L’expertise psychologique pénale
Longtemps conçu comme un « complément » de l’expertise psychiatrique, l’expertise psychologique autonome a été fondée en droit en 1994 par un article (très ignoré) du Code de procédure pénale (art. 164) qui autorise le psychologue comme le médecin, à rencontrer une personne mise en examen seul à seul. La psychologie légale a été reconnue en 1999, par le biais d’un règlement tarifaire, où elle a été distinguée de la médecine légale. L’expertise, pratique « vitrine » de la psychologie légale, relève d’une demande très variée : les domaines de compétences de toute la discipline peuvent contribuer à ces interventions, même si la clinique psychologique est évidemment la plus sollicitée.
Cadre de l’expertise d’auteurs de faits délictueux ou criminels
Tout expert ne doit répondre qu’à « des questions d’ordre technique » : « La mission des experts, qui ne peut avoir pour objet que l’examen des questions d’ordre technique, est précisée dans la décision qui ordonne la mission » (art. 158 du CPP52). Le CPP précise par ailleurs (art. 158 et décret D16) que le dossier de personnalité prévu dans le texte de l’article 81 « a pour objet de fournir à l’autorité judiciaire sous une forme objective et sans en tirer de conclusion touchant à l’affaire en cours, des éléments d’appréciation sur la vie passée et présente de l’inculpé. Il ne saurait avoir pour but la recherche de la culpabilité ». L’expert « es personnalité » n’est en aucun cas tenu d’alimenter la vérité judiciaire mais de s’en tenir à la vérité du sujet même en faisant des hypothèses comme l’y autorise la Cour de cassation en 200353. Il n’est cependant pas inutile de garder une certaine réserve quand un sujet nie avoir fait ce qu’on lui reproche plutôt que de faire des déductions sur le traitement « comme si » le sujet avait agi.
Voici un exemple de conclusion : « L’hypothèse qu’il ait commis de tels faits n’est pas incohérent avec sa personnalité, la frustration et l’alcoolisation peuvent déclencher des impulsions mal contrôlées : mais L. nie les faits, ce qui ne permet pas de faire d’hypothèse clinique sur l’éventuel passage à l’acte sexuel, ni sur ses conséquences en termes de besoin de traitement. En revanche, l’alcoolisme étant une source bien connue de perturbations de la vie sociale, la prise en charge de cette pathologie évidente s’impose. »
On peut se demander si la mission « Dire si cette personne présente des troubles ou déficiences susceptibles d’influencer son comportement, faire connaître les caractéristiques de sa personnalité, les circonstances et les conditions qui ont influé sur la formation de celle-ci, les mobiles intellectuels et les motivations affectives qui inspirent habituellement sa conduite » est vraiment une mission « technique ». Du point de vue d’un psychologue, il faudrait faire une biographie clinique exhaustive pour y répondre : cela pourrait supposer plusieurs semaines d’investigations (observations, tests psychométriques et projectifs, entretiens), documentées par les témoignages des proches pour la reconstitution de son passé affectif et scolaire.
Le psychologue, pourtant, peut travailler en adaptant sa méthode aux conditions de la rencontre avec le sujet et de la mission qu’il doit remplir : l’expertise en tant qu’objet (au sens de matériau) n’est que le rapport d’expertise. Au pénal, toutes les demandes ne sont pas équivalentes car les enjeux ne sont pas les mêmes, et les préoccupations des juges ne sont pas les mêmes : face à un adolescent délinquant, le juge des enfants cherche avant tout à comprendre, puis à trouver une solution éducative; souvent cet « auteur » mineur est aussi un enfant victime, sinon au sens pénal du moins de conduites éducatives inappropriées (Andronikoff, 2000).
Inévitablement, la méthode d’examen découle d’une position théorique. Comme le rappelait A. Andronikoff (Andronikoff, 2000), il n’y a pas d’examen de la personnalité sans théorie (même implicite) de la personnalité, d’autant que l’explication en psychologie ne saurait être déterministe : l’événement A de l’enfance ne détermine pas la conduite B de l’âge adulte. Le psychologue s’appuie sur une théorie pour décrire une personnalité ou une conduite, en proposant une (ou des) hypothèse(s) non dans un but de vérité mais d’intelligibilité : la justice et le public) ont besoin d’une démarche organisée, rationnelle, pour comprendre. Il nous revient d’éclairer comment (et non pas pourquoi) un sujet en est arrivé à transgresser, puisque précisément il n’y a pas d’explication qui vaille pour tous. S’il y en avait une et une seule aurait-on besoin d’experts ? Il suffirait de l’enseigner aux magistrats et aux enquêteurs une fois pour toutes.
Les questions problématiques récurrentes soumises au psychologue expert
Imputabilité et motivation
Si le sujet mis en cause nie les faits qui lui sont imputés, il sera évidemment impossible de faire des hypothèses sur ses motivations. Ce type de question pousse l’expert à dépasser un strict cadre expertal et à faire du « prêt-à-penser » psychologique sur la genèse du crime. Or, le système d’explication théorique (et souvent implicite) détermine le plus souvent l’approche que nous faisons du sujet (Balier, 1995) et conduit rapidement à des positions réductrices simplement parce que le juge induit qu’il faut fournir « une » explication, et non une réflexion : Œdipe a bon dos pour colmater une pensée paresseuse sur les déterminants du crime… « Il n’existe que des hypothèses sur les facteurs induisant un comportement criminel », rappellent J.-P. Olié et et H. Loö (« Le Monde », 10/08/05), qui ajoutent : « c’est un contresens de croire que l’analyse descriptive des comportements d’une personne vaut reconnaissance d’un déterminisme ».
Expertise pénale et prédiction
Au-delà de l’illusion prédictive, une telle question témoigne d’une perversion de l’utilisation de la psychologie : implicitement le juge demande si la sanction pénale est suffisante, et si d’autres mesures ne sont pas nécessaires. Or l’expert, qui est dans la situation de proposer des pistes de travail (orientation, thérapie etc.) pour aider le sujet à changer, ne répond pas à une demande d’explicitation posée par le sujet lui-même, sur une stratégie « réparatrice », mais à une demande du juge : dans ce dialogue par personne interposée, que peut-on espérer élaborer de singulier en réponse à une question que le sujet ne se pose pas ? Le devoir déontologique est de recentrer son propos sur les limites de ce qu’un sujet peut élaborer dans de telles conditions et sur les limites de l’intervention psychologique pour parer à la surutilisation de la clinique.