4 Chirurgie des annexes oculaires
PAUPIÈRES, CONJONCTIVES, MEMBRANE NICTITANTE : CONSIDÉRATIONS ANATOMOPHYSIOLOGIQUES, APPLICATIONS CHIRURGICALES
La lame tarsale fibreuse palpébrale (fig. 4.1) joue un rôle important de support mécanique de la paupière : la stabilité qu’elle assure est précieuse lors de plaie palpébrale profonde, et elle constitue le repère qui permet une bonne apposition de la conjonctive et de la peau aux berges de la plaie ; la base de la lame tarsale offre également une zone d’ancrage solide lors de correction d’entropion. La richesse de la vascularisation palpébrale explique l’importance des œdèmes post-traumatiques palpébraux, mais aussi la qualité et la plasticité de la cicatrisation, même sur des plaies anciennes.
Fig. 4.1 Anatomie de la paupière supérieure :
(d’après CP. Moore et GM. Constantinescu, Surgery of the adnexa. In : Nasisse MP, ed. Surgical management of ocular diseases. Vet Clin North Am Small Anim Pract, 1997, 27)
La conjonctive exerce un rôle de protection physique et immunologique pour l’œil : son épithélium (fig. 4.2) est couvert de mucus secrété par les cellules caliciformes (protection physique, stabilité du film de larmes), ce mucus contient des IgA issus des cellules lymphoïdes présentes à la face interne de la membrane nictitante. Les plaies conjonctivales de petite taille cicatrisent spontanément per primam (mitose et glissement cellulaire) en 24 à 36 h. Lors d’atteintes plus importantes, l’activation des histiocytes en fibroblastes assure la synthèse du collagène cicatriciel sous-épithélial. La cicatrisation par granulation, lors de perte de substance étendue, se fait en 4 à 7 j. La richesse vasculaire du chorion conjonctival explique l’œdème et les hémorragies conjonctivales, dont la résorption est complète en 7 à 10 j. La mobilité et la plasticité conjonctivales, sa vascularisation engendrent des difficultés chirurgicales spécifiques : la dissection du plan superficiel est plus difficile que celle passant par le plan profond, qui est génératrice d’hémorragies conjonctivales.
Fig. 4.2 Anatomie topographique de la conjonctive :
(d’après CP. Moore et GM. Constantinescu, Surgery of the adnexa. In : Nasisse MP, ed. Surgical management of ocular diseases. Vet Clin North Am Small Anim Pract, 1997, 27)
La membrane nictitante est sous-tendue par un cartilage hyalin en forme de T (fig. 4.3) dont l’intégrité et la plasticité sont les garantes du bon contact de cette structure avec la surface cornéenne. Compte tenu de son rôle primordial dans la production (glande accessoire), la répartition (mouvements de glissement sur la cornée) et la composition (mucus et IgA) du film lacrymal, l’intégrité de la membrane nictitante doit être respectée ou restaurée lors d’interventions chirurgicales. Des plaies de petites tailles ou non perforantes guérissent spontanément ; lors de lacérations importantes, notamment celles qui intéressent le bord libre, la réparation chirurgicale doit être aussi anatomique que possible, la face interne doit rester lisse, le parage chirurgical doit être aussi limité que possible s’il est nécessaire. L’ablation de la membrane nictitante doit, autant que faire se peut, être évitée (kératoconjonctivite chronique, sèche ou non, induite), et une greffe de muqueuse entreprise si cette amputation est inévitable (tumeurs de la glande nictitante).
Fig. 4.3 Anatomie de la membrane nictitante :
a. conjonctive ; b. cartilage ; c. glande ; d. canaux excréteurs ; e. follicules lymphoïdes.
(d’après CP. Moore et GM. Constantinescu, Surgery of the adnexa. In : Nasisse MP, ed. Surgical management of ocular diseases. Vet Clin North Am Small Anim Pract, 1997, 27)
ENTROPION
ÉVERSION TEMPORAIRE DES PAUPIÈRES
Indications
Cette technique est mise en œuvre presque exclusivement lors d’entropion congénital lié au type racial, très douloureux (spastique), souvent présent à l’ouverture des yeux (20 j) chez le Shar pei. Elle peut aussi être utilisée temporairement pour soulager les effets douloureux d’un entropion spastique (fig. 4.4).
Technique opératoire
Au moins deux points simples au monofil 2/0 (le fil ne doit pas être trop fin pour ne pas couper la peau) sont placés sans anesthésie générale aux 1/3 de la zone enroulée, mesurés à partir des extrémités nasale puis temporale, en partant à 3 mm du bord palpébral : le premier passage d’aiguille charge environ 5 mm de peau, le second également après que l’aiguille ressortie soit réinsérée au-dessus du bord orbitaire palpable sous la peau. On peut augmenter le nombre de points si nécessaire, selon la longueur de peau enroulée. Les paupières supérieure et inférieure sont généralement atteintes et traitées simultanément (fig. 4.5A et B).
