3: Le soin en psychiatrie

Chapitre 3 Le soin en psychiatrie




Les grands moyens thérapeutiques en psychiatrie



Les différentes thérapeutiques


Les moyens thérapeutiques en psychiatrie se répartissent entre :



Les thérapeutiques biologiques correspondent à la prescription, à la dispensation et au suivi de traitements tels que les hypnotiques, les antidépresseurs, les thymorégulateurs, les neuroleptiques, les psychostimulants, les traitements adjuvants et correcteurs des effets indésirables des traitements initiaux ou l’électroconvulsivothérapie (sismothérapie ou électrochocs…). Elles sont un des éléments importants du soin psychiatrique moderne en complémentarité avec les différentes approches psychothérapiques.



Les antidépresseurs


« Le traitement médicamenteux d’un patient déprimé n’est qu’un aspect de sa prise en charge, qui comporte d’autres mesures thérapeutiques (psychothérapies interpersonnelles, comportementales, etc.) et la prise en compte de facteurs sociaux. » (RMO, Journal Officiel du 5 décembre 1998)


Leur prescription obéit à des règles précises quant aux indications, aux associations de médicaments et à la poursuite du traitement.


Quant au choix d’une classe d’antidépresseur lors d’un premier épisode dépressif, s’il n’existe aucun critère reconnu, il s’avère que les antidépresseurs de nouvelle génération sont actuellement les plus prescrits en raison de leur meilleure tolérance avec une efficacité comparable aux imipraminiques. Le choix doit prendre en compte le respect des contre-indications, l’existence d’échecs ou de succès antérieurs, la recherche d’un profil particulier de l’antidépresseur en fonction de la symptomatologie et le risque d’induction d’effets indésirables.



Exemple


Mme J, 48 ans, est adressée dans le service à la suite d’une tentative de suicide (ingestion importante de médicaments). Elle présente depuis plusieurs semaines un état dépressif majeur avec aboulie, tristesse, idées noires, insomnie quasi totale avec un réveil précoce vers 4 heures du matin. Peu à peu s’est installé un tableau associant inhibition, prostration, incurie, idées délirantes de culpabilité, de persécution (la police allait venir la chercher, elle avait commis un « crime ») qui ont conduit à ce geste désespéré.


À son arrivée, la patiente est encore sédatée, mais ne critique ni son geste suicidaire, ni les idées délirantes. Il s’agit du premier épisode dépressif mélancolique même si l’on note dans les antécédents de nombreux épisodes dépressifs. Un certain nombre d’antidépresseurs ont déjà été utilisés avec des résultats difficiles à évaluer en raison de la réticence de la patiente à poursuivre un traitement régulier.


En raison de la gravité du tableau clinique et du risque suicidaire : prescription de clomipramine (Anafranil) en perfusion lente IV (2 h 30 à 3 heures) : 1 ampoule à 25 mg à J1, 2 ampoules à 25 mg à J2 et J3, et 3 ampoules à 25 mg à J4 (dans 250 cc de soluté isotonique).


Laisser la patiente alitée environ 1 heure après la fin de la perfusion. Surveiller les constantes. Être attentif à une éventuelle levée d’inhibition psychomotrice entraînant un risque de passage à l’acte.


Une fois l’amélioration obtenue, le relais sera fait par voie orale (2 cp à 25 mg par ampoule de 25 mg). Veiller à l’absorption des médicaments (risque de « stockage »).


Prescription courte d’un hypnotique : Imovane, 1 cp le soir au coucher.


Observation de la réponse thérapeutique et des éventuels effets secondaires. Observer les changements d’humeur brutaux.


Prévention du risque suicidaire.


Démarche d’information et d’éducation sur l’observance des traitements.


Actions de relation d’aide et de confiance.




