32: Traitement des séquelles des paralysies faciales par la toxine botulique

Chapitre 32 Traitement des séquelles des paralysies faciales par la toxine botulique





Introduction


Alan Scott, un ophtalmologiste de San Francisco, a été le premier à publier, en 1980, l’administration humaine de toxine botulique [1] pour affaiblir un muscle oculomoteur, afin de corriger un strabisme. Cette substance s’avéra intéressante car elle entraînait une parésie focale de 8 à 10 semaines sans engendrer d’inflammation locale ou de signes de diffusion systémique. Depuis cette première description, les indications de la toxine botulique (TB) se sont multipliées et étendues aux situations où une contraction musculaire focale entrave le bon déroulement d’une activité motrice physiologique. Les premières publications rapportant l’efficacité de l’injection de la TB dans le blépharospasme et dans le spasme hémifacial (SHF) datent respectivement de 1985 et 1986 [2].


En pratique, ce traitement a aujourd’hui bouleversé la prise en charge du SHF comme celle des dystonies localisées, par son efficacité souvent remarquable, qu’aucune thérapeutique n’avait préalablement apportée. Il faut différencier le SHF idiopathique, où les signes déficitaires sont rares et tardifs, du SHF postparalytique, où les phénomènes spastiques et parétiques cohabitent et posent des problèmes thérapeutiques plus complexes.


Nous rapportons dans ce chapitre consacré aux séquelles de paralysie faciale notre expérience du traitement par TB du SHF postparalytique (quelle que soit l’étiologie) en étayant notre propos par les recommandations thérapeutiques officielles du SHF idiopathique.



Types de toxine botulique disponibles


La TB utilisée dans le traitement du spasme de l’hémiface est la toxine de type A. En France, l’autorisation de mise sur le marché (AMM) a été obtenue pour deux spécialités, Botox® et Dysport®, en 1993, et un avis favorable de la Commission de la transparence [3,4] a été obtenu en 1994 pour ces deux spécialités dans le blépharospasme et le spasme de l’hémiface. La Haute autorité de santé (HAS) a évalué le service rendu de cet acte, pour rendre un avis favorable sur son inscription à cette liste et sur les conditions de réalisation de cet acte.


Les caractéristiques de ces deux types de TB sont différentes (tableau 32.1). Cette absence d’harmonisation doit conduire à la plus grande prudence lorsqu’on change de produit, car leur mode de conservation et les recommandations de dilution sont différents. Les unités n’ont pas d’équivalence précise entre ces deux spécialités. On estime qu’une unité de Botox® équivaut à environ 4 ou 5 unités de Dysport®. En pratique, nous diluons un flacon de 100 U de Botox® ou de 500 U de Dysport® avec 2,5 ml de solution injectable de chlorure de sodium à 0,9 % (concentration de 4 U/0,1 ml pour le Botox® et de 20 U/0,1 ml pour le Dysport®) afin d’obtenir une efficacité similaire à volume identique.


Tableau 32.1 Caractéristiques des deux types de toxine botulique commercialisés.



























Nom commercial Botox® Dysport®
Laboratoire Allergan SA Ipsen/Biotech
Conditionnement Flacons de 50 et 100 U Flacon de 500 U
Conservation Congélateur ≤ 5 °C Réfrigérateur entre 5 et 8 °C
Conservation après reconstitution 4 heures (entre 2 et 8 °C)
Ne pas recongeler
1 heure
Ne pas recongeler
Dilution recommandée 4 ml/flacon de 100 U 2,5 ml/flacon de 500 U

Les autres types de TB de type A (Vistabel®, Xeomin®) n’ont pas l’indication thérapeutique du spasme hémifacial. La TB de type B disponible en France est le Neurobloc®.



Conditions d’exécution


Les avis de la Commission de la transparence (CT) du 7 septembre 1994 [3,4] rappellent que l’injection doit être réalisée par un neurologue, ophtalmologue ou ORL ayant une bonne expérience de l’utilisation de la TB dans les indications prévues par l’AMM. Toutefois, les modalités pour acquérir une bonne expérience n’ont pas été précisées. Ces injections s’effectuent sans remboursement de la Sécurité sociale, mais avec un agrément pour les collectivités. La CT rappelle ainsi que l’utilisation est strictement intrahospitalière. En pratique, les injections sont réalisées actuellement en hospitalisation de jour selon une recommandation ministérielle. Deux types d’actes sont actuellement classés : séance d’injection de TB au niveau de la face (classification commune des actes médicaux [CCAM] : 11.4 – Code : LCLB001) et séance d’injection unilatérale ou bilatérale de TB au niveau des paupières (classement CCAM : 02.02.10 – Code : BALB001).



Précautions générales et matériel


Une consultation préalable permet le recueil du consentement oral du patient après lui avoir délivré une information sur le bénéfice potentiel attendu, les traitements alternatifs s’ils existent et les risques encourus. Cette consultation nous apparaît essentielle, notamment chez les patients présentant un spasme hémifacial postparalytique, car ceux-ci sont en règle très anxieux devant l’utilisation d’une thérapeutique « paralysant » de nouveau leurs muscles. Par ailleurs, certains auteurs rapportent une plus grande efficacité du traitement, se traduisant par une amélioration de la qualité de vie, chez les patients ayant une bonne connaissance de leur pathologie [5]. La commande nominative de la TB (précisant la date de l’injection et la spécialité avec, si besoin, le dosage) sera adressée à la pharmacie centrale de l’hôpital.


