23: Intoxications par les produits phytopharmaceutiques

Chapitre 23 Intoxications par les produits phytopharmaceutiques



Les produits phytopharmaceutiques, communément nommés « pesticides », regroupent divers agents chimiques dont les insecticides, les rodenticides, les herbicides, les fumigants, les nématocides, les acaricides, les molluscides, les défoliants et les fongicides.


En 2009, dans leur 27e rapport annuel, les centres antipoisons nord-américains rapportaient 93 998 cas d’expositions aux pesticides ce qui représente 3,8 % des cas d’intoxication, tous produits confondus, sur cette même année. Treize décès sont notifiés. Près des deux tiers des décès et des intoxications sévères font suite à des expositions à des insecticides (inhibiteurs des cholinestérases ou pyréthrinoïdes) et pour un peu plus d’un tiers à un herbicide [1]. Sur les 202 386 cas d’expositions tous produits rapportés dans le rapport annuel des centres antipoison français pour l’année 2008, 7 696 concernaient des produits phytosanitaires (3,8 %). Dans ce même rapport, les pesticides sont impliqués dans la survenue de treize décès (dont neuf herbicides et trois insecticides) sur les 143 (9 %) notifiés. Précédemment en 1990, l’OMS avait estimé que les insecticides étaient responsables de plus de 200 000 décès annuels dans le monde [2]. Si en Europe et aux États-Unis les intoxications par pesticides représentent moins des 4 % des cas d’intoxications, en Turquie les pesticides sont impliqués dans 18,9 % des intoxications [3] et de 16,91 % en Malaisie. Les pesticides sont par ailleurs impliqués dans 75 % des décès toxiques en Malaisie [4]. Même si les intoxications par les pesticides sont bien moins fréquentes que celles par les médicaments et en nette diminution dans notre pays, il n’en reste pas moins qu’il est important de développer des méthodes performantes permettant l’identification et le dosage des molécules appartenant à l’ensemble des classes de pesticides. Le couplage chromatographie en phase gazeuse/spectrométrie de masse (CG/SM) est utilisé pour les pesticides volatils (organophosphorés, organochlorés, phtalimides, uraciles) et un couplage chromatographie en phase liquide/spectrométrie de masse (CL/SM) pour les pesticides polaires et thermolabiles (carbamates, benzimidazoles) d’une manière générale [5, 6].




Insecticides organophosphorés


Le premier organophosphoré, le TEPP (tétraéthylpyrophosphate), a été synthétisé en 1854. L’extrême toxicité des organophosphorés a été exploitée par les Allemands pour développer durant la fin de la Seconde Guerre mondiale, les premiers neurotoxiques militaires (tabun, sarin, soman) puis repris par les Américains avec la mise au point de l’agent VX. La toxicité des organophosphorés varie énormément selon le produit (tableau 23.1), les plus toxiques sont réservés à un usage professionnel dans l’agriculture.


Tableau 23.1 Toxicité des insecticides organophosphorés.











Très toxique
(DL50 < 50 mg/kg)
Toxique
(50 < DL50 < 1 000 mg/kg)
Peu toxique
(DL50 > 1 000 mg/kg)
Azinphos-méthyl
Bomyl
Carbophenthion
Chlorfenvinphos
Coumaphos
Cyanofenphos
Demeton
Dialifor
Dicrotophos
Disulfoton
EPN
Famphur
Fenamiphos
Fenophosphon
Isophenfos
Isofluorphate
Mephosfolan
Methamidophos
Methidathion
Mevinphos
Monocrotophos
Parathion-ethyl
Parathion-méthyl
Phorate
Phosfolan
Phosphamidon
Phothoate
Sulfotep
Terbufos
Tétraéthylpyrophosphate TEPP
Acephate
Bensulide
Chlorpyrofos
Crotoxyphos
Cythioate
DEF
Demeton-S-méthyl
Diazinon
Dichlorvos
Dimethoate
Edifenphos
Ethion
Ethoprop
Fenitrothion
Fenthion
Formothion
IPB
Leptophos
Merphos
Naled
Phosalone
Phosmet
Pirimiphos-ethyl
Profenofos
Propetamphos
Pyrazophos
Quinalphos
Sulprofos
Thiometon
Triazophos
Tribufos
Trichorfon
Bromophos
Etrimfos
Iodofenphos
Malathion
Phoxim
Propylthiopyrophosphate
Temephos
Tetrachlorvinphos