Les neuroleptiques/antipsychotiques


Les antipsychotiques ou neuroleptiques se divisent en deux classes selon leurs propriétés pharmacologiques, les neuroleptiques classiques et atypiques. Les neuroleptiques atypiques représentent une nouvelle classe de médicaments qui ont modifié la prise en charge du patient, en raison tout d’abord de leur meilleure tolérance et de leur profil d’action (action sur les symptômes positifs et négatifs, mais aussi sur un certain nombre de symptômes qui accompagnent la pathologie psychotique, que ce soit la symptomatologie dépressive ou les signes cognitifs).


Ils sont actuellement prescrits en première intention lors d’un premier épisode psychotique (voir tableau page suivante).




Exemple


Sophie S. arrive aux urgences de l’hôpital accompagnée par les pompiers qui l’ont retrouvée recroquevillée dans une cabine téléphonique, tenant des propos incohérents. À son arrivée dans le service, elle est incurique, son discours est décousu, diffluent. Elle est incapable de rester en place, entre dans toutes les chambres, le bureau des infirmiers les sollicitant à de multiples reprises. L’entretien médical sera relativement bref car la patiente est très dissociée et entre et sort du bureau à plusieurs reprises. L’équipe infirmière qui connaît bien cette jeune patiente schizophrène réussit à établir un contact et l’on apprend :



Accueil de la patiente et présence infirmière quasi constante dans un premier temps.


Prise de contact avec l’équipe du dispensaire pour avoir des éléments sur le suivi de la patiente : date du dernier rendez-vous de consultation et traitement prescrit.


Participation à l’entretien d’admission et rédaction du dossier de soins.


Demander à la patiente si elle souhaite que sa famille soit avertie de son hospitalisation.


Reprise du traitement habituel qui avait permis une amélioration nette de la symptomatologie et qui était bien toléré en dehors d’une prise de poids modérée : olanzapine (Zyprexa) 10 mg/jour en une seule prise. Prescription ponctuelle d’un hypnotique pour retrouver un rythme veille-sommeil. Prescription sur une courte période d’un neuroleptique à visée sédative : cyamémazine (Tercian) : 25 gouttes matin et midi et 50 gouttes le soir. Veiller à la prise du traitement. Encourager l’observance du traitement.


Surveillance de la réponse thérapeutique et des éventuels effets secondaires. Démarche éducative (information, conseil, prévention de certains effets secondaires). Surveillance de l’apparition d’un syndrome malin.


Soins de nursing (hygiène, alimentation…). Assurer une alimentation et un apport hydrique adéquat.


Actions de relation d’aide thérapeutique.






L’électroconvulsivothérapie (ECT)


L’électroconvulsivothérapie a des indications précises : dépressions mélancoliques sévères, dépressions sévères du sujet âgé, certains cas de dépressions résistantes aux antidépresseurs, schizophrénies catatoniques, psychoses puerpérales.


Il importe de connaître les contre-indications : tumeurs cérébrales, infarctus du myocarde récent ou AVC, hypertension intracrânienne, contre-indications à l’anesthésie.


Le rôle de l’infirmier, en dehors de la préparation et du bilan pré-ECT, est particulièrement important au moment du réveil :



Pour des informations plus spécifiques, se référer à l’ouvrage de D. Friard, Électroconvulsivothérapie et accompagnement infirmier (Masson, 1999).


Les meilleurs résultats thérapeutiques obtenus en institution, le sont en associant : chimiothérapie + psychothérapie + sociothérapie, ce qui correspond finalement à la dynamique institutionnelle normalement insufflée par la sectorisation. Cette tri-focalisation se pose en regard du fait que le sujet touché par la pathologie psychiatrique est un être bio-psycho-social. Différentes études semblent d’ailleurs montrer que le type de référence psychothérapique ne semble pas influer de façon significative sur les résultats thérapeutiques des équipes. Ce qui importe est, semble-t-il, plus la cohérence globale de l’équipe au sein de son corpus théorique de référence que la nature des techniques employées. Ce constat renforce notre choix de ne pas aborder en détail les différentes conséquences pratiques ou applications cliniques spécialisées émanant des différentes écoles psychiatriques. Nous allons plutôt nous centrer sur le côté aspécifique de notre métier, sur ce corpus commun que l’on retrouve quelle que soit l’unité dans laquelle nous travaillons, quels que soient nos collègues ou les patients que nous avons à soigner.



