitifs s’inscrivant sdans une attitude éducative s’en trouve malaisé.


Quoi qu’il en soit, cet afflux de violence conduit à une sidération de l’activité fantasmatique qui permet le développement de la sexualité infantile. Le jeu en est impossible car les possibilités d’identification se télescopent avec une réalité souvent particulièrement crue comme lorsque les enfants se trouvent, d’une façon ou d’une autre, associés à la sexualité des parents.


Ils n’ont pas pu jouer à prendre la place de l’un ou de l’autre parent et se trouvent dans l’impossibilité de se mettre en position d’identification œdipienne et n’ont plus que le recours possible à une situation d’identification narcissique.


Leur fonctionnement psychique est marqué par des carences d’élaboration qui conduisent à produire un discours vide ou superficiel, s’accompagnant d’hostilité. Les violences rapportées semblent vidées de leur charge émotionnelle et sont minimisées et banalisées. La répression de l’affect apparaît un mécanisme prépondérant ne laissant que peu de possibilités à l’expression émotionnelle et peut être considérée comme une manifestation de l’identification à l’agresseur (Balier, 1996; Ciavaldini, 1999).


Ce fonctionnement psychique laisse une part prépondérante aux mécanismes de déni et de clivage. « Le clivage du moi adossé au déni de la réalité permet aux pathologies violentes les plus régressives d’échapper à la plongée dans la psychose. Dans le cadre des perversions, il donne la possibilité au sujet de recourir à la dénégation et de jouer avec la loi » (Balier, 2000).


Le clivage se rejoue à tous niveaux et rejaillit sans fin sur les interlocuteurs, les équipes qui s’occupent d’eux, quelle que soit leur fonction. Il rend impossible les processus de liaison émotionnelle et donne une tonalité particulière à toutes les relations qui peuvent s’établir. Il est indissociable du déni qui va se déployer dans toutes les sphères relationnelles. Déni de la différence des générations qui légitime cette manière particulière des pédophiles de placer l’enfant dans un statut particulier. Déni de la fonction parentale qui rend difficile la représentation du rôle protecteur de l’adulte. Déni de la séparation qui teinte d’une compulsivité particulière les passages à l’acte.


Le fonctionnement psychique du délinquant adulte porte la marque de cette histoire difficile et de ces mécanismes particuliers. La conflictualité devient impossible à repérer, en premier lieu dans les investissements de couple. La pauvreté de la vie sexuelle contraste avec la prégnance de l’attirance pathologique. Les capacités à établir une vie sociale durable et satisfaisante font défaut. La violence subie se rejoue constamment dans de nouvelles victimisations, notamment dans des moments de vie collective.



Définir les objectifs thérapeutiques


La clarté de l’indication évite la confusion quant à ce qui peut être attendu du soin autant par le sujet que par la justice. Les approches thérapeutiques reposent sur une évaluation appropriée de la capacité du sujet à s’engager dans le soin et vont de la rencontre ponctuelle imposée par la justice jusqu’à une véritable psychothérapie.


La reconnaissance du délit par l’auteur, de sa responsabilité dans celui-ci, de la violence avec laquelle l’acte a été commis et des conséquences pour la victime, est un indicateur important de la capacité de s’engager dans une démarche. La plupart du temps la reconnaissance est partielle (48 % des sujets dans notre recherche), mais n’interdit pas une prise en charge. Au contraire, un travail sur ce qui est en jeu dans la reconnaissance de l’acte et donc de l’altérité peut être un puissant inducteur (Stigler, 2003).


La capacité à s’inscrire dans une démarche de prise de conscience du fonctionnement psychique et ainsi de développer une capacité de mentalisation doit être soigneusement évaluée, de même que les capacités intellectuelles de compréhension et d’élaboration.


Un accent particulier doit être porté sur l’existence d’un soutien social permettant au patient d’accepter d’autres modalités relationnelles et d’autres styles de vie que ceux qui prévalaient au moment du passage à l’acte.


