Chapitre 31 Dysfonction Érectile et Médecine Vasculaire
« Après tout, un début d’impuissance n’est pas la fin du monde… » Romain GARY Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable. Paris-Gallimard, 1975 [17, 27, 29].
DÉFINITION
Le terme de « dysfonction érectile » ou son abréviation « DE » est communément utilisé pour décrire l’incapacité permanente ou partielle chez l’homme d’obtenir ou de maintenir une rigidité pénienne suffisante pour un accomplissement satisfaisant de l’acte sexuel [1]. Ce terme est préféré à ceux plus traditionnels d’« impuissance masculine » ou d’« impuissance » en raison de leur manque de spécificité et de leurs connotations péjoratives et inquiétantes pour le patient. La DE est un symptôme dont la réalité repose sur les plaintes exprimées par le patient lors de l’interrogatoire. En règle générale, une persistance des troubles pendant un minimum de trois mois est nécessaire pour pouvoir poser le diagnostic, mais ce délai peut être plus court en cas de traumatisme ou de DE post-chirurgicale. Il existe des synonymes acceptables (impuissance, trouble érectile et surtout insuffisance érectile); par contre, le terme de DE ne doit pas être utilisé pour la maladie de Lapeyronie, les courbures anormales de la verge acquises ou non, les érections prolongées spontanées ou dues à des médicaments, ni dans les érections douloureuses.
HISTORIQUE
Enfin, Leriche décrit en 1923 l’oblitération du carrefour aortique, et Michal, au début des années soixante-dix, montre sur des études histologiques et artériographiques l’origine artérielle de nombreuses impuissances et réalisera la première revascularisation directe des corps caverneux. Durant cette même période, Ginestie et Romieu précisent les conditions radiologiques du diagnostic de l’impuissance vasculaire. La découverte par Virag en 1980 de la possibilité de déclencher une érection par une injection intracaverneuse (IIC) de papavérine amène une transformation radicale du concept même de l’impuissance [2]. C’est la première révolution physiopathologique et thérapeutique qui ouvre l’ère pharmacologique. De nouveaux tests diagnostiques sont ensuite mis au point, améliorant considérablement l’approche multidisciplinaire. Les IIC ont autorisé une meilleure compréhension des processus intimes de l’érection et bouleversé l’approche thérapeutique de l’homme impuissant. Le rôle fondamental du muscle lisse caverneux est mis en évidence. Brindley, puis Ishii et Adaikan valident et complétent cet acquis fondamental. En 1985, Virag et Bouilly montrent pour la première fois le rôle et la fréquence des principaux facteurs de risque cardiovasculaires dans le déclenchement et la sévérité d’une DE [3], que viennent appuyer de nombreuses publications. Dans le même temps, une seconde révolution est en marche. Au début des années quatre-vingt-dix, les recherches sur un nouvel antiangineux permettent la découverte des propriétés proérectiles d’un inhibiteur de la phosphodiestérase 5 (IPDE5) : le sildénafil (Viagra), amenant la reconnaissance d’un lien entre les facteurs de risque vasculaires et la DE : la dysfonction endothéliale. En 2010, l’érection peut ainsi être considérée comme un baromètre de la santé générale et particulièrement de la santé vasculaire de l’homme.
PRÉVALENCE ET INCIDENCE
La DE est un symptôme fréquent avec une prévalence moyenne très variable, liée notamment aux critères diagnostiques retenus (simple question, questionnaire standardisé IIEF, International Index of Erectile Function). Elle est possiblement sous-évaluée en raison de son caractère « tabou » et parce qu’elle a été considérée comme un dysfonctionnement de la réponse sexuelle et non pas comme une maladie. Dans l’étude MALES, le taux de prévalence globale de DE était de 16 % (11 % en France et 22 % aux États-Unis) [4]. Dans la Massachusetts Male Aging Study (MMAS), première étude multidisciplinaire de la DE menée entre 1987 et 1989 aux États-Unis, 52 % des hommes âgés de 40 à 70 ans déclaraient un trouble érectile, dont 35 % une DE modérée à sévère (score IIEF < 20). Au total, aux États-Unis, 10 à 20 millions d’hommes souffriraient de troubles graves de l’érection [5]. Il existe dans toutes les études une augmentation régulière de la prévalence de la DE avec l’âge, qui est considéré comme un facteur de risque indépendant : 1 à 9 % de 18 à 39 ans, 2 à 30 % de 40 à 59 ans, 20 à 40 % de 60 à 69 ans et 50 à 75 % audelà de 70 ans [6]. La DE est non seulement plus fréquente avec l’âge mais également plus sévère. Concernant son incidence, les études sont peu nombreuses. Dans la MMAS, elle était en moyenne de 26 cas pour 1 000 hommes-années sur un suivi moyen de 8,8 ans, et respectivement de 12, 30 et 46 cas pour 1 000 entre 40-49, 50-59 et 60-69 ans [5].
