38: Vaisseaux et Grossesse

Chapitre 38 Vaisseaux et Grossesse




Artères et Grossesse


Il est établi que des modifications physiologiques du système cardiovasculaire apparaissent dès les premières semaines de la grossesse, liées en particulier à l’effet des oestrogènes et de la progestérone. Ces manifestations physiologiques cardiovasculaires se traduisent par :







Maladies artérielles et grossesse


Certaines maladies vasculaires peuvent se révéler ou se compliquer au cours de la grossesse. Nous insisterons sur l’effet délétère du tabagisme chez les femmes enceintes, mais aussi sur les grossesses survenant chez des patientes polyvasculaires, ainsi que chez celles atteintes de coarctation de l’aorte, de maladies de Marfan et d’Ehlers-Danlos. Enfin, nous aborderons la pathologie vasculaire placentaire.



CONSÉQUENCES VASCULAIRES DU TABAGISME AU COURS DE LA GROSSESSE


De nombreuses complications ont été rapportées, dès le 1er trimestre de la grossesse, chez les femmes poursuivant une intoxication tabagique. Les manifestations obstétricales provoquées par le tabagisme sont représentées essentiellement par les atteintes fœtales liées à la pathologie vasculaire placentaire, avec un risque accru de :




mort fœtale in utero et néonatale. Dans une étude incluant 282 100 femmes enceintes, Cnattingius et al [2] ont estimé que l’arrêt du tabagisme actif chez les femmes enceintes induisait une réduction du taux de mortalité fœtale tardive et néonatale précoce, respectivement de 11 % et 5 % [2].

L’ensemble de ces données soulignent qu’il est crucial d’informer systématiquement les femmes, à l’occasion du conseil préconceptionnel, des risques potentiellement graves encourus par l’enfant en cas d’intoxication tabagique poursuivie au cours de la grossesse mais également lors de l’exposition passive au tabagisme. Par conséquent, l’accent doit être mis sur le fait que l’exposition au tabac devra être nulle durant toute la gestation. Ainsi, à l’heure actuelle, tout projet de grossesse chez une femme fumeuse devrait faire l’objet d’un programme de sevrage tabagique avant le début de la grossesse.



PATHOLOGIES CARDIOVASCULAIRES PRÉEXISTANTES


Les principales causes de mortalité au cours de la grossesse, hormis les manifestations hémorragiques, sont représentées par les affections cardiaques et thrombotiques artérielles ou veineuses. De fait, le risque de morbimortalité cardiaque ne doit pas être méconnu chez les patientes porteuses dune cardiopathie. Dans un travail regroupant 599 grossesses chez des femmes polyvasculaires, les auteurs ont mentionné les complications vasculaires suivantes : œdème pulmonaire (13 %), troubles du rythme cardiaque ou accident vasculaire cérébral [3]. Surtout, ils ont observé que le taux de mortalité était plus élevé (de lordre de 5 à 15 %) dans le groupe des patientes ayant un antécédent dinfarctus du myocarde ou porteuses dune valve mécanique [3]. Ainsi, ces résultats soulignent quune approche multidisciplinaire est indispensable avant dautoriser une grossesse chez les femmes aux antécédents dinfarctus du myocarde récent. En outre, chez ces patientes, il faut rappeler que la majorité des traitements cardiologiques utilisés sont contre-indiqués au cours de la gestation, cest-àdire : les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, les statines; de même, les bêtabloquants sont, si possible, à éviter, car ils peuvent engendrer un retard de croissance intra-utérin.




MALADIE DE MARFAN


Il sagit dune affection héréditaire autosomique dominante du tissu conjonctif, liée dans la plupart des cas à une mutation du gène de la fibrilline 1 situé sur le chromosome 15. Il en découle un défaut structural des fibres délastine, générant une diminution de la résistance des tissus de soutien. La maladie de Marfan se traduit par des signes dappel clinique squelettiques (grande taille avec ratio segments supérieurs/ inférieurs bas, pectus carinatum ou excavatum, scoliose, hyperlaxité articulaire, arachnodactylie, pieds plats), oculaires (luxation du cristallin) mais surtout cardiovasculaires (dilatation de laorte ascendante et dissection aortique par faiblesse de la média, insuffisance aortique, prolapsus mitral).