Le champ des psychothérapies


Les psychothérapies (théorisées) sont extrêmement nombreuses. Elles dépassent actuellement le nombre de 400. Nous ne pourrons toutes les aborder ici, car cela nécessiterait l’ouvrage entier. Par contre, ce que l’on peut dire pour en définir un peu mieux l’objet, c’est qu’une intervention clinique, pour avoir une valeur thérapeutique, quel que soit le fondement théorique dont elle relève, doit être sous-tendue par l’existence de quatre exigences :



Les modes de classification des psychothérapies sont variables. Elles se distinguent par la nature :



Elles peuvent aussi être classées par niveaux de cadre (Marie-Cardine, Chambon) :



Le terme « psychothérapie » recouvre donc des pratiques multiples et hétérogènes (tableau 3-1). Leur point commun est qu’elles se caractérisent toutes par la mise en œuvre d’une relation :




Il convient de préciser que les méthodes de groupes et collectives comprennent les pratiques majeures que sont les thérapies familiales et les thérapies systémiques.



La place particulière de la psychodynamique dans l’histoire du soin infirmier


L’histoire du soin institutionnel en psychiatrie montre que le courant psychanalytique a laissé une empreinte forte, tant sur les techniques de soin que sur la compréhension de ce qui se passe dans la relation soignant-soigné et dans le soin relationnel au sens large (même si cette tendance s’inverse actuellement au profit des courants biologiques ou cognitivo-comportementaux). Si la cure analytique est assez éloignée de l’activité clinique quotidienne d’un service de psychiatrie, les apports de cette théorie à la pratique du soin sont conséquents au quotidien. À partir de certains concepts, des pratiques ont pu se construire prenant en compte deux paramètres existants : l’institution et l’équipe de soin. Ainsi, un éventail large de psychothérapies s’est constitué : individuelles, groupales, avec médiateur…, pouvant toutes être mises en œuvre en institution, en sortant du cadre structuré de la cure psychanalytique. L’autre apport de la psychanalyse, que nous avons souligné dans la première partie de cet ouvrage, est la grille de lecture et d’analyse des comportements pathologiques, des situations familiales, sociales, relationnelles et des situations de soins qu’elle nous apporte. Les techniques de supervision et d’analyse de la pratique, qui servent aux équipes à comprendre ce qu’elles vivent et ce que le patient vit et leur fait vivre, en découlent directement. Bien entendu, la psychanalyse en tant que pratique ne relève pas de l’exercice infirmier. Mais cet état de fait ne justifie pas pour autant que la formation théorique psychodynamique des infirmiers nouvellement diplômés soit si peu conséquente. D’autant que les contributions de ces courants ont été et restent conséquentes dans la compréhension et dans la mise en œuvre de cette activité spécifique qu’est le soin infirmier en psychiatrie. Ces apports interviennent dans quatre domaines.