BIOLOGIE MOLÉCULAIRE ET PHARMACOLOGIE DE L’ÉRECTION [8]
Lors de l’érection, le NO libéré est synthétisé par les terminaisons parasympathiques des nerfs caverneux sous l’action d’une enzyme, la NO-synthase neuronale. Le NO diffuse à travers la membrane plasmique des CML et se lie à la guanylate cyclase soluble qui transforme le GTP en GMPc (guano-sine 3’, 5’-phosphate). L’accumulation de GMPc initie une cascade biochimique, avec activation d’une protéine-kinase spécifique (PKG1), aboutissant à une chute des concentrations du Ca cytosolique et à la relaxation des CML. Celle-ci peut également être déclenchée par le second messager, l’AMPc, sous l’action de différents médiateurs, dont le VIP et la prostaglandine E1. Ces médiateurs se lient à des récepteurs spécifiques, activant l’adénylate cyclase qui catalyse la formation d’adénosine 3’,5’-phosphate (AMPc) à partir d’ATP. L’AMPc active une protéine-kinase spécifique (PKA) et initie la cascade biochimique.
CAUSES VASCULAIRES
La responsabilité de l’artériopathie oblitérante dans l’impuissance est connue depuis la description de l’oblitération du carrefour aortique par René Leriche en 1923. Par ailleurs, une lésion obstructive iliaque externe peut entraîner un vol pelvien et une DE, par hémodétournement du territoire génital au profit du membre inférieur. En 1985, Virag et Bouilly montraient pour la première fois que chez les hommes souffrant d’une DE, la prévalence des facteurs de risque cardiovasculaires était plus élevée que dans la population générale [3]. La DE est une pathologie multifactorielle, mais il est actuellement admis que la participation organique ou mixte est dominante et que la plupart des DE vasculotissulaires sont liées à une dysfonction endothéliale, en relation avec un diabète, une hypertension artérielle ou une dyslipidémie. Les facteurs qui concourent au stress oxydatif et à la dysfonction endothéliale dans la pathologie coronaire jouent également un rôle fondamental dans la physiopathogénie de la DE. Il existe actuellement de plus en plus d’arguments pour penser que la DE représente un indicateur précoce de maladies cardiovasculaires principalement coronaires, annonciateur d’une pathologie infraclinique.
Diabète
La DE est très fréquente chez les diabétiques, jusqu’à près de 75 % des patients. La prévalence du diabète parmi les patients avec DE est de 14 % contre 4 % parmi les patients sans DE [4]. L’ancienneté du diabète, un mauvais équilibre glycémique ou la présence de complications microangiopathiques et macroangiopathiques augmentent le risque d’atteinte érectile. La DE chez le diabétique est la conséquence de plusieurs mécanismes interagissant entre eux, vasculaire, neurologique, hormonal, psychologique et iatrogénique. La participation vasculaire fait intervenir l’athérosclérose, la formation de produits de glycation avancés (AGE) qui altèrent la fonction endothéliale, la diminution de l’expression du facteur de croissance endothéliale, l’augmentation de la protéine Rhokinase et de la densité des cellules apoptotiques dans le tissu caverneux [8]. Il existe une corrélation positive entre l’aggravation du diabète mesurée par l’augmentation du taux de l’HbA1c, et l’augmentation de la prévalence de ses complications microvasculaires et de l’infarctus du myocarde. Ainsi, chez les patients diabétiques, la prise en charge de la DE doit commencer par un dépistage actif systématique.
Hypertension artérielle
Une HTA est présente chez 38 % à 42 % des hommes présentant une DE, et 15 à 46 % des hommes hypertendus ont une DE [9]. Dans l’étude MMAS, l’incidence de la DE était de 52 pour mille par an contre 26 dans la population générale. Le risque relatif était de 1,52 [5]. La prévalence de la DE chez l’hypertendu est associée à la durée, à la sévérité de l’HTA, et à la prise d’un traitement antihypertenseur [5]. Dans les études où la prévalence de la DE est plus élevée chez les patients hypertendus, elle est associée avec des troubles plus sévères.
Dyslipidémie
La prévalence de l’hypercholestérolémie varie de 40 à 70 % [10] chez les patients ayant une DE. L’augmentation d’une mmol/L de cholestérol total et de cholestérol HDL multiplie le risque de DE respectivement par 1,32 et 0,38. Il existerait un lien entre l’hypercholestérolémie, notamment le cholestérol LDL, et la sévérité de la DE. Un taux de CT > 240 mg/dL et un taux de cholestérol LDL > 160 mg/dL multiplieraient respectivement le risque de DE modérée et sévère par 2,7 et 2,6 [11]. La relation entre DE et hypertriglycéridémie est controversée.
