Chapitre 23 Tactique civile de soutien médical d’urgence
À la fin de ce chapitre, le lecteur devra être capable :
✓ de décrire les composantes de la médecine tactique civile ;
✓ de comprendre l’organisation opérationnelle et les missions de soutien sanitaire en médecine tactique civile ;
✓ d’expliquer les bénéfices d’un programme de formation de médecine tactique civile ;
✓ d’indiquer les différences de soins d’urgences dans chacune des trois zones de soin ;
✓ d’indiquer comment la méthodologie d’évaluation à distance peut être utilisée en mission tactique ;
✓ de décrire le rôle du soutien médical dans les opérations de lutte antiterroriste.
Histoire et évolution de la médecine tactique
La médecine tactique (Tactical Emergency Medical Support [TEMS]) est un système de soins extrahospitaliers dont l’objectif est d’augmenter la probabilité de succès des missions des unités spéciales et de promouvoir la sécurité des citoyens [1]. La médecine tactique s’appuie sur les principes de médecine militaire, de médecine en milieu isolé, de médecine de catastrophe, de médecine de recherche et de sauvetage en milieu urbain, et du classique système d’urgence médicale pour créer un système de soutien sanitaire des forces de l’ordre. La médecine tactique vise à augmenter la probabilité de survie des blessés pris en charge dans un environnement hostile, avec des délais importants de prise en charge, tout en minimisant les risques pour les intervenants. Ce chapitre donne un bref aperçu des rôles et des responsabilités en médecine tactique. La participation à la médecine tactique nécessite une formation spécifique et une expertise qui va au-delà de l’objectif de ce chapitre.
La première unité d’intervention de la police SWAT (Special Weapons and Tactics) a été développée à Los Angeles en 1968. Peu de temps après, l’idée d’avoir un soignant rattaché à cette unité a été avancée. La médecine tactique englobe un large éventail de services de soins modifiés dans leur structure et leur fonction afin d’intervenir dans un environnement à risque élevé. Depuis ses origines dans les années 1960 pour le soutien sanitaire des unités d’intervention de la police, la médecine tactique a évolué pour devenir un domaine d’expertise particulière. Cette médecine tactique s’est inspirée du modèle militaire qui intègre un soignant dans toutes les opérations à haut risque. La médecine tactique existe donc maintenant dans les mondes civil et militaire. Il y a plus de 20 ans, le service médical de l’agence de lutte contre les narcotrafiquants et le terrorisme (Counter Narcotics and Terrorism Operational Medical Support [CONTOMS]) a développé un programme d’enseignement. Ce programme, reposant sur la médecine factuelle ou fondée sur les preuves, durant 56 heures, entraînait les stagiaires à l’exécution de soins médicaux en environnement tactique. Le CONTOMS a mis en place un registre des blessés permettant la recherche et l’évaluation de la performance en médecine tactique. La National Tactical Officers Association (NTOA) a fait de la médecine tactique « un élément important des forces de l’ordre » et a commencé à promouvoir la formation des soignants des unités d’intervention [2]. Après les attentats du 11 septembre 2001, la National Association of Emergency Medical Service Physicians (NAEMSP) et l’American College of Emergency Physician (ACEP) ont officiellement approuvé l’intégration des unités médicales aux unités d’intervention [3,4].
Les recommandations en matière de soins d’urgence aux combattants (Tactical Combat Casualty Care [TCCC]) sont actuellement considérées comme la référence en termes de médecine tactique militaire. L’American College of Surgeons Committee on Trauma (ACS-COT) et la National Association of Emergency Medical Technicians (NAEMT), au travers de son programme de PHTLS, approuvent les recommandations du TCCC [5]. Bien que les opérations spéciales militaires et celles des forces de l’ordre soient spécifiques, des similitudes existent au niveau des soins médicaux en opération. Les recommandations du TCCC représentent un point de départ important pour la standardisation des protocoles la médecine tactique qui sont approuvées par le NTOA.
Composantes de la médecine tactique
Concepts de base et considérations diverses
Les missions opérationnelles comprennent :
Les missions de soins lors des opérations spéciales : l’objectif de la médecine tactique est d’apporter un appui médical aux unités d’intervention. Cet appui implique de nombreuses mesures adaptées au caractère hostile de ces opérations et inclut la médecine préventive, la prise en charge des blessés, les soins sous le feu, l’extraction des blessés, l’application d’un mode de soins dégradé, la prise en compte du renseignement médical et de la menace médicale, etc.
La médecine maritime : l’augmentation des activités de patrouille maritime et les opérations de surveillance du littoral pour lutter contre le terrorisme, le trafic humain et le trafic de drogue nécessitent une formation spécialisée et un soutien médical. Ce soutien médical inclut la médecine embarquée et la médecine subaquatique.
