4: Chirurgie des annexes oculaires

4 Chirurgie des annexes oculaires



PAUPIÈRES, CONJONCTIVES, MEMBRANE NICTITANTE : CONSIDÉRATIONS ANATOMOPHYSIOLOGIQUES, APPLICATIONS CHIRURGICALES


La lame tarsale fibreuse palpébrale (fig. 4.1) joue un rôle important de support mécanique de la paupière : la stabilité qu’elle assure est précieuse lors de plaie palpébrale profonde, et elle constitue le repère qui permet une bonne apposition de la conjonctive et de la peau aux berges de la plaie ; la base de la lame tarsale offre également une zone d’ancrage solide lors de correction d’entropion. La richesse de la vascularisation palpébrale explique l’importance des œdèmes post-traumatiques palpébraux, mais aussi la qualité et la plasticité de la cicatrisation, même sur des plaies anciennes.



La conjonctive exerce un rôle de protection physique et immunologique pour l’œil : son épithélium (fig. 4.2) est couvert de mucus secrété par les cellules caliciformes (protection physique, stabilité du film de larmes), ce mucus contient des IgA issus des cellules lymphoïdes présentes à la face interne de la membrane nictitante. Les plaies conjonctivales de petite taille cicatrisent spontanément per primam (mitose et glissement cellulaire) en 24 à 36 h. Lors d’atteintes plus importantes, l’activation des histiocytes en fibroblastes assure la synthèse du collagène cicatriciel sous-épithélial. La cicatrisation par granulation, lors de perte de substance étendue, se fait en 4 à 7 j. La richesse vasculaire du chorion conjonctival explique l’œdème et les hémorragies conjonctivales, dont la résorption est complète en 7 à 10 j. La mobilité et la plasticité conjonctivales, sa vascularisation engendrent des difficultés chirurgicales spécifiques : la dissection du plan superficiel est plus difficile que celle passant par le plan profond, qui est génératrice d’hémorragies conjonctivales.



La membrane nictitante est sous-tendue par un cartilage hyalin en forme de T (fig. 4.3) dont l’intégrité et la plasticité sont les garantes du bon contact de cette structure avec la surface cornéenne. Compte tenu de son rôle primordial dans la production (glande accessoire), la répartition (mouvements de glissement sur la cornée) et la composition (mucus et IgA) du film lacrymal, l’intégrité de la membrane nictitante doit être respectée ou restaurée lors d’interventions chirurgicales. Des plaies de petites tailles ou non perforantes guérissent spontanément ; lors de lacérations importantes, notamment celles qui intéressent le bord libre, la réparation chirurgicale doit être aussi anatomique que possible, la face interne doit rester lisse, le parage chirurgical doit être aussi limité que possible s’il est nécessaire. L’ablation de la membrane nictitante doit, autant que faire se peut, être évitée (kératoconjonctivite chronique, sèche ou non, induite), et une greffe de muqueuse entreprise si cette amputation est inévitable (tumeurs de la glande nictitante).




ENTROPION


L’entropion est l’enroulement vers l’intérieur du bord libre palpébral. Il peut entraîner des lésions irritatives conjonctivales et cornéennes, érosives secondairement vascularisées et pigmentées de l’épithélium et du stroma cornéens. Les signes cliniques observées sont le blépharospasme, le larmoiement, la photophobie, la conjonctivite et la kératite ulcéreuse ou non. La vascularisation et la pigmentation cornéennes superficielles peuvent être responsables de défauts de vision.


Chez le chien, les entropions à prédisposition raciale affectant le bord palpébral inféro-temporal ou/et parfois le canthus latéral dans son entier (Bulldog anglais, Chow-chow, Pointer, Retriever, Rottweiler, Shar pei…), ou participant à des malformations complexes de la fente palpébrale (Chow-chow, molossoïdes, Shar pei…) sont les plus fréquents et souvent bilatéraux. Réputés congénitaux, ce sont des anomalies du développement qui apparaissent le plus fréquemment entre 3 et 6 mois d’âge (en moyenne la première année de vie). Ils sont infiniment plus rares chez le chat (Charteux, Exotic Shorthair, Persan…).


Les entropions spastiques (consécutifs à une douleur oculaire : blépharite, herpès virose féline…) ou cicatriciels (séquelles de plaies palpébrales) sont plus rares.


Ce sont l’intensité des signes fonctionnels douloureux et les lésions cornéennes qui déterminent la décision chirurgicale, qui ne doit intervenir qu’après traitement médical lors d’entropion spastique, la mise en œuvre de ce dernier pouvant s’avérer suffisante pour régler le problème. Le choix de la technique est guidé par le type d’entropion auquel le praticien se trouve confronté. Sont présentées les techniques couramment appliquées par l’auteur.



