Chapitre 24 Métaux
Plomb (Pb)
Propriétés physicochimiques et usage
Élément de masse atomique 207,2, il comporte trois principaux isotopes stables (206, 207, 208). Le Pb est un métal dont le numéro est 82 dans la classification périodique des éléments. Il peut présenter les valences 2 ou 4. C’est un élément lourd, de masse volumique 11,4 g · cm−3. Sa température de fusion est de 327,5 °C et d’ébullition de 1 620 °C [1]. Soumis à une température supérieure à 500 °C, il est très toxique pour l’homme, ce qui est le cas dans le décapage thermique de peintures anciennes au plomb. C’est un métal « paradoxal », connu pour sa légendaire résistance, même aux acides forts dilués (HCl, H2SO4), mais il est facilement attaqué par les acides faibles, minéraux ou organiques (H2CO3, CH3COOH). Sa production a pour origine le minerai (galène, ou PbS) ou le métal recyclé. Le plomb est un constituant des batteries et accumulateurs. Il entre dans la composition de nombreux alliages, de matériaux d’isolation phonique. Il est utilisé dans les blindages antiradiations, dans des revêtements de câbles, pour assurer des traitements anticorrosion. Si le saturnisme fut la première maladie professionnelle reconnue (1919), la réglementation concernant l’usage de cet élément a été renforcée au cours des dernières années :
Intoxication, circonstances
Les intoxications sont le plus souvent accidentelles, environnementales ou professionnelles ; alors que les intoxications volontaires ou criminelles sont exceptionnelles. Les intoxications environnementales sont essentiellement liées à une exposition digestive ou respiratoire. En ce qui concerne l’exposition digestive, celle-ci peut avoir une origine alimentaire, eaux de boisson ou aliments contaminés, soit par contamination directe des ressources, soit par les ustensiles de cuisson ou de stockage, en particulier des poteries vernissées [2]. Citons chez le nourrisson et l’enfant, le pica aux écailles de peinture qui consiste à consommer des écailles de peinture contenant du plomb (céruse), apanage des logements anciens, fragments que les enfants apprécient en raison de leur goût à la fois sucré et acidulé. Pour ce qui est de l’exposition respiratoire, liée à la pollution de l’air, jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, elle était principalement due à la présence de plomb dans l’essence. À l’heure actuelle, cette pollution est limitée aux zones voisines d’usines de fusion ou d’affinage du métal, dont les sols sont également contaminés, sans oublier les zones minières et les anciennes mines (en France : Villefranche-sur-Saône et Noyelles-Godault). Quant aux intoxications professionnelles, elles concernent de nombreux secteurs d’activité : fonderies, métallurgie, soudure, production de batteries et accumulateurs, récupération de métaux, oxycoupage ou décapage thermique (peintures), verrerie, cristallerie, poterie. Il convient de signaler le risque d’exposition domestique lors du décapage thermique de peintures anciennes.
Toxicocinétique (figure 24.1)
Absorption
Digestive
Elle se situe essentiellement au niveau de l’intestin grêle et concerne la fraction solubilisée. Chez l’adulte, 5 % à 15 % du métal ingéré sont absorbés, moins 5 % de la fraction absorbée étant retenue, alors que chez l’enfant l’absorption est beaucoup plus importante (42 %) avec une fraction retenue extrêmement importante (32 %) [3].
Distribution
Il existe cinq compartiments : un compartiment sanguin de demi-vie 35 jours (95 % du Pb sanguin est fixé aux globules rouges) ; un compartiment constitué par les tissus « mous » avec une demi-vie identique ; trois compartiments osseux (Pb échangeable rapidement de localisation trabéculaire, Pb à échange lent et Pb à échange très lent dans la partie corticale) avec des demi-vies beaucoup plus longues, de 5 à 20 ans. Le stock de Pb osseux, contrairement au Pb tissulaire, chez un individu exposé à un environnement normal, augmente avec l’âge : à 20 ans l’os représente 78 % du contenu du corps, à 80 ans 96 %. Les fractions osseuses à échange lent ou très lent sont extrêmement difficiles à chélater. La diffusion dans le lait est faible ; en revanche et contrairement au cadmium, le passage à travers la barrière placentaire est assez important (sang du cordon : Pb = 50 % du sang maternel) [1].
Mécanisme d’action-toxicité
Le plomb présente une forte affinité pour les fonctions thiols, responsable d’une action thioloprive sur diverses enzymes. Le métal est également à l’origine de perturbations de la transmission des voies glutamatergique, dopaminergique et cholinergique [4, 5]. Les effets toxiques affectent la moelle osseuse, mais aussi le système nerveux, le tube digestif et les reins. Une très grande variabilité clinique est observée dans l’intoxication. Il n’existe pas de corrélation entre la gravité de la symptomatologie clinique et la plombémie.
