Chapitre 31 Suivi et gestion des complications après chirurgie
Le délai de prise en charge, le choix de la technique chirurgicale et la qualité de sa réalisation sont les facteurs essentiels qui conditionnent le pronostic du décollement de rétine. Le suivi postopératoire est primordial pour veiller au bon déroulement des suites de la chirurgie et maîtriser la réaction inflammatoire et l’hypertonie qui sont fréquentes en postopératoire. Le diagnostic précoce de l’échec ou de la récidive du décollement de rétine et la bonne connaissance d’éventuelles complications tardives permettent le choix d’une attitude thérapeutique adaptée pour optimiser les chances de succès final. La récupération visuelle en cas de succès anatomique sera d’autant plus longue et d’autant plus limitée que la macula aura été plus longtemps décollée. Plusieurs mois sont nécessaires dans la majorité des cas pour évaluer la récupération fonctionnelle. La majorité des études qui portent sur le traitement du décollement de rétine évaluent les résultats avec un recul minimum de six mois après la dernière chirurgie. En effet, passé ce délai, la récupération visuelle est à peu près définitive et le risque de récidive du décollement de rétine extrêmement faible.
Le suivi post-chirurgical sera simplifié si le patient a été prévenu avant l’intervention des suites prévisibles de la chirurgie : douleur postopératoire, mauvaise qualité de la vision en postopératoire immédiat, contraintes possibles de positionnement, contre-indications à certaines activités, fréquence probable des consultations de suivi, délais de récupération visuelle, qualité de cette récupération plus ou moins réservée en fonction du tableau initial, possibilité de plusieurs chirurgies — en cas d’échec ou de façon programmée (ablation de silicone).
Le suivi postopératoire vise à surveiller la bonne tolérance du geste chirurgical dans un premier temps, puis à apprécier le succès de la chirurgie ou à dépister son échec (tableau 31-I) pour adapter la conduite thérapeutique.
Tableau 31-I – Causes de mauvaise récupération visuelle avec rétine à plat.
Cause | Prise en charge |
---|---|
Macula initialement soulevée pendant plus de 15 jours | – |
Membrane épimaculaire secondaire | Ablation de membrane |
Œdème maculaire (intolérance à l’éponge, macula longtemps soulevée) | AINS ± acétazolamide Ablation de l’éponge |
Hémorragie sous-rétinienne maculaire (ponction hémorragique) | Évacuation précoce si abondante |
PFCL sous la macula | Ablation chirurgicale |
Persistance d’une lame de liquide sous-rétinien en OCT | Surveillance |
Neuropathie optique glaucomateuse | Contrôle de la pression intraoculaire |
Le suivi postopératoire immédiat diffère sensiblement selon que le décollement a été traité par voie externe ou par voie endoculaire.
En cas de chirurgie externe (cryo-indentation, avec gaz ou non)
DOULEUR
Douleur et œdème des paupières sont constants, à des degrés variables en postopératoire immédiat. Un titrage morphinique en salle de réveil permet d’assurer son soulagement et un relais par paracétamol codéiné sera réalisé éventuellement dans les vingtquatre à quarante-huit heures suivantes. Des anti-inflammatoires non stéroïdiens contribuent à la diminution de l’œdème.
Une ulcération de cornée accidentelle ou volontaire (pelage épithélial per-opératoire) peut également expliquer une douleur postopératoire.
Le string syndrome (cf. chapitre 34) est rare et survient après indentation circulaire. Il se caractérise par un syndrome douloureux très intense associé à une réaction inflammatoire de chambre antérieure, des plis descemétiques, une semi-mydriase. Ce tableau, qui correspond à une ischémie du segment antérieur par compression des artères ciliaires courtes postérieures, impose la section du cerclage en urgence.
HYPERTONIE OCULAIRE
L’hypertonie est fréquente en per-opératoire puis dans les suites immédiates de la chirurgie lorsque l’indentation mise en place est volumineuse, en raison de son effet mécanique. Le rétablissement spontané de l’équilibre pressionnel est néanmoins rendu le plus souvent possible assez rapidement par la résorption active du liquide sous-rétinien qui persiste souvent en fin d’intervention.
Dans certains cas d’indentation étendue, la constitution d’un décollement ciliochoroïdien antérieur peut occasionner une hypertonie, qui justifie une prescription d’atropine en plus du traitement hypotonisant.
Enfin, l’hypertonie est systématique lorsque la chirurgie externe a été associée à une injection intraoculaire de gaz. Elle impose un traitement préventif par acétazolamide par voie intraveineuse au décours de l’intervention puis huit heures plus tard, relayé par un traitement local (habituellement bêtabloquants et/ou a2-mimétiques) voire per os (acétazolamide) pendant quelques jours.