Les organophosphorés sont des dérivés liposolubles de l’acide phosphorique et ont été très largement utilisés après 1945 de par leur efficacité et leur faible persistance dans l’environnement en remplacement des insecticides organochlorés. Pour la plupart, ils ont une structure chimique instable. Leur formule générale a été définie par Schrader en 1952. Ils ont tous un atome de phosphore central et une fonction phosphoryle (P = O) ou thiophosphoryle (P = S). Ils se fixent aux acétylcholinestérases érythrocytaires (AChE), aux butyrylcholinestérases (ou pseudo-cholinestérases plasmatiques) (BuChE) et aux estérases non spécifiques du foie. La déphosphorylation de l’enzyme inhibée par l’organophosphoré est très lente et devient irréversible par déalkylation (phénomène de vieillissement) et non réactivable.



Toxicité


La symptomatologie débute dans l’heure, un décès est même rapporté dans les 15 minutes qui ont suivi l’ingestion [7]. Trois syndromes caractérisent cette intoxication.


Un syndrome muscarinique qui associe à une hypersécrétion généralisée (lacrymale, nasale, salivaire, bronchique, sudation, diarrhée), un myosis, des troubles de l’accommodation, une photophobie, un bronchospasme, des nausées et vomissements, une incontinence fécale et urinaire, une hypotension artérielle sur vasoplégie, une bradycardie sévère.


Un syndrome nicotinique qui associe en début d’intoxication, une mydriase, une hypertension artérielle et une tachycardie. Plus tardivement, vont apparaître des fasciculations musculaires, une faiblesse musculaire due à l’atteinte de la plaque motrice qui va évoluer vers la paralysie des muscles striés et l’arrêt respiratoire par atteinte des muscles intercostaux.


Enfin, un syndrome central qui associe une ataxie, des convulsions tonicocloniques généralisées, une encéphalopathie avec coma, aréflexie et respiration de Cheyne-Stokes. Senanayake et al. ont développé un score de gravité (tableau 23.2) de l’intoxication en se basant sur cinq signes cliniques (myosis, bradycardie, fréquence respiratoire, fasciculations et niveau de conscience) gradués de 0 à 2 plus un point additionnel en cas de convulsions [8]. Un score compris entre 8 et 11 caractérise une intoxication sévère avec un taux important de mortalité, une plus grande assistance ventilatoire et des doses en atropine plus importantes au cours des 24 premières heures. En 2007, un autre score a été proposé, le Simplified Acute Physiology Score (SAPS II). Un score supérieur à 11 serait de mauvais pronostic [9]. D’autres auteurs ont proposé des marqueurs pronostiques non cliniques [1014].


Tableau 23.2 Peradeniya Organophosphorus Poisoning (POP) Scale.





































































Paramètres Score
1. Myosis  
– diamètre pupillaire > 2 mm 0
– diamètre pupillaire ≤ 2 mm 1
– diamètre pupillaire ponctiforme 2
2. Fasciculations  
– absentes 0
– présentes mais ni généralisées ni continues 1
– généralisées et continues 2
3. Respiration  
– fréquence respiratoire ≤ 20/min 0
– fréquence respiratoire > 20/min 1
– fréquence respiratoire > 20/min et cyanose 2
4. Bradycardie  
– fréquence cardiaque > 60/min 0
– fréquence cardiaque entre 41–60/min 1
– fréquence cardiaque ≤ 40/min 2
5. Niveau de conscience  
– conscient et orienté 0
– altérée avec réponse adaptée aux ordres verbaux 1
– altérée, pas de réponse aux commandes verbales (si présence de convulsions, rajouter 1) 2
Total /11

Les complications sont pour l’essentiel neurologiques. En 1987, Senanayake décrit un syndrome intermédiaire qui peut survenir 24 à 96 heures après l’intoxication et fréquemment après la rétrocession des signes cholinergiques. Ce syndrome est caractérisé par une paralysie des muscles proximaux des membres, des muscles fléchisseurs de la nuque, des muscles à innervation céphalique (oculomoteur externe : 6e paire crânienne ; ptosis bilatéral : 7e paire ; trouble du réflexe de déglutition : 9e paire) et des muscles du diaphragme à l’origine d’une insuffisance respiratoire aiguë. Ce syndrome est aussi caractérisé par l’absence de signes muscariniques et par une inhibition sévère et persistante des cholinestérases. Ce syndrome peut persister plusieurs semaines [1518].


