Les droits des victimes d’infraction
Réapparue à une époque très récente comme acteur du procès pénal, en théorie pour le moins, la victime d’infraction (et/ou ses proches) est longtemps demeurée passive lors de la résolution judiciaire consécutive à une victimisation d’ordre pénal. Encore étonnamment aujourd’hui, le système de justice pénale ne définit pas les objets fondamentaux qui l’animent : le crime, l’infracteur, la victime, la sanction (Cario, 2012). Il convient cependant de considérer, dans les lignes qui suivent, la victime comme toute personne en souffrance(s) :
• de telles souffrances doivent être personnelles, réelles, socialement reconnues comme inacceptables ;
• et de nature à justifier une prise en compte des personnes concernées, passant, selon les cas, par la nomination de l’acte ou de l’événement, par la participation processuelle à la manifestation de la vérité, par des informations d’ordre juridique, par des soins médicaux, psychothérapeutiques, un accompagnement psychologique, social et/ou une indemnisation (Senon, Lopez, Cario, 2012).
Une telle aberration notionnelle n’est pas due au hasard : elle permet toutes sortes de confusions, de contradictions, voire d’interprétations de sens commun du phénomène criminel. Au mépris de la sévérité des réponses sociopénales déjà à l’œuvre dans notre pays (Mucchielli, 2011 ; Cario, 2008), le populisme ambiant, excité par de multiples motifs d’insécurités autres que criminelles, appelle à toujours plus de normes, à toujours plus d’exclusion de ceux qui les transgressent. À un point tel que les parlementaires eux-mêmes considèrent que « trop de lois… tuent la loi »… À un point tel que huit plaintes ou dénonciations sur dix sont classées sans suite par le ministère public, rejetant par là massivement, en d’autres termes, ce pourquoi le système est compétent. L’argument consistant à ne considérer que les « affaires poursuivables » ne change rien à l’affaire : l’auteur gagne en impunité, la victime perd en reconnaissance, alors qu’une infraction a bien été commise.
La doctrine contemporaine n’est sans doute pas étrangère à une telle situation. Très peu critique relativement à l’inflation pénale (à l’infinie pénalisation des déviances et autres incivilités notamment), elle ne voit, en revanche, dans l’octroi de droits aux victimes qu’une « intolérable » confiscation de ceux de l’infracteur. Aveuglement idéologique ou crispation « droitsdel’hommiste » ? Au constat du maintien plus que proportionnellement dans le Système pénal des plus démunis d’entre nous, à l’heure du procès équitable, on demeure perplexe quant aux sources scientifiques de tels positionnements, anachroniques. Le niveau historiquement bas des crimes (0,5 %, principalement des actes homicides) et des délits graves (environ 20 % des décisions prononcées par les juridictions répressives) ne doit pour autant pas conduire à négliger la prise en compte des protagonistes au sein d’un système suralimenté. La dépénalisation massive, consistant simplement à rendre aux contentieux d’origine les conflits dont ils ont été abusivement dépouillés, offrira une plus grande sérénité aux missions des acteurs professionnels et associatifs habilités investis tout au long de la chaîne pénale, une visibilité accrue de leurs actions, un véritable sens aux sanctions retenues au regard de la gravité de l’acte, de la personnalité de son auteur, des besoins de la victime et de leur communauté d’appartenance. De surcroît, la peine privative de liberté (très coûteuse et évaluée comme la plus contre-productive des réponses au crime) redeviendra l’ultima ratio. Dans ces conditions, il est possible de croire que la prévention du phénomène criminel reprendra la place qui est la sienne : objet unique de la lutte contre le crime. Précoce, elle permettra d’économiser des gains très importants mais, surtout, d’assurer en pleine responsabilité citoyenne, l’intégration harmonieuse – droit humain s’il en est – du plus grand nombre de personnes, en toute dignité et égalité.