Pour la mise en œuvre du traitement, sont nécessaires, outre le réfrigérateur permettant la conservation du produit, des aiguilles de gros diamètre, des seringues de 2,5 ml et des ampoules de sérum physiologique injectable pour la reconstitution. La dilution doit s’effectuer avec précaution car l’agitation violente du flacon ou la formation de bulles peut dénaturer le produit. L’injection s’effectue à l’aide d’une seringue à insuline de 1 ml (graduée tous les 0,1 ml) après avoir effectué une désinfection de la peau du patient à l’aide d’une compresse stérile imbibée d’alcool à 70°. L’utilisation d’une électromyographie de détection semble avoir peu d’intérêt pour déterminer les muscles à injecter, mais pourrait être utile pour détecter des anomalies infracliniques prédictives de la survenue d’effets indésirables chez les patients présentant un SHF idiopathique [6].


Les précautions d’emploi de la TB concernent le terrain, les antécédents du patient et ses traitements. Les contre-indications sont la grossesse (s’assurer d’un mode de contraception chez les femmes en âge de procréer), l’allaitement, un âge au-dessous de 2 ans, la prise d’aminosides (du fait du risque de potentialisation de l’effet de la TB), d’anticoagulants (pour les injections profondes) et l’existence d’une maladie neuromusculaire comme la myasthénie ou le syndrome de Lambert-Eaton. Le vieillissement du système neuromusculaire chez les patients de plus de 70 ans incite également à réduire les doses de 20 % environ.



Présentation clinique


Le SHF postparalytique, le plus fréquent dans notre expérience, complique dans 15 à 20 % des cas les paralysies faciales d’origine virale, dite a frigore, et peut avoir d’autres origines, notamment traumatiques (fracture du rocher, séquelle chirurgicale, etc.). Bien qu’une étude récente [7] ne retrouve pas de différence dans la présentation clinique ou radiologique entre les SHF primaires ou postparalytiques, cette seconde entité pose, selon nous, des problèmes thérapeutiques tout à fait spécifiques.


Dans le SHF idiopathique, l’hypertonie concerne tous les muscles innervés par le nerf facial, mais la gêne principale rapportée par le patient concerne la fermeture tonique et les mouvements de clignements des paupières. Les spasmes toniques ou cloniques de la région frontale, des muscles zygomatiques, de la région mentonnière ou du peaucier du cou, bien que fréquemment retrouvés à l’examen, sont considérés comme moins handicapants par les patients.


Dans le SHF postparalytique, l’examen des patients retrouve des signes déficitaires résiduels, fréquents sur la région frontale et sur les muscles du sourire et releveur de la lèvre supérieure, et des signes spastiques se traduisant par une hypertonie de repos, des syncinésies de pattern variable et des myokimies. Les patients rapportent fréquemment des contractures douloureuses périorbitaires (impression de cercle autour de l’œil), jugales, ou cervicomentonnières par hyperactivité du peaucier du cou. La coexistence de signes de spasme et de paralysie amène les patients à des plaintes paradoxales. Par exemple, alors qu’en contraction volontaire leur sourire reste déficitaire, ils rapportent une gêne, voire une douleur liée à une contracture de repos sur la région du sillon nasogénien, induite par une spasticité des muscles zygomatiques. Cette région est par ailleurs fréquemment le siège de syncinésies (coactivation involontaire des zygomatiques) lors de la fermeture palpébrale. Ces activités anormales traduisant plusieurs phénomènes physiopathologiques (perte axonale résiduelle, désorganisation de la somatotopie au sein du noyau du nerf facial, « fausses routes » lors de la réinnervation, transmission éphaptique) compliquent considérablement le traitement du SHF postparalytique et rendent le bénéfice pour le patient beaucoup plus difficile à atteindre. L’objectif thérapeutique, dans ce cas, ne sera pas la disparition de toutes les activités spastiques mais plutôt la symétrisation de la face, avec l’aide d’une rééducation spécifique.



Utilisation pratique dans le spasme hémifacial postparalytique


De nombreux auteurs considèrent aujourd’hui que l’injection de TB est le traitement de première intention du SHF idiopathique ou postparalytique [8,9], même si la HAS, dans son rapport de 2006, estime que son efficacité dans cette indication n’est pas soutenue par des études de haut niveau de preuve. Il n’existe pas, à notre connaissance, de conseils d’utilisation spécifiques pour le traitement par TB du SHF postparalytique. Les recommandations officielles et les données de la littérature concernent essentiellement le SHF idiopathique. Notre expérience s’est fondée sur ces données pour établir le protocole thérapeutique des séquelles spastiques des paralysies faciales.


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Apr 27, 2017 | Posted by in CHIRURGIE | Comments Off on 32: Traitement des séquelles des paralysies faciales par la toxine botulique

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