Fig. 4.5 A. Technique d’éversion temporaire des paupières
B. Fils temporaires d’éversion en place chez le chien de la fig. 4.4 : noter l’opacification et la vascularisation conéennes
(d’après G. Severin, Severin’s Ophtalmology Notes. 3rd ed. Fort Collins : Design Pointe TM Communications Inc., 1995).
Postopératoire
Les sutures sont laissées en place tant qu’elles ne gênent pas (granulomes possibles), ou ne tombent pas seules (fig. 4.6). Un nettoyage biquotidien, un traitement de la kératoconjonctivite et du fréquent ulcère cornéen associé sont prescrits. La procédure peut être renouvelée si besoin, une correction chirurgicale définitive sous anesthésie générale à l’âge de quelques mois est à envisager.
TECHNIQUES DE HOTZ-CELSUS ET DE HOTZ-CELSUS MODIFIÉE
Indications
Ce type d’intervention est indiqué dans l’entropion à prédisposition raciale inférieur, le plus souvent latéral, ou intéressant la totalité du canthus latéral (fig. 4.7) avec une éventuelle laxité dans l’entropion cicatriciel sectoriel et en complément de la technique d’éversion temporaire (plutôt à la paupière inférieure).
Technique opératoire
Entropion inférieur
En regard de la zone enroulée, la taille de l’incision cutanée est appréciée à l’aide d’une pince de Halstead ou de Leriche : la partie à exciser pour dérouler le bord palpébral est incluse dans cette dernière sous la forme d’un pli de peau, dont les limites marquées par les mors sont celles des incisions cutanées, réalisées à la lame n° 15 après stabilisation de la paupière sur une spatule, et avant ablation de la peau par dissection aux ciseaux de Metzenbaum courbes (fig. 4.8a et b). La berge palpébrale linéaire de l’incision doit se trouver à 2 mm environ du bord libre de la paupière, la berge opposée est incurvée et sa partie la plus large correspond au maximum d’entropion (fig. 4.8a et b). L’hémostase est effectuée selon besoins. L’incision est fermée à points cutanés séparés : les deux premiers points sont placés à environ 1 mm des limites d’incision, aux 1/3 nasal et temporal de cette dernière pour réaliser un bon affrontement (fig. 4.8b et c), les autres points sont effectués ensuite (fig. 4.8d). Les nœuds sont placés du côté opposé au bord libre palpébral (fig. 4.8d), le chef tourné vers la cornée est coupé court, l’autre est laissé plus long pour enlever les points plus facilement.
Entropion du canthus latéral
La technique précédente est modifiée en réalisant une incision en forme de tête de flèche (fig. 4.9 et 4.10), dont les largeurs inférieure et supérieure sont fonction des corrections nécessaires (elles sont le plus souvent inégales). Le point cutané à la pointe de la flèche (au canthus latéral) est réalisé en premier, puis les incisions supérieure et inférieure sont fermées à points séparés comme précédemment (fig. 4.10f). Si le canthus latéral n’est pas assez tendu (laxité canthale latérale), la correction additionnelle est faite par un point sous-cutané en U dont les parties verticales intéressent l’épaisseur du muscle orbiculaire des paupières (successivement les fibres de la paupière supérieure puis de la paupière inférieure, du côté médial du canthus), et celle du fascia qui recouvre le ligament orbitaire ou le ligament orbitaire lui-même du côté latéral en un seul passage (le ligament orbitaire lui même est difficile à transfixer, le monofil de suture cutanée convient bien pour ce point additionnel) : le serrage de ce point remet en position et retend le canthus latéral (fig. 4.10c à e).
TECHNIQUE DE STADES (MARGINOPLASTIE)
Indications
Elle est mise en œuvre lorsqu’un excès de peau à la paupière supérieure associé à la présence de cils et poils traumatisants résulte en l’association entropion-trichiasis, avec lésions cornéennes secondaires douloureuses (fig. 4.11A). Elle nous a donné aussi d’excellents résultats lors d’entropion supérieur sénile du Cocker anglais âgé par affaissement de la structure palpébrale, moins inconstants que la technique de canthoplastie-canthopexie classiquement proposée dans ce cas (fig. 4.11B).
Fig. 4.11 A. Entropion-trichiasis de la paupière supérieure avec granulome cornéen induit et entropion latéral inférieur associé chez un chiot Shar pei âgé de 4 mois. B. Correction de l’entropion sénile (cicatrisation glabre par seconde intention visible du bord palpébral supérieur) après marginoplastie chez un Cocker anglais âgé de 12 ans.
