7: Entretien et relation d’aide en psychiatrie

Chapitre 7 Entretien et relation d’aide en psychiatrie



La pratique de l’entretien infirmier est une pratique fondamentale de l’infirmier exerçant en psychiatrie. Elle constitue une part importante de la fonction relationnelle de l’infirmier. Toutefois il nous faut noter d’emblée que cette fonction d’échange verbal ne s’arrête pas au cadre des entretiens formalisés. En effet, l’infirmier exerçant en psychiatrie déploie au quotidien cette fonction relationnelle tout au long d’un continuum qui part des quelques mots échangés dans la chambre d’un patient pour aller jusqu’à la consultation infirmière structurée, en passant par tous ces nombreux moments d’échange qui émaillent et ponctuent ce que l’on a appelé l’interstitiel du soin institutionnel en psychiatrie.


En ce sens, l’infirmier exerçant en psychiatrie est régulièrement convoqué tout au long de sa journée de travail dans l’exercice de cette compétence si particulière que l’on nommera – par extension – sa fonction de relation d’aide. Il nous a donc paru important d’ajouter un chapitre traitant de cette problématique dans la seconde édition de cet ouvrage.



De l’entretien à la rencontre




Avant de détailler les grandes catégories de séquences relationnelles dans lesquelles l’infirmier exerçant en psychiatrie peut être impliqué, il nous semble intéressant de nous pencher sur le socle commun de toutes ces pratiques : la rencontre de l’autre.



La notion de rencontre intersubjective


Toute séquence relationnelle est d’abord l’histoire d’une autre rencontre. Une rencontre entre un sujet en souffrance : le patient, et un sujet dont la fonction est d’accueillir et de prendre en charge cette souffrance : le soignant. Mais cette rencontre n’est pas seulement celle d’un patient et d’un soignant. Elle est aussi une rencontre intersubjective, celle de deux sujets faits « du même bois », celle de deux humains constitutionnellement confrontés aux affects, à l’angoisse et à la souffrance. L’entretien est donc une interaction interhumaine, qui va faire résonner chez chacun d’entre nous, toute une série d’émotions, d’affects, voire de passions, liés à ce qu’il y a de commun – d’humain – en nous.


L’entretien se caractérise ainsi par la mise en place d’un espace psychique commun qui sera le lieu d’un travail relationnel mutuel. Les deux protagonistes de cette relation, le patient et le soignant, se trouvent donc conjointement engagés – avec ce qu’ils sont (personnalité, histoire, état émotionnel…) – dans cette interaction complexe et mutidimensionnelle aux déterminants multiples (fig. 7-1).



À la lumière de ce schéma, nous pouvons d’ores et déjà repérer que les éléments « techniques » tels que les modalités d’interventions verbales ne sont qu’un des éléments de l’interaction en jeu dans la pratique de l’entretien.


La compréhension de ce qui s’y joue s’appuie sur la mise en réflexion de l’ensemble de ces déterminants qu’il importe, non pas de maîtriser (ce qui serait d’ailleurs quelque peu illusoire), mais de repérer et de mettre en pensée, afin d’en améliorer la compréhension en pratique clinique quotidienne. Comprendre en effet ce qu’un patient a pu vivre ou nous faire vivre en entretien, nécessite la prise en compte de l’ensemble des facteurs engagés dans cette interaction-, entre ces deux personnes-, à ce moment-.


La nécessaire multidimensionnalité de cette approche se retrouve d’ailleurs dans la problématique de la formation des professionnels aux techniques d’entretien. Nous y reviendrons en fin de chapitre.



La notion d’infirmier « outil du soin »


La notion de rencontre intersubjective qui fonde toute la pratique relationnelle de l’infirmier en psychiatrie nous renvoie directement à ce que nous avons développé dans le chapitre 4 de cet ouvrage autour de la notion d’infirmier « outil du soin ».


En effet, la pratique de l’entretien en psychiatrie est une pratique d’intériorité. Elle repose sur la création d’un espace psychique « intermédiaire » entre le patient et le soignant afin que ce dernier puisse accueillir, repérer, contenir, et mettre en pensée ce que le patient va y déposer. Mais pour cela, nous voyons que l’infirmier est confronté à un premier enjeu : celui de créer un lien qui va permettre le déploiement de la relation.


L’établissement de ce lien, qui repose pour une bonne part sur les qualités d’empathie du soignant, va permettre le déploiement d’échanges psychiques intenses entre le patient et le soignant qui se passeront en grande partie – mais pas uniquement – dans l’espace relationnel commun créé par la relation. Tout se passe comme si le soignant s’approchait au plus près du psychisme du patient pour créer avec lui une forme de contiguïté psychique permettant le lien. En ce sens, le psychisme du soignant constitue l’outil dont il va se servir pour percevoir, comprendre et travailler le vécu émotionnel de cet autre qu’est le patient. Seulement, il ne pourra comprendre cet autre qu’en laissant résonner en lui cette part de nous-mêmes que nous renvoie inéluctablement la souffrance de tout autre, jamais totalement autre quand il s’agit de renvoyer des affects aussi universels tels que peuvent l’être l’angoisse ou la tristesse.


