28: L’expertise psychologique pénale


L’expertise psychologique pénale



Longtemps conçu comme un « complément » de l’expertise psychiatrique, l’expertise psychologique autonome a été fondée en droit en 1994 par un article (très ignoré) du Code de procédure pénale (art. 164) qui autorise le psychologue comme le médecin, à rencontrer une personne mise en examen seul à seul. La psychologie légale a été reconnue en 1999, par le biais d’un règlement tarifaire, où elle a été distinguée de la médecine légale. L’expertise, pratique « vitrine » de la psychologie légale, relève d’une demande très variée : les domaines de compétences de toute la discipline peuvent contribuer à ces interventions, même si la clinique psychologique est évidemment la plus sollicitée.



La demande


Le tableau 28.I rend compte de la plupart des demandes des magistrats




Cadre de l’expertise d’auteurs de faits délictueux ou criminels


Tout expert ne doit répondre qu’à « des questions d’ordre technique » : « La mission des experts, qui ne peut avoir pour objet que l’examen des questions d’ordre technique, est précisée dans la décision qui ordonne la mission » (art. 158 du CPP52). Le CPP précise par ailleurs (art. 158 et décret D16) que le dossier de personnalité prévu dans le texte de l’article 81 « a pour objet de fournir à l’autorité judiciaire sous une forme objective et sans en tirer de conclusion touchant à l’affaire en cours, des éléments d’appréciation sur la vie passée et présente de l’inculpé. Il ne saurait avoir pour but la recherche de la culpabilité ». L’expert « es personnalité » n’est en aucun cas tenu d’alimenter la vérité judiciaire mais de s’en tenir à la vérité du sujet même en faisant des hypothèses comme l’y autorise la Cour de cassation en 200353. Il n’est cependant pas inutile de garder une certaine réserve quand un sujet nie avoir fait ce qu’on lui reproche plutôt que de faire des déductions sur le traitement « comme si » le sujet avait agi.


Voici un exemple de conclusion : « L’hypothèse qu’il ait commis de tels faits n’est pas incohérent avec sa personnalité, la frustration et l’alcoolisation peuvent déclencher des impulsions mal contrôlées : mais L. nie les faits, ce qui ne permet pas de faire d’hypothèse clinique sur l’éventuel passage à l’acte sexuel, ni sur ses conséquences en termes de besoin de traitement. En revanche, l’alcoolisme étant une source bien connue de perturbations de la vie sociale, la prise en charge de cette pathologie évidente s’impose. »


On peut se demander si la mission « Dire si cette personne présente des troubles ou déficiences susceptibles d’influencer son comportement, faire connaître les caractéristiques de sa personnalité, les circonstances et les conditions qui ont influé sur la formation de celle-ci, les mobiles intellectuels et les motivations affectives qui inspirent habituellement sa conduite » est vraiment une mission « technique ». Du point de vue d’un psychologue, il faudrait faire une biographie clinique exhaustive pour y répondre : cela pourrait supposer plusieurs semaines d’investigations (observations, tests psychométriques et projectifs, entretiens), documentées par les témoignages des proches pour la reconstitution de son passé affectif et scolaire.


Le psychologue, pourtant, peut travailler en adaptant sa méthode aux conditions de la rencontre avec le sujet et de la mission qu’il doit remplir : l’expertise en tant qu’objet (au sens de matériau) n’est que le rapport d’expertise. Au pénal, toutes les demandes ne sont pas équivalentes car les enjeux ne sont pas les mêmes, et les préoccupations des juges ne sont pas les mêmes : face à un adolescent délinquant, le juge des enfants cherche avant tout à comprendre, puis à trouver une solution éducative; souvent cet « auteur » mineur est aussi un enfant victime, sinon au sens pénal du moins de conduites éducatives inappropriées (Andronikoff, 2000).


Ce n’est pas parce que les missions sont souvent « standards » que le psychologue doit pour autant faire un examen identique, et une réponse tout autant standard. Le concours du psychologue est d’autant plus pertinent quand la menace de sanction trouve sa limite, pour réouvrir un questionnement sur le sens des actes du sujet, et du pourquoi de cette interpellation par la justice – pas seulement pour y aller de la triade rituelle diagnostic/pronostic alarmant/psychothérapie.