La grossesse pose différents problèmes chez les patientes ayant une maladie de Marfan. Malheureusement, en raison de la rareté de cette affection, le niveau de preuve des études réalisées jusqualors est souvent faible, car celles-ci comprennent un petit nombre de patientes. Néanmoins, la convergence des données publiées permet de relever que les patientes ayant une maladie de Marfan présentent un surrisque de dissection aortique au cours de la grossesse et de laccouchement; celuici est corrélé au degré de la dilatation de la crosse aortique. De fait, une échographie cardiaque transœsophagienne doit être réalisée systématiquement à loccasion du bilan préconceptionnel chez les patientes porteuses dune maladie de Marfan, afin dévaluer la sévérité de la dilatation aortique. En 2009, la plupart des équipes préconisent que :




La présence dune hypertension artérielle est également un facteur de risque de dissection aortique chez les femmes enceintes porteuses dune maladie de Marfan.


Ainsi, ces patientes doivent consulter dès leur désir de grossesse. Ceci permet de faire le bilan de létat vasculaire. La surveillance par échographie cardiaque doit être initialement trimestrielle, puis mensuelle au cours du 3e trimestre de grossesse. En cas de dépistage dune dilatation aortique pendant la gestation, une interruption thérapeutique de grossesse sera proposée à partir de 5,5 cm pour certains et de 4 cm pour dautres équipes. En outre, la pression artérielle doit être contrôlée durant la grossesse et un traitement par bêtabloquants sera débuté en cas de découverte dune hypertension artérielle. La surveillance tensionnelle devra être poursuivie durant 2 mois après laccouchement car des patientes ont présenté une dissection aortique en post-partum. Enfin, la voie daccouchement est déterminée par le degré de dilatation aortique. Désormais, il est classiquement recommandé de pratiquer un accouchement par césarienne si la patiente :





SYNDROME D’EHLERS-DANLOS


Les syndromes dEhlers-Danlos correspondent à un ensemble de dysplasies héréditaires du tissu conjonctif liées à une anomalie de la matrice extracellulaire. Sil en existe neuf types, le syndrome dEhlers-Danlos vasculaire (type IV) est celui qui pose le plus de problèmes au cours de la grossesse. De fait, ce dernier est lié à une mutation du gène COL3A1 (codant pour la chaîne pro-alpha 1 du collagène de type III) [5], qui génère un défaut de synthèse et des anomalies de la structure du procollagène III [5]. Le procollagène de type III ayant un rôle majeur dans la solidité des parois artérielles, son déficit explique les fragilités artérielles et la dysplasie des parois vasculaires observées dans le syndrome dEhlers-Danlos de type IV.


Cette affection est déterminée, sur le plan clinique, par des atteintes cutanées avec retard du processus de cicatrisation, une hyperlaxité articulaire et des altérations des parois vasculaires des artères de gros et de moyen calibre, à lorigine dun risque élevé de dissection et de rupture des gros vaisseaux; ces patients présentent aussi fréquemment un prolapsus mitral.


Différentes complications ont été décrites au cours du 3e trimestre de la gestation et de laccouchement, qui sintègrent dans le cadre de la fragilité des parois vasculaires secondaire à la maladie, cest-à-dire : dissection aortique, rupture dun anévrisme aortique, dissection artérielle coronaire ou rénale, rupture dautres gros vaisseaux artériels (iliaques, mésentériques, rupture utérine). Dans une série incluant 10 femmes enceintes ayant un syndrome dEhlers-Danlos de type IV, le décès est survenu dans la moitié des cas. Plus récemment, Pepin et al [5], chez des femmes enceintes porteuses dun syndrome dEhlers-Danlos de type IV, ont décrit des complications fréquentes sur les plans :





