13: La construction de la professionnalité en psychiatrie: Un outil nécessaire : le tutorat

Chapitre 13 La construction de la professionnalité en psychiatrie


Un outil nécessaire : le tutorat




Spécificité de la psychiatrie


Il est toujours un peu osé d’affirmer une spécificité. Car au fond, il est probable que chaque exercice professionnel revêt un caractère spécifique.


Pour autant, on peut considérer comme étant propre à la psychiatrie :



L’exercice de la psychiatrie a évolué grâce aux formidables essors d’après-guerre : la psychanalyse, la psychothérapie institutionnelle, les avancées scientifiques dans le domaine des psychothérapies, la pharmacologie, avec en toile de fond un enrichissement régulier des sciences humaines. Des professionnels innovants l’ont construite, avançant par essais/erreurs et tâtonnements, dans le cadrage d’une philosophie humaniste. Il s’agissait entre autres de rompre avec l’expérience de l’enfermement, de l’exclusion, des discriminations telles que pratiqués pendant la dernière guerre mondiale. Cette pratique a souvent connu et connaît encore un caractère empirique bien que basé sur un cadre conceptuel et un cadre d’exercices : la psychiatrie de secteur. Il faudrait du temps et des confrontations à des situations cliniques multiples et variées, pour que chaque professionnel, chaque équipe construise une pratique éclairée et sécurisée.


Et encore…


La richesse et la complexité constitutives de cette discipline sont à sauvegarder, le « fait humain » ne pouvant être réduit à une seule approche. Leur coexistence est garante d’une dynamique évolutive.


Prenons garde d’éviter une banalisation des soins, voire une simplification sur une ligne de prise en charge qui aboutirait plus à un soin de maintenance, de suppléance, de confort, plutôt qu’à un soin curatif dont l’objectif est de soigner et/ou de guérir.


Comme on l’a vu dans cet ouvrage, la spécificité de la psychiatrie s’appuie sur :



La combinaison de ces caractéristiques fonde une dimension énigmatique à la pratique en psychiatrie et Yvan Halimi1 a l’habitude de rappeler que « l’énigme est structurelle en psychiatrie ».


Cette considération mérite un temps de réflexion.


Pour le Larousse, l’énigme est un jeu d’esprit mettant à l’épreuve la sagacité de l’interlocuteur qui doit trouver une réponse à l’interrogation dont le sens est caché sous une parabole ou une métaphore ; les données sont à deviner, les définitions se profilent en termes obscurs.


Nous verrons plus loin combien cette part d’énigme va structurer une didactique particulière.


Dès lors, peuvent être proposées des caractéristiques de « l’énigme » :



Et probablement bien d’autres choses encore…


Ainsi la rencontre avec le malade devrait offrir une part belle à un ensemble de questionnements dont les soignants ne peuvent faire l’économie :






















Le face-à-face clinique La mise en sens
Qu’est-ce que le malade me dit ?
Qu’est-ce qu’il donne à voir ?
Quelle est sa demande ?
De quoi souffre-t-il ?
Quels sont sa maladie, son traitement ?
Quelles ont été les prises en charge antérieures ?
Quelle est la prise en charge actuelle ?
Le contexte de la situation
Le message verbal, sa teneur, son implicite
Le message infra-verbal, la charge émotionnelle
Les attitudes comportementales
Les connaissances cliniques et thérapeutiques
Pourquoi il me dit ça ?
Quelle est son intention ?
L’intention
L’histoire de la relation de soin
La charge transférentielle
Les mécanismes de défense et le type de relation d’objet
Qu’est-ce que ça me fait ?
Qu’est-ce qu’il appelle en moi ?
Qu’est-ce qu’il me fait porter ?
Le ressenti
La résonance
Le mécanisme projectif, le clivage et les autres mécanismes de défense
Que dois-je écouter ?
Comment vais-je écouter ?
Qu’est-ce que j’ai à dire ?
Comment vais-je me positionner ?
Qu’est-ce que je vais en faire ?
La contenance
La disponibilité intérieure
L’empathie, l’écoute, la concentration
Le travail psychique et l’élaboration
La restitution
Quel est le projet de soin ?
Qu’est-ce que l’institution induit ?
Qu’est-ce qu’il fait jouer à l’équipe ?
Le contexte de la prise en charge
Le vécu de l’équipe face au patient
La culture institutionnelle et de métier
Le projet de soin

Cela revient à donner du sens à une énigme récurrente par un questionnement réitéré et perpétuel. Ne tenons-nous pas là l’essence du soin en psychiatrie ?