C’est l’évaluation de ce qui est mobilisable chez le patient qui définira un accompagnement thérapeutique possible. Dans certains cas, seules des rencontres espacées autoriseront l’ébauche d’un lien. De telles rencontres, peu productives dans l’immédiat sur le plan thérapeutique, posent clairement la question de la limite entre la fonction de contrôle social, imposée par l’injonction thérapeutique et une démarche « préthérapeutique » qui permet au sujet d’éprouver ce qu’implique une rencontre avec un soignant.


Un contrôle social bien conduit et bien pensé peut être souvent plus aidant qu’un soin qui se base sur de mauvaises indications et des prémices fausses. Il est donc nécessaire de ne pas vouloir soigner à tout prix, malgré la pression.



Définir précisément le cadre



Clarifier la situation légale


À quel moment de son parcours pénal se trouve le patient ? Qu’en est-il de sa rencontre avec la loi ? Ce sont deux questions essentielles qui aident à construire un cadre de soin qui s’étaye sur le cadre pénal et autorisent à poser la loi comme « méta cadre » (Ciavaldini, 2012).


L’acte commis est parfois en interrogation lorsque le sujet vient demander de l’aide après son arrestation, parfois en débat dans l’attente du jugement, parfois contesté après celui-ci. Ce sont autant de situations qui nécessitent une particulière clarté quant à ce qui sera attendu de la rencontre et du thérapeute. À partir de cette clarification pourront se préciser des niveaux d’intervention souvent très différents. Le thérapeute pourra ainsi mieux se saisir des incertitudes qui surgissent quant à l’acte commis et sa gravité, surtout face à des reconnaissances partielles, incomplètes, brouillées de zones d’ombre.


Savoir ce qu’il en est du rapport du sujet avec l’autorité judiciaire est primordial pour éviter de se fourvoyer, soit dans une banalisation partagée avec le sujet, soit dans le recours immodéré à une réponse pénale hypothétique lorsque le sujet échappe à tout cadre. Faute de savoir clairement ce qui mobilise la demande du patient, le thérapeute peut se trouver dans une situation bien inconfortable lorsque, par exemple, celui-ci demande de témoigner d’un soin pour satisfaire à un contrôle social alors que la rencontre paraissait détachée de toute contingence judiciaire.



Définir l’articulation avec la justice et les autres acteurs sociaux


Le contrat thérapeutique doit être défini en tenant compte d’un triple rapport, à l’autorité, aux équipes soignantes et sociales, aux proches. La prise en charge d’un délinquant sexuel confronte tôt ou tard à des dilemmes éthiques, cliniques, légaux dans ces trois domaines. Il faudra les anticiper.


Ainsi, il sera nécessaire de préciser, autant avec le patient qu’avec l’autorité qui mandate, de quelle manière celle-ci sera renseignée sur ce qui se passe dans le traitement, comment vont circuler les informations échangées, quelle sera la périodicité des rapports transmis, leur contenu (simple attestation de présence, certificat qualitatif, etc.) et quelle sera l’attitude lorsque les exigences formulées ne sont pas respectées ou qu’une inquiétude surgira.


Dans la prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles, la position psychothérapeutique se situe à l’opposé de la position classique qui impose de partir du seul discours du patient pour construire la démarche de soin et entendre sa demande. C’est, paradoxalement, ainsi que pourra se préserver un échange thérapeutique authentique.


L’obligation de soin va être un vecteur d’étayage, mais elle n’a de sens que s’il existe une indication médicale claire qui peut être respectée par la décision de justice. C’est ainsi que peut se construire un ancrage qui permet au sujet de se dire : je ressens, malgré tout, une certaine nécessité de m’engager dans ce soin. C’est dire l’importance d’un partenariat de qualité avec les autorités judiciaires qui souvent ne veulent, ou ne peuvent, pas saisir le caractère princeps de l’indication médicale.


L’échange entre la justice et la personne astreinte à l’obligation de soin où le thérapeute assume sa fonction de tiers, permet de déployer une scène thérapeutique singulière qui fournit un cadre protecteur au thérapeute comme à son patient.


