26: Techniques de dissection

Chapitre 26 Techniques de dissection



La vitrectomie a pour but d’enlever le vitré central pour accéder à la hyaloïde postérieure, créer un décollement postérieur du vitré, disséquer les membranes épirétiniennes et assouplir la rétine en pelant la membrane limitante interne. Toutes ces étapes chirurgicales sont actuellement facilitées et sécurisées par l’utilisation de colorants (chromovitrectomie).



Création d’un décollement postérieur du vitré, ou clivage de la hyaloïde postérieure



image ANATOMIE CHIRURGICALE DE LA JONCTION VITRÉORÉTINIENNE


La jonction vitréorétinienne normale ne présente pas de plan de clivage histologique défini. Les fibrilles de collagène du vitré s’insèrent sur la membrane limitante interne en prenant une direction variable de la périphérie au pôle postérieur. Cette insertion vitréenne est non clivable au niveau de la base du vitré car les fibrilles s’insèrent perpendiculairement à la membrane limitante interne dans les cellules de Müller. Le clivage est plus facile au niveau du pôle postérieur où les fibrilles sont disposées en couches parallèles à la rétine. Le clivage est alors possible au ras de la membrane limitante interne, aboutissant au décollement postérieur du vitré ou, plus à distance, réalisant un vitréoschisis avec persistance d’une couche vitréenne à la surface de la membrane limitante interne. Cette configuration anatomique est un support pour les cellules gliales qui, après prolifération et migration, vont s’organiser en membranes épirétiniennes pouvant se contracter et altérer le fonctionnement de la rétine maculaire.


Au cours de la vitrectomie, la hyaloïde postérieure peut rester totalement adhérente à la rétine. Son clivage est important en cas de décollement de rétine en particulier chez les enfants ou les myopes forts, dans les plaies perforantes, dans les hémorragies intravitréennes et chez les patients présentant une rétinopathie diabétique proliférante. Le décollement de la hyaloïde postérieure, d’abord proposé comme traitement des trous maculaires idiopathiques, est actuellement recherché ou réalisé dans la majorité des vitrectomies.



image INSTRUMENTATION NÉCESSAIRE À LA CRÉATION DU DÉCOLLEMENT POSTÉRIEUR DU VITRÉ


Le décollement postérieur du vitré est souvent initié sous contrôle microscopique du fond d’œil à l’aide d’une lentille plan concave de Machemer, qui permet la visualisation fine des fibres vitréennes corticales postérieures et de l’anneau de Weiss. Il est habituellement complété sous système panoramique afin de mieux visualiser sa progression centrifuge et de surveiller la formation éventuelle d’une déchirure au niveau de la périphérie rétinienne.


L’instrumentation la plus courante pour réaliser un décollement postérieur du vitré est la sonde de vitrectomie 20 G en mode aspiration sans coupe. Le but est de décoller l’anneau prépapillaire de Weiss. Il est préférable d’utiliser une pompe péristaltique dont l’efficacité maximale est en occlusion, avec une dépression de 150 à 250 mm Hg et un débit de 6 ml par minute. En mode Venturi, compte tenu de la baisse d’efficacité en occlusion, il est nécessaire d’augmenter la dépression jusqu’à 300 mm Hg, ce qui peut favoriser la survenue de déchirures périphériques. L’utilisation des systèmes 23 G ou 25 G diminue la force d’aspiration de façon proportionnelle à la réduction de la surface d’ouverture de la fenêtre du vitréotome. Ils requièrent généralement une dépression supérieure à 250 mm Hg. L’ouverture de la fenêtre du vitréotome étant dans un plan perpendiculaire à la surface de la rétine, l’occlusion par le vitré recherchée pour tirer sur l’anneau de Weiss est parfois difficile à obtenir. En cas d’échec, il est conseillé d’utiliser une canule droite de 20 G, 23 G ou 25 G à embout mousse, dont l’ouverture parallèle au plan de la rétine améliore l’application de la force de traction (fig. 26-1).