Une polyneuropathie retardée peut apparaître entre 3 et 6 semaines après l’intoxication. C’est une atteinte sensitivomotrice prédominante au niveau des membres inférieurs associant des paresthésies, des crampes musculaires, une fatigabilité progressive, une hypotonie, un syndrome pyramidal puis dans les cas les plus graves, une paralysie flasque. La diminution de la NTE (Neuropathy Target Esterase) lymphocytaire est corrélée à la survenue d’une neuropathie retardée. Dans les atteintes modérées, la résolution de la neuropathie est obtenue en 6 à 12 mois alors que des atteintes déficitaires séquellaires sont fréquentes dans les formes sévères [19, 20].


Un syndrome extrapyramidal associant hypertonie, tremblements de repos et hyperréflexie ostéotendineuse est également décrit. Cette complication est spontanément résolutive en quelques jours [21].


D’autres séquelles neuropsychiatriques sont associées à des expositions chroniques aux insecticides organophosphorés : troubles de la mémorisation à court terme, asthénie, confusion, dépression, psychose, Parkinson [22].


Sur le plan biologique, on retrouve fréquemment une hyperglycémie, hyperlipasémie et hyperamylasémie [2325], une acidose métabolique lactique.



Analytique


Le dosage des AChE est plus fiable que celui des butyrylcholinestérases [26]. Si une diminution d’au moins 50 % des AChE est souvent associée à une symptomatologie clinique, il n’y a pas de corrélation entre l’importance de la baisse et la sévérité de l’intoxication, même si une inhibition de plus de 90 % est couramment associée à une intoxication sévère [11, 27]. L’importance de chute des AChE et butyrylcholinestérases n’a pas de valeur prédictive pour l’évolution. Il existe une corrélation entre l’importance de la baisse des AChE et la sévérité de l’atteinte de la transmission neuromusculaire (estimée par l’étude des vitesses de conduction nerveuse couplée à l’électromyographie [EMG]) [27]. Quant au dosage des butyrylcholinestérases, il doit être interprété avec prudence car elles peuvent être abaissées soit spontanément (âge, sexe), au cours d’une grossesse, de certaines pathologies (hépatites, cirrhose, tumeurs malignes, brûlures étendues), lors de prise de médicaments (métoclopramine, cytotoxiques, antibiotiques…) [28, 29]. Le dosage spécifique des organophosphorés ou de leurs métabolites permet de confirmer que l’inhibition des cholinestérases fait suite à une exposition aux pesticides [3033]. Le dosage du p-nitrophénol dans les urines permet d’estimer une exposition au parathion.



Prise en charge thérapeutique


Le traitement symptomatique repose sur le maintien des fonctions vitales : oxygénothérapie, intubation et ventilation contrôlée, remplissage vasculaire en cas d’hypotension (secondaire aux pertes liquidiennes mais aussi due à une vasoplégie), administration de sulfate de magnésium en cas de troubles du rythme cardiaque. Si une induction séquence rapide est nécessaire pour intuber le patient, l’utilisation du rocuronium est préférable à la succinylcholine qui pourrait aggraver les paralysies. En effet, la succinylcholine étant métabolisée par les butyrylcholinestérases, il résulte de l’utilisation de celle-ci, une paralysie neuromusculaire prolongée. Les convulsions sont rapidement contrôlées par l’administration intraveineuse de médications GABAergiques telles que le diazépam, le midazolam ou le lorazépam. Le bronchospasme isolé des accidents d’inhalation est traité par un aérosol anticholinergique (bromure d’ipratropium). L’utilité d’un lavage gastrique en particulier plus d’une heure après ingestion est remise en question [33, 34]. L’hémodialyse et l’hémoperfusion ne sont pas efficaces [35].


Le traitement antidotique est basé sur l’administration de sulfate d’atropine et de méthylsulfate de pralidoxime.


L’atropine agit rapidement au niveau des récepteurs muscariniques et des récepteurs cholinergiques centraux. Son administration par voie intraveineuse à la posologie de 1 à 2 mg à répéter toutes les 5 à 10 minutes jusqu’à l’obtention du tarissement des sécrétions bronchiques et d’une fréquence cardiaque supérieure à 80 battements/minute.


Les oximes doivent être administrées le plus précocement possible [33]. En France, c’est la pralidoxime qui est utilisée pour régénérer les acétylcholinestérases ; la posologie est d’un bolus de 2 g perfusés par voie intraveineuse sur 30 minutes (certains proposent 30 mg/kg) suivi d’une dose d’entretien de 1 g/h pendant 48 heures puis au-delà des 48 heures, 1 g toutes les 4 heures jusqu’au sevrage respiratoire. Chez l’enfant : 25–50 mg/kg intraveineuse en 30 minutes suivis par 10–20 mg/kg/h en continu [36].



