16: Brûlures de l’enfant

Chapitre 16 Brûlures de l’enfant



La brûlure est définie comme une atteinte primitive de la peau, des muqueuses et/ou des tissus sousjacents par des agents thermiques, chimiques, électriques ou par des radiations. Les lésions ont d’abord un impact local. Cependant lorsqu’elles sont très étendues (à partir de 20-30 % chez l’adulte), il existe en plus de l’impact local, un retentissement majeur sur les grandes fonctions de l’organisme [1].


Chez l’enfant, les brûlures les plus fréquentes sont les brûlures thermiques par projection de liquides chauds ou bouillants.


Une connaissance de l’épidémiologie, des particularités anatomophysiologiques de l’enfant et des conséquences physiopathologiques de la brûlure est nécessaire pour anticiper, interpréter les modifications des paramètres physiologiques et optimiser la prise en charge des enfants brûlés.



Épidémiologie





Gravité des brûlures chez l’enfant


Les brûlures font partie des accidents de la vie courante et représentent à ce titre la première cause de mortalité chez l’enfant [3]. Les brûlures ne sont pas les accidents les plus fréquents. Cependant, comparativement aux autres causes d’accidents de la vie courante chez l’enfant, les brûlures donnent lieu à un plus grand nombre de séjours en réanimation ainsi qu’à un plus grand nombre de journées d’hospitalisation [4].




Particularités anatomophysiologiques de l’enfant


L’enfant n’est pas simplement un adulte en miniature. C’est un organisme en croissance qui possède des particularités anatomiques, physiologiques et psychologiques qui ont des conséquences importantes en cas de brûlure.


Le jeune nourrisson a une surface cutanée, un volume extracellulaire, un débit cardiaque et une consommation d’oxygène, indexés par rapport au poids corporel, beaucoup plus importants que l’adulte [6].







Particularités pharmacologiques : traitement de la douleur


L’expression de la douleur est différente chez le nouveau-né et le nourrisson par rapport à l’adulte. L’expression non verbale, comportementale, est prédominante. L’évaluation de la douleur doit faire appel à des échelles spécifiques.


D’un point de vue thérapeutique, la clairance de nombreux agents est réduite chez le jeune nourrisson en raison de l’immaturité hépatique et rénale. La composition corporelle, la concentration des protéines porteuses, la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique expliquent également une plus grande sensibilité aux effets pharmacologiques des morphiniques et des agents dépresseurs du système nerveux central lors des premiers mois de la vie.


La clairance des morphiniques atteint les valeurs observées chez l’adulte entre 2 et 6 mois. À cette période les effets sur la commande ventilatoire sont comparables à ceux observés chez l’adulte pour un même niveau de concentration plasmatique.


Entre 1 et 6 ans, la clairance d’élimination des hypnotiques et des morphiniques est supérieure à celle de l’adulte, probablement en rapport avec une augmentation de la masse hépatique indexée. Il convient donc généralement d’ajuster à la hausse les doses indexées en mg/kg chez les enfants d’âge préscolaire [10].


Cependant, les variations importantes de la volémie induites par la brûlure interfèrent également avec le volume de distribution des agents pharmacologiques. Il est préférable chaque fois que possible de procéder par titration.



Signes prédictifs de brûlure grave chez l’enfant


Les signes prédictifs de mortalité lors d’une brûlure sont la surface des lésions supérieure à 40 % de la surface cutanée totale, l’inhalation de fumée et l’âge, chez l’adulte [11].


Ces signes n’ont pas fait l’objet d’une validation prospective chez l’enfant.


La surface de la brûlure est un paramètre important puisqu’il détermine la fuite plasmatique. Chez le nourrisson, toute brûlure supérieure à 10 % peut entraîner une hypovolémie sévère si les apports hydroélectrolytiques ne sont pas adaptés.


La surface brûlée profonde est sans doute mieux corrélée avec l’importance de la nécrose tissulaire, l’exposition aux radicaux libres et la production de cytokines et de médiateurs de l’inflammation. Comme il est exposé ailleurs dans cet ouvrage, ces éléments ont un rôle déterminant sur les conséquences physiopathologiques de la brûlure en termes d’altération de la perméabilité capillaire, de coagulopathie, d’hypercatabolisme et d’immunosuppression (voir chap. 10).


L’inhalation de fumée réalise une brûlure de l’arbre trachéobronchique dont les conséquences s’ajoutent à celles de la brûlure cutanée. Le mécanisme lésionnel est à la fois thermique, chimique et obstructif. L’inhalation de fumée est associée à une poly-intoxication par l’oxyde de carbone et l’acide cyanhydrique, notamment. L’oxyde de carbone a une affinité pour l’hémoglobine 250 fois supérieure à celle de l’oxygène et entraîne un défaut de transport et une hypoxie tissulaire. L’acide cyanhydrique bloque la chaîne respiratoire mitochondriale. L’inhalation de fumée représente la première cause de mortalité chez le patient brûlé, enfant ou adulte.