ÉVERSION TEMPORAIRE DES PAUPIÈRES





Postopératoire


Les sutures sont laissées en place tant qu’elles ne gênent pas (granulomes possibles), ou ne tombent pas seules (fig. 4.6). Un nettoyage biquotidien, un traitement de la kératoconjonctivite et du fréquent ulcère cornéen associé sont prescrits. La procédure peut être renouvelée si besoin, une correction chirurgicale définitive sous anesthésie générale à l’âge de quelques mois est à envisager.


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Fig. 4.6 Résultat à 10 j (chien de la figure 4.4) : un point inférieur est tombé seul, un granulome est présent sur le point médial supérieur, la conjonctivite a disparu, la vascularisation stromale cornéenne également, une opalescence cornéenne résiduelle subsiste.



TECHNIQUES DE HOTZ-CELSUS ET DE HOTZ-CELSUS MODIFIÉE




Technique opératoire



Entropion inférieur


En regard de la zone enroulée, la taille de l’incision cutanée est appréciée à l’aide d’une pince de Halstead ou de Leriche : la partie à exciser pour dérouler le bord palpébral est incluse dans cette dernière sous la forme d’un pli de peau, dont les limites marquées par les mors sont celles des incisions cutanées, réalisées à la lame n° 15 après stabilisation de la paupière sur une spatule, et avant ablation de la peau par dissection aux ciseaux de Metzenbaum courbes (fig. 4.8a et b). La berge palpébrale linéaire de l’incision doit se trouver à 2 mm environ du bord libre de la paupière, la berge opposée est incurvée et sa partie la plus large correspond au maximum d’entropion (fig. 4.8a et b). L’hémostase est effectuée selon besoins. L’incision est fermée à points cutanés séparés : les deux premiers points sont placés à environ 1 mm des limites d’incision, aux 1/3 nasal et temporal de cette dernière pour réaliser un bon affrontement (fig. 4.8b et c), les autres points sont effectués ensuite (fig. 4.8d). Les nœuds sont placés du côté opposé au bord libre palpébral (fig. 4.8d), le chef tourné vers la cornée est coupé court, l’autre est laissé plus long pour enlever les points plus facilement.




Entropion du canthus latéral


La technique précédente est modifiée en réalisant une incision en forme de tête de flèche (fig. 4.9 et 4.10), dont les largeurs inférieure et supérieure sont fonction des corrections nécessaires (elles sont le plus souvent inégales). Le point cutané à la pointe de la flèche (au canthus latéral) est réalisé en premier, puis les incisions supérieure et inférieure sont fermées à points séparés comme précédemment (fig. 4.10f). Si le canthus latéral n’est pas assez tendu (laxité canthale latérale), la correction additionnelle est faite par un point sous-cutané en U dont les parties verticales intéressent l’épaisseur du muscle orbiculaire des paupières (successivement les fibres de la paupière supérieure puis de la paupière inférieure, du côté médial du canthus), et celle du fascia qui recouvre le ligament orbitaire ou le ligament orbitaire lui-même du côté latéral en un seul passage (le ligament orbitaire lui même est difficile à transfixer, le monofil de suture cutanée convient bien pour ce point additionnel) : le serrage de ce point remet en position et retend le canthus latéral (fig. 4.10c à e).






TECHNIQUE DE STADES (MARGINOPLASTIE)




Technique opératoire


Le but est d’éverser le bord palpébral tout en éliminant cils et poils traumatisants (fig. 4.12A) et d’obtenir une cicatrisation cutanée glabre par seconde intention. La première incision (SOG) est effectuée à la lame n° 11 : elle est inclinée en direction de la conjonctive, réalisée à 0,5-1 mm de l’orifice des glandes tarsales de Meibomius, du côté externe par rapport à ces dernières, commencée de 2 à 4 mm du canthus médial, étendue le long du bord palpébral jusqu’à 5 mm au-delà du canthus latéral (fig. 4.12A). Une seconde incision cutanée palpébrale courbe rejoint la première à ses extrémités médiale et latérale (fig. 4.12A : b et 4.12B), permettant par dissection aux ciseaux de Sevrin-Stevens ou de Metzenbaum courbes l’excision d’une côte de melon dont le trajet suit le bord orbitaire supérieur. L’incision supérieure est tirée vers l’incision inférieure par quatre à six points simples d’ancrage, puis par un surjet simple et son bord cutané suturé au tissu sous-cutané à 5 mm environ de cette dernière, au niveau de la base des glandes tarsales (fig. 4.12A : c, d et 4.12C). La cicatrisation se fait par granulation en une dizaine de jours, la cicatrice glabre s’épithélialise et se pigmente secondairement dans la plupart des cas.