Carbamates insecticides


Les carbamates insecticides ont une toxicité similaire à celle des insecticides organophosphorés. Ils inhibent les différentes cholinestérases mais de façon réversible, la liaison carbamate-AChE étant hydrolysé dans un délai de moins de 24 heures (sauf pour l’aldicarbe). Leur toxicité est très variable selon la molécule (tableau 23.3). Les carbamates ne sont ni cancérogènes, ni reprotoxiques, ni génotoxiques.


Tableau 23.3 Toxicité des carbamates insecticides.











Très toxique
(DL50 < 50 mg/kg)
Toxique
(50 < DL50 < 200 mg/kg)
Peu toxique
(DL50 > 200 mg/kg)
Aldicarb
Aldoxycarb
Aminocarb
Bendiocarb
Carbofuran
Dimetan
Dimetilan
Dioxacarb
Formetanate
Methiocarb
Methomyl
Oxamyl
Propoxur
Bufencarb
Carbosulfan
Pirimicarb
Promecarb
Thiodicarb
Trimethacarb
BPMC
Carbaryl
Isoprocarb
MPMC
MTMC
XMC



Prise en charge thérapeutique


Le traitement du syndrome muscarinique repose sur l’atropine. Les oximes ne sont généralement pas recommandées. Cependant, l’utilisation de la pralidoxime serait bénéfique dans l’intoxication par l’aldicarbe [37, 38]. L’idée que l’utilisation des oximes ne serait contre-indiquée que pour les intoxications par le carbaryle est remise en cause [39, 40] et dans tous les autres cas, si la réponse à l’atropine est insuffisante (ou si des organophosphorés sont associés), la pralidoxime doit être recommandée.



Insecticides organochlorés


Le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) est le premier insecticide organochloré commercialisé dès 1940. Auparavant, les insecticides disponibles étaient à base d’arsenic, de soufre, de nicotine, de pyrèthre, de roténone, de cyanure d’hydrogène ou de cryolite. Les organochlorés sont non volatils, peu coûteux à fabriquer, stables dans l’environnement et moins toxiques que les insecticides qui les ont précédés. Le DDT a été largement utilisé pour éradiquer les moustiques vecteurs de maladies épidémiques et a ainsi permis de sauver des millions de vies. Cependant, l’utilisation massive des insecticides organochlorés a des répercussions sur l’environnement du fait de leur persistance et de leur bioaccumulation dans la nature.



Épidémiologie


Du fait de l’interdiction ou de réglementation très stricte dans l’utilisation des insecticides organochlorés en Europe et aux États-Unis, les cas d’exposition sont rares actuellement dans ces pays. En 2008, sur 88 022 cas d’exposition à un pesticide rapportés par les centres antipoison américains, un insecticide organochloré était impliqué dans 655 cas. Il n’y avait aucun cas grave ni de décès notifié [1]. Compte tenu de l’efficacité et du faible coût de production des insecticides organochlorés, ils sont encore utilisés dans les pays en voie de développement malgré les recommandations de la convention de Stockholm de 2001. En 2002, en Inde, une contamination alimentaire par de l’endosulfan est responsable de l’intoxication de 36 enfants dont trois vont décéder. Certains insecticides organochlorés tels que le γ-hexachlorocyclohexane (lindane) sont utilisés comme antipoux et ont été une source d’intoxication par mauvais usage. Actuellement, d’autres scabicides sont utilisés pour remplacer le lindane.





Pharmacocinétique


À des degrés divers, l’absorption des insecticides organochlorés peur se faire par ingestion, inhalation et contact cutané. La pénétration cutanée varie selon l’insecticide. Si le lindane et les cyclodiènes ont une bonne pénétration du derme, le DDT et le toxaphène sont faiblement absorbés par cette voie [41]. Les organochlorés sous forme solide sont peu volatils. La contamination par voie respiratoire s’observe lors de l’inhalation d’aérosol ou de poussières. Celles-ci peuvent être secondairement dégluties (salive, mucosités nasales) et être à l’origine d’une absorption digestive. Une fois absorbés, la majorité des insecticides organochlorés sont stockés dans le tissu adipeux sous forme inchangée. Ceux dont le métabolisme est lent pourront être détectés dans le lait. Lors de leur métabolisation, les organochlorés sont d’abord déchlorés puis oxydés et conjugués. Ils subissent ensuite un cycle entéro-hépatique après leur excrétion dans la bile.