PATHOLOGIE VASCULAIRE PLACENTAIRE


Ce syndrome concerne différentes manifestations vasculaires se traduisant, dune part, chez la mère par la pré-éclampsie, léclampsie, le syndrome HELLP et lhématome rétroplacentaire, et dautre part, chez lenfant par le retard de croissance intra-utérin mais aussi la mort fœtale ou néonatale. Sur le plan histologique, de nombreuses lésions ont été mises en évidence au cours de la pathologie vasculaire placentaire, comme un poids réduit du placenta, une hypotrophie des villosités, des infarctus placentaires, des thromboses récentes, des calcifications et plus rarement un hématome rétroplacentaire. Les mécanismes de survenue de la pathologie vasculaire placentaire demeurent incomplètement connus. Cependant, le rôle prépondérant dun dysfonctionnement circulatoire a été établi. Des études ont trouvé une augmentation des résistances des artères utérines avec une incisure protodiastolique (notch) à lexamen Doppler. Dautres hypothèses ont été émises pour expliquer ces troubles vasculaires, tels que :




Des paramètres prédictifs du déclenchement de la pathologie vasculaire placentaire ont été individualisés; il sagit de : la nulliparité, lathérosclérose précoce compliquée daccident vasculaire cérébral ou dinfarctus du myocarde, lexistence de facteurs de risque cardiovasculaires, la présence dune affection à risque thrombotique élevé (p. ex. : syndrome primaire des antiphospholipides, présence isolée danticorps antiphospholipides).


Ainsi, le mode de présentation le plus fréquent de la pathologie vasculaire placentaire est la pré-éclampsie, sa prévalence étant estimée entre 5 à 7 % chez les femmes enceintes. Elle est définie par lassociation dune hypertension (pression artérielle > 140-90 mmHg) dapparition récente, dune protéinurie (> 0,3 g/jour), dune prise de poids rapide (> 1 kg/ semaine) et parfois dœdèmes. Sa physiopathogénie demeure mal élucidée, mais une hypersécrétion de tyrosine-kinase fms-like placentaire a été incriminée dans lapparition de la dysfonction endothéliale. Les complications de la prééclampsie font toute limportance de son diagnostic précoce, car elles sont grevées dune morbimortalité maternelle et fœtale élevée. Il sagit de :





Les données publiées ne permettent pas de prédire de manière fiable le risque de récidive de pathologie vasculaire placentaire lors dune grossesse ultérieure chez ces patientes. Toutefois, la survenue précoce de la pré-éclampsie (avant 32 semaines daménorrhée) semble constituer un facteur de mauvais pronostic, associé à un surrisque de récidive de cette pathologie [6]. Dans tous les cas, chez les patientes aux antécédents de pathologie vasculaire placentaire, un suivi étroit et systématique est indispensable durant l’ensemble de la grossesse. De même, l’indication d’un traitement antithrombotique pourra être discutée.




Maladies systémiques et grossesse


Chez les patientes porteuses de collagénoses, au cours desquelles latteinte inflammatoire vasculaire est habituelle, et des vascularites systémiques, deux questions doivent systématiquement être évoquées : la grossesse influence-t-elle lévolution de la maladie ? La maladie influence-t-elle lévolution de la grossesse ?



SCLÉRODERMIE SYSTÉMIQUE


La sclérodermie systémique est une affection rare, dont la prévalence est évaluée à 1 cas pour 5 000 habitants. Elle est caractérisée par une atteinte microvasculaire oblitérante, des anomalies immunologiques et une sclérose cutanée et viscérale. La sclérodermie systémique est plus fréquente chez les femmes (avec un ratio de 3/1), apparaissant plus volontiers après lâge de 40 ans.