Tabac
Dans la seconde analyse de MMAS, l’incidence de la DE était de 24 % chez les fumeurs vs 14 % chez les non-fumeurs (OR 1,97). La prévalence du tabagisme a été estimée à 40 % chez les patients ayant une DE contre 28 % dans la population générale [12]. Le risque semble plus élevé en cas de consommation importante qu’en cas de consommation modérée (< 20 paquets-année) ou que chez les patients tabagiques passifs et non tabagiques. Il semble également que le risque soit accru avec l’ancienneté du tabagisme. Le tabac est nocif en raison de son effet immédiat vasoconstricteur et son rôle à distance dans le développement de l’athérosclérose.
Autres facteurs de risque vasculaires
Le syndrome métabolique (SM) est fortement lié à la DE, qui peut en être un signe annonciateur. La prévalence de la DE chez les patients porteurs d’un SM augmente avec le nombre des critères du SM [8]. Un mode de vie sédentaire favoriserait la DE tandis que l’activité physique serait protectrice. Chez le patient obèse, une perte de poids d’au moins 10 % permettrait une amélioration de la fonction érectile dans 30 % des cas. Un taux élevé d’homocystéine plasmatique a également été associé avec la présence d’une DE chez le patient diabétique [8].
DE et maladies cardiovasculaires
Dans l’enquête MMAS, la prévalence d’une DE sévère était de 39 % chez les malades présentant une pathologie cardiovasculaire traitée, contre 9,6 % dans la population générale [5]. La DE est fréquente (70 %) chez les patients présentant une coronaropathie stable [13], et a également été associée à une augmentation des anomalies coronarographiques infracliniques [14]. L’atteinte pluritronculaire semble mieux corrélée à la DE que l’atteinte monotronculaire, ainsi que le caractère chronique de la coronaropathie par rapport au syndrome coronaire aigu [15]. De plus en plus d’arguments amènent à penser que le DE est un facteur prédictif indépendant d’événements cardiovasculaires principalement coronariens. Le risque d’ischémie coronaire aiguë est multiplié par 2 en cas de DE, et une DE modérée à sévère augmenterait de 65 % le risque d’événement coronaire à 10 ans calculé selon le modèle de Framingham, et de 43 % celui d’AVC. Dans l’étude du National Cancer Institute, l’apparition d’une DE au cours du suivi (7 ans) était associée à une augmentation de 25 % du risque de survenue de maladie cardiovasculaire et en incluant les patients souffrant d’une DE au début de l’étude, le risque de maladie cardiovasculaire était augmenté de 45 % [16]. Chez les diabétiques de type 2 qui présentent une coronaropathie silencieuse, la DE multiplie par 2 le risque d’événements cardiovasculaires et de décès à 4 ans [17]. Si l’incidence de la coronaropathie augmente avec l’âge dans la population générale, il semble que le risque coronaire soit plus élevé dans la tranche d’âge 40-49 ans qu’après 50 ans [11]. Une DE chez un homme jeune serait par conséquent associée à un risque accru de coronaropathie future. Par ailleurs, la DE semble apparaître dans la plupart des cas avant la coronaropathie, en moyenne de 39 mois pour des patients hospitalisés pour un 1er épisode d’infarctus du myocarde [18].
Une AOMI est présente chez 75 % des patients en cas de DE, et la fréquence de cette association serait corrélée à la sévérité de la DE. Les patients avec DE ont plus fréquemment des plaques athéroscléreuses aux niveaux fémoral et carotidien que les patients sans DE (66 % vs 36 %), et encore plus fréquemment au niveau fémoral [19].
Dysfonction érectile : prèmiere manifestation clinique d’une maladie vasculaire systémique ?
La diméthylarginine asymétrique est un inhibiteur compétitif endogène de la NO synthase dont l’élévation du taux plasmatique est corrélée avec la dysfonction endothéliale. Un lien fort et indépendant a été montré entre ADMA, mortalité globale et événements cardiovasculaires dans la population générale. La dysfonction endothéliale coronaire est indépendamment associée à la DE et à l’élévation des taux plasmatiques d’ADMA chez des patients présentant des lésions coronaires non significatives. La DE a également été associée avec une élévation de marqueurs biologiques de la dysfonction endothéliale (CRP, endothéline 1, molécules d’adhésion cellulaire) [8].Costa et Virag suggèrent qu’une dysfonction endothéliale pénienne isolée révélée par un Penile NO Release Test (PNORT), ou une dysfonction endothéliale systémique mise en évidence par la vasodilatation médiée par le flux ou la tonométrie artérielle périphérique (PAT), pourrait être le signe premier d’une maladie vasculaire systémique [8].