L’existence de lésions orthopédiques associées (explosion, défenestration, chute liée à une électrocution) est également un facteur important de morbidité dans les brûlures par flammes.


L’ âge est inversement relié à la mortalité par brûlure chez l’enfant. Les nourrissons de moins de 2 ans ont une mortalité deux fois plus importante que les enfants plus âgés lorsque les brûlures sont étendues [12]. Cette donnée va dans le même sens qu’un grand nombre d’études sur le risque anesthésique chez l’enfant. Indépendamment de la surface, les brûlures des nouveau-nés et des nourrissons de moins d’un an posent des problèmes spécifiques de cicatrisation et doivent être adressés en centre spécialisé.


L’œdème, qui accompagne toute brûlure dans les heures qui suivent l’accident, peut mettre en jeu le pronostic vital ou fonctionnel à court terme si la brûlure est située dans une zone à risque. Ainsi les brûlures des voies aériennes et les brûlures profondes de la face et du cou peuventelles conduire en quelques heures à un tableau asphyxique. Il faut également, dans le cadre d’une brûlure cervico-faciale, rechercher rapidement une atteinte oculaire car l’œdème palpébral rendra impossible tout examen par la suite. Les brûlures du périnée et des organes génitaux externes imposent la mise en place précoce d’une sonde vésicale. Les brûlures profondes et circulaires des membres peuvent être responsables d’un syndrome compartimental avec hypoperfusion et d’ischémie tissulaire.


Au-delà des risques immédiats, certaines brûlures vont avoir, du fait de leur profondeur et de leur topographie, des enjeux fonctionnels et esthétiques importants.


Chez l’enfant comme chez l’adulte, les brûlures superficielles, 1er degré et 2e degré superficiel, vont cicatriser spontanément en une dizaine de jours grâce à la régénération épithéliale. Dans ces conditions et en l’absence de complication évolutive et/ou de surinfection, le risque cicatriciel est minime, limité à une dyschromie qui peut n’être que transitoire.


La réparation tissulaire des brûlures profondes est plus complexe. Les lésions ne peuvent se réépithélialiser qu’au prix d’un apport extérieur de tissus (autogreffe, culture de kératinocytes). Les risques de rétraction et de cicatrice hypertrophique sont beaucoup plus importants, particulièrement chez l’enfant. Ainsi sur une cohorte de 337 enfants brûlés par liquides chauds, le risque de cicatrice hypertrophique passe de 20 % à près de 60 % quand les lésions ne sont pas réépithélialisées dans un délai de 3 semaines après l’accident, et à plus de 80 % quand les lésions ne sont pas réépithélialisées dans un délai de 4 semaines, y compris chez les enfants qui ont bénéficié d’un traitement chirurgical [13].


Il n’existe pas aujourd’hui d’indice de gravité simplifié pour les brûlures de l’enfant. On peut néanmoins proposer quelques règles simples concernant l’orientation initiale des enfants brûlés (tableau 16-1).


Tableau 16-1 Orientation initiale d’un enfant brûlé.











Prise en charge ambulatoire Hospitalisation Hospitalisation en centre spécialisé
Brûlure < 5 % de la SCT
Sans signe de gravité
Contexte sociofamilial favorable
Brûlure entre 5 et 10 % de la SCT
Lésions superficielles de la face, des mains, des pieds et du périnée
Brûlure électrique par courant domestique
Brûlure > 10 % de la SCT (> 5 % chez le nourrisson de moins de 1 an) Inhalation de fumée
Lésions profondes de la face, des mains, des pieds et du périnée
Brûlure électrique haute tension
Traumatismes associés
Contexte de maltraitance


Prise en charge préhospitalière




Réanimation initiale


Lors de l’intervention des premiers secours, l’enfant brûlé est en principe toujours conscient, algique et sans déficit moteur, comme le patient brûlé adulte [14]. Tout autre tableau clinique doit faire évoquer l’existence de lésions associées : intoxication à l’oxyde de carbone et/ou à l’acide cyanhydrique en cas d’incendie en espace clos, lésion neurologique en cas d’incendie dans un accident de la voie publique.


La principale conséquence immédiate de la brûlure est une fuite plasmatique qui peut atteindre 200 à 300 ml par heure et par m2 de surface brûlée [15].


Il existe chez le nourrisson et le jeune enfant une augmentation considérable de l’eau extracellulaire (voir supra). Il est donc essentiel de débuter rapidement un remplissage vasculaire lorsque le patient brûlé est un nourrisson ou un jeune enfant. Il a ainsi été montré qu’un retard de plus de 2 heures dans la compensation des pertes liquidiennes est associé à une augmentation significative de la mortalité et des complications infectieuses et métaboliques chez le nourrisson brûlé [16]. En pratique, tout enfant brûlé sur plus de 10 % de la SCT doit bénéficier d’un remplissage vasculaire immédiat, sur les lieux de l’accident.


De façon plus globale, la prise en charge initiale d’un enfant gravement brûlé répond au principe ABC (A = airway, B = breathing, C = circulation), comme toute urgence pédiatrique. Il faut enchaîner dans cet ordre bilan des lésions et interventions thérapeutiques jusqu’à ce que l’état du patient soit stabilisé.