Le psychologue expert judiciaire est amené à pratiquer des investigations sur une personne qui ne l’a pas sollicité, et l’objet de l’expertise n’est pas décidé par lui, mais cadré par le magistrat. S’il reste libre de sa démarche et de la construction de son examen, le psychologue n’en est pas moins tenu par cet objectif, c’est-à-dire répondre aux questions posées, quoique certaines soient assez mal adaptées. Que faire face à des formulations telles que : « Déterminer l’intelligence, l’habileté manuelle, l’attention » : l’habileté manuelle de l’agresseur sexuel… ! Ou encore dans des missions concernant des victimes : « Indiquer quel est son niveau d’information en matière sexuelle » : En quoi cela concerne la clinique psychologique plutôt que la morale (et laquelle) ?


Construire un examen moderne à partir d’aussi vieilles questions, mal formulées relève de l’utopie : soit le psychologue, imperméable au questionnement de la justice et à la particularité du dossier, ne fait que ce qu’il entend et développe sa propre logique; soit il « s’adapte » à ce qu’il sait des attentes d’un magistrat pour lequel il travaille régulièrement, sans trop tenir compte du rituel de questions standards; soit encore il répond du mieux possible aux questions en signalant les questions auxquelles il n’y a pas de réponses en termes psychologiques.


Le psychologue use d’une clinique objectivante, avec des outils et des références : il met donc le diagnostic au centre de sa pratique comme une façon d’aller vers les personnes pour restituer au mieux et synthétiquement ce dont ils sont non pas les objets (en justice), mais les sujets.


Pour rester au plus près de ses obligations déontologiques et de l’état des connaissances, le psychologue ne peut pas faire une expertise « par classement » et attribuer univoquement tels traits à l’origine de telle conduite déviante. Par ailleurs, l’absence de théorie univoque en matière criminelle (crime de sang, ou de sexe, mais aussi d’incendie ou de cambriolage) l’oblige (par méthode) à s’interroger sur la singularité du sujet et ce qui détermine chez ce sujet-là, et non dans une « classe » ou un « type » de personnalité, son passage à l’acte dans les circonstances où il les a commis.


Inévitablement, la méthode d’examen découle d’une position théorique. Comme le rappelait A. Andronikoff (Andronikoff, 2000), il n’y a pas d’examen de la personnalité sans théorie (même implicite) de la personnalité, d’autant que l’explication en psychologie ne saurait être déterministe : l’événement A de l’enfance ne détermine pas la conduite B de l’âge adulte. Le psychologue s’appuie sur une théorie pour décrire une personnalité ou une conduite, en proposant une (ou des) hypothèse(s) non dans un but de vérité mais d’intelligibilité : la justice et le public) ont besoin d’une démarche organisée, rationnelle, pour comprendre. Il nous revient d’éclairer comment (et non pas pourquoi) un sujet en est arrivé à transgresser, puisque précisément il n’y a pas d’explication qui vaille pour tous. S’il y en avait une et une seule aurait-on besoin d’experts ? Il suffirait de l’enseigner aux magistrats et aux enquêteurs une fois pour toutes.



Les questions problématiques récurrentes soumises au psychologue expert



Imputabilité et motivation


Outrepassant le cadre de l’article 81 du CPP, les magistrats demandent souvent de mettre l’acte reproché en rapport avec la psychologie du sujet : « dire dans quelle mesure la situation dans laquelle il s’est trouvé est en rapport avec les faits »; « fournir toutes données utiles pour la compréhension de l’infraction; mobiles, genèse de l’idée criminelle ».