Technique opératoire
Le but est d’éverser le bord palpébral tout en éliminant cils et poils traumatisants (fig. 4.12A) et d’obtenir une cicatrisation cutanée glabre par seconde intention. La première incision (SOG) est effectuée à la lame n° 11 : elle est inclinée en direction de la conjonctive, réalisée à 0,5-1 mm de l’orifice des glandes tarsales de Meibomius, du côté externe par rapport à ces dernières, commencée de 2 à 4 mm du canthus médial, étendue le long du bord palpébral jusqu’à 5 mm au-delà du canthus latéral (fig. 4.12A). Une seconde incision cutanée palpébrale courbe rejoint la première à ses extrémités médiale et latérale (fig. 4.12A : b et 4.12B), permettant par dissection aux ciseaux de Sevrin-Stevens ou de Metzenbaum courbes l’excision d’une côte de melon dont le trajet suit le bord orbitaire supérieur. L’incision supérieure est tirée vers l’incision inférieure par quatre à six points simples d’ancrage, puis par un surjet simple et son bord cutané suturé au tissu sous-cutané à 5 mm environ de cette dernière, au niveau de la base des glandes tarsales (fig. 4.12A : c, d et 4.12C). La cicatrisation se fait par granulation en une dizaine de jours, la cicatrice glabre s’épithélialise et se pigmente secondairement dans la plupart des cas.
Fig. 4.12 A Marginoplastie de Stades
(d’après GM. ConstantinescuIn : Nasisse MP, ed Surgical management of ocular diseases. Vet. Clin North Am Small Anim Pract, 1997, 27).
EXCISION DE PLIS DE PEAU
Indications
Chez des chiens à peau faciale abondante, très lourde (chien de Saint-Hubert, Clumber Spaniel, Chow-chow, Shar pei…), des plis épais orbitofrontaux latéraux se forment et constituent non seulement des facteurs d’irritation oculaire mais aussi une gêne pour la vision. La correction par ablation cutanée frontale entre les deux oreilles ne nous a jamais donné de résultats cosmétiques et durablement fonctionnels intéressants. L’intervention d’excision pratiquée sur les plis orbitofrontaux latéraux nous semble, seule ou en combinaison avec d’autres procédures (Hotz-Celsus, Stades), beaucoup mieux adaptée.
Technique opératoire
La quantité de peau à enlever est évaluée sur le chien vigile en la saisissant entre les doigts jusqu’à éliminer les plis (fig. 4.13), et la préparation chirurgicale s’accompagne d’un marquage des limites de l’excision à l’aide d’un marqueur indélébile. Les limites nasale et temporale de(s) l’incision(s) sont variables et, dans certains cas, elles intéressent tout le pourtour oculaire. Seule la peau est enlevée, les sutures sont faites à points séparés.
TECHNIQUE DE BIGELBACH
Technique opératoire
Il s’agit d’une canthoplastie latérale, qui permet de raccourcir de 20 à 25 % la longueur des paupières supérieure et inférieure, stabilisant ainsi le canthus latéral. Une excision musculo-cutanée (le muscle orbiculaire des paupières est intéressé) trapézoïdale est réalisée au canthus latéral (fig. 4.14a à f) : elle permet à la fois de raccourcir la fente palpébrale et de stabiliser le canthus latéral. La partie de bord palpébral à raccourcir en effectuant une tarsorraphie latérale permanente est indiquée par deux petites incisions perpendiculaires au bord palpébral effectuées à la lame no 11 (fig. 4.14a). Deux incisions incurvées à la lame sont faites à partir du canthus dans le prolongement des bords palpébraux et leurs extrémités sont réunies par une troisième incision, délimitant ainsi un triangle de peau (fig. 4.14b) excisé aux ciseaux à ténotomie de Sevrin-Stevens ou de Metzenbaum courbes (fig. 4.14b). Les deux petites incisions perpendiculaires aux bords palpébraux et les extrémités des incisions curvilignes dans le prolongement des bords palpébraux sont réunies par deux incisions à la lame n° 11 (une inférieure, une supérieure, fig. 4.14c), et les deux triangles palpébraux ainsi délimités excisés en pleine épaisseur aux ciseaux à ténotomie de Sevrin-Stevens ou de Metzenbaum (fig. 4.14c). La suture de l’incision trapézoïdale ainsi réalisée (fig. 4.14d) est effectuée à points séparés comme indiqué en (fig. 4.14f) afin de réaliser la tarsorraphie latérale permanente qui raccoucit la fente palpébrale.
Fig. 4.14 Technique de Bigelbach
(d’après FC. Stades, Pathologie des paupières et de la membrane nictitant. Prat. Med. Chir. anim comp, 1997).