Toxicité hématologique
Toxicité neurologique
Elle est à la fois neurologique, neurocomportementale et touche le développement intellectuel de l’enfant. Alors que les enfants sont plus sensibles aux effets sur le système nerveux central, les adultes quant à eux développent plus volontiers une neuropathie périphérique [6]. Chez l’enfant, les tests psychomoteurs ou mentaux sont susceptibles d’être perturbés de manière sensible dès que la plombémie dépasse 50 μg/L. Pour chaque augmentation de 10 μg/L entre 50 et 350 μg/L, la baisse du QI est de deux à quatre points [7, 8]. Les CDC (Centers for Disease Control and Prevention) aux États-Unis ont souhaité que toutes les mesures soient prises pour ne plus observer de plombémies supérieures à 100 μg/L chez l’enfant [9]. En France, suite à une conférence de consensus sur le sujet, toute plombémie supérieure à 100 μg/L chez l’enfant doit faire l’objet d’une déclaration (arrêté du 5 février 2004 relatif à la déclaration obligatoire du saturnisme de l’enfant mineur).
Toxicité digestive
Le déséquilibre de la transmission cholinergique et adrénergique conduit à la vasoréactivité du réseau splanchnique évoquant une neuropathie végétative. Les coliques de plomb se rencontrent dans les intoxications aiguës ou chroniques graves [1].
Toxicité rénale
Le plomb est responsable d’une atteinte tubulaire proximale, réversible après traitement chélateur. En cas d’intoxication chronique, il s’installe une fibrose interstitielle puis une insuffisance rénale [10].
Toxicologie analytique
Spectrophotométrie d’absorption atomique électrothermique (SAAE)
Il s’agit de la méthode la plus utilisée. La préparation de l’échantillon fait appel à une déprotéinisation, ou le plus souvent à une dilution. La volatilité de l’élément nécessite l’emploi d’un modificateur de matrice. De plus, la variabilité de l’effet de matrice dans la plupart des techniques impose d’utiliser les ajouts dosés. La lecture des mesures s’effectue après correction électromagnétique de type Zeeman sur la majorité des appareils. La SAAE est peu performante, la limite de quantification (LOQ) dans le sang étant voisine de 10 μg/L [1].
Spectrophotométrie d’émission par plasma à couplage induit relié à un détecteur de masse (ICP/SM)
C’est à l’heure actuelle la méthode de choix. Après une hémolyse, puis une dilution de l’échantillon en milieu acide, la pompe péristaltique amène l’échantillon dans le nébuliseur, le brouillard formé est projeté à 7 000 K dans le plasma. Les atomes sont ensuite éjectés en fonction de leur rapport m/z, puis les mesures sont réalisées à l’aide d’une dynode, l’arrachement des électrons à ce niveau permet d’amplifier le signal. Grâce au détecteur de masse, la spécificité est bonne et la sensibilité excellente ; dans le sang et les urines la LOQ est voisine de 0,1 μg/L [11, 12]. Compte tenu de la baisse importante de la plombémie, divisée par deux depuis la suppression du plomb dans l’essence, la Société Française de Toxicologie Analytique recommande l’ICP/SM pour le dosage de cet élément [13].
Plombémie
La suppression du Pb dans l’essence a permis d’abaisser de 50 % la concentration sanguine moyenne. Ainsi, la concentration normale est ≤ 60–70 μg/L [14]. Chez 100 sujets volontaires, nous avons établi des normales inférieures à 60 μg/L chez la femme et inférieures à 70 μg/L chez l’homme [11, 12]. La plombémie médiane des deux sexes est de 26 μg/L, les concentrations du 5e au 95e percentile sont comprises entre 11 et 63 μg/L. Chez 54 sujets décédés, les concentrations du 5e au 95e percentile s’échelonnent de 10 à 184 μg/L [15].
Plomburie
Chez 100 sujets volontaires, la plomburie est inférieure à 2 μg/g de créatinine [11]. Chez 54 sujets décédés, les concentrations sont inférieures à 6,5 μg/g de créatinine [15].
Interprétation, relation effets-concentration
Les relations concentrations-effets chez l’homme sont assez bien connues [14]. Dès que la plombémie dépasse 100 μg/L, l’inhibition de l’ALA déhydrase est franche. Pour des plombémies de 300 à 400 μg/L chez l’adulte et de 150 μg/L chez l’enfant, des effets neurotoxiques se manifestent. Lorsque la plombémie se maintient ou dépasse 600 à 700 μg/L chez l’adulte, mais 350 μg/L chez l’enfant, l’atteinte rénale complète le tableau clinique. Pour des plombémies supérieures à 1 000 μg/L, des coliques de plomb sont constatées.
