Chapitre 23 Intoxications par les produits phytopharmaceutiques
En 2009, dans leur 27e rapport annuel, les centres antipoisons nord-américains rapportaient 93 998 cas d’expositions aux pesticides ce qui représente 3,8 % des cas d’intoxication, tous produits confondus, sur cette même année. Treize décès sont notifiés. Près des deux tiers des décès et des intoxications sévères font suite à des expositions à des insecticides (inhibiteurs des cholinestérases ou pyréthrinoïdes) et pour un peu plus d’un tiers à un herbicide [1]. Sur les 202 386 cas d’expositions tous produits rapportés dans le rapport annuel des centres antipoison français pour l’année 2008, 7 696 concernaient des produits phytosanitaires (3,8 %). Dans ce même rapport, les pesticides sont impliqués dans la survenue de treize décès (dont neuf herbicides et trois insecticides) sur les 143 (9 %) notifiés. Précédemment en 1990, l’OMS avait estimé que les insecticides étaient responsables de plus de 200 000 décès annuels dans le monde [2]. Si en Europe et aux États-Unis les intoxications par pesticides représentent moins des 4 % des cas d’intoxications, en Turquie les pesticides sont impliqués dans 18,9 % des intoxications [3] et de 16,91 % en Malaisie. Les pesticides sont par ailleurs impliqués dans 75 % des décès toxiques en Malaisie [4]. Même si les intoxications par les pesticides sont bien moins fréquentes que celles par les médicaments et en nette diminution dans notre pays, il n’en reste pas moins qu’il est important de développer des méthodes performantes permettant l’identification et le dosage des molécules appartenant à l’ensemble des classes de pesticides. Le couplage chromatographie en phase gazeuse/spectrométrie de masse (CG/SM) est utilisé pour les pesticides volatils (organophosphorés, organochlorés, phtalimides, uraciles) et un couplage chromatographie en phase liquide/spectrométrie de masse (CL/SM) pour les pesticides polaires et thermolabiles (carbamates, benzimidazoles) d’une manière générale [5, 6].
Insecticides organophosphorés
Le premier organophosphoré, le TEPP (tétraéthylpyrophosphate), a été synthétisé en 1854. L’extrême toxicité des organophosphorés a été exploitée par les Allemands pour développer durant la fin de la Seconde Guerre mondiale, les premiers neurotoxiques militaires (tabun, sarin, soman) puis repris par les Américains avec la mise au point de l’agent VX. La toxicité des organophosphorés varie énormément selon le produit (tableau 23.1), les plus toxiques sont réservés à un usage professionnel dans l’agriculture.
Très toxique (DL50 < 50 mg/kg) | Toxique (50 < DL50 < 1 000 mg/kg) | Peu toxique (DL50 > 1 000 mg/kg) |
---|---|---|
Azinphos-méthyl Bomyl Carbophenthion Chlorfenvinphos Coumaphos Cyanofenphos Demeton Dialifor Dicrotophos Disulfoton EPN Famphur Fenamiphos Fenophosphon Isophenfos Isofluorphate Mephosfolan Methamidophos Methidathion Mevinphos Monocrotophos Parathion-ethyl Parathion-méthyl Phorate Phosfolan Phosphamidon Phothoate Sulfotep Terbufos Tétraéthylpyrophosphate TEPP | Acephate Bensulide Chlorpyrofos Crotoxyphos Cythioate DEF Demeton-S-méthyl Diazinon Dichlorvos Dimethoate Edifenphos Ethion Ethoprop Fenitrothion Fenthion Formothion IPB Leptophos Merphos Naled Phosalone Phosmet Pirimiphos-ethyl Profenofos Propetamphos Pyrazophos Quinalphos Sulprofos Thiometon Triazophos Tribufos Trichorfon | Bromophos Etrimfos Iodofenphos Malathion Phoxim Propylthiopyrophosphate Temephos Tetrachlorvinphos |
Toxicité
La symptomatologie débute dans l’heure, un décès est même rapporté dans les 15 minutes qui ont suivi l’ingestion [7]. Trois syndromes caractérisent cette intoxication.