PERSISTANCE DU DÉCOLLEMENT DE RÉTINE
Le suivi d’un décollement de rétine traité par chirurgie externe est relativement simple quand le décollement se réapplique rapidement, dans les vingt-quatre à quarante-huit heures qui suivent la chirurgie, ce qui doit être le cas. Toute la difficulté réside à interpréter la persistance de liquide sous-rétinien au-delà de ce délai. Plusieurs cas de figure sont alors possibles.
LA DÉCHIRURE N’EST PAS BIEN PORTÉE
L’indentation peut être légèrement décalée par rapport à la déhiscence qui n’est que partiellement fermée et continue à alimenter le décollement de rétine. Il peut être indiqué d’injecter une bulle d’air ou de gaz pour l’obturer (par exemple, 0,3 ml d’air). Cette injection doit être réalisée dans les quarante-huit heures à sept jours suivant la chirurgie pour que la cryo-indentation soit encore efficace. Un positionnement du patient pendant trois à quatre jours est également nécessaire dans les suites pour que la cicatrice de cryoapplication puisse se constituer [17].
LA DÉCHIRURE EST BIEN PORTÉE : FAUT-IL ATTENDRE OU RÉINTERVENIR ?
Si le décollement a été pris en charge rapidement après le début de sa constitution (quelques jours), l’absence de réapplication rétinienne doit faire rechercher la présence d’une déhiscence passée inaperçue qui justifiera un traitement spécifique.
Toutefois, un retard de réapplication peut s’observer après une chirurgie bien menée, lorsque le décollement de rétine était ancien (plusieurs semaines) au moment de la prise en charge chirurgicale. Le liquide sous-rétinien est alors épais, riche en protéines et sa réabsorption peut prendre des semaines ou des mois. Un aspect concave du soulèvement rétinien est en faveur de cette hypothèse. Tant que l’évolution est lentement favorable, une surveillance simple peut alors se justifier (fig. 31-1).
CAS PARTICULIER DE LA RÉTINOPEXIE PNEUMATIQUE (« CRYO-GAZ »)
En l’absence d’indentation, la persistance d’un décollement de rétine au-delà de quelques jours en postopératoire impose une reprise chirurgicale. L’échec peut être dû à une rétinopexie insuffisante, un positionnement inadéquat du patient ou une déchirure passée inaperçue non traitée. Enfin, la bulle de gaz mobile dans l’œil provoque des tractions sur la base du vitré qui peuvent être responsables de l’apparition de déchirure(s), le plus souvent située(s) en rétine inférieure, à l’origine d’un décollement de rétine secondaire [5].
COMPLICATIONS LIÉES AU MATÉRIEL D’INDENTATION
DÉCOLLEMENT CHOROÏDIEN
Un décollement choroïdien peut être visible dans les quelques jours qui suivent la chirurgie. Il est dû à l’écrasement d’une ou plusieurs veines vortiqueuses par l’éponge et est aussi favorisé par une cryothérapie étendue. Le sujet myope fort est plus exposé à ce type de complication, qui régresse le plus souvent spontanément. Un traitement par corticoïdes par voie générale sera institué si le décollement choroïdien est important.
INFECTION D’EPONGE
Cette complication s’observe surtout avec les éponges en silicone expansé ; le relâchement des tissus au niveau des sutures de l’explant peut entraîner une saillie de l’extrémité de l’éponge sous la conjonctive et aboutir à une inflammation puis à une déhiscence conjonctivale. Elle est d’autant plus grave qu’elle survient précocement après la chirurgie du décollement. Le matériel peut s’extérioriser en partie et une surinfection apparaît à plus ou moins court terme dans tous les cas. Cette infection peut aboutir, en l’absence de traitement, à une véritableau cellulite orbitaire. L’ablation de l’éponge en totalité est nécessaire, même avant le stade de déhiscence conjonctivale quand le patient présente une saillie du matériel avec irritation conjonctivale marquée. En l’absence de signes objectifs d’irritation conjonctivale, il est possible que le patient se plaigne d’une gêne locale — il sent et voit l’éponge —, qui n’est en principe pas une indication à l’ablation du matériel.
TROUBLES OCULOMOTEURS
Il n’est pas rare que le patient se plaigne d’une diplopie le lendemain de l’intervention : elle est due au traumatisme chirurgical des muscles oculomoteurs et régresse rapidement en quelques jours ou semaines. Sa persistance peut s’observer plus fréquemment en cas de cerclage ou de plicature antérieure (cf. chapitre 38).
En cas de chirurgie vitréorétinienne
HYPERTONIE OCULAIRE
Une élévation transitoire ou prolongée de la pression intraoculaire est presque constamment observée après chirurgie vitréorétinienne. Les mécanismes qui rentrent en jeu dans sa survenue sont multiples, essentiellement inflammatoires ou mécaniques, souvent intriqués.