Bien entendu, il ne s’agit pas de chercher à ressentir soi-même ce que vit le patient, mais de se placer à une distance suffisamment différenciée de lui pour pouvoir travailler ensemble, tout en étant suffisamment proche de lui pour créer un lien. Or, dans la mesure où cette proximité relationnelle est justement ce qui fait que – parfois – nous pouvons être touchés, voire désorganisés, par ce que le patient nous fait vivre, il est donc naturel que la « bonne distance » qui nous permet de ne pas être systématiquement envahi par les affects du patient, soit également celle qui fait que nous puissions parfois l’être. La rencontre de l’autre est à ce prix. La relation et la vie aussi…



La forme de la rencontre


La notion d’engagement psychique de soignant au cœur d’une relation subjective avec le patient est ce qui constitue le fond de la rencontre relationnelle. Qu’en est-il maintenant de la forme ?


Si le décret infirmier du 11 février 2002 énonce deux types d’entretiens – l’entretien d’accueil et d’orientation, l’entretien à visée psychothérapique –, la pratique conduit à distinguer de nombreuses formes d’entretien infirmier en psychiatrie (fig. 7-2).



Ces différents types d’entretien peuvent aussi se décrire en fonction :



Ces différentes « catégories » d’entretiens infirmiers sont d’autant plus importantes à repérer dans leurs modalités que le cadre de l’entretien va toujours influencer ce qui s’y déroule. Les outils techniques relationnels utilisés dans un entretien de crise seront par exemple très différents de ceux mis en œuvre par un infirmier lors d’un entretien de relation d’aide thérapeutique par exemple. Cette multiplicité des cadres, et par conséquent cette multiplicité de processus qui s’y déroulent, font toute la richesse et toute la diversité de la pratique des entretiens infirmiers en psychiatrie, mais aussi toute la complexité.


Toutefois, il existe un point commun à l’ensemble de ces pratiques : le travail de relation d’aide.



Les outils techniques de l’entretien : la technique de relation d’aide


Nous venons de voir, au travers de la question de la rencontre, que la première priorité d’un entretien était d’établir un lien. Un lien avec l’autre qui souffre, un lien avec sa problématique, mais aussi un lien avec son fonctionnement psychique, dont la compréhension va nous permettre de l’aider de manière optimale.


L’établissement de ce lien va dépendre de qualités humaines mais aussi d’éléments techniques à travers l’éventail des modalités d’intervention verbales et non-verbales qui s’offrent à nous. L’utilisation d’outils adaptés au type d’entretien souhaité, mais aussi aux particularités des personnes qui se « rencontrent » est importante mais perdrait une bonne part de sa force si elle n’était pas étayée au préalable par l’établissement d’un lien de qualité. La question qui se pose alors à nous est celle de la définition de ce que peut, ou de ce que doit être « un lien de qualité ».


L’expérience tend à montrer que les qualités relationnelles fondamentales d’un entretien reposent en grande partie sur les qualités d’empathie, d’authenticité et de congruence du soignant décrites par Carl Rogers dans sa théorisation de la relation d’aide. Ainsi, pour garantir l’établissement d’un lien relationnel satisfaisant, il suffirait en pratique d’être empathique, authentique et congruent. Mais comment l’être concrètement ? Et est-ce suffisant ?



L’empathie


Dans son acception classique, l’empathie repose sur « un désir et une capacité de compréhension de l’expérience subjective de l’autre ». Il s’agit d’avoir envie et d’être capable (en terme de capacités humaines, intellectuelles et affectives) de comprendre ce que l’autre vit. Il ne s’agit donc pas de vivre avec le patient ce qu’il ressent, ou de le vivre à sa place, mais de se mettre en position de chercher, de repérer, de percevoir et de comprendre son ressenti et sa problématique.


En ce sens l’empathie n’est ni un état, ni une qualité, ni même une technique. L’empathie est une position psychique de réceptivité et d’ouverture relationnelle qui va nous permettre d’accueillir l’autre.


L’empathie va ainsi être le support de l’établissement du lien en montrant à l’autre, et en lui faisant ressentir, tout l’intérêt que nous portons réellement à ce qu’il vit. C’est cette position d’ouverture psychique qui va permettre l’accueil de la problématique psychique de l’autre. Et c’est à partir de cette position d’accueil, dans sa sincérité même, que nous pourrons être à même de percevoir, d’identifier, de reconnaître et de mettre en travail le vécu émotionnel de l’autre.


