Expertise des victimes d’infraction
Nous aborderons successivement l’expertise pénale des plaignants, puis l’expertise civile des victimes. Les expertises de mineurs seront l’objet d’une section particulière.
En préambule, insistons sur le fait que l’expert doit être prudent et qu’il ne doit jamais rien affirmer à moins d’être certain. C’est pourquoi nous n’utiliserons jamais le terme de « victime » dans les procédures pénales avant la fin de la procédure judiciaire.
Expertise pénale des victimes
L’examen psycholégal initial
• Dans le cadre du dommage psychocorporel consécutif à une infraction pénale (coups et blessures, agressions sexuelles), les psychologues et les psychiatres peuvent intervenir dans des unités médicomédicales (urgences médicojudiciaires), ou encore être requis par les enquêteurs pendant le temps de la garde à vue.
• L’évaluation de l’état psychologique initiale des plaignants est importante pour qualifier les faits selon la durée de l’incapacité totale de travail (ITT), mais aussi comme description des lésions initiales dans le cadre d’une procédure civile ultérieure.
• L’ITT psychologique n’a rien de particulier. Elle ne dépend pas de la nature des blessures, qu’elles soient physiques ou psychiques, mais de la durée durant laquelle un sujet est empêché dans les actes de la vie courante.
La mission d’expertise
• En général, le juge demande à l’expert de réaliser un examen psychologique ou médicopsychologique dans le but d’analyser l’état actuel de la personnalité de la partie civile; de préciser les conséquences des actes dont elle a été victime; d’indiquer si une prise en charge thérapeutique pourrait être envisagée; faire toutes constatations et observations utiles à la manifestation de la vérité.
• Bien que depuis Outreau, la question de la crédibilité ne doive plus être posée, certains juges demandent à l’expert de préciser dans quelle mesure les déclarations de la partie civile peuvent être prises en considération. Il devra se limiter à dire si son constat clinique est compatible avec les déclarations du plaignant.
Les troubles psychotraumatiques et comorbides
Ces troubles sont compatibles et renforcent les allégations du plaignant. Les pathologies les plus habituellement rencontrées sont différentes selon la nature, l’intensité et la répétition des traumatismes :
• En cas de traumatisme unique, dit de type I, survenant sur un sujet présentant une personnalité antérieurement « harmonieuse », l’état de stress posttraumatique se retrouve dans 20 à 30 % des cas. Les troubles comorbides sont également fréquents : état dépressif, troubles anxieux divers, addictions, troubles somatoformes.
• Les victimes de traumatismes répétés, dits de type II, présentent des troubles graves de la personnalité; état limite ou trouble psychotraumatique complexe selon le référentiel de l’expert, parmi lesquels les troubles dissociatifs.
• Les troubles dissociatifs péritraumatiques, mais surtout ceux qui constituent un mode de défense chez les sujets présentant des troubles psychotraumatiques complexes, doivent être soigneusement analysés parce qu’ils permettent d’éclairer la justice sur de faux diagnostics de psychose ou expliquer certains comportements paradoxaux (Lopez, 2012) :
– conduites addictives (tabac, alcool, psychotropes, stupéfiants) qui ont, pour certaines d’entre elles, au-delà de toute référence traumatique, le pouvoir de produire des états dissociatifs ;
– mises en danger, surtout chez les enfants et les adolescents; on les définit comme étant des conduites dangereuses délibérées, répétées, le plus souvent associées entre elles, de nature compulsive : prise de risque sur la route, sport, rodéos, jeux dangereux parfois mortels (jeu du foulard, mises à l’épreuve, binge drinking, bizutages, etc.) ;
– conduites autoagressives (tentatives de suicides, automutilations, piercings, tatouages) ;
– conduites sexuelles dangereuses (rapports sexuels non protégés, sexualité violente, multiplication des partenaires, rapports avec des inconnus, prostitution, pornographie) ;
– troubles des conduites alimentaires : anorexie, boulimie, vomissements provoqués ;
– jeux d’argent; achats compulsifs ;
– addiction aux jeux vidéo violents ;
– fugues, vagabondages, absentéismes scolaires, fréquentations dangereuses ;
– participation active à des mouvements violents, sataniques, sectaires ;
– conduites délinquantes récidivantes (vols, destructions de biens, comportements violents), etc.
• L’expertise d’un sujet sous emprise psychologique doit être très bien documentée pour analyser des comportements paradoxaux qui pourraient faire le jeu d’un auteur présumé, adroitement manipulateur, pour lequel le plaignant pourrait, par exemple, avoir pendant longtemps pris parti avant de le dénoncer.
• Des outils classiques d’évaluation de l’ESPT peuvent aider l’expert à préciser l’intensité des troubles. Le Dissociation Questionnaire (Vanderlinden, Van Dyck, Vertommen-Vandereycken, 1993) (DIS-Q) a une bonne consistance interne et une bonne fiabilité. Le tableau 26.I permet de mettre en évidence que les troubles psychotraumatiques atteignent des scores > 2,5.
Le questionnaire de dissociation somatoforme (Nijenhuis, Spinhoven, Van Dyck, Van der Hart, Vanderlinden, 1996) (SDQ-20) et sa forme abrégée le SDQ-5 sont des instruments de dépistage des troubles dissociatifs d’après les critères du DSM-IV. Ils ont permis de mettre en évidence que plus le trouble dissociatif est grave et complexe, plus la dissociation somatoforme l’est aussi.
L’expertise civile des victimes d’infractions
Au civil, les psychiatres et les psychologues sont convoqués pour évaluer les séquelles psychocorporelles des victimes d’infractions, selon des procédures parfois particulières, en cas de catastrophes ou d’actes de terrorisme par exemple où les procédures amiables sont largement privilégiées. Mais auparavant, nous aborderons les grands principes de l’expertise civile : le principe du contradictoire, les transactions amiables, et le problème éthique que posent les barèmes d’indemnisation.
Le principe du contradictoire, le recours et l’assurance de protection juridique
• Le principe du contradictoire, corollaire du principe constitutionnel des droits de la défense et du procès équitable, est l’une des bases de la procédure civile dont l’aménagement relève de la loi. Il permet à chaque partie de prendre connaissance des observations et des pièces produites par les autres parties et d’en discuter. Le juge a l’obligation de le faire respecter et doit l’observer lui-même. Il ne peut fonder sa décision sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations (art. 16 al. C. proc. civ.).
• Pour que le contradictoire soit respecté, le blessé doit être systématiquement assisté par un avocat et un médecin dit de recours, formé et indépendant des compagnies d’assurance ou du Fonds de garantie des actes terrorisme et autres infraction (FGTI) qui se font systématiquement assister pour défendre leurs intérêts.
• Les frais de recours peuvent être honorés par une assurance de protection juridique.