Une clarification de la différenciation entre le soin et la psychothérapie


Le soin, dans son acception large, est l’ensemble des mesures destinées à soutenir le fonctionnement psychique du patient. Le soin renvoie au concept de holding. C’est le fait d’accompagner le patient dans son besoin de régression, de soins physiques, maternants. Mais le soin seul, ne suffit pas. Ces soins aident le patient à traverser les moments de crise, de décompensation, de défaillance, où il s’échappe à lui-même, et où l’intervention d’un tiers est nécessaire. Mais il doit s’accompagner d’un travail d’élaboration. L’infirmier a un rôle déterminant dans cette prise en charge. Sans l’articulation avec un appareillage conceptuel, l’infirmier ferait le même soin mais en le limitant à un registre d’intervention propre aux soins de nursing. Alors que le cadre conceptuel lui permet de recueillir une séméiologie, d’analyser et de comprendre ce qui se passe dans le soin. Cette compréhension est importante car elle permet de modifier la relation, la nature de la prise en charge et de restituer au patient les éléments élaborés. La psychothérapie permet de donner sens aux contenus mentaux. Le cadre et le travail sur le contenu apporté dans une démarche de thérapie institutionnelle apportent « du sens » et permettent l’accès à ce sens. Mais à la différence du soin, la psychothérapie est un moyen de modifier le fonctionnement psychique du sujet et de ses mécanismes de défense. De ce point de vue-là, elle est indispensable. Elle ne peut être instaurée d’emblée et doit s’articuler au soin en institution. Il est utile d’être clair avec cette différenciation de façon à ce que les deux pôles se distinguent dans la réalité, temporelle, spatiale, par rapport aux soignants eux-mêmes ainsi que leurs activités de soin. Cette différenciation est autant utile aux soignants qu’aux soignés (qui n’ont pas tous accès à la différenciation). Pour l’équipe, elle évite la confusion. Il existe bien entendu des ponts et des chevauchements entre les phases de soins et les phases de psychothérapie.



La mise en exergue du travail de mise en sens


Il était évoqué ci-dessus la nécessité d’articuler le soin à un appareillage théorique. Les concepts psychanalytiques apportent des explications sur la vie psychique. Ils permettent également une lecture du quotidien différenciée par la compréhension et la mise en sens des phénomènes qui, sans elle, risqueraient de rester sans signification ou, encore plus simplement, de passer inaperçus. Cette théorie a permis de passer de la fonction « gardiennage » à la fonction soin. Ce modèle sert à penser la pratique, comprendre et aménager les mécanismes relationnels, les affects en jeu, la dynamique des groupes, les projets de soins. Elle favorise une meilleure implication de l’infirmier, parce qu’il se sent sécurisé par l’éclairage apporté par cette théorie. Les différents temps de réflexion clinique que l’équipe partage autour d’un langage et de concepts communs illustrent cet éclairage. Cet appareillage théorique se constitue comme un schème de référence, à partir du champ de la formation et de l’immersion dans l’expérience.


Aussi les soins infirmiers dits de base, de nursing, relevant du rôle autonome constituent en partie le soin. La caractéristique du soin infirmier en psychiatrie est que ces mêmes soins se réalisent dans une dimension ajoutée, celle de la symbolisation : la mise en sens arrive ou tend à faire accéder le patient à donner lui-même du sens avec ce qui le constitue comme sujet dans son histoire. Ce travail de symbolisation conduit le patient vers un processus qui se réalise en deux phases : une mise en image puis une mise en représentation.


Bien que l’infirmier en psychiatrie ait des activités à visée psychothérapique, c’est aussi dans ces petits riens de la vie quotidienne, comme l’accompagnement à la toilette, les repas, que certains actes ou paroles peuvent avoir une visée psychothérapique. C’est l’acquisition de concepts et de capacités analytiques qui produisent cet effet thérapeutique. Nous sommes au-delà de la notion du « prendre soin » développé par Walter Hesbeen. C’est ce que nous verrons dans la troisième partie consacrée à la clinique infirmière.


À ce propos, nous restons songeurs devant cette tendance actuelle de remplacer les postes infirmiers par des aides-soignants, qui ont une formation encore plus réduite en sciences humaines et en psychiatrie que les infirmiers formés avec le programme d’études de 1992. Dans cette évolution, c’est l’aspect psychothérapique qui risque de disparaître au sens de « chercher à guérir » ou tout au moins atténuer les troubles psychiatriques. Le soin risque à terme de se limiter à une prise en charge standard, indispensable certes, de maintien, de confort, d’hygiène, mais non thérapeutique.


Deux aspects négatifs se dégagent :


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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 3: Le soin en psychiatrie

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