Observations
Les intoxications graves ou mortelles par le plomb sont exceptionnelles. Comme nous l’indiquions dans la précédente édition [1], les intoxications pouvant relever du cadre judiciaire concernent outre les intoxications à des fins criminelles ou suicidaires, les intoxications :
Intoxications par inhalation
En dehors de l’exposition évidente des ouvriers dans les fonderies de Pb que nous rapportions en 1997, celui des employés découpant au chalumeau oxyacétylénique des métaux recouverts de peinture contenant des sels de plomb [1] ; il convient d’insister sur le risque d’intoxication domestique lors du décapage thermique de peintures anciennes contenant le métal [19].
Intoxications par ingestion
Il s’agit le plus souvent d’intoxications consécutives à l’ingestion d’aliments ou de boissons contaminées [1]. Les rares cas rapportés ont principalement pour origine la vaisselle : fabrication de plats, d’assiettes, de pichets, cruches et ustensiles culinaires variés dans lesquels les aliments sont cuits ou/et stockés. Ce sont des productions artisanales, en particulier d’origine africaine pour lesquelles la température de cuisson des vernis, contenant le métal, est insuffisante. La dégradation ou la cuisson insuffisante des récipients destinés à cuire des aliments, stocker des liquides acides (vinaigre, vin, jus de fruits) est susceptible de libérer du plomb en quantité parfois très importante, comme nous avons pu le montrer dans un cas d’exposition familiale [2]. Ces ustensiles ne satisfont pas aux normes CE (test à l’acide acétique). L’ingestion accidentelle de sels de plomb constitue une cause exceptionnelle de décès [20].
Intoxications d’origine variée
Elles concernent l’exposition à des toniques minéraux, remèdes ayurvédiques en particulier, des préparations herbacées, des drogues frelatées pouvant contenir du plomb, comme nous l’avons décrit dans la précédente édition [1]. Il convient également de rappeler la possibilité d’intoxication par projectiles d’armes à feu en particulier en cas de localisation articulaire, crânienne ou rachidienne, pour lesquelles des cas de décès ont été rapportés [1, 20].
Il est l’apanage des logements vétustes, mis en évidence en 1985 dans la région parisienne. Il s’agit d’un phénomène de grande ampleur comme l’a montré l’enquête Inserm, puisque 84 000 enfants présentaient une plombémie supérieure à 100 μg/L [14]. La contamination s’explique principalement par le syndrome de pica au cours duquel les enfants ingèrent volontairement des écailles de peinture. Le port à la bouche d’objets et de mains souillées par la poussière de maison constitue une source supplémentaire d’exposition. La grande vulnérabilité de l’enfant s’explique par l’absorption digestive accrue mais également par l’immaturité cérébrale, responsable de retard d’acquisition scolaire. Ce phénomène a été à l’origine d’une conférence de consensus [21]. La publication récente d’une étude de cohorte met en évidence des troubles cognitifs pour les plombémies supérieures à 50 μg/L, ce qui remet en cause la notion même de seuil de tolérance au plomb [22].
Cadmium (Cd)
Propriétés physicochimiques et usage
Élément de masse atomique 112,4, il comporte huit isotopes naturels stables (112 et 114 sont les plus abondants). Le Cd est un métal dont le numéro est 48 dans la classification périodique des éléments et la valence est 2. C’est un élément lourd, de masse volumique 8,65 g · cm−3. Sa température fusion est de 321 °C et d’ébullition de 765 °C [1]. Il est essentiellement extrait à partir de minerais de zinc dont il constitue une impureté. Comme le plomb, il est également obtenu par recyclage du métal. Il entre dans la composition d’accumulateurs électriques, de pigments, de stabilisants. Il est utilisé en galvanoplastie et dans des alliages [1].
Intoxication, circonstances
En milieu professionnel, elles concernent les secteurs d’activité où les personnels sont exposés au métal dont la température d’ébullition est particulièrement basse. Hormis l’exposition professionnelle, la principale source de cadmium est constituée par les aliments. Les apports quotidiens alimentaires sont de l’ordre de 15 à 20 μg [1]. Chez le fumeur, le tabac est une source d’apport équivalente à celle des aliments. Contrairement au plomb, le cadmium présente un risque de contamination considérable des chaînes biologiques terrestres en raison du transfert facile du métal du sol vers le végétal. La teneur du cadmium dans la chaîne alimentaire double tous les 20 ans [1].
Toxicocinétique
Distribution
Une des particularités du cadmium est qu’il s’agit d’un élément cumulatif, en effet, une fois absorbé, il est essentiellement stocké. Le cadmium circulant est pour 90 % érythrocytaire [12]. Au niveau hépatique et rénal, il se fixe sur une petite protéine, la métallothionéine. Le métal s’accumule principalement au niveau de la zone corticale des reins, ainsi que du foie, ces organes représentant environ 60 % du stock de l’organisme. À la naissance, le stock total de métal est voisin de 1 μg, elle peut atteindre à l’âge adulte 300 mg chez un sujet exposé professionnellement [1].