Particularités selon l’âge : les enfants et les personnes âgées sont plus sensibles et développent plus facilement une atteinte neurologique lors de l’application cutanée de certains organochlorés [4244]. Chez l’enfant, la peau est moins kératinisée alors que, chez le sujet âgé, la peau est atrophiée avec comme conséquence dans ces deux populations, une peau plus perméable à l’absorption des insecticides organochlorés.



Toxicité


Une irritation cutanée est observée en cas de contact. L’application d’une solution de lindane sur la peau peut être responsable de la survenue de convulsions chez l’enfant [45]. Un jeune garçon de 3 ans a présenté des nausées et vomissements puis des convulsions suivies d’un coma après l’application sur la peau d’une crème contenant 1 % de lindane pour le traitement d’une gale, à la sortie de son bain. La concentration sanguine en lindane à la 72e heure était mesurée à 54 ng/mL [46]. L’ingestion est responsable de signes digestifs : hypersalivation, nausées, vomissements, diarrhées, douleurs abdominales. Un cas de pancréatite est rapporté avec le chlordane et le lindane. Les effets les plus graves sont le résultat d’une stimulation du système nerveux central. Les effets apparaissent en quelques minutes à plusieurs heures, typiquement dans les 1 à 2 heures qui suivent l’ingestion. Des prodromes sont possibles pour le DDT à type de tremblements alors qu’ils sont absents pour le lindane, les cyclodiènes et le toxaphène : les premiers signes sont d’emblée des mouvements myocloniques ou des convulsions. Les autres signes observés sont une asthénie, des céphalées, des vertiges, une ataxie, des tremblements, une agitation, une confusion, un délire, une désorientation, une amnésie, une hyperesthésie ou des paresthésies atteignant la face, la langue, la bouche ou les extrémités, une faiblesse des membres inférieurs, des myoclonies, des fasciculations, une dépression du système nerveux central (somnolence à coma). Les convulsions peuvent être retardées (5 à 6 heures) si l’estomac est plein (après un repas). Elles peuvent durer plusieurs jours avec les cyclodiènes (aldrine, dieldrine, endrine, heptachlore, endosulfan). Les convulsions ne sont pas observées avec la chlordécone ou le DDT.


Quelques cas d’atteintes neurologiques centrale ou périphérique prolongées, notamment avec le lindane ont été décrits.


Les autres symptômes possibles sont une tachycardie, hypotension, rarement collapsus. Chez l’animal, certains organochlorés semblent pouvoir sensibiliser le myocarde à l’action des catécholamines endogènes (douleurs, stress…) ou exogènes (médicaments adrénergiques) entraînant une hyperexcitabilité cardiaque pouvant être à l’origine d’arythmies ventriculaires et rarement des morts subites. La présence d’une hyperthermie et d’une insuffisance respiratoire aiguë doit faire suspecter la présence d’une pneumopathie d’inhalation.


In vitro, certains organochlorés ont une activité œstrogénique-like et sont considérés comme des perturbateurs endocriniens. Si certaines études cas-témoins ont rapporté un possible rôle des organochlorés dans la survenue de cancer du sein, des études plus récentes n’ont pas retrouvé d’augmentation de risque de survenue de cancer lors de l’exposition aux insecticides organochlorés [47]. L’IARC a classé le DDT et son métabolite DDE comme cancérogène potentiel pour l’homme. Quelques cas d’anémie aplasique et d’anémie mégaloblastique sont rapportés lors de l’exposition au lindane ou au chlordane. Une rhabdomyolyse avec acidose lactique est décrite lors de l’ingestion de lindane. Certains auteurs ont évoqué une possible relation entre l’exposition chronique à des insecticides organochlorés et la survenue d’une sclérose latérale amyotrophique ; des cas de porphyries mixtes ou cutanées ont été décrits avec le lindane.



Analytique


Les insecticides organochlorés peuvent être identifiés par chromatographie en phase gazeuse. Lors d’une ingestion de lindane, une concentration sérique de 0,12 mg/L serait corrélée avec une somnolence alors que des convulsions et un coma sont observés pour des concentrations sériques de 20 mg/L [48]. Les décès publiés sont associés à des concentrations en endosulfan compris entre 1,5 et 30 mg/L alors des valeurs moyennes de 0,5 mg/L sont mesurées chez les survivants [49], des concentrations sanguines mortelles de 544 mg/L sont rapportés pour l’eldrine [50]. Cependant, l’identification et le dosage de l’insecticide organochloré ne sont pas nécessaires à la prise en charge de l’intoxication. Comme ils sont stockés dans les tissus graisseux, les organochlorés peuvent être dosés dans le lait maternel ou dans une biopsie de tissu adipeux pour confirmer une exposition ancienne.