HYPERTONIE APRÈS VITRECTOMIE
De nombreux auteurs ont montré qu’une hypertonie postopératoire était constatée dans les suites immédiates d’une vitrectomie, même en dehors de la mise en place de tout tamponnement interne [8, 10, 14, 15]. Ainsi, toute vitrectomie peut être responsable d’une hypertonie postopératoire précoce et un tamponnement interne n’est pas forcément seul en cause. Cette hypertonie, typiquement à angle ouvert, est essentiellement d’origine inflammatoire [22]. Dans moins de 20 % des cas [10], l’hypertonie postopératoire s’accompagne d’une fermeture de l’angle en raison d’un blocage pupillaire favorisé par un tamponnement interne, le déplacement vers l’avant d’un implant de chambre postérieure ou la présence de fibrine dans l’aire pupillaire.
INFLUENCE DU TAMPONNEMENT INTERNE SUR LA PRESSION INTRAOCULAIRE
Gaz
Les trois gaz utilisés comme tamponnement interne en chirurgie vitréorétinienne sont le SF6, le C2F6 et le C3F8. Ils sont le plus souvent mélangés aujourd’hui avec de l’air dans des proportions variables (habituellement 20 % pour le SF6, 17 % pour le C2F6 et 12 % pour le C3F8), afin d’obtenir un mélange non expansif qui remplit la cavité oculaire de façon à peu près complète en fin d’intervention.
Ces gaz peuvent être directement responsables d’une hypertonie en postopératoire (tableau 31-II) par le biais de deux mécanismes : l’expansion du gaz et le blocage pupillaire.
Tableau 31-II – Principales complications d’un tamponnement par gaz.
Principales complications | Principe de la prévention | Principe du traitement |
---|---|---|
Strabisme (rupture de fusion car vision très floue sous gaz) | Choisir le gaz de la plus courte durée d’action possible permettant de traiter le cas | Si persistance après résorption : prise en charge habituelle d’un strabisme |
Hypertonie oculaire ± amaurose [34] ou OACR [13] liées à l’altitude | Pas de séjour en altitude ni de voyage en avion [27] tant que la résorption du gaz est incomplète | Perdre de l’altitude au plus vite |
Hypertonie oculaire par expansion postopératoire du gaz | Utiliser un dosage non expansif en cas de tamponnement complet (SF6 : 20 % ; C2F6 : 17 % ; C3F8 : 15 %) | Enlever du gaz de la cavité [9] |
Hypertonie oculaire par diffusion per-opératoire de protoxyde d’azote dans la bulle de tamponnement [24, 40] | Proscrire l’utilisation du protoxyde d’azote chez un patient porteur d’un tamponnement par gaz (air compris) ; communiquer avec l’équipe d’anesthésie ; port d’un bracelet | Aucun |
Hypertonie oculaire par bloc pupillaire chez l’aphake [9] | Faire une iridectomie inférieure peropératoire [9] | Iridotomie inférieure au laser ou nouvelle iridectomie si iridectomie bouchée [29] |
Hypertonie oculaire par fermeture de l’angle | Surveillance accrue chez les patients qui ont un angle iridocornéen étroit [9] Éviter le décubitus dorsal [7] | Reformer la chambre antérieure (viscoélastique) ; enlever du gaz de la cavité [9] |
Passage sous-conjonctival de gaz (fig. 31-3) | Suture soigneuse des sclérotomies Traiter une hypertonie oculaire postopératoire | Réinjecter du gaz si tamponnement insuffisant ; agents mouillants si effet Dellen |
Passage de gaz en chambre antérieure [7] | Éviter de blesser la zonule avec le terminal d’infusion ou le vitréotome [7] | Aucun, sauf si volume suffisant pour créer une hypertonie par obstruction de l’angle [7] |
Cataracte sous-capsulaire postérieure de dessiccation (fig. 31-4) | Éviter le contact gaz-cristallin (faire changer régulièrement la position postopératoire [23]) | Aucun si réversible, sinon : phakoémulsification |
Bulle de gaz trop petite le lendemain de l’intervention | Éviter l’utilisation per-opératoire de protoxyde d’azote [39]Suturer soigneusement les sclérotomies | Jouer sur le positionnement ; compléter injection de gaz si nécessaire |
Pli maculaire [36] | Positionnement postopératoire immédiat en décubitus ventral [39] | Éventuelle reprise chirurgicale par vitrectomie comprenant un redécollement maculaire [24] |
OACR, occlusion de l’artère centrale de la rétine.
EXPANSION DU GAZ
Le mélange mis en place peut être, de façon volontaire ou non, légèrement expansif et responsable d’une hypertonie significative dans les heures et quelques jours qui suivent la chirurgie. En cas de baisse de la pression atmosphérique, le gaz intraoculaire s’expand et provoque une hypertonie, d’autant plus que la bulle est plus grande. En postopératoire, les circonstances qui exposent à cette complication (voyage en avion, séjour en altitude) sont à proscrire tant qu’il persiste du gaz dans l’œil. De même, si une anesthésie générale s’avérait nécessaire pour quelque raison que ce soit en présence de gaz intraoculaire, l’utilisation de protoxyde d’azote doit être évitée en raison de sa diffusion dans la bulle de gaz qui provoque une augmentation de taille.

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