Chapitre 41 Décollements de rétine par déchirures géantes
Définition, physiopathologie
Une déchirure géante est définie comme une ouverture rétinienne s’étendant sur plus de 90° de circonférence.
Elle se développe à la partie postérieure ou au sein de la base du vitré, se dirige parallèlement à l’ora serrata et traduit une traction circonférentielle majeure exercée par la base sur la rétine périphérique. Un décollement de l’ora serrata et de la pars plana liée à cette traction serait observé dans 86 % cas [47]. Le lambeau rétinien antérieur est de largeur variable. La base du vitré adhère uniquement au lambeau rétinien antérieur, rendant le lambeau postérieur mobile. Les mouvements oculaires contribuent, en le mobilisant, à son extension. Son bord postérieur a tendance à s’enrouler sur lui-même. L’inversion du lambeau postérieur sur la rétine postéro-équatoriale est d’autant plus fréquente que la déchirure est étendue, de localisation supérieure (par effet gravitationnel) et que le vitré adjacent est liquéfié. Les deux cornes peuvent prendre une orientation radiaire et se diriger très postérieurement. Rarement, plusieurs déchirures géantes sont présentes sur un même œil, constituant, à l’extrême, une déchirure circonférentielle.
Son pronostic est plus sévère qu’un décollement par simple déchirure à clapet de par la fréquence accrue de prolifération vitréorétinienne : 40 % à 50 % [16].
Épidémiologie, facteurs de risque
Les décollements par déchirure géante sont rares, représentant moins d’1 % de l’ensemble des décollements de rétine. Au Royaume-Uni, l’incidence annuelle est estimée à 0,1 pour cent mille habitants [5]. S’ils sont majoritairement idiopathiques (70 %), ils peuvent être associés à une myopie forte (12 % à 47 %), un traumatisme oculaire (9 % à 43 %) ou à une dégénérescence vitréorétinienne (1 % à 8 %) [26]. Les déchirures géantes idiopathiques touchent majoritairement l’homme (70 %), le plus souvent dans sa cinquième décennie ; cette prédominance masculine est retrouvée dans toutes les séries publiées [14, 26, 30].
CONTUSION OCULAIRE
Lors d’une contusion, le globe subit des déformations majeures. Un raccourcissement brutal de la longueur axiale associée à une expansion équatoriale est suivi, en retour, par un allongement du globe avec raccourcissement équatorial. Puis, les phénomènes oscillatoires génèrent des tractions vitréorétiniennes périphériques aiguës pouvant entraîner une avulsion de la base du vitré, une dialyse et/ou une déchirure géante. Le décollement de rétine est souvent peu important et sans inversion rétinienne car, chez ces patients souvent jeunes, le décollement postérieur du vitré est rarement constitué et le vitré non liquéfié. Une myopie forte préexistante augmenterait le risque de déchirure géante dans les suites d’une contusion. Les éléments en faveur de l’origine contusive d’une déchirure géante sont : l’âge jeune, le sexe masculin, le caractère unilatéral de l’affection, un intervalle court entre le traumatisme et le décollement [20]. Bien qu’exceptionnelle, la découverte d’un décollement de rétine par déchirure géante chez un nourrisson doit faire évoquer le diagnostic de maltraitance pédiatrique ou d’enfant secoué [28].
TRAUMATISMES CHIRURGICAUX
Une déchirure géante peut être induite par l’incarcération vitréorétinienne dans les sclérotomies en pars plana après vitrectomie ou dans les suites d’une rétinopexie pneumatique [58]. Les manœuvres de récupération, par voie limbique, de fragments cristalliniens luxés postérieurement sont également à risque [1]. Lorsque ces luxations sont traitées par vitrectomie postérieure, un décollement de rétine apparaît dans 13 % des cas, dont 15 % par déchirures géantes [35]. Enfin, des procédures de chirurgie réfractive endoculaires ou cornéennes [18, 22, 36, 42] ont été incriminées sans qu’une relation de cause à effet n’ait pu être démontrée.
AUTRES CAUSES
Les déchirures géantes compliquent fréquemment les dystrophies vitréorétiniennes de Wagner, de Stickler [7], les syndromes de Marfan et d’Ehlers-Danlos [56]. Elles peuvent se développer au bord postérieur de larges cicatrices choriorétiniennes secondaires aux nécroses rétiniennes aiguës [51], aux choriorétinites syphilitiques [40], aux larges cicatrices de toxoplasmose [49] ou aux cicatrices étendues de photocoagulation ou de cryoapplications rétiniennes surdosées. Elles ont également été décrites dans le cadre de rétinites pigmentaires [8], de microsphérophaquie [39] ou de colobome cristallinien non syndromique [23].