Diagnostic différentiel : le diagnostic d’intoxication aux insecticides organochlorés se fait sur l’histoire car les symptômes ne sont ni pathognomoniques ni spécifiques. D’autres produits neurotoxiques peuvent être responsables d’une hyperexcitabilité neurologique, tels que la strychnine ou le glucochloral, mais elle peut se voir dans d’autres pathologies médicales telles que méningite, encéphalite, cancer ou hypoglycémie.



Prise en charge thérapeutique


Le traitement est symptomatique avec protection des voies aériennes, maintien des fonctions vitales. Les convulsions sont contrôlées par les benzodiazépines, parfois associées au pentobarbital ou au propofol dans les états de mal épileptique (endosulfan) [51]. La phénytoïne ne doit pas être utilisée pour les convulsions dues au lindane ou à la chlordécone car dans un modèle animal, la phénytoïne aggrave les signes neurologiques dus au lindane et à la chlordécone. Par ailleurs, une femme de 32 ans traitée pour une épilepsie par de la phénytoïne, boit accidentellement entre 10 et 25 mL d’une solution de lindane à 1 %. Rapidement elle présente des vomissements et des convulsions durant 1 à 2 minutes. Le taux sérique du lindane est mesuré à 0,13 μg/mL et celui de la phénytoïne à 7 mg/dL [52].





Pyrèthres et insecticides pyréthrinoïdes


La relative haute toxicité pour les mammifères et les humains des insecticides organophosphorés et des carbamates ainsi que la persistance dans l’environnement des insecticides organochlorés ont favorisé la recherche de nouveaux insecticides moins dangereux.


La pyréthrine, un alcaloïde de la fleur d’une variété de chrysanthème, est utilisée depuis longtemps comme insecticide. Cet effet est dû à des esters de l’acide chrysanthémique et d’alcools complexes (rethronolones). Pour pallier certains inconvénients de la pyréthrine naturelle, à commencer par sa photodégradation par les UV, des analogues de synthèse ont été développés : les pyréthrinoïdes de synthèse. Ce sont les insecticides les plus employés actuellement, ils sont efficaces contre les insectes et peu toxiques pour les mammifères ; les pyréthrinoïdes sont rapidement inactivés par les micro-organismes du sol ; non rémanents dans l’environnement, ils ne laissent pas de résidus dans l’eau et dans les plantes.



Toxicité


Les pyréthrinoïdes de synthèse sont divisés en deux classes basées sur l’absence (type I) ou la présence (type II) d’un groupement α-cyano à l’origine d’une toxicité différente [54] ; les types I induisent des tremblements avec ataxie suivis d’une paralysie flasque. Le type II a des effets plus importants incluant une hypersensibilité, des tremblements, des convulsions, une hypersialorrhée, une hyperexcitabilité musculaire et une paralysie.


Les pyréthrinoïdes pénètrent dans l’organisme par ingestion, inhalation ou absorption cutanée [55, 56]. En raison d’une inactivation digestive (hydrolyse par des estérases du tube digestif) et hépatique (hydroxylations multiples) importantes et précoces, la toxicité des pyréthrinoïdes par ingestion est extrêmement faible chez tous les mammifères (DL50 > 1 g/kg). Les métabolites sont éliminés dans les urines. Il n’y a pas de corrélation entre la concentration urinaire des métabolites et la symptomatologie clinique. Les pyréthrinoïdes sous forme inchangée peuvent être dosés dans le plasma, leur concentration peut expliquer les signes cliniques. Cependant, les pyréthrinoïdes ne restent détectables dans le plasma que quelques heures après l’exposition. La majorité des cas d’intoxication humaine est le fait des pyréthrinoïdes de type II. Lors de l’exposition, en quelques minutes (moins d’une heure), on observe des signes locaux irritatifs : cutanée (érythème prurigineux, papules, vésicules), oculaire (lésions de la cornée possibles), ORL (rhinorrhée, éternuements, congestion nasale, picotements de gorge), respiratoire (oppression thoracique, toux, dyspnée, voire bronchospasme irritatif de mécanisme non allergique), neurologiques (dysesthésies faciales ou des extrémités à type de sensation de cuisson et prurit, engourdissement des lèvres ou de la langue) et des signes d’intoxication systémique : céphalées, vertiges, ataxie, fasciculations, convulsions possibles si intoxication importante, coma avec dépression respiratoire (surtout en cas de solvant hydrocarbure), tachycardie sinusale (rare) d’évolution transitoire, hypotension, collapsus, troubles de l’excitabilité myocardique, surtout en cas d’hypoxie ou d’administration de catécholamines ; une pneumopathie d’inhalation peut compliquer le tableau clinique en cas de fausse route notamment si le solvant de l’insecticide est un hydrocarbure. Les troubles digestifs sont rares et non spécifiques : nausées, vomissements, douleurs abdominales, crampes abdominales, ténesme, gastrite. Les paresthésies semblent être dose-dépendantes et spontanément réversibles en moins de 24 heures. Elles sont la conséquence de la stimulation directe des terminaisons sensitives locales et non d’une atteinte systémique.