L’articulation avec la justice impose souvent un travail en réseau et des moments interdisciplinaires où les attentes des uns et des autres et ce qui va être dit du soin par le thérapeute vont être clairement explicités. Ceci impose de savoir délimiter ce qui va être transmis à l’autorité de ce qui va rester dans le colloque singulier et permet de sortir de l’inconfort de l’emprise ou du sentiment diffus d’une complicité malsaine participant de la complicité des dénis (Ciavaldini).


Le thérapeute n’est pas l’expert, c’est une évidence qu’il faut toujours rappeler pour ne pas tomber dans la confusion, surtout lorsque les autorités se font pressantes pour obtenir des indications pouvant guider leur décision. C’est donc du soin qu’il témoignera et non du pronostic ou du risque.



Aménager la relation avec un support à la consultation


La recherche de l’ARTAAS (Ciavaldini, 1999) a montré qu’à partir du moment où les auteurs d’agression sexuelle ont été systématiquement rencontrés, qu’on leur a proposé un questionnaire d’investigation qui leur permettait de parler d’eux-mêmes et de leur acte, nombreux étaient ceux qui pouvaient demander un suivi thérapeutique, alors qu’a priori ils en étaient totalement exclus.


À partir d’une double approche évaluative et thérapeutique, ce questionnaire facilite une écoute de la dynamique mentale du sujet. « L’amplitude du spectre des questions abordées devait permettre au sujet agresseur sexuel qui y répondait de placer des mots sur des pans entiers de sa propre histoire et ainsi de la percevoir » (Ciavaldini, 1999).


Ce questionnaire, défini comme « aménageur de la relation », oblige à un travail de perception psychique des éprouvés extérieurs. Nommer la perception permet de la reconnaître comme sienne. Il s’agit d’un dispositif, mais aussi d’une façon de permettre, en l’inscrivant dans une temporalité, cette rencontre particulière et ainsi donner la possibilité d’une certaine maturation processuelle.


Ainsi l’aménageur de la relation permettra d’approfondir des caractéristiques de la vie psychique qui apparaissent comme axes principaux d’une prise en charge. Il signale un événement isolé, dévitalisé de l’histoire du sujet dont on doute même de l’existence, pour mettre en place le fil d’une histoire. Il permet de percevoir les effets de décalage émotionnels qui ne peuvent que se fourvoyer dans une écoute qui privilégie la liberté associative.



Recentrer les attentes vis-à-vis du traitement


Beaucoup d’illusions et de méconnaissances circulent quant à ce qui peut être attendu d’un traitement vécu comme une panacée incernable et non comme une mise en travail interne. La même méconnaissance règne quant aux indications, aux possibilités évolutives de la personne, etc. Le travail thérapeutique n’est ni un parcours moral, ni une rééducation sociale, ni une approche miracle qui résout toutes les inquiétudes sociales et encore moins une forme de vengeance sociale.


Dans un contexte marqué par l’anxiété vis-à-vis des potentialités agressives du patient, par la méfiance à l’égard du psychiatre, à tout instant la perversité relationnelle du patient peut se déployer en disqualifiant les uns et les autres et de préférence ceux qui le confrontent et en semant le doute quant à ce qui est attendu.




Principes généraux du traitement


Le traitement de tels patients est toujours susceptible d’être infiltré par des considérations morales, par la réprobation que les actes commis entraînent. Il ne faut pas perdre de vue non plus que la vulnérabilité traumatique de ces patients est réelle. Ainsi une approche qui ne respecte pas certains équilibres peut elle-même être traumatisante et aggraver les processus d’aliénation et de retrait et accroître les risques de récidive (Tardiff, 1995).


La prise en charge des délinquants sexuels, compte tenu des différents croisements entre le thérapeutique, le légal et le social, ne peut se résumer à la notion de traitement. Certains (Kaul, 1993) préfèrent adopter, dans cette perspective, une vision plus large incluant l’évaluation, la dimension thérapeutique, le suivi à long terme, voire le contrôle social.