Chez l’enfant brûlé en détresse respiratoire, l’apport d’oxygène et la désobstruction des voies aériennes précèdent l’intubation trachéale. En cas de brûlure par flamme en espace clos, le diagnostic d’intoxication au CO doit être évoqué et la ventilation en FiO2 1 doit être poursuivie pendant 6 heures ou jusqu’à un taux d’HbCO inférieur à 2 %.


Chez le nourrisson, comme chez l’adulte, l’intubation trachéale est un geste invasif qui nécessite une sédation appropriée. L’hypnotique de choix est le propofol ou la kétamine. L’ étomidate ne doit pas être employé chez l’enfant de moins de 2 ans [17]. En situation préhospitalière, il est recommandé de procéder à une induction en séquence rapide. La succinylcholine n’est pas contre-indiquée dans les heures qui suivent la constitution d’une brûlure.


En l’absence de détresse respiratoire, le premier geste à réaliser est la mise en place d’un abord veineux. En cas d’abord veineux impossible, défini par trois échecs dans les dernières recommandations européennes, il faut recourir à un abord intraosseux [18]. L’abord tibial supérieur permet d’atteindre un débit de perfusion de 100 ml.h−1 et de rétablir rapidement une perfusion tissulaire efficace chez le nourrisson [19].


Le remplissage vasculaire initial doit être réalisé avec des cristalloïdes (ringer lactate ou sérum salé) sur la base de 20 ml kg−1 h−1 la première heure et 10 ml kg−1 h−1 les heures suivantes en attendant une estimation plus précise des besoins.


Un état de choc persistant, dans un contexte de brûlures par flamme en espace clos, doit faire évoquer une intoxication cyanhydrique. Ceci justifie l’administration d’hydroxocobalamine à la dose de 70 mg kg−1, sans attendre les dosages spécifiques rarement réalisables en urgence.


Les autres éléments essentiels de la prise en charge préhospitalière sont la prévention de l’hypothermie et l’analgésie.


Comme il a déjà été évoqué, le nourrisson a une surface cutanée rapportée au poids corporel beaucoup plus importante que l’adulte. Il est donc essentiel de limiter les pertes caloriques dès la prise en charge préhospitalière :





En cas d’hypothermie, il faut préférer une source radiante à un réchauffement par air pulsé, en raison du risque de refroidissement paradoxal si les pansements sont humides. Il faut également veiller à ce que la température de la cellule de transport soit maintenue au-dessus de 25 °C et monitorer la température centrale.


L’analgésie repose sur l’administration titrée de morphinomimétiques [17]. Chez l’enfant, la morphine est l’agoniste le plus maniable en ventilation spontanée. En pédiatrie, la dose de titration initiale est de 100 μg kg−1 avec des réinjections ultérieures de 25 μg kg−1. L’administration d’agents hypnotiques doit être extrêmement prudente dans ce contexte (hypovolémie, hypothermie).


L’utilisation de mélange oxygène/protoxyde d’azote peut être recommandée pour la mise en place de l’abord veineux et/ou la réalisation des pansements provisoires.



Prise en charge de l’enfant gravement brûlé au cours des 48 premières heures


L’équipe préhospitalière dispose rarement du temps et des ressources nécessaires pour faire un bilan complet des lésions. Une fois que les détresses vitales immédiates sont stabilisées, les lésions doivent être identifiées de façon exhaustive par l’examen clinique et par des examens complémentaires orientés.



Bilan lésionnel


Les erreurs d’orientation et/ou de prise en charge initiale peuvent avoir des conséquences importantes sur les séquelles et le handicap physique ultérieur du patient brûlé. Le bilan lésionnel doit être confirmé le plus tôt possible par un praticien spécialisé dans le traitement de la brûlure. Lorsque l’enfant est pris en charge dans une structure de proximité, l’avis d’un praticien spécialisé doit être sollicité précocement, par téléphone et/ou par télétransmission d’image.


L’examen clinique recherche des signes d’atteinte primitive des voies aériennes : inhalation de fumée (voir infra) ou, plus rarement, brûlure pharyngée par ingestion de liquide ; mais aussi des signes d’obstruction (œdème d’une brûlure cervico-faciale profonde). Il note également s’il existe des signes d’instabilité hémodynamique ou une sédation anormalement profonde faisant évoquer une détresse neurologique.


Au plan local, l’examen précise la topographie, la surface et la profondeur de la brûlure.


Chez l’enfant, la surface brûlée ne doit pas être estimée par la règle des 9 de Wallace en raison de la surface relative plus importante de l’extrémité céphalique.


La surface cutanée brûlée doit être estimée à partir de la main du patient qui représente 1 % de la surface cutanée et à partir des tables de Lund et Browder, qui tiennent compte de la croissance différentielle de l’extrémité céphalique et des autres segments du corps (tableau 16-2).



La profondeur des lésions est appréciée sur des critères cliniques, comme chez l’adulte :



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Sep 21, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 16: Brûlures de l’enfant

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