Si le sujet mis en cause nie les faits qui lui sont imputés, il sera évidemment impossible de faire des hypothèses sur ses motivations. Ce type de question pousse l’expert à dépasser un strict cadre expertal et à faire du « prêt-à-penser » psychologique sur la genèse du crime. Or, le système d’explication théorique (et souvent implicite) détermine le plus souvent l’approche que nous faisons du sujet (Balier, 1995) et conduit rapidement à des positions réductrices simplement parce que le juge induit qu’il faut fournir « une » explication, et non une réflexion : Œdipe a bon dos pour colmater une pensée paresseuse sur les déterminants du crime… « Il n’existe que des hypothèses sur les facteurs induisant un comportement criminel », rappellent J.-P. Olié et et H. Loö (« Le Monde », 10/08/05), qui ajoutent : « c’est un contresens de croire que l’analyse descriptive des comportements d’une personne vaut reconnaissance d’un déterminisme ».


L’expert, tant par déontologie que par une utilisation raisonnable des savoirs, se doit d’éviter une pensée caricaturalement déterministe et mentionner les auteurs auxquels il se réfère pour étayer son raisonnement. La discussion, indispensable avant de conclure une expertise, est un débat confrontant données d’examen et connaissances accessibles.



Expertise pénale et prédiction


L’une des tâches qui met le plus à l’épreuve la technicité, le savoir et la déontologie est celle de déchiffreur d’avenir. Par exemple : « Le cas échéant dire si un pronostic peut être porté sur l’évolution du comportement de la personne mis en examen, ses possibilités de réinsertion sociale, le traitement à envisager ».


L’expert est mandaté le plus souvent avant que l’acte ne soit définitivement imputé à un auteur, il ne peut donc faire comme si la position psychique du sujet était invariante avant ou après que l’attribution du crime soit fixée par jugement. Bien des sujets expertisés ne passent jamais devant un tribunal, mis hors de cause ou faute de charges suffisantes : le pronostic sur la « réparation », c’est-à-dire la reprise dans l’espace psychique du sujet de ce qui fait sens dans l’acte, tout comme la prévention de sa réitération, ne peut être formulée valablement à ce stade, et le psychologue est en droit de le dire. Confondre l’investigation des traits de la personnalité ici et maintenant, et le pronostic sur les remaniements opérés par une sanction, qui n’est qu’éventuelle, est un leurre.


Face à des sujets qui nient ou minimisent leurs actes (ce qu’ils ont souvent intérêt à faire), l’exercice du pronostic est hasardeux, comme il l’est pour un sujet authentiquement culpabilisé, mais qui persistera dans ses comportements autopunitifs, faute de « réussir » une thérapie. La personnalité évolue, c’est une évidence, mais comment anticiper sur la qualité et la nature des prises en charge du sujet qui favoriseront ou non tel ou tel type d’évolution ? Néanmoins, s’il inscrit sa pensée et sa démarche dans une perspective psychodynamique et en discutant la valeur du modèle étiologique, l’expert montre que la psychologie n’est justement pas réductrice ou mécaniciste, et propose à la justice une autre approche du devenir d’un sujet, fonction de l’écoute du sens de ses actes (anti-)sociaux.


Quant à la question de la réinsertion, elle est propre à montrer que la psychologie légale ne peut être rabattue sur la seule clinique. La démarche d’insertion relève du conseil en orientation et donc de la psychologie du travail, et il serait pertinent de distinguer les deux démarches.


Au-delà de l’illusion prédictive, une telle question témoigne d’une perversion de l’utilisation de la psychologie : implicitement le juge demande si la sanction pénale est suffisante, et si d’autres mesures ne sont pas nécessaires. Or l’expert, qui est dans la situation de proposer des pistes de travail (orientation, thérapie etc.) pour aider le sujet à changer, ne répond pas à une demande d’explicitation posée par le sujet lui-même, sur une stratégie « réparatrice », mais à une demande du juge : dans ce dialogue par personne interposée, que peut-on espérer élaborer de singulier en réponse à une question que le sujet ne se pose pas ? Le devoir déontologique est de recentrer son propos sur les limites de ce qu’un sujet peut élaborer dans de telles conditions et sur les limites de l’intervention psychologique pour parer à la surutilisation de la clinique.


Jusque devant la Cour d’assises, la parole est libre, à fortiori l’écrit aussi : plutôt qu’une démarche d’adhésion stricte aux questions il est juste d’en éclairer les limites pour la préservation de l’autonomie psychique du sujet.

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May 10, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 28: L’expertise psychologique pénale

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