Engager un sujet auteur de délit sexuel dans un traitement, c’est l’aider à cheminer entre la confrontation à la loi et l’interrogation thérapeutique, entre contrôle social et confrontation thérapeutique. C’est un cheminement au long cours qui l’amènera à travailler la reconnaissance de l’acte commis à travers ce que lui en dit la justice, à reconnaître la souffrance de sa victime et en éprouver de l’empathie. C’est ainsi qu’il peut espérer rencontrer sa propre souffrance enfouie, déniée, percevoir ses vulnérabilités traumatiques et reconnaître les situations à risque.


C’est un cheminement parallèle qui permettra au thérapeute d’affronter « l’inimaginable, l’impensable, et l’inquestionnable » (Prins, 1991) et les points aveugles des éléments contre-transférentiels survenant dans ce type de prise en charge. Les contre-attitudes personnelles ne peuvent être négligées tant elles peuvent injecter de la colère, de la frayeur ou du dégoût non métabolisés.


Les bénéfices attendus par le patient font aussi partie de la démarche de soin. Lorsque la liberté a pour prix un passage par le traitement, quelle que soit la qualité de l’alliance qui pourra s’établir, les attentes concrètes prendront longtemps le pas sur toute reconnaissance de ce que le traitement peut apporter de soulagement. Les mécanismes d’emprise, de déni et de clivage n’en seront que plus puissants et doivent être soigneusement travaillés.



Les indications thérapeutiques


Poser une indication thérapeutique conduit à prendre en considération la manière dont les patients sont envahis par des pensées sexuelles pathologiques qui peuvent mobiliser toute leur énergie psychique. Pour un patient, reconnaître l’importance d’un tel envahissement est souvent difficile tant celui-ci est rapidement évacué par le clivage.


Identifier ce que le patient perçoit de la vulnérabilité de ses victimes est aussi un bon indicateur de sa capacité à s’engager dans un travail qui a pour ambition de l’amener à renoncer à un mode de fonctionnement qui a guidé sa vie des années durant.


Accepter que le questionnement s’adresse d’abord à lui-même et ne peut être évacué, par un retournement pervers, comme question posée à son interlocuteur est aussi un préalable à investiguer qui va aider à choisir les modalités thérapeutiques.


La compréhension psychodynamique peut faire « fonction de liaison des différentes modalités thérapeutiques à l’intérieur d’un modèle conceptuel élaboré qui situe le symptôme pervers au-delà de son implication concrète et descriptive » (Tardiff, 1995). Le patient peut être ainsi situé sur le continuum du développement du processus primaire d’un symptôme d’action et de décharge à celui du processus secondaire concerné par le conflit et sa représentation.


Certains sujets qui présentent un fonctionnement psychique marqué par la pensée opératoire et une grande faiblesse du Moi seront amenés à travailler de façon « concrète et active », tandis que ceux pouvant s’impliquer dans un processus d’introspection seront plus à même de travailler les processus de symbolisation et de mentalisation.


Les indications thérapeutiques sont fonction, bien sûr, de l’engagement du patient et de sa capacité à affronter ses actes mais aussi de ses attitudes qui vont orienter le thérapeute entre confrontation active et recherche d’une alliance.


Lorsque le déni, la victimisation, la banalisation, la tentative de prise de contrôle de l’autre sont au-devant de la scène, il est illusoire de vouloir instaurer une thérapie découvrante. Poser le cadre d’une rencontre qui permettra au sujet de se raconter et de se découvrir porteur d’une histoire est le premier défi thérapeutique. Être dans l’accompagnement du sujet face à la sanction à faire sans être dans l’apitoiement ou la complaisance est un autre défi.


Au-delà des écoles thérapeutiques, un accompagnement thérapeutique vise à permettre une maturation de la personnalité, une clarification des représentations mentales liées à la fantasmatique et à la sexualité, et à repérer les situations à risque (Coutanceau, 2010).