La médecine en ambiance NRBC-E : la formation NRBC-E s’intérresse notamment aux aspects médicaux liés à la détection, l’évaluation et la réduction des effets des toxiques NRBC et des armes de destruction massive. Les équipes médicales assurent la surveillance préventive et les soins d’urgence aux intervenants NRBC, apportent leur expertise dans la détection des agents NRBC et la décontamination.
Les engins explosifs artisanaux : les démineurs font face à plusieurs menaces, dont les lésions de blast, l’exposition aux produits chimiques toxiques, et les risques environnementaux liés au port d’un équipement de protection individuelle le contraignant. Le soutien médical des démineurs comprend la médecine préventive, les soins d’urgence aux intervenants ayant subi une explosion et le suivi clinique médicolégal des explosions.
La médecine de protection des personnalités : un service de protection est souvent assuré pour des hautes personnalités, des citoyens menacés, des détenus sensibles. La survenue d’une maladie ou d’une blessure chez un tel individu constitue un échec de la mission. Cette médecine de protection implique l’ensemble du soutien qui peut être apporté à une telle personnalité. Il s’agit de la préparation de la mission, du renseignement médical, de l’évaluation des antécédents médicaux de l’individu, de soins d’urgences si nécessaire ainsi que de l’évacuation vers une structure hospitalière adaptée.
Les missions de soutien comprennent :
Le renseignement médical et la planification de la mission : les renseignements médicaux et la planification sont des éléments importants à prendre en compte par les forces de l’ordre. Ils comprennent notamment l’évaluation des conditions météorologiques, les expositions chimiques possibles (par exemple lors d’interventions dans des laboratoires clandestins), la réponse aux risques bactériologiques, la planification des évacuations d’urgence et la coordination entre les différents services.
La médecine d’aptitude et de prévention est une médecine de conseils pour les questions relatives à la santé, la sécurité et la performance des forces de l’ordre. Par exemple, les acteurs de la médecine préventive peuvent conseiller un policier concernant un problème médical, toute une unité pour un problème de santé publique, ou un chef d’opération sur les conséquences médicales pour les occupants d’un bâtiment lors d’une interpellation.
Santé au travail : les intervenants médicaux travaillent en étroite collaboration avec les médecins du travail afin de développer une approche globale et bien intégrée pour maintenir une aptitude à la mission : condition physique, vaccinations, protection auditive, lunettes de protection, gestes et posture.
Médecine vétérinaire : les unités d’intervention utilisent des chiens d’attaque. La médecine vétérinaire comprend la médecine préventive et les soins d’urgence.
Avantages d’un programme de médecine tactique
Les groupes d’intervention sont spécialement formés et équipés pour gérer des crises [6]. Ils prennent en compte les missions qui sont trop dangereuses ou techniquement trop complexes pour être traitées par les forces de l’ordre conventionnelles et, par conséquent, ils poussent constamment leurs performances à l’extrême. La médecine opérationnelle et la médecine tactique utilisent de nombreuses disciplines complémentaires avec l’objectif commun d’optimiser la santé et la sécurité des forces de l’ordre ainsi que de ceux qu’ils protègent. Ce soutien médical spécialisé, assuré par des praticiens formés et qualifiés dans ce domaine, est l’un des outils qui permet aux équipes d’intervention de repousser leurs limites avec une sécurité acceptable. Le médecin du groupe d’intervention veille à ce que chaque agent soit toujours à son potentiel maximal et rentre à la maison en toute sécurité à la fin de la journée. La médecine tactique présente d’autres avantages que l’amélioration de la probabilité de succès de la mission, dont les suivants.
Morbidité et mortalité : l’objectif d’un programme de médecine tactique est de réduire la mortalité et la morbidité parmi les policiers, les auteurs de faits répréhensibles et les personnes innocentes. Il peut également permettre de réduire les accidents en service commandé et les coûts que cela représente pour les prestataires sociaux. Le maintien des agents au travail est un bénéfice important de la médecine tactique parce que la main-d’œuvre est la ressource la plus précieuse pour toute équipe spécialisée. Les opérateurs des équipes d’intervention ont une expertise, des qualifications et des certifications généralement acquises sur de longues périodes, et ils ne peuvent pas être facilement remplacés par des agents de police moins formés. Si un opérateur est blessé, ses équipiers doivent ainsi travailler en sous-effectif.
Moral de l’équipe : les programmes de médecine tactique ont des impacts positifs significatifs sur le moral de l’équipe. Les opérateurs des unités d’intervention sont appelés à prendre des risques importants lors de situations dangereuses. Leur volonté de s’engager pleinement dans la mission, à un moment où des décisions de vie ou de mort doivent être prises en quelques secondes, est renforcée par la perception qu’ils peuvent accéder aux meilleurs soins médicaux possibles de façon immédiate en cas de blessure. Quatre-vingt-quatorze pour cent des équipes disposant d’une unité médicale rapportent un bénéfice opérationnel [7,8].