FACTEURS GÉNÉTIQUES
Si les formes intrafamiliales de déchirure géante sont facilement expliquées dans le cadre d’une dégénérescence vitréorétinienne ou d’une myopie forte génétiquement déterminées, la publication de déchirures géantes idiopathiques bilatérales chez deux jumeaux homozygotes emmétropes soulève le rôle d’un éventuel déterminisme héréditaire dans la physiopathologie de ces déchirures [11].
Clinique
Le mode de présentation clinique est très variable, allant d’une simple déchirure géante non décollée sans prolifération vitréorétinienne, à un décollement de rétine fixé en « parapluie » par une prolifération vitréorétinienne postérieure, rétractant la rétine d’autant plus facilement que sa périphérie est largement désolidarisée de l’ora. D’autres présentations cliniques peuvent exister : hémorragie intravitréenne, inversion rétinienne (fig. 41-1 et 41-2) ou décollement choroïdien lié à une hypotonie chronique. La localisation de la déchirure est variable, de même que son étendue, allant de 90° à plus de 270°. Le degré de prolifération vitréorétinienne est également variable, qu’elle soit postérieure, focale ou diffuse, sous-rétinienne ou antérieure. Cette dernière est plus souvent constatée au décours d’une première chirurgie de réapplication.
Chirurgie
HISTORIQUE
L’apparition des perfluorocarbones liquides dans la chirurgie endoculaire [9] est venue révolutionner la prise en charge chirurgicale et le pronostic de ces décollements complexes, longtemps considérés comme un défi lancé aux chirurgiens vitréorétiniens. Jusque-là, plusieurs techniques avaient été proposées pour déplacer vers la paroi un lambeau postérieur inversé : mouvement rapide de la tête [13], vitrectomie avec échange fluide-air en position ventrale [13, 32, 37, 54], vitrectomie avec échange fluide-silicone [16, 29], ponction du liquide sous-rétinien et indentation sclérale dans les décollements sans inversion.
TECHNIQUE CHIRURGICALE ACTUELLE : VERS UN CONSENSUS
Après réalisation d’une vitrectomie centrale et périphérique, la prolifération vitréorétinienne postérieure est disséquée afin de supprimer toute traction rétinienne. Devant un décollement en « parapluie », la dissection d’une prolifération vitréorétinienne sous-rétinienne débute parfois le temps opératoire, en travaillant dans l’espace sous-rétinien à travers la déchirure géante. L’utilisation de viscoélastique permet dans certains cas d’ouvrir un entonnoir rétinien étroit, afin d’amorcer la dissection des membranes prérétiniennes postérieures. L’injection de PFCL réapplique ensuite le pôle postérieur libéré de ses tractions. Une rétinectomie limitée aux deux cornes est parfois réalisée, afin de libérer toute adhérence vitréorétinienne à ce niveau. Le lambeau rétinien postérieur est progressivement réappliqué en haussant le niveau du perfluorocarbone. La dissection d’une prolifération vitréorétinienne en moyenne périphérie est poursuivie, facilitée par la stabilisation du pôle postérieur. L’enroulement du bord postérieur de la déchirure peut persister sous perfluorocarbone. Son déplissement peut être difficile et traumatisant sous PFCL. Lopez-Guajardo propose de diminuer le niveau de PFCL juste en dessous du bord postérieur de la déchirure. La même canule servant à injecter le PFCL est alors utilisée en aspiration pour saisir, désenrouler et replacer le bord postérieur au-dessus du PFCL dont le niveau est ensuite élevé [31]. La résection du lambeau rétinien antérieur est habituelle. Le traitement d’une prolifération vitréorétinienne antérieure peut alors s’envisager par vitrectomie-dissection intrabasale ou rétinectomie relaxante. Une phacophagie préalable est parfois nécessaire pour faciliter l’accès au vitré antérieur. La rétinopexie est obtenue par endophotocoagulation au laser argon sur le bord postérieur de la déchirure, poursuivie souvent sur 360°. Des retours à l’ora sont pratiqués aux deux extrémités de la déchirure. Une cryoapplication transclérale est parfois pratiquée aux deux cornes, afin de limiter les risques de récidive à leur niveau. L’intervention s’achève le plus souvent par un échange PFCL-silicone.
Cette chirurgie bénéficie déjà des dernières avancées techniques représentées par les systèmes de vitrectomies trans-conjonctivosclérales sans suture 23 G [38, 52] et 25 G [41], mais aucune étude comparant ces techniques au 20 G n’est actuellement disponible.