Enfin, un syndrome central qui associe une ataxie, des convulsions tonicocloniques généralisées, une encéphalopathie avec coma, aréflexie et respiration de Cheyne-Stokes. Senanayake et al. ont développé un score de gravité (tableau 23.2) de l’intoxication en se basant sur cinq signes cliniques (myosis, bradycardie, fréquence respiratoire, fasciculations et niveau de conscience) gradués de 0 à 2 plus un point additionnel en cas de convulsions [8]. Un score compris entre 8 et 11 caractérise une intoxication sévère avec un taux important de mortalité, une plus grande assistance ventilatoire et des doses en atropine plus importantes au cours des 24 premières heures. En 2007, un autre score a été proposé, le Simplified Acute Physiology Score (SAPS II). Un score supérieur à 11 serait de mauvais pronostic [9]. D’autres auteurs ont proposé des marqueurs pronostiques non cliniques [10–14].
Paramètres | Score |
---|---|
1. Myosis | |
– diamètre pupillaire > 2 mm | 0 |
– diamètre pupillaire ≤ 2 mm | 1 |
– diamètre pupillaire ponctiforme | 2 |
2. Fasciculations | |
– absentes | 0 |
– présentes mais ni généralisées ni continues | 1 |
– généralisées et continues | 2 |
3. Respiration | |
– fréquence respiratoire ≤ 20/min | 0 |
– fréquence respiratoire > 20/min | 1 |
– fréquence respiratoire > 20/min et cyanose | 2 |
4. Bradycardie | |
– fréquence cardiaque > 60/min | 0 |
– fréquence cardiaque entre 41–60/min | 1 |
– fréquence cardiaque ≤ 40/min | 2 |
5. Niveau de conscience | |
– conscient et orienté | 0 |
– altérée avec réponse adaptée aux ordres verbaux | 1 |
– altérée, pas de réponse aux commandes verbales (si présence de convulsions, rajouter 1) | 2 |
Total | /11 |
Les complications sont pour l’essentiel neurologiques. En 1987, Senanayake décrit un syndrome intermédiaire qui peut survenir 24 à 96 heures après l’intoxication et fréquemment après la rétrocession des signes cholinergiques. Ce syndrome est caractérisé par une paralysie des muscles proximaux des membres, des muscles fléchisseurs de la nuque, des muscles à innervation céphalique (oculomoteur externe : 6e paire crânienne ; ptosis bilatéral : 7e paire ; trouble du réflexe de déglutition : 9e paire) et des muscles du diaphragme à l’origine d’une insuffisance respiratoire aiguë. Ce syndrome est aussi caractérisé par l’absence de signes muscariniques et par une inhibition sévère et persistante des cholinestérases. Ce syndrome peut persister plusieurs semaines [15–18].
Une polyneuropathie retardée peut apparaître entre 3 et 6 semaines après l’intoxication. C’est une atteinte sensitivomotrice prédominante au niveau des membres inférieurs associant des paresthésies, des crampes musculaires, une fatigabilité progressive, une hypotonie, un syndrome pyramidal puis dans les cas les plus graves, une paralysie flasque. La diminution de la NTE (Neuropathy Target Esterase) lymphocytaire est corrélée à la survenue d’une neuropathie retardée. Dans les atteintes modérées, la résolution de la neuropathie est obtenue en 6 à 12 mois alors que des atteintes déficitaires séquellaires sont fréquentes dans les formes sévères [19, 20].
Un syndrome extrapyramidal associant hypertonie, tremblements de repos et hyperréflexie ostéotendineuse est également décrit. Cette complication est spontanément résolutive en quelques jours [21].
D’autres séquelles neuropsychiatriques sont associées à des expositions chroniques aux insecticides organophosphorés : troubles de la mémorisation à court terme, asthénie, confusion, dépression, psychose, Parkinson [22].
Sur le plan biologique, on retrouve fréquemment une hyperglycémie, hyperlipasémie et hyperamylasémie [23–25], une acidose métabolique lactique.
Analytique
Le dosage des AChE est plus fiable que celui des butyrylcholinestérases [26]. Si une diminution d’au moins 50 % des AChE est souvent associée à une symptomatologie clinique, