Chapitre 3 Anomalies transversales
Les anomalies transversales sont très fréquentes et d’apparition précoce. Elles sont dominées par le déficit transversal maxillaire qui, en denture mixte, représente selon Raberin [1] 8 à 18 % des malocclusions observées.
Spécificités des anomalies transversales
Anomalies concernées
Anomalies basales : endognathie et exognathie
Endognathie maxillaire
• l’insuffisance de stimulation de la suture palatine médiane par la langue qui, en position basse, ne peut plus jouer correctement son rôle de conformateur du palais;
• l’insuffisance de développement des fosses nasales et des sinus sous l’action du flux ventilatoire nasal réduit. À l’inverse, l’étroitesse du maxillaire contribue à l’étroitesse des fosses nasales et limite l’efficacité de la ventilation nasale, expliquant les effets bénéfiques de l’expansion maxillaire sur la ventilation.
Anomalies alvéolaires
Orientation des procès alvéolaires : endo-alvéolie et exo-alvéolie
Elles sont le reflet de l’équilibre musculaire et plus particulièrement buccinatolingual.
Comme dans les autres dimensions de l’espace, ces anomalies alvéolaires peuvent :
• compenser une discordance squelettique transversale permettant l’établissement d’une occlusion transversale normale;
• être responsables de l’anomalie occlusale observée en cas de fort déséquilibre musculaire.
Face à une occlusion transversale inversée ou en ciseaux, le diagnostic différentiel entre anomalies squelettiques et anomalies alvéolaires est essentiel pour optimiser la prise en charge thérapeutique. Il repose sur l’orientation des procès alvéolaires et l’inclinaison des axes dentaires.
Discordance de forme des arcades dentaires
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, les discordances de forme des arcades dentaires ou les formes d’arcades irrégulières contribuent aux verrouillages occlusaux de la croissance mandibulaire ou aux prématurités responsables des anomalies cinétiques mandibulaires, même en l’absence de perturbations avérées de l’occlusion transversale.
Anomalies occlusales transversales
Différents types de relations occlusales peuvent se rencontrer.
Occlusion transversale latérale normale
L’arcade maxillaire circonscrit l’arcade mandibulaire, les cuspides supports étant en contact avec la gouttière occlusale de la dent antagoniste. Un espace fonctionnel est maintenu entre les faces palatines des cuspides vestibulaires maxillaires et les faces vestibulaires des cuspides vestibulaires mandibulaires (figure 3.1A).
Dans certains cas, une insuffisance transversale modérée au niveau de l’arcade maxillaire conduit à une occlusion apparemment normale mais qui verrouille la mandibule (figure 3.1B). Ce type d’occlusion peut à long terme induire des troubles articulaires surtout en cas de supraclusion associée.
Occlusion latérale inversée
Au niveau des secteurs latéraux, l’arcade maxillaire est en dedans de l’arcade mandibulaire et les pointes des cuspides supports n’entrent plus en contact avec la dent antagoniste. Ce sont les cuspides vestibulaires des dents maxillaires qui rentrent dans les fosses mandibulaires (figure 3.2A).
Elle peut être uni- ou bilatérale. Dans sa forme bilatérale, elle traduit une insuffisance importante du maxillaire avec le plus souvent une participation basale (figure 3.2B).
La forme unilatérale correspond à :
• une anomalie transversale asymétrique maxillaire ou mandibulaire, alvéolaire ou basale;
• plus fréquemment, une insuffisance transversale symétrique de moindre amplitude que dans les formes bilatérales associée à une latérodéviation de la mandibule pour retrouver une intercuspidation cuspide–fosse stable (figure 3.2C et D).
Spécificités diagnostiques
Examen clinique
Examen clinique exobuccal (figure 3.4)
Fig. 3.4 Photographie exobuccale de face d’une jeune patiente présentant une endognathie maxillaire.
L’observation du visage du patient permet cependant de mettre en évidence des éléments pouvant accompagner un hypodéveloppement transversal du maxillaire. Ce sont principalement :
• la typologie du patient : les insuffisances de développement transversal maxillaire sont plus fréquentes chez les sujets dolichofaciaux;
• la ventilation buccale : on peut ainsi repérer les signes éventuels de ventilation buccale tels que cernes, pâleur, fatigue, inocclusion labiale … (cf. p. 178 de cet ouvrage et tome 1, p. 16);
• la tendance à la classe III squelettique par rétrognathie maxillaire;
• une latérodéviation mandibulaire par la présence d’une asymétrie faciale en occlusion qui disparaît en position de repos mandibulaire;
• une étroitesse de l’arcade maxillaire lors du sourire (figure 3.5) laissant apparaître des corridors sombres (negative space pour Vanarsdall).
Examen clinique endobuccal
Il est essentiel et permet de poser le diagnostic occlusal mais aussi squelettique et alvéolaire.
Les anomalies transversales peuvent être regroupées en deux catégories :
• les insuffisances transversales maxillaires relatives;
• les excès de développement transversal maxillaire relatifs.
• l’observation des bases osseuses :
• l’orientation des procès alvéolaires et la courbe de Wilson :
• les relations occlusales déjà décrites;
• l’encombrement dentaire maxillaire : un encombrement dentaire à l’arcade maxillaire sans encombrement mandibulaire marque un hypodéveloppement maxillaire antérieur et traduit une endognathie.
Fig. 3.6 Photographies endobuccales de deux patients montrant les dimensions relatives des bases apicales.
Examens complémentaires
Examen des moulages
Il permet une étude dimensionnelle des arcades et en particulier la mesure de la largeur maxillaire. Pour McNamara [2], une largeur intermolaire maxillaire inférieure à 31 mm signe une insuffisance transversale maxillaire même en l’absence d’occlusion latérale inversée.
Les modèles facilitent également l’appréciation de la courbe de Wilson.
Téléradiographie frontale postéro-antérieure
C’est l’incidence la plus adaptée à l’étude des anomalies transversales. La prise du cliché est cependant délicate et une mauvaise orientation de la tête peut parasiter le cliché [3, 4].
Cette incidence permet l’observation de la position de la langue et de ses relations avec la voûte palatine et le dépistage de certains signes morphologiques signant la présence d’une endognathie maxillaire (cf. p. 180 de cet ouvrage et tome 1, p. 30).
• la largeur maxillaire entre les deux points jugaux (J) : norme à 8 ans = 60 mm;
• la largeur mandibulaire entre les deux points antégonions (Ag) : norme à 8 ans = 75,25 mm.
Ricketts a étudié aussi les distances des molaires maxillaires et mandibulaires à la ligne J-Ag.
Imagerie tridimensionnelle : scanner et cone beam
Ils donnent une bonne vision :
• de la suture palatine médiane et de son stade d’évolution;
• des inclinaisons des procès alvéolaires et des dents;
• de l’épaisseur des corticales vestibulaires et linguales;
• des relations entre les racines dentaires et les corticales vestibulaires (figure 3.9).
Fig. 3.9 Relations entre les racines dentaires et les corticales sur une coupe tomodensitométrique frontale.
Ils permettent aussi d’appréhender l’équilibre architectural de la face dans le plan frontal (figure 3.10).
Diagnostics différentiels
• diagnostic entre anomalie basale et anomalie alvéolaire : il repose principalement sur l’inclinaison des axes dentaires et permet d’adapter la prise en charge à l’anomalie concernée;
• diagnostic entre anomalie maxillaire et anomalie mandibulaire : il est réalisé grâce à la céphalométrie même si les thérapeutiques sont le plus souvent maxillaires;
• diagnostic entre insuffisance transversale maxillaire et discordance transversale des arcades liée au décalage sagittal de classe III. Dans ce dernier cas, la correc des relations occlusales transversales est assurée par la correction du décalage sagittal et ne nécessite pas d’action thérapeutique transversale spécifique. Ces deux origines d’une occlusion anormale latérale dans les classes III peuvent être associées;
• diagnostic entre une dysharmonie dentomaxillaire par macrodontie relative et une endognathie maxillaire : l’absence de ce diagnostic différentiel a conduit à de nombreux traitements de la dysharmonie dentomaxillaire par expansion avec un pourcentage élevé de récidives de l’encombrement et la création d’occlusions de Brodie iatrogènes.
Spécificités de la croissance transversale
Croissance maxillaire
Pour Bjork, cette suture reste active jusqu’à la fin de la puberté, et s’ossifie progressivement. Pour Persson et Thilander [in 1], son ossification commence vers 30–35 ans. Cette suture joue un rôle essentiel dans l’apparition des anomalies transversales et dans les possibilités thérapeutiques à notre disposition.
• à l’expansion des fosses nasales et des sinus sous l’effet du flux aérien;
• aux pressions linguales sur la voûte palatine et les procès alvéolaires maxillaires au repos et lors des diverses fonctions;
• aux forces latérales qui s’exercent sur les dents lors de la mastication.
Une action orthopédique peut être menée activement sur cette suture jusqu’à l’âge de 16 ans pour les filles et 18 ans pour les garçons selon Melsen [in 5]. Cependant, l’action des différents appareils dépend de l’état de la suture et de sa réponse. Chez le jeune enfant, lorsqu’elle est très active, des forces faibles peuvent avoir une action orthopédique. Ainsi, pour De Coster [5], des appareils comme le quad hélix, le ressort de Coffin ou les plaques palatines à vérin induisent une expansion lente orthopédique en stimulant la suture pendant sa phase juvénile (entre 6 et 10 ans) malgré la vestibuloversion des dents d’appui. Lorsque la suture est moins active, les effets dento-alvéolaires augmentent pouvant réduire l’action orthopédique de ces appareils. Cette dernière demande aussi des forces plus importantes, en fin de denture mixte et une action orthopédique rapide de type disjonction maxillaire [in 1]. Plus la suture est ossifiée, plus les risques de lésion des remparts alvéolaires latéraux augmentent [5]. En fin de croissance, la disjonction doit être chirurgicalement assistée.
Croissance transversale de la mandibule
Ce type de croissance réduit les possibilités thérapeutiques à la mandibule où aucune action orthopédique transversale stricte n’est envisageable. L’arcade mandibulaire est donc l’arcade clé [3] sur laquelle on adapte l’arcade maxillaire qui présente beaucoup plus de possibilités thérapeutiques orthopédiques et orthodontiques.
Thérapeutique des anomalies transversales
Principes thérapeutiques
Traitement précoce
Rôle des anomalies transversales dans les mécanismes étiopathogéniques de certaines dysmorphoses et malocclusions
Anomalies transversales et asymétries faciales
Cette latérodéviation induit des sollicitations asymétriques des ATM pouvant conduire à une croissance mandibulaire asymétrique avec développement d’une asymétrie faciale ou, pour d’autres auteurs, à une luxation méniscale (cf. chapitre 4).
Une correction précoce des anomalies transversales réduit ce risque.
Anomalies transversales et classes II
Diverses études [6, 7] ont montré que les dimensions transversales maxillaires sont diminuées chez des patients porteurs de classe II division 1. De plus, l’insuffisance transversale maxillaire mais aussi le syndrome de Brodie créent des verrous occlusaux qui freinent la croissance mandibulaire et favorisent ainsi l’aggravation de la classe II.
Concordance transversale maxillaire et mandibulaire
• la suppression, avant la disjonction maxillaire, de l’« exo-alvéolie » qui compense au niveau occlusal le décalage squelettique transversal. Ces compensations alvéolaires des endognathies doivent être supprimées pour permettre une action basale maximale comme dans toutes les thérapeutiques;
• lorsque l’expansion maxillaire est importante, une expansion peut être nécessaire à la mandibule. Trois mécanismes peuvent contribuer à cette expansion mandibulaire :