Conséquences de la grossesse sur la sclérodermie systémique


Il y a une vingtaine d’années, la grossesse était formellement déconseillée chez les patientes ayant une sclérodermie systémique en raison du risque supposé accru des complications maternelles et fœtales [7]. Ainsi, dans une revue de la littérature portant sur 42 observations ponctuelles de grossesse chez des femmes sclérodermiques, le pronostic était sombre, aboutissant habituellement au décès maternel (21,4 %), fœtal (16,7 %) et materno-fœtal (11,9 %). De même, dans une autre série ancienne de 94 grossesses, 15 % des femmes enceintes sont décédées, dans plus de la moitié des cas, d’une crise rénale sclérodermique et/ou d’une atteinte cardio-pulmonaire [7]. En revanche, différents travaux plus récents ont montré que le cours évolutif de la sclérodermie systémique semblait peu modifié par la grossesse [8]. Des investigateurs ont ainsi observé que la majorité des patientes sclérodermiques étaient stables (90 %) durant la grossesse; de même, la survie à 10 ans était superposable chez les patientes ayant mené ou non une grossesse [8]. Cependant, l’existence de complications viscérales sévères liées à la sclérodermie systémique (pneumopathie infiltrante diffuse évoluée, hypertension artérielle pulmonaire, insuffisance rénale) constitue toujours une contre-indication à la grossesse chez ces patientes.



Impact de la sclérodermie systémique sur la grossesse


Des complications fœtales ont été signalées chez les patientes porteuses de sclérodermie systémique. De fait, des études anatomopathologiques placentaires ont détecté diverses lésions, comme un infarctus placentaire, une vasculopathie déciduale ou encore une raréfaction vasculaire villositaire [9]. Les analyses histologiques placentaires de ces patientes ont objectivé l’existence dinfiltrats constitués de macrophages au niveau des vaisseaux déciduaux, mais aussi de lymphocytes T CD4. Ces anomalies vasculaires pourraient expliquer le surrisque de complications fœtales chez ces patientes. Ainsi, dans une étude comportant 102 grossesses, le taux d’avortement spontané était supérieur chez les patientes sclérodermiques comparées aux contrôles (22 % vs 12 %; p < 0,05). Un autre travail a corroboré ces résultats, le taux davortement spontané étant aussi plus élevé dans le groupe des femmes sclérodermiques par rapport aux témoins (29 % vs 17 %). Des auteurs ont remarqué que le risque davortement spontané était très important chez les femmes porteuses d’une sclérodermie diffuse évoluant depuis plus de 4 ans (42 %) [9]. Ensuite, d’autres équipes ont décrit un risque relatif de prématurité multiplié par 3 chez les patientes ayant une sclérodermie systémique comparées à la population générale [9]. Des facteurs favorisant la prématurité ont été authentifiés chez ces patientes, comme : la rupture de membranes, un saignement placentaire, une hypertension artérielle non contrôlée, une crise rénale sclérodermique.


En définitive, les grossesses ne sont pas contre-indiquées au cours de la sclérodermie systémique. Toutefois, elles devront être programmées lorsque la maladie est stable afin de réduire au maximum le taux de complications maternelles et fœtales. Par contraste, elles seront très fortement déconseillées dans les formes diffuses rapidement progressives avec complications viscérales sévères (pneumopathie infiltrante diffuse, hypertension artérielle pulmonaire, atteinte rénale). Dans tous les cas, une approche multidisciplinaire est nécessaire pour suggérer la période optimale de la grossesse et assurer la meilleure prise en charge pendant la grossesse chez ces patientes. En ce qui concerne le suivi de la mère, un contrôle de la pression artérielle pluri-hebdomadaire à laide dun appareil dautomesure est justifié, de même quune surveillance de la fonction rénale [7]. La surveillance de la croissance fœtale repose sur léchographie, le monitorage du rythme cardiaque fœtal et le Doppler des artères utérines [7]. Enfin, les patientes sclérodermiques bénéficient, en règle générale, dun traitement vasodilatateur de fond faisant appel aux inhibiteurs calciques qui pourra être maintenu au cours de la grossesse; à linverse, les inhibiteurs de lenzyme de conversion sont contre-indiqués durant les 2e et 3e trimestres de la gestation en raison de leur toxicité avérée sur lappareil rénal fœtal. De même, les traitements immunosuppresseurs par méthotrexate, mycophénolate mofétil et cyclophosphamide sont déconseillés, alors que lhydroxychloroquine et lazathioprine peuvent être poursuivies au cours de la grossesse.

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Jul 3, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 38: Vaisseaux et Grossesse

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