Des phénomènes allergiques sont rapportés tels qu’une rhinite vasomotrice (catarrhe nasal), l’exacerbation d’un asthme ou d’une hypersensibilité bronchique, une alvéolite allergique extrinsèque ou une dermite allergique de contact ou une urticaire.


Des patch-tests positifs étaient rapportés chez 70 % des travailleurs exposés professionnellement aux insecticides pyréthrinoïdes [57].





Insecticides formamidines


Deux insecticides appartiennent à ce groupe, le chlordimeforme et l’amitraze. Du fait d’un excès de risque de survenue de cancer du rein chez les personnes exposées, le chlordimeforme est interdit dans de nombreux pays. L’amitraze est utilisé comme insecticide acaricide, notamment en usage vétérinaire. Ils agissent tel un agoniste des récepteurs α2-adrénergiques (comme la clonidine).



Toxicité aiguë


Les intoxications par l’amitraze sont généralement bénignes. L’absorption cutanée est faible et négligeable par voie respiratoire, l’absorption orale est rapide et importante. Les symptômes apparaissent dans un délai de 30 minutes à 2 heures. L’amitraze est responsable d’une dépression du système nerveux central (somnolence, coma), d’un myosis, d’une bradycardie, d’une hypotension artérielle, de vomissements et d’une hypersialorrhée. Sont aussi rapportées, hypothermie, diarrhée, douleur abdominale et dépression respiratoire. Les convulsions sont plus fréquentes chez les enfants. Une tachycardie et des torsades de pointe sont aussi décrites au décours d’exposition à l’amitraze. Sur le plan biologique, une hyperglycémie et une augmentation modérée des transaminases hépatiques sont fréquemment rapportées [59]. Le chlordiméforme est aussi impliqué dans la survenue d’une méthémoglobinémie et d’une hématurie sur cystite hémorragique. Il n’y a pas de cas rapporté de méthémoglobinémie avec l’amitraze malgré que l’un de ses métabolites, le 2,4-diméthyl aniline soit connu pour être à l’origine de méthémoglobinémie toxique. La guérison est généralement obtenue dans les 24 à 48 heures, si les décès restent rares, ils sont possibles dans les intoxications sévères. Plusieurs cas de pneumopathie d’inhalation sont décrits dans la littérature. C’est généralement le solvant, du xylène, présent dans la préparation qui en est à l’origine. Un cas de tentative de suicide chez un homme de 35 ans qui a bu entre 50 et 100 mL d’une solution à base d’amitraze (soit entre 6,25 g et 12,5 g d’amitraze). À son arrivée aux urgences 3 heures après l’ingestion, il présente un coma (score de Glasgow à 3) avec une bradycardie à 35/min, une hypothermie à 34,5 °C, une tension artérielle imprenable et fait un arrêt respiratoire. Il est intubé, ventilé et reçoit de l’atropine et de dopamine associée à un remplissage vasculaire. Il reprend conscience 22 heures après l’ingestion et est extubé à la 24e heure. Il va présenter une hyperglycémie à 5 g/L durant 5 jours et va guérir sans séquelle.





Imidaclopride


C’est un insecticide analogue structural de la nicotine dérivé de la nitroguanidine récemment commercialisé sous forme de concentré soluble ou de poudre mouillable. La pénétration cutanée semble très faible alors que l’absorption digestive est rapide et complète. Après biotransformation hépatique (notamment en acide 6-chloronicotinique), l’élimination est totale en moins de 48 heures (pour deux tiers fécale et un tiers par les urines).