Responsabilité : la médicalisation de la zone d’exclusion peut renforcer la position d’une unité dont le niveau de responsabilité est déjà très important. Les actions de l’unité d’intervention peuvent parfois contribuer à générer des risques supplémentaires et certaines situations deviennent nécessairement moins stables dans le processus de résolution. Alors que l’unité peut générer un risque supplémentaire, notamment pour la population, elle pourrait être inquiétée si elle n’a pas mis en place tous les moyens pour y faire face. La mise en place d’un groupe médical de soutien constitue une réponse appropriée qui permet de minimiser la responsabilité.
Transferts de prisonniers : la présence d’un médecin peut réduire le nombre de transferts médicalement inutiles de prisonniers à l’hôpital pour un bilan. Des jurisprudences récentes ont montré que les forces de l’ordre qui transfèrent des prisonniers dangereux vers les services d’urgences des hôpitaux et d’autres établissements médicaux ont le devoir de protéger les tiers en contact avec les prisonniers [9,10]. En général, le public n’a pas le droit constitutionnel d’être protégé par l’État contre les dommages causés par autrui. Toutefois, les forces de l’ordre, dès lors qu’elles génèrent un risque prévisible en amenant un prisonnier dangereux dans un établissement de santé, ont une obligation de protéger les tiers au contact du prisonnier.
Recommandations en médecine tactique
La médecine tactique diffère par plusieurs points de la médecine d’urgence conventionnelle. Contrairement à la médecine d’urgence conventionnelle, la médecine tactique comprend le maintien en bonne santé de l’équipe d’intervention, la médecine préventive (par exemple les vaccinations, le sommeil et la forme physique), les évaluations des risques médicaux, et la coordination des soins en relation avec les partenaires médicaux institutionnels. Du point de vue opérationnel, les intervenants sont souvent confrontés à des décisions spécifiques. De nombreux États ont ajouté des notions de médecine tactique dans leurs programmes de médecine d’urgence [11]. Les intervenants de médecine tactique et leurs directeurs médicaux doivent être familiarisés avec ces notions lorsqu’ils opèrent en environnement tactique.
Obstacles à l’accès des services de secours et de soins conventionnels
Le délai d’arrivée de l’équipe médicale d’urgence auprès de la victime a été identifié comme une source importante de retard dans l’initiation de soins préhospitaliers. Dans une étude, l’action de sécurisation de la scène par la police a entraîné un retard de prise en charge de la victime par les services d’urgences conventionnels dans 12 % des cas, avec, dans une étude, un retard de prise en charge de 39 minutes [12]. Ce retard de prise en charge peut être beaucoup plus important au cours des missions tactiques. L’intégration d’intervenants de médecine tactique minimise les retards parce qu’ils exercent de façon routinière dans la zone d’exclusion comme membres à part entière de l’équipe d’intervention [13].
Certains responsables des sapeurs-pompiers et des services d’urgences peuvent s’opposer à ce que leurs personnels pratiquent la médecine tactique parce qu’ils la perçoivent comme trop dangereuse. Mais lorsqu’on leur demande pourquoi les sapeurs-pompiers sous leur commandement s’engagent dans des bâtiments en feu – une situation clairement dangereuse –, ils répondent souvent que la lutte contre les incendies diffère des opérations de police parce que leurs personnels sont bien formés et équipés pour intervenir dans les incendies. Le même argument est vrai en médecine tactique. Comme cela est indiqué dans le scénario au début de ce chapitre, il s’agit d’une entorse aux principes du PHTLS que d’engager des personnels insuffisamment formés et mal équipés pour intervenir en zone d’exclusion non encore sécurisée. Cependant, le fait d’attendre le patient en dehors de la zone d’exclusion se traduira immanquablement par des pertes de vie inutiles, alors que jusqu’ici les soins médicaux de l’avant ont montré une réduction de la mortalité [14,15]. La solution évidente est le soutien médical des unités d’intervention par des intervenants formés et équipés qui peuvent exercer en toute sécurité dans la zone d’exclusion.
Zones de soins et zones d’opération
Pendant les opérations tactiques, un zonage de l’intervention est recommandé. Les équipes établissent une zone d’exclusion, avec un périmètre extérieur (zone sécurisée avec des limites relativement fixes) et un périmètre intérieur, comprenant une zone à risque (zone orange) et une « zone chaude » (sous le feu) [16]. Les recommandations de médecine tactique divisent la zone d’opération en « zones de soins » ; on distingue ainsi une zone rouge (sous le feu), une zone orange (zone à risque, dans la zone d’exclusion) et une zone verte, à l’extérieur de la zone d’exclusion [17]. L’actuel modèle de médecine tactique définit les enjeux dans chacune des zones :