TRAITEMENT DE L’ENTROPION INFÉRO-MÉDIAL
Indications
Fréquent dans les races naines (Bichons, Caniches nain et toy, Pinscher nain…) et brachycéphales quelle que soit leur taille, il est souvent peu gênant sur le plan fonctionnel (fig. 4.15) et la principale indication opératoire est la suppression de l’épiphora si nécessaire.
Technique opératoire
Une incision triangulaire à sommet ventral, latérale par rapport au point lacrymal inférieur est réalisée à la lame n° 11 à 3 mm du bord libre sur 8 à 15 mm, les deux autres incisions sont effectuées de telle sorte que la hauteur du triangle soit de 5 mm environ (fig. 4.16). Seule la peau est excisée, la plaie est fermée par quatre ou cinq points simples.
TRAITEMENT DE L’ENTROPION PAR PLASTIE EN Y-V
Indications
Seuls les entropions cicatriciels limités sont susceptibles de subir ce type de traitement.
Technique opératoire
La paupière est stabilisée en tension, l’incision cutanée en Y à la lame n° 15 ou n° 11 intéresse toute la zone cicatricielle entre les branches du Y, dont la base est d’égale longueur à celle des branches (fig. 4.17A). La peau est séparée du tissu cicatriciel fibreux adhérent (SOG) aux ciseaux de Sevrin-Stevens, elle est séparée du conjonctif sous-jacent sur 2 ou 3 mm sur les bords externes de l’incision (fig. 4.17B). L’éversion du bord libre palpébral est réalisée en plaçant des points simples à la base du Y (fig. 4.17C) après avoir fait glisser c en d, puis les incisions des branches du Y sont suturées (fig. 4.17).
ECTROPION
C’est l’éversion du bord libre, en principe bilatérale inférieure quand elle est liée au type racial par hyperlaxité et excès de longueur palpébraux. On l’observe chez le chien jeune dans des races telles que le Basset Hound, certains Braques (fig. 4.18), le chien de Saint-Hubert, les molossoïdes de race géante, certains Retrievers (du Labrador et golden), les Spaniels (Clumber Spaniel, Cockers anglais et américain, Springers anglais et gallois, Field Spaniel). Les signes observés sont une exposition anormale des conjonctives, un épiphora séreux, une conjonctivite et une kératite occasionnelles. Il n’y a donc aucune urgence à intervenir chirurgicalement, sauf dans le cas particuliers d’une KCS intercurrente, qui peut être aggravée par l’ectropion (chien de Saint-Hubert). La décision opératoire est prise chez le chien adulte ou jeune adulte : chez les Retrievers notamment, on observe de façon assez fréquente un ectropion médian inférieur temporaire, présent chez le chien au repos, et disparaissant lorsqu’il est attentif, puis quelles que soient les conditions chez l’adulte. Lors de correction excessive d’entropion, un ectropion cicatriciel peut être induit, comme lors de plaie palpébrale. La résection pentagonale en pleine épaisseur de la zone éversée est souvent insuffisante pour traiter l’ectropion lié au type racial.
Fig. 4.18 Association entropion-ectropion chez un Braque hongrois mâle (œil en losange, « diamond eye »).
TECHNIQUE DE KUHNT-SZYMANOWSKI MODIFIÉE
Technique opératoire
Elle se compose d’une résection en pleine épaisseur du bord palpébral, renforcée par une plastie cutanée (fig. 4.19a à h) : ainsi, les tensions sont réparties et la solidité postopératoire est bien améliorée par rapport à la résection simple en pleine épaisseur.
Fig. 4.19 Technique de Kuhnt-Sczymanovski modifiée
(modifiée d’après G.M. ConstantinescuIn : Nasisse MP, ed Surgical management of ocular diseases. Vet. Clin North Am Small Anim Pract, 1997, 27).
Une incision à la lame n° 11 est tracée à 3 mm parallèlement au bord palpébral inférieur (fig. 4.19b), prolongée latéralement de 8 mm par rapport au canthus temporal (fig. 4.19c), étendue ventralement en dessinant la forme d’un 7 qui aurait subi une rotation de 90° dans le sens anti-horaire (fig. 4.19b et c) : le lambeau de peau est disséqué et récliné du côté inféronasal (fig. 4.19c). Un triangle de conjonctive et de lame palpébrale correspondant à la largeur de la zone éversée est excisé aux ciseaux à ténotomie de Sevrin-Stevens (SOG, fig. 4.19d), et les bords de la plaie d’excision suturés à points séparés au fil résorbable (fig. 4.19e). La peau est remise en place, l’excès de peau latéral en triangle sectionné (fig. 4.19f) et la suture cutanée effectuée au monofil non résorbable (fig. 4.19g et h).