Toxicité


L’imidaclopride n’est pas irritant pour la peau et les muqueuses mais le solvant notamment s’il s’agit de N-méthylpyrrolidone peut être responsable de lésions des muqueuses ; en cas d’ingestion, les symptômes apparaissent dans l’heure [65]. Plusieurs cas humains d’ingestion massive d’imidaclopride sont publiés et font état d’une somnolence, de tremblements avec ataxie, de diminution du tonus musculaire avec des épisodes de crampes, d’un arrêt respiratoire, de coma [66] et de troubles du rythme cardiaque (bradycardie, tachycardie, fibrillation ventriculaire) [65, 67, 68]. Une phase de stimulation précède celle de dépression du système nerveux central. Un arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire est survenu 2 heures après l’ingestion de 200 mL d’une solution à base d’imidaclopride (19,2 mg). La patiente est décédée à la 12e heure dans un tableau de choc réfractaire.



Analytique


L’imidaclopride est dosable dans le sang [94] et dans les aliments [69]. Des concentrations sanguines de 2 et 12,5 μg/mL ont été mises en évidence par CL/SM chez deux hommes décédés après une ingestion volontaire d’une préparation à base d’imidaclopride [70].




Diquat


C’est un herbicide de contact non sélectif. Le potentiel toxique pour l’environnement est faible du fait de sa rapide dégradation photochimique. Le diquat était commercialisé soit seul soit associé au paraquat dans les préparations à usage professionnel exclusivement. L’essentiel des cas rapportés d’intoxication est le fait de tentative de suicide par ingestion de solution concentrée et rarement des expositions accidentelles. Si l’on prend la période de 1968 à 2004, seules 34 cas d’intoxication détaillée au diquat ont été publiés dont 13 cas mortels.




Clinique


Par contact, les préparations à base de diquat sont responsables de lésions irritantes à caustiques. L’atteinte de la muqueuse buccale avec sensations de brûlure et ulcérations hémorragiques est fréquemment observée lors des ingestions de diquat. Un œdème atteignant la langue et l’hypopharynx nécessitant une intubation est aussi rapporté. Des épistaxis et une irritation respiratoire sont également rapportés lors de l’inhalation de gouttelettes pendant la préparation de la bouillie ou de son épandage, de même que la survenue de conjonctivite ou de kératite par suite de projection oculaire. Un cas de nécrose extensive de la muqueuse vaginale et de la vulve consécutive à une injection intravaginale d’une solution de diquat à 6 % a été publié [71].


Les effets systémiques sont essentiellement observés lors de l’ingestion de solution de diquat. En effet, l’absorption cutanée étant très faible, cette voie d’exposition n’est pas source d’intoxication systémique. Lors de l’ingestion de solution concentrée de diquat, on retrouve une atteinte extensive des muqueuses buccales mais aussi de l’œsophage, de l’estomac et de l’intestin. Quelques minutes après l’ingestion, le patient présente des vomissements, de la diarrhée et se plaint de douleurs abdominales. Une œsophagite et une gastrite, parfois hémorragiques sont visualisées à la fibroscopie œsogastroduodénale (lésions de grade 1 et 2). Un iléus paralytique peut apparaître dans les 1 à 4 jours suivant l’ingestion et être responsable d’une importante stase de fluide dans les intestins et participer à la survenue d’un choc hypovolémique. Une atteinte hépatique (augmentation des transaminases) est fréquemment rapportée, elle reste modérée et transitoire. Une néphrotoxicité est fréquemment rapportée allant d’une simple protéinurie transitoire jusqu’à l’insuffisance rénale aiguë, cette dernière pouvant apparaître entre la 1re heure et le 5e jour de l’ingestion. Des comas de survenue retardée (entre 18 heures et 4 jours) sont également publiés ainsi que des états de mal convulsifs qui ont évolué vers une épilepsie.


La survenue précoce d’une insuffisance rénale, d’un iléus intestinal avec séquestration de fluides importants et retentissement tensionnel, de complications respiratoires nécessitant une assistance ventilatoire avec intubation ou la survenue d’un coma sont des éléments de mauvais pronostic.



Analytique


Lors du test à la dithionite de sodium, le diquat colore les urines en vert [72]. Un test négatif six heures après l’ingestion signe généralement une faible quantité ingérée. Plusieurs techniques permettent de doser simultanément le diquat et le paraquat dans les liquides biologiques [73, 74].


Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Aug 19, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 23: Intoxications par les produits phytopharmaceutiques

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access