La professionnalisation en psychiatrie


Par quelle compétence, par quelle posture s’exprime-t-elle ?


Peut-on parler de compétence, si oui, sur quel mode ?


La professionnalisation est au carrefour de 3 champs : le champ de la socialisation, le champ de la biographie, le champ de l’expérience professionnelle.


L’exercice en psychiatrie met en résonance ces 3 champs de manière irréductible.


La personne du soignant est convoquée de manière intime dans son affectivité, son fonctionnement psychique et dans sa capacité à la socialisation. Cette dimension inhérente à tout exercice professionnel est exacerbée par la rencontre avec la maladie mentale. Elle fera partie intégrante de l’analyse introspective que l’infirmier mettra en œuvre pour comprendre, autant qu’il en est possible, sa pratique de la relation de soins, avec notamment la prise en compte des mouvements transférentiels.


Si la formation confère des capacités décontextualisées, il y a lieu de penser que seule l’institution et l’organisation ont la responsabilité d’aider au développement de compétences.


Nous référant à Wittorski, c’est parce que la compétence est « une production inédite dans une situation particulière », donc contextualisée, que sa maîtrise est fondatrice d’une professionnalisation.


Cette dernière est sous l’influence des représentations individuelles et collectives des infirmiers. L’accompagnement de l’infirmier débutant en psychiatrie devra porter sur cette dimension. En effet, ses représentations de la maladie, du malade, du soin, de sa mission, du travail d’équipe, de l’institution vont fortement influencer ses actions. Sans l’identification et la prise de conscience de ces influences, il aura du mal à entrer dans une posture réflexive et une démarche dialectique.


La professionnalisation va se construire à partir d’un raisonnement qui va associer connaissances, observations, analyse et regroupements par analogie, pour arriver à une compréhension et à un transfert devenu possible sur d’autres situations. La réalisation d’actions soignantes dépend fortement des façons de voir et de penser la situation.


Maîtriser une pratique d’infirmier en psychiatrie, c’est construire des compétences incorporées à l’action, tacites et intégrées au contexte. Elles se construisent par mimétisme en frayant avec les infirmiers plus expérimentés.


Essais, erreurs, tâtonnements sont les maîtres mots de cette élaboration. Elles ne sont pour autant pas spécifiques à la psychiatrie.


C’est aussi se confronter à un développement plus « ambitieux » par la réflexion sur l’action afin de transformer des compétences implicites en savoirs d’action, réutilisables, communicables…


Et c’est sans doute également tendre vers une réflexion anticipatrice de changement sur l’action, la pensée étant précédée de la stratégie d’action. L’expression la plus subtile de la compétence est la spontanéité d’être ad hoc dans des moments imprévus et dans des circonstances fâcheuses…


L’action seule ne suffit donc pas à construire des capacités. Il faut la combinaison action/réflexion sur l’action pour construire un potentiel de compétences.


Si la position réflexive est à solliciter, en début d’exercice, elle ne peut l’être que dans un accompagnement formalisé qui se joue au-delà de l’espace de la pratique.


La posture réflexive se développe dans une réflexion rétrospective sur l’action.


Enfin, l’acquisition de savoirs théoriques par intégration/assimilation, articulés à la pratique, débouche sur la construction de savoirs nouveaux.


Si soigner en psychiatrie passe par des soins formels, prescrits, maîtrisés, planifiés, soit une organisation prescriptive, il n’en reste pas moins que l’infirmier doit savoir faire face à des situations relationnelles singulières inédites, déroutantes, dans un cadre de travail individuel et collectif.


Les compétences prévalentes à développer sont d’ordre relationnel et personnel.


Observer, écouter, contenir, apaiser pour ne citer que celles-là, sont des capacités qui vont se traduire par des actions similaires, ressemblantes mais qui ne seront jamais reproductibles à l’identique. Selon le moment, l’état mental du malade, du soignant et de l’équipe, le contexte, la posture, le geste, les mimiques, les mots choisis seront en quelque sorte à chaque fois réinventés.


On peut alors s’interroger : l’accompagnement à une professionnalisation en psychiatrie suppose-t-il un genre particulier ?

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 13: La construction de la professionnalité en psychiatrie: Un outil nécessaire : le tutorat

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