Chapitre 40 Décollements de rétine par déchirures à clapet
Les déchirures à clapet sont toujours liées à une traction du vitré sur la rétine. Elles seraient responsables de 85 % des décollements de rétine rhegmatogènes [11]. Ces décollements par déchirure à clapet, où s’insère toujours une bride de vitré, sont dits vitréogènes, par opposition aux décollements par trou atrophique ou dialyse à l’ora, qui sont dits rétinogènes [11].
Présentation clinique
TERRAIN
Les décollements de rétine par déchirure à clapet surviennent généralement chez des patients dans leur sixième décennie [3, 16, 55], c’est-à-dire plus tardivement que les décollements de rétine par trou atrophique ou chez les myopes forts [18]. Une part croissante de ces décollements de rétine survient chez des patients opérés de la cataracte. Le taux de pseudophaques peut atteindre un patient sur trois [2, 23].
LOCALISATION DES DÉCHIRURES
EXAMEN PRÉOPÉRATOIRE
L’examen préopératoire du fond d’œil doit définir les limites du décollement de rétine afin de chercher la déhiscence d’origine dans la zone appropriée. ll cherchera ensuite d’éventuelles déhiscences secondaires supplémentaires. Chez le pseudophaque, les lentilles « grand angle » semblent supérieures aux autres systèmes de visualisation du fond d’œil pour détecter les déhiscences [50]. En cas de doute, on peut s’appuyer sur les règles dites de Lincoff [49] pour localiser la déhiscence d’origine, règles qui reposent sur le fait que l’accumulation du liquide sous-rétinien est gouvernée par la pesanteur et un certain nombre de facteurs anatomiques. Ainsi, le liquide se forme autour de la déhiscence d’origine puis la forme du décollement de rétine désigne la position de la déhiscence.
Règles de Lincoff
DANS LES DÉCOLLEMENTS DE RÉTINE SUPÉRIEURS TEMPORAL OU NASAL
Lorsqu’il existe une déhiscence supérieure, le décollement se forme autour de celle-ci, s’étend vers l’ora serrata, puis vers la papille. Quand il devient bulleux, il progresse en un front sous l’effet de la gravité et des mouvements de l’œil. Il atteint la partie inférieure, contourne la papille puis élève son niveau du côté opposé à la déhiscence sans atteindre la même hauteur. Dans la quasi-totalité des cas, la déhiscence est localisée sur un méridien à 1 h 30 ou moins du bord le plus élevé (fig. 40-1).
DÉCOLLEMENT DE RÉTINE INFÉRIEUR
Le liquide sous-rétinien se développe autour de la déhiscence, puis vers l’ora serrata. Son niveau remonte ensuite vers la papille, la partie la plus haute étant située du côté de la déhiscence (fig. 40-2). Lorsque le niveau est aussi haut en nasal qu’en temporal, la déhiscence doit se trouver sur le méridien de 6 h (fig. 40-3). Pour entraîner une différence de niveau, elle doit être située à au moins 2 mm du méridien de 6 h. Néanmoins, quand un décollement de rétine inférieur est bulleux, il faut chercher une fuite périphérique à partir d’une déhiscence supérieure (fig. 40-4).
Autres signes d’orientation
D’autres éléments permettent aussi de localiser la déhiscence.
On peut aussi observer dans les décollements de rétine ayant progressé lentement, des lignes de démarcation sous-rétiniennes blanches ou des lignes de migrations pigmentaires prenant un aspect arciforme, qui vont délimiter la zone où la déhiscence d’origine doit être recherchée (fig. 40-5).
Lorsqu’un décollement de rétine survient dans les suites d’une chirurgie de la macula, il est souvent lié à une incarcération vitréenne dans la sclérotomie au niveau de la main dominante du chirurgien. Dans ce contexte, il faut d’abord rechercher une déchirure périphérique sur le méridien où a été réalisée cette sclérotomie [36].
MISE EN ÉVIDENCE DE DÉCHIRURES PRÉALABLEMENT NON VUES EN COURS DE VITRECTOMIE
Effet schlieren
L’injection de PFCL en cours de vitrectomie peut permettre l’expression de liquide sous-rétinien riche en protéines dans la cavité vitréenne par la déchirure rétinienne. L’apparition de ce liquide visqueux peut permettre la localisation d’une déchirure initialement non vue [14, 28]. Cet effet est constaté dans 57 % des cas pour Martinez-Castillo [54].
