Chapitre 36 Brûlures du tronc (à l’exclusion de la région mammaire)
La gravité des brûlures du tronc est liée à leur étendue et à la répercussion sur la dynamique respiratoire, le tronc pouvant être considéré comme une grande unité fonctionnelle. La surface du tronc atteint 50 % de la surface corporelle chez le sujet obèse [1, 2]. Les séquelles fonctionnelles sont intrinsèques ou extrinsèques liées à la répercussion des placards cicatriciels sur les zones fonctionnelles voisines (cou, creux axillaire, plis inguinaux, sillon fessier). Les séquelles esthétiques sont liées à l’étendue et à l’atteinte de la face antérieure du tronc qui prend toute sa gravité chez la femme (voir chap. 34). Nous aborderons brièvement le problème de la grossesse.
Brûlures aiguës
Conduite à tenir générale
Incisions de décharge
Des incisions de décharge seront effectuées en urgence et sous anesthésie générale devant des brûlures circulaires profondes étendues [3, 4, 5] et devant toute suspicion de syndrome compartimental thoracique et/ou abdominal objectivé par une diminution de la compliance thoracique et l’augmentation de la pression intravésicale [6]. Les incisions seront réalisées de peau saine à peau saine, au niveau des zones les plus profondes, respectant le plan aponévrotique, en tenant compte des projets d’excision et des séquelles prévisibles (corde cicatricielle profonde). Dans notre expérience, elles seront le plus souvent longitudinales, latérales, du creux axillaire à la région trochantérienne, parfois associées à une incision transversale bi-sous-costale (fig. 36-1).
Pansements
Le dos est propice à la cicatrisation dirigée, la prise des greffes ou des substituts cutanés étant plus délicate à ce niveau en raison du risque de macération et de mobilisation intempestive. La face antérieure du tronc est propice à une excision-greffe précoce étendue d’indication vitale [7–14, pour les raisons inverses. Nous ne reviendrons pas sur les différentes techniques chirurgicales décrites au chapitre 19 tout en précisant que la face antérieure du tronc est propice à l’application de substituts cutanés [15].
Indications chirurgicales
Les indications chirurgicales seront fonction de la surface brûlée totale, de la profondeur des brûlures du tronc, du caractère circulaire ou non, des constatations cliniques évoquées ci-dessus. On excisera volontiers précocement (dès le contrôle des grandes fonctions vitales, c’est-à-dire à partir de J3), et en première intention, les lésions profondes de la face antérieure du thorax, d’autant plus qu’il existe une répercussion respiratoire potentielle, une pathologie respiratoire préexistante ou concomitante. Cela repose sur la notion empirique « d’effet cataplasme » des brûlures profondes thoraciques antérieures sur la détérioration de la physiologie respiratoire. Quelques études expérimentales et cliniques pourraient confirmer indirectement ce phénomène [16–20]. Cet effet est à redouter chez l’enfant, en particulier en cas de ventilation artificielle et de remplissage vasculaire excessif.
Lésions
Les lésions superficielles seront laissées en cicatrisation dirigée.
Les lésions profondes seront excisées tangentiellement ou à l’aponévrose, cette dernière technique étant privilégiée si le pronostic vital est engagé (indice de Baux supérieur à 100) et si les lésions sont très profondes (thromboses vasculaires sousjacentes au fascia superficialis). Dans tous les cas, on laissera l’ombilic en cicatrisation dirigée et l’on respectera, autant que faire se peut, les métaméries graisseuses lombaires inférieures. L’excision tangentielle des lésions de brûlures abdominales peut être facilitée par l’emploi de deux pinces de Bakhaus [21]. Enfin, la région abdominale est propice à la réalisation d’excisions-sutures, tout décollement cutané restant contre-indiqué.
Cas particuliers
Cas particulier d’une grossesse concomitante
Les séries d’observations retrouvées dans la littérature sont rares et limitées [22–28]. L’interruption éventuelle de la grossesse paraît liée à l’étendue de la surface brûlée et au pronostic vital de la mère. La survie maternelle s’accompagne, le plus souvent, de la survie fœtale. Si la brûlure maternelle est létale, l’interruption spontanée de la grossesse précède le décès de la mère. Les complications incriminées sont le choc hypovolémique (hypotension), le syndrome de détresse respiratoire aiguë (hypoxie) et le choc septique. Certains auteurs insistent sur la gravité des brûlures pulmonaires et des inhalations toxiques [26, 27, 29]. Le traitement prophylactique repose sur la qualité de la prise en charge pluridisciplinaire, le maintien des constantes vitales et le monitoring fœtal. Plusieurs auteurs prônent une oxygénothérapie précoce en position demi-assise. La césarienne ou le déclenchement de l’accouchement sont inutiles, voire dangereux, si le pronostic vital maternel est bon. L’interruption de grossesse est indiquée uniquement en cas de pronostic vital maternel défavorable dans un contexte hypotensif, hypoxique ou septique, au cours du 3e trimestre avec fœtus viable [22]. S’il n’y a pas de souffrance fœtale, il n’y a pas d’indication de césarienne sauf pour des raisons purement obstétricales. Si le fœtus est mort, le déclenchement par voie basse sera envisagé après stabilisation de l’état maternel [24].
Cas particulier de l’enfant et du nourrisson
Dans la mesure du possible, l’excision sera tangentielle profonde, respectant le fascia superficialis tant peuvent être importantes les séquelles fonctionnelles, les retards de croissance et les troubles de la statique rachidienne. La suture secondaire des berges graisseuses des éventuelles incisions de décharge profondes est recommandée dans ce contexte (fig. 36-2 à 36-5).
Cas particulier des brûlures électriques
Au niveau du thorax, le risque est l’exposition des côtes et des cartilages costaux pouvant imposer une couverture immédiate par lambeau [30–33]. Le risque de chondrite costale est majeur, source de morbidité importante à court et long terme. Le risque de pneumothorax est important en cas de brûlures des muscles intercostaux, ce qui contre-indique, pour certains, une excision précoce [32]. Au niveau de l’abdomen, le risque est la perforation secondaire d’une escarre pariétale intestinale ou une nécrose ischémique mésentérique. La surveillance clinique du patient sera fréquente et prolongée. L’indication éventuelle d’une laparotomie ou d’une reconstruction de la paroi abdominale fera l’objet d’une concertation pluridisciplinaire (risque de syndrome compartimental abdominal). L’excision-greffe des lésions de brûlures sera concomitante à la laparotomie, la fermeture de la paroi abdominale faisant appel à des sutures appuyées conventionnelles.