Mécanisme d’action-toxicité
Le métal est un toxique cumulatif. La fixation hépatique et rénale sur la métallothionéine permet de limiter la toxicité. Au niveau rénal, les lysosomes cassent cette liaison. Le Cd peut à nouveau se fixer sur la métallothionéine, mais en cas de saturation le dépôt du métal sera responsable d’une atteinte rénale [6]. Les dérivés du Cd sont considérés comme carcinogènes pour l’homme [6].
Toxicité rénale
Au niveau du rein, il est responsable de lésions des cellules tubulaires proximales avec protéinurie et β2-microglobulinurie. On admet que la valeur critique de la cadmiurie pour le rein est de 10 μg/g de créatinine [1].
Toxicité osseuse
Il s’agit d’une ostéomalacie, avec parfois ostéoporose, fractures spontanées, fissurations osseuses consécutives à un défaut d’activation de la vitamine D et à une perte rénale de phosphate de calcium [1, 14].
Toxicité respiratoire
Elle est liée à une exposition à des vapeurs et fumées caustiques pour les voies respiratoires, pouvant être responsables d’un œdème pulmonaire lésionnel [14]. L’exposition chronique est susceptible d’engendrer une bronchite chronique, une fibrose progressive, des lésions alvéolaires conduisant à de l’emphysème [6].
Toxicologie analytique
Spectrophotométrie d’absorption atomique électrothermique (SAAE)
Il s’agit de la méthode la plus utilisée. La préparation de l’échantillon fait appel à un mélange de modificateurs chimiques en raison de la grande volatilité de l’élément. L’emploi de ces artifices couplé à une correction électromagnétique de type Zeeman conduit à d’excellents résultats. La limite de détection est voisine de 0,2 μg/L pour le sang comme pour l’urine [1].
Spectrophotométrie d’émission par plasma à couplage induit relié à un détecteur de masse (ICP/SM)
C’est à l’heure actuelle la méthode de choix. Après une hémolyse, puis une dilution de l’échantillon en milieu acide, la pompe péristaltique amène l’échantillon dans le nébuliseur, le brouillard formé est projeté à 7 000 K dans le plasma. Les atomes sont ensuite éjectés en fonction de leur rapport m/z, puis les mesures sont réalisées à l’aide d’une dynode, l’arrachement des électrons à ce niveau permet d’amplifier le signal. Grâce au détecteur de masse, la spécificité est bonne et la sensibilité excellente. La limite de quantification est voisine de 0,04 μg/L dans le sang, de 0,03 μg/L dans le plasma et de 0,02 μg/L dans l’urine [11, 12].
Cadmium sérique
Chez 100 sujets volontaires, fumeurs et non fumeurs, nous avons établi par ICP/SM une concentration médiane de 0,03 μg/L, les concentrations du 5e au 95e percentile sont comprises entre 0,01 et 0,05 μg/L [11,12].
Cadmium dans le sang total
Il est ≤ 1,5 μg/L chez le non-fumeur et ≤ 5 μg/L chez le fumeur. Il doit être ≤ 5 μg/L chez les travailleurs exposés [14]. Chez 100 sujets, nous avons obtenu une concentration médiane de 0,31 μg/L, les concentrations du 5e au 95e percentile sont comprises entre 0,15 et 2,04 μg/L [11, 12]. Chez 54 sujets décédés, les concentrations du 5e au 95e percentile s’échelonnent de 1,25 à 261 μg/L [15].
Cadmiurie
La concentration doit être ≤ 2 μg/L de créatinine et de ≤ 5 μg/L de créatinine chez les travailleurs exposés indemnes de toute lésion rénale [14]. Chez 100 sujets, nous avons obtenu une concentration médiane de 0,16 μg/L de créatinine, les concentrations du 5e au 95e percentile sont comprises entre 0,06 et 0,79 μg/g de créatinine [11,12]. Chez 54 sujets décédés, les concentrations sont inférieures à 17,8 μg/g de créatinine [15].
Observations
Les intoxications graves ou mortelles par le cadmium sont tout à fait exceptionnelles. Comme nous l’indiquions dans la précédente édition, il s’agit essentiellement d’ingestions massives et délibérées de sels de cadmium [1].
Intoxications par inhalation
En milieu professionnel, l’inhalation de fumées d’oxyde, même à une concentration modérée (inférieure à 0,5 mg · m−3), peut être responsable d’un épisode de « fièvre des métaux » [14]. L’inhalation à des concentrations supérieures (2 à 3 mg · m−3), provoque une « pneumonie cadmique » [14]. L’inhalation de 4 mg de métal peut conduire au décès [20].