Bleu trypan
Lorsqu’aucune déchirure n’est vue en cours de vitrectomie, l’injection transrétinienne de bleu trypan à 0,15 % dans le liquide sousrétinien puis l’injection de PFCL dans la cavité vitréenne a été proposée. On peut ainsi distinguer des volutes bleues rentrant dans la cavité vitréenne permettant de localiser la déhiscence [44]
DÉCHIRURES MULTIPLES
Le taux de décollement de rétine avec déchirures multiples peut dépasser 30 % [54]. Les règles dites de Lincoff permettent de distinguer la déchirure d’origine des déchirures secondaires.
Après avoir visualisé une déchirure, il faut donc prolonger l’examen du fond d’œil afin d’en détecter d’autres, surtout s’il existe une discordance entre la localisation de cette déchirure et les limites du décollement de rétine. L’existence de déchirures multiples pourrait être un facteur d’échec de la chirurgie ab externo [1] au même titre que la prolifération vitréorétinienne.
DÉCHIRURE NON VUE
Chez le patient phaque, le taux de déchirure non vue varie entre 2 % et 4 % [8, 57, 63]. Chez l’aphaque, l’incidence des déchirures non vues va de 7 % à 16 % [57, 63]. Ce taux est compris entre 2,5 % et 22 % chez le pseudophaque [9, 31, 43, 48, 56]. Les chances de succès de la chirurgie sont plus importantes si la déchirure a pu être visualisée pendant l’intervention [39, 63, 77]. Néanmoins, les études ne distinguent pas toujours les cas où aucune déchirure n’est visualisée lors de l’examen préopératoire des cas où aucune déchirure n’est mise en évidence à la fois lors de cet examen et de la chirurgie, et les cas où il existe plusieurs déchirures dont certaines n’ont pas été visualisées et qui pourront être source de récidive du décollement de rétine.
Les facteurs favorisant l’absence de visualisation des déchirures sont :
Les déchirures rétiniennes sont aussi plus difficiles à détecter lorsque l’épithélium pigmentaire est peu pigmenté. Les décollements de rétine inférieurs seraient plus fréquemment associés à une déchirure non vue [15].
En cas de déchirure non vue, la prise en charge est discutée. Il a été proposé de réaliser une rétinopexie large voire circulaire ou une indentation extensive [3, 16, 44, 63]. Pour certains, la vitrectomie pourrait produire un taux de réapplication initial plus important que l’indentation simple [9]. Pour d’autres, le traitement ab externo en respectant les règles de Lincoff donne d’excellents résultats [30]. Après dépression sclérale, l’utilisation de la cryode sur les zones douteuses révèle parfois la présence d’une petite déhiscence par contraste (fig. 40-8). Ainsi, il se pourrait que la vitrectomie avec indentation ait les mêmes résultats que le traitement purement ab externo [63, 72]. Le taux de réapplication primaire dépasse les 70 % et le taux de réapplication finale est autour de 90 % [21, 30, 63, 72, 78].
Fig. 40-8 Visualisation d’une déhiscence rétinienne (flèche) à l’extrémité d’une palissade par contraste au moment de la cryoapplication. Examen au verre à trois miroirs.
Chez l’aphaque ou le pseudophaque, en l’absence de déchirure vue, la tendance est à la réalisation d’une vitrectomie de première intention. Elle permet si nécessaire la réalisation d’une capsulotomie postérieure, l’utilisation de crochets écarteurs à iris (fig. 40-9) ou de lentilles « grand angle » [48]. La réalisation d’une vitrectomie avec dissection méticuleuse de la base du vitré, la dépression sclérale en regard de la base du vitré et la visualisation du fond d’œil grâce à des lentilles « grand champ », couramment utilisées depuis une dizaine d’années, permettent un meilleur examen de la périphérie rétinienne et donc une diminution du taux de déchirures non vues [44, 54]. Pour certains, chez le sujet phaque, l’absence de déchirure vue avant l’intervention justifie la réalisation d’une phakoexérèse dans le même temps que la vitrectomie [54]. La poursuite de l’examen de la base du vitré en cours de vitrectomie après visualisation d’une première déchirure non vue lors de l’examen préopératoire peut conduire à la découverte de nouvelles déhiscences dans 30 % des cas [54].
ASPECT DE LA DÉCHIRURE
Fig. 40-18 Petite déchirure rétinienne (flèche) au contact d’une cicatrice choriorétinienne pigmentée d’origine indéterminée.