Retenons donc le principe de cette position d’ouverture psychique à l’autre qui sous-tend l’établissement d’un lien possible à l’autre.


Une petite précision avant de poursuivre. Il existe parfois une confusion lexicale entre empathie et sympathie. La sympathie est ce sentiment d’attirance que l’on peut éprouver à l’égard de quelqu’un. Or être empathique n’est pas ressentir de la sympathie. Il ne s’agit pas d’apprécier ou non quelqu’un, mais de s’en approcher relationnellement, de s’y intéresser et de chercher à le comprendre. Bien entendu, au cours de ce rapprochement, nous pouvons être amenés à ressentir des sentiments à l’égard de notre patient (c’est le phénomène contre-transférentiel sur lequel nous reviendrons). Mais ces sentiments ne sont que la conséquence du rapprochement empathique. Ainsi être empathique c’est se rapprocher suffisamment de quelqu’un pour mieux le connaître, ce qui peut amener secondairement des sentiments de sympathie et/ou d’antipathie qui sont une réaction à la rencontre psychique de l’autre. En ce sens, les sentiments de sympathie et d’antipathie doivent être suffisamment « canalisés » par le soignant pour ne pas empêcher le maintien d’une position empathique garante d’un lien intersubjectif de qualité.


En résumé, l’empathie est ce qui va rendre la relation possible. Elle est une position d’ouverture psychique qui se travaille, qui se réfléchit et qui se remet en jeu à chaque entretien. En ce sens, elle n’est ni un état permanent, ni une qualité fixe dont on pourrait se prévaloir en permanence. Elle nécessite donc un véritable travail psychique dont la nature et l’intensité vont dépendre de notre personnalité.



L’authenticité


Une fois le soignant engagé dans la relation par le biais de sa position empathique, le second enjeu est de donner à l’échange une qualité d’authenticité. Dans le référentiel Rogérien, l’authenticité repose sur le souci d’un échange vrai, sincère, sans manipulation ni faux-semblants. Pour autant, et disons-le d’emblée, être authentique ce n’est pas forcément « tout dire », ni formuler « tout ce qui nous passe par la tête ». Être authentique c’est avoir un discours et une présence adaptés au patient, à la situation clinique, au cadre de l’entretien, mais aussi à la contenance du soignant. Ce dernier point est important car nous voyons bien que l’authenticité de l’entretien témoigne de l’engagement subjectif du soignant durant l’entretien. Or, cet engagement, son intensité et sa « coloration » dépendent pour beaucoup des particularités de nos personnalités et histoires respectives. Cette précision nous montre bien que pas plus que l’empathie, l’authenticité n’est une technique. C’est au contraire la technique qui est au service de l’authenticité en créant les conditions d’une « bonne » distance relationnelle permettant à chacun des partenaires de la relation d’être « vrai ».


Pour illustrer notre propos, nous allons prendre pour exemple les réponses obtenues par différents soignants lors d’une séquence de jeux de rôles séquentiels utilisés lors d’une des formations du CNFE2.



Exemple


La scène réunit une infirmière et un patient déprimé, un peu envahissant qui, alors qu’il vient longuement d’évoquer ses enfants, demande brutalement à l’infirmière qui le reçoit si « elle a des enfants ».


Patient : « Et vous, vous avez des enfants ? »


Soignant 1 – Le défensif : « Nous ne sommes pas là pour parler de moi ! »


Soignant 2 – L’ultra-authentique : « Oui j’en ai deux. Léa qui a 4 ans et Paul qui a 11 ans. Et là j’en attends un troisième mais je ne sais pas encore si ce sera un garçon ou une fille ».


Soignant 3 – Le psy : « Quel est le sens de votre question ? »


Soignant 4 – L’inquiet : « Pourquoi vous me demandez çà ? »


Soignant 5 – Le tiercéisant : « Cela semble important pour vous de savoir si j’ai ou non des enfants. Avez-vous peur que je ne puisse pas vous comprendre dans l’hypothèse où je n’en ai pas ? »


Soignant 6 – Le prudent : « … (long silence, le soignant ne répond pas mais reste attentif à la suite) »


Soignant 7 – La surdité sélective : « Et au niveau de votre travail alors, comment ça se passe ? »


Soignant 8 – Le tranquille : « Qu’en pensez-vous ? »


Nous voyons tout l’éventail de réponses possibles. Lorsque l’on lit ces dernières, certaines nous paraissent plus ou moins pertinentes. Or, dans la réalité de cet exercice, nous avons pu observer que la « chaleur » et la pertinence de chaque réponse avaient tout autant tenu à la sincérité de la réponse qu’à son contenu.

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 7: Entretien et relation d’aide en psychiatrie

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