Travailler à la prévention de la réitération


Cette préoccupation s’inscrit dans toutes les prises en charges, quel qu’en soit le cadre. « Le modèle de prévention de la récidive (…) part du postulat que le comportement sexuel déviant résulte d’une succession non aléatoire d’événements comportementaux, cognitifs et affectifs » (Cornet, 2003). Cette approche facilite une élaboration de la prévention de la récidive en aidant le patient à inscrire le passage à l’acte comme résultante d’une chaîne d’événements, de pensées, d’affects et de fantaisies. Les pratiques thérapeutiques insistent sur deux volets : l’identification des problèmes présents à chacune des étapes de la chaîne et l’élaboration d’alternatives au processus du délit.


Indépendamment des références initiales théoriques qui s’inspirent des théories cognitives, tout travail thérapeutique de soutien se réfère à un moment où l’autre à cette préoccupation. C’est souvent un conflit non élaboré qui, lors de sa résurgence, va remettre en mouvement pensées, affects et attirance pathologiques et placer le patient dans une situation de tension.


Il s’agit, en aidant le patient à affronter sa réalité, d’identifier les zones à risque à repérer ou les interdits qu’il doit s’imposer pour éviter de se mettre en situation de possible transgression. Le patient peut ainsi s’interroger sur ce qu’il peut mettre en place pour demander de l’aide ou se mettre à l’écart de situations à risque dont l’occurrence ne doit jamais être banalisée.



Psychothérapie


Un travail véritablement introspectif est aussi possible avec ces sujets moyennant une adaptation du cadre, une clarification des objectifs (Cornet, 2003), ainsi qu’une prise en compte des mécanismes psychiques particuliers de ces sujets qui doit permettre une mise en forme des processus thérapeutiques. Fragilité du narcissisme, destructivité, besoin d’emprise peuvent être travaillés pour donner naissance à un véritable processus de subjectivation qui se construit dans le face à face de la relation thérapeutique (Balier, 2000). C’est le plus souvent dans un second temps que le travail psychothérapique peut véritablement se déployer, après une longue période, de tensions et d’affrontement autour du cadre légal, de déni de la réalité, de tentatives de distorsions relationnelles. Ces mouvements défensifs doivent être pensés comme des passages obligés que l’on peut considérer comme autant de stratégies plus ou moins inconscientes pour éviter l’affrontement à l’indicible et à la violence intérieure.



Rester vivant en face de son patient : les thérapies actives


Ces patients, si inquiétants et difficiles, nécessitent donc une adaptation spécifique de la rencontre psychothérapeutique pour permettre une véritable entrée en soin. C’est ainsi que nous avons essayé de définir l’ensemble des éléments qui doivent être pris en compte dans ces approches en insistant sur la notion de thérapie active qui va « inscrire le patient dans une démarche de soins en l’aidant à renoncer à certaines modalités relationnelles pathologiques » et « permet d’envisager le changement qui replacera l’interdit comme organisateur de la vie sociale du sujet » (Gravier, 2000). Une thérapie active vise avant tout à promouvoir une attitude thérapeutique qui essaye d’éviter la captation par l’emprise et la répétition du clivage en privilégiant une attitude active qui se dégage de la passivité, nomme la réalité, fait le lien entre l’impensable et l’impensé.


La cothérapie, c’est-à-dire deux thérapeutes ensemble pour recevoir le patient, est un des éléments centraux de ce dispositif de soin. Conduite partagée d’un même processus thérapeutique, la cothérapie permet d’affronter la violence psychique qui se déploie dans ces relations et de décliver les affects que ces patients déposent dès qu’ils sont confrontés à une relation duelle. Fascination, séduction, confusion sont des mécanismes de déni de l’altérité maintenant bien connus, qui se situent au cœur de la perversion relationnelle de ces sujets.


Réinstaurer une parole « de sujet à sujet » (Balier) passe par un réinvestissement du récit qui tient compte de l’horreur à penser : nommer des faits dans la pudeur des mots lorsque l’on aborde le passage à l’acte et les victimes, aider le patient à nommer le scénario délictuel qui vient hanter le délinquant jusqu’à rechercher le soulagement par le passage à l’acte. Il s’agit d’une trame signifiante à reconstruire et à relier à une émotion évacuée par le patient et qui nous traverse avant de faire sens et de rejoindre les vécus traumatiques inconnaissables de ces patients.