image TECHNIQUE


Après réalisation d’une vitrectomie centrale limitée permettant d’atteindre le cortex vitréen postérieur, la libération de la hyaloïde postérieure est obtenue par aspiration active au vitréotome sans coupe, maintenu au ras de la rétine, en nasal de la papille. Le but est d’obtenir l’occlusion du dispositif par les fibrilles vitréennes, en appliquant une dépression inférieure à 250 mm Hg. Si la pompe du vitréotome est de type Venturi, la bouteille de perfusion est élevée au maximum afin d’éviter le risque de collapsus du globe en cas de défaut d’occlusion. À l’occlusion, la pompe péristaltique change de tonalité ; les fibrilles vitréennes se tendent ; on note souvent des battements de l’artère centrale de la rétine. Si l’anneau de Weiss ne s’est pas décollé, on applique alors un mouvement circulaire lent autour de la papille, associé à une légère traction sur la sonde qui va rompre l’adhérence péripapillaire, libérer l’anneau et créer une ouverture dans le cortex par laquelle le liquide de perfusion va décoller la hyaloïde postérieure. La libération de la hyaloïde postérieure ne doit être poursuivie que jusqu’aux arcs vasculaires, en diminuant l’aspiration à 150 mm Hg ainsi que la hauteur de perfusion. La sonde ne doit pas être trop remontée dans la cavité vitréenne, afin d’éviter les tractions vitréorétiniennes périphériques génératrices de déchirures iatrogènes souvent multiples. La vitrectomie est ensuite poursuivie au pôle postérieur et en périphérie sous système panoramique, la hyaloïde postérieure ayant tendance à se décoller spontanément jusqu’à l’équateur.


En cas d’échec de l’utilisation du vitréotome — qui permet de limiter les entrées et sorties multiples d’instruments —, on passera à la canule à embout mousse (fig. 26-1) ou à l’une des autres techniques suivantes. Vander et Kleiner ont suggéré de fragiliser le cortex vitréen postérieur en appliquant un point de diathermie dans le secteur nasal de la papille et en aspirant ensuite à ce niveau [26], avec toutefois un risque de lésion des cellules ganglionnaires. La pince-crochet aspirante de Gaudric et al. permet d’engager l’anneau de Weiss et d’améliorer la préhension pour la libération de la hyaloïde sans augmenter la dépression, génératrice de déchirures rétiniennes [10]. Desai et al. ont proposé la dissection à l’aiguille coudée entre 120° et 135° de l’anneau de Weiss, dans les cas d’échec de l’aspiration, en particulier lors des vitrectomies 23 G et 25 G [4].


Plus récemment, Otani et Kishi ont préconisé l’ouverture par aspiration du cortex prémaculaire avec traction en direction de l’arcade vasculaire supérieure. Ce cortex plus fin, en raison de la présence de la bourse prémaculaire, se déchire plus facilement, laissant passer le sérum en arrière de la hyaloïde postérieure. Cette technique est recommandée dans les cas d’adhérence forte chez les enfants et lors des vitrectomies 23 G et 25 G [17]. Son efficacité est bonne mais on peut toujours craindre de « ventouser » la rétine maculaire en cas de brusque augmentation du débit d’aspiration, toujours possible avec une pompe Venturi.



Pelage de membranes épirétiniennes


Le décollement postérieur du vitré spontané ou induit chirurgicalement se produit le plus souvent sous forme de schisis à quelques dizaines de micromètres de la membrane limitante interne de la rétine. Il persiste donc une couche de cortex vitréen, fréquemment colonisée par des cellules gliales, la transformant en membrane plus ou moins contractile. Il est donc important de rechercher la présence de cortex vitréen à la surface de la rétine maculaire et jusqu’à l’équateur, en particulier chez les patients myopes forts. Le bord de la membrane peut être recherché en passant délicatement les mors d’une pince de Chang (1286W, DORC, Hollande) sur la rétine mobile, en particulier au niveau de zones de contraction repérables par la présence de plis rétiniens ou de pigment. Si la membrane adhère fortement à une rétine très mobile, il est recommandé de pratiquer un contre-appui à l’aide d’une petite bulle de PFCL (perfluorocarbone liquide). Le plan de clivage entre membrane et rétine peut être recherché à l’aide d’une aiguille à intramusculaire 20 G dont l’extrémité est coudée à 120° environ (fig. 26-2). Il existe également des microspatules mousses ou des râteaux, moins traumatisants. Plus récemment, il a été proposé de colorer le vitré à l’aide d’acétate de triamcinolone, ce qui facilite sa visualisation à la surface de la rétine [19, 22] (fig. 26-3).





Pelage de la membrane limitante interne


Le pelage de la membrane limitante interne a été décrit dans le traitement des trous maculaires idiopathiques [5], afin d’améliorer le taux de fermeture, qui atteint alors près de 95 % [18]. L’initialisation du pelage n’est possible qu’après avoir soigneusement décollé le cortex vitréen. La technique débute par l’ouverture de la membrane limitante interne à l’aiguille coudée 20 G ou directement à la pince d’Eckardt ou de Chang, afin de libérer un bord qui sera repris pour compléter le rhexis. La membrane limitante interne est saisie directement dans le secteur temporal en appliquant une très légère pression avec la pince, mors ouverts, suivie d’une fermeture à son contact. Une traction verticale sur environ 1 mm permet de visualiser l’existence d’une prise tissulaire dans les mors, par le blanchiment de la rétine sous-jacente ainsi que la formation de plis radiaires, puis d’ouvrir la membrane limitante interne par une traction supplémentaire. En l’absence de prise, le geste est réitéré avec une pression un peu plus forte. Le but est de parvenir à pincer uniquement la membrane limitante interne à la surface de la rétine sans prendre le tissu sous-jacent ni déchirer la rétine. Après ouverture, le pelage est complété sous forme de rhexis de trois à quatre diamètres papillaires. Au moindre doute sur la profondeur de la prise, la rétine est relâchée afin de contrôler l’absence de lésions. Un blanchiment ou des pétéchies diffuses sont des signes normaux liés à l’ablation de la membrane limitante interne, alors qu’un saignement en regard de la pince témoigne d’une prise trop profonde. La difficulté suivante consiste à ne pas perdre de vue le bord de la membrane limitante interne décollée afin de poursuivre le rhexis sur 360°. La membrane limitante interne pelée prend un aspect cellophane avec enroulement caractéristique de ses bords.