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Fig. 4.12 B Incision cutanée en pleine épaisseur en croissant de la paupière supérieure chez le chien de la fig. 4.11A. C. Suture en tension du bord palpébral supérieur (points simples et surjet) chez le chien de la fig. 4.11A ; l’entropion inférieur a été corrigé par la technique de Hotz-Celsus.





TECHNIQUE DE BIGELBACH




Technique opératoire


Il s’agit d’une canthoplastie latérale, qui permet de raccourcir de 20 à 25 % la longueur des paupières supérieure et inférieure, stabilisant ainsi le canthus latéral. Une excision musculo-cutanée (le muscle orbiculaire des paupières est intéressé) trapézoïdale est réalisée au canthus latéral (fig. 4.14a à f) : elle permet à la fois de raccourcir la fente palpébrale et de stabiliser le canthus latéral. La partie de bord palpébral à raccourcir en effectuant une tarsorraphie latérale permanente est indiquée par deux petites incisions perpendiculaires au bord palpébral effectuées à la lame no 11 (fig. 4.14a). Deux incisions incurvées à la lame sont faites à partir du canthus dans le prolongement des bords palpébraux et leurs extrémités sont réunies par une troisième incision, délimitant ainsi un triangle de peau (fig. 4.14b) excisé aux ciseaux à ténotomie de Sevrin-Stevens ou de Metzenbaum courbes (fig. 4.14b). Les deux petites incisions perpendiculaires aux bords palpébraux et les extrémités des incisions curvilignes dans le prolongement des bords palpébraux sont réunies par deux incisions à la lame n° 11 (une inférieure, une supérieure, fig. 4.14c), et les deux triangles palpébraux ainsi délimités excisés en pleine épaisseur aux ciseaux à ténotomie de Sevrin-Stevens ou de Metzenbaum (fig. 4.14c). La suture de l’incision trapézoïdale ainsi réalisée (fig. 4.14d) est effectuée à points séparés comme indiqué en (fig. 4.14f) afin de réaliser la tarsorraphie latérale permanente qui raccoucit la fente palpébrale.



Cette technique peut être transposée au canthus médial.






ECTROPION


C’est l’éversion du bord libre, en principe bilatérale inférieure quand elle est liée au type racial par hyperlaxité et excès de longueur palpébraux. On l’observe chez le chien jeune dans des races telles que le Basset Hound, certains Braques (fig. 4.18), le chien de Saint-Hubert, les molossoïdes de race géante, certains Retrievers (du Labrador et golden), les Spaniels (Clumber Spaniel, Cockers anglais et américain, Springers anglais et gallois, Field Spaniel). Les signes observés sont une exposition anormale des conjonctives, un épiphora séreux, une conjonctivite et une kératite occasionnelles. Il n’y a donc aucune urgence à intervenir chirurgicalement, sauf dans le cas particuliers d’une KCS intercurrente, qui peut être aggravée par l’ectropion (chien de Saint-Hubert). La décision opératoire est prise chez le chien adulte ou jeune adulte : chez les Retrievers notamment, on observe de façon assez fréquente un ectropion médian inférieur temporaire, présent chez le chien au repos, et disparaissant lorsqu’il est attentif, puis quelles que soient les conditions chez l’adulte. Lors de correction excessive d’entropion, un ectropion cicatriciel peut être induit, comme lors de plaie palpébrale. La résection pentagonale en pleine épaisseur de la zone éversée est souvent insuffisante pour traiter l’ectropion lié au type racial.




TECHNIQUE DE KUHNT-SZYMANOWSKI MODIFIÉE




Technique opératoire


Elle se compose d’une résection en pleine épaisseur du bord palpébral, renforcée par une plastie cutanée (fig. 4.19a à h) : ainsi, les tensions sont réparties et la solidité postopératoire est bien améliorée par rapport à la résection simple en pleine épaisseur.



Une incision à la lame n° 11 est tracée à 3 mm parallèlement au bord palpébral inférieur (fig. 4.19b), prolongée latéralement de 8 mm par rapport au canthus temporal (fig. 4.19c), étendue ventralement en dessinant la forme d’un 7 qui aurait subi une rotation de 90° dans le sens anti-horaire (fig. 4.19b et c) : le lambeau de peau est disséqué et récliné du côté inféronasal (fig. 4.19c). Un triangle de conjonctive et de lame palpébrale correspondant à la largeur de la zone éversée est excisé aux ciseaux à ténotomie de Sevrin-Stevens (SOG, fig. 4.19d), et les bords de la plaie d’excision suturés à points séparés au fil résorbable (fig. 4.19e). La peau est remise en place, l’excès de peau latéral en triangle sectionné (fig. 4.19f) et la suture cutanée effectuée au monofil non résorbable (fig. 4.19g et h).

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Apr 23, 2017 | Posted by in OPHTALMOLOGIE | Comments Off on 4: Chirurgie des annexes oculaires

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