Le sentiment de vide est aussi une constante de ce que doit affronter le thérapeute face à ces patients. Face à un tel vide, le défi est de rester en vie, d’exister au-delà du sentiment de néant qui tôt ou tard envahit ces thérapies tant est difficile à penser la froideur émotionnelle de ces patients et le décalage constant qui se fait jour entre ce qu’ils disent vivre et les émotions qu’ils nous font éprouver.



Vivre la relation thérapeutique


Dans un tel contexte relationnel et thérapeutique, il est souvent difficile d’identifier ce qui se joue entre le patient et ses thérapeutes. Un lien, probablement plus fort que l’on ne veut bien le penser, est susceptible de se tisser, qui tient de mécanismes transférentiels archaïques et renvoie à des identifications douloureuses à une figure maternelle particulièrement défaillante ainsi qu’à une figure paternelle incapable d’incarner une véritable loi.


La force de ce lien difficile à nommer consiste aussi en une circulation d’affects qui tiennent du rapprochement et de mouvements non élaborés, de ce que C. Balier réfère au « partage affectif », quelque chose qui surgit de nulle part et qui nous saisit à partir de notre vulnérabilité de thérapeute, écho de la vulnérabilité de l’enfant qu’a été le patient et qui n’a jamais pu trouver écoute ou espace propre.


La relation psychothérapique entre ces patients violents et leur thérapeute fait naître des angoisses souvent considérables et inconciliables, parfois partagées : angoisses d’intrusion dans l’espace psychique et angoisses d’abandon face à un lien qui se met en forme. L’obligation de soin permet, d’une certaine manière, au patient de poser la question qui sous-tend toutes ses relations interpersonnelles : est-il un monstre déshumanisé incapable d’affect ? Est-il capable de s’attacher affectivement à un autre qui incarne tout ce à quoi il n’a pu accéder jusqu’à maintenant ? Le doute reste toujours présent pour le patient : « Qu’est-ce qui se passe pour que vous vous intéressiez à moi ? ».



Références



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Inceste : clinique et prises en charge familiales



La pensée sur le comportement incestueux est très souvent réduite à une pensée sur la relation entre l’agresseur et la victime : le père, le beau-père, le frère, la mère.


Le corpus théoricoclinique de la thérapie familiale psychanalytique nous permet de penser ce comportement, dramatique s’il en fut, comme un aménagement défensif groupal familial et le lien incestueux comme une modalité du lien familial.


Nous devons à Francine André-Fustier et Évelyne Grange-Ségéral (1995) une réflexion fondamentale sur la question de la violence intrafamiliale comme modalité du lien : « (…) nous proposons de considérer les manifestations violentes (…) comme l’expression du besoin d’agrippement, comme la recherche de cohésion d’une famille aux prises avec les difficultés de l’individuation réactivant avec elle des angoisses de mort et d’effondrement non représentables et non métabolisables psychiquement. Ces manifestations violentes s’expriment sous forme de paradoxes où ce qui est mis en acte est en même temps dénié verbalement : s’agripper dans un “corps à corps” tout en annulant le besoin et la dépendance à l’égard de l’autre. ».



À l’origine de la famille : le couple


Toute famille s’origine dans la mise en couple. Chacun des partenaires apporte avec lui dans le « pot commun » du couple sont propre fonctionnement familial, le fonctionnement de sa famille d’origine. La rencontre du couple n’est pas simplement la rencontre de deux individus, mais aussi la rencontre de deux lignées, de deux cultures familiales avec leur mythologie singulière, leur idéologie particulière. Cette rencontre fondatrice porte en elle, potentiellement, le fonctionnement de la future famille qui prendra corps lors de la naissance du premier enfant.


Le choix du partenaire dans la famille où un jour s’actualisera un comportement incestueux s’effectuera le plus souvent sur un mode de lien de type abandonnique où la violence peut être présente d’emblée. Ce choix sera envisagé comme une protection contre l’abandon mais en même temps comme une répétition de l’abandon, d’où sa dimension paradoxale. C’est ainsi qu’un homme ou une femme choisira un partenaire protecteur représentant la mère idéale qu’il n’a jamais eue mais ayant de brusques accès de violence ou des conduites addictives comme l’alcoolisme, ou l’usage de drogues, qui le rendront absent à la relation. Ainsi se rejouera le lien traumatique de l’abandon. Ce lien traumatique est fait de beaucoup d’excitation, excitation protégeant contre la surprise de la perte et de l’abandon comme l’explique très bien Laurence Knéra (1996).