En présence d’un décollement de rétine maculaire, l’ablation de la membrane limitante interne est indiquée si celle-ci présente des signes de rétraction sous forme de plis fixes ou de fines vagues. Le pelage peut se faire sur rétine mobile de la même manière que dans le trou maculaire. En cas d’adhérence forte, il est préférable de maintenir la rétine par une bulle de PFCL et de réaliser le pelage sous cette bulle. Cette technique, applicable chez le myope fort ou en cas de prolifération vitréorétinienne, améliore les résultats anatomiques et fonctionnels et réduit la fréquence des rétractions maculaires [1]. Le pelage de la membrane limitante interne peut être étendu jusqu’aux arcs vasculaires temporaux mais rarement au delà, en raison de son adhérence plus forte et de sa plus grande fragilité.



Chromovitrectomie



image PRINCIPES


L’ablation de la membrane limitante interne est le temps le plus délicat de la chirurgie vitréorétinienne, en raison de sa finesse (2,5 μm), de son adhérence et de sa transparence rendant sa visibilité très difficile [8, 20]. Un mauvais contrôle du positionnement des mors de la pince peut entraîner des lésions des fibres optiques et des altérations ponctuées de l’épithélium pigmentaire rétinien.


Ces complications sont évitées par l’utilisation de colorants vitaux permettant d’améliorer la visibilité des tissus prérétiniens. Si la fluorescéine, proposée en 1978 par Abrams pour visualiser les fibres vitréennes, fut la première tentative de chromovitrectomie, cette nouvelle pratique ne s’est vraiment développée que depuis 2000 avec l’utilisation de vert d’indocyanine pour faciliter le pelage de la membrane limitante interne, un geste particulièrement difficile à réaliser sans coloration. Depuis cette époque et compte tenu de son intérêt majeur dans le pelage de la membrane limitante interne, la chromovitrectomie s’est généralisée à tous les temps de la vitrectomie, grâce au développement de nouveaux colorants des membranes, comme le bleu de trypan, le BBG (bleu de Coomassie, ou brilliant blue G) et le bleu patenté, le bleu de bromophénol, ainsi que l’utilisation de l’acétate de triamcinolone pour marquer le cortex vitréen des sujets myopes.


Le vitré étant souvent en cause dans l’œdème maculaire, la rétinopathie diabétique ou le décollement de rétine du myope, il est important pour améliorer les résultats chirurgicaux de réaliser son ablation complète, qui est grandement facilitée par la coloration.



image COLORANTS DU VITRÉ


L’acétate de triamcinolone est le marqueur le plus efficace des fibres vitréennes. Ses cristaux blancs se fixent sur le gel, créant un contraste net entre la cavité vitréenne vide et le cortex présent à la surface de la rétine. La technique consiste après vitrectomie à injecter de 0,1 ml à 0,3 ml de triamcinolone à 4 % au contact de la rétine dans les zones où on suspecte la présence de vitré. Les cristaux améliorent considérablement l’identification du vitré au contact de la rétine, ce qui facilite le décollement de la hyaloïde postérieure ou la localisation de plaques résiduelles [19, 22] (fig. 26-3 et 26-4). Accessoirement, l’acétate de triamcinolone pourrait réduire l’inflammation postopératoire ainsi que les risques de prolifération vitréorétinienne. Son utilisation est quasi systématique chez le myope fort où il permet, après la vitrectomie centrale, de visualiser les fibres de la base ainsi que les plaques postérieures résiduelles. La toxicité in vivo de l’acétate de triamcinolone reste controversée, probablement liée à son conservateur [15]. En cas d’injection sous-rétinienne, certains auteurs ont retrouvé une atrophie des photorécepteurs ainsi que de l’épithélium pigmentaire. Toutes ces conclusions étant confirmées par les études in vitro, il convient donc d’utiliser la dose la plus faible possible d’acétate de triamcinolone en évitant son passage sous-rétinien et en retirant le maximum de cristaux en fin d’intervention.


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Jun 3, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 26: Techniques de dissection

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