Illustration clinique


Ainsi, Monsieur et Madame M. que je rencontre dans deux maisons d’arrêt différentes où ils sont incarcérés, lui pour le viol de ses deux filles aînées et elle pour complicité de viol. Monsieur M. est âgé de 40 ans. Il est directeur d’une entreprise. Marié à l’âge de 18 ans, il est père de cinq enfants : trois filles âgées respectivement de 21 ans, 20 ans et 5 ans et deux garçons de 16 et 13 ans. Monsieur M. est accusé de viol sur mineur de moins de 15 ans sur ses filles aînées. Il a un enfant de sa première fille. L’enfant a été placé en pouponnière.


Monsieur M. est issue d’une famille de cinq enfants dont il est le dernier. Ses parents divorcent quand il a 5 ans. Il est élevé essentiellement par sa grand-mère paternelle. Ses parents ne veulent pas le garder. Sa belle-mère ne le supporte pas et elle lui apprend qu’il n’est pas le fils de son père. Sa mère est dépressive et mène une vie professionnelle et sentimentale instable. Après avoir quitté le domicile, elle ne donne plus de nouvelles et monsieur M. va essayer de la retrouver toute une partie de son adolescence. Monsieur M. se sent mal-aimé et rejeté par les membres de sa famille. Ce manque d’attention est à l’origine de plusieurs tentatives de suicide.


Scolairement il est bon élève, et change plusieurs fois d’établissement à la suite de déménagements fréquents de ses parents. Il a ainsi du mal à se faire des amis et à s’adapter. On retrouve également cette instabilité au niveau professionnel. Il dit évoluer en fonction de ses projets c’est pourquoi il a souvent changé de travail.


À la mort de sa grand-mère chez laquelle il avait trouvé refuge, il décide seul d’intégrer un foyer de l’enfance où il est reste jusqu’à sa majorité.


Puis il rencontre sa femme, madame M., qui est plus jeune que lui de 2 ans. Ils se marient rapidement pour fuir la famille de monsieur M. où il avait dû revenir après sa sortie du foyer et également parce que madame M. est enceinte.


Madame M. est l’aînée d’une famille de deux filles. Elle décrit le climat familial comme violent, sa sœur et elle-même étant les « esclaves » de sa mère pour les tâches ménagères. À l’âge de 8 ans, elle est victime pour la première fois d’abus sexuels de la part de son père. Elle dit être allée chercher secours auprès de sa mère dont la seule réaction a été de lui donner une gifle. Elle raconte ensuite avoir été victime de viol de la part de son oncle et de son père à plusieurs reprises. Selon elle, sa mère était au courant de ce qui se passait mais ne voulait pas remettre son couple en question. Aussi, lorsque Mme M. se tourne encore vers sa mère, à l’âge de 14 ans, cette dernière la « jettera dehors » en la traitant de « traînée ». C’est juste après son départ forcé du domicile parental qu’elle rencontra Monsieur M. Lorsque Mme M. raconte sa rencontre avec son époux, c’est sur un mode enfantin et presque magique : ils avaient tellement souffert tous les deux dans leurs familles respectives qu’ils ne pouvaient qu’œuvrer ensemble pour un bonheur futur.


Lorsque les enfants naissent, ils sont pris dans ce fonctionnement. Ils auront eux aussi à trouver une place dans une famille traumatisée par ce lien abandonnique. Ainsi, l’un des enfants sera le protecteur d’une mère battue et bafouée par son conjoint, un autre pourra prendre en charge le père lorsqu’il rentrera alcoolisé. Les rôles peuvent être totalement inversés à certains moments de la vie familiale.

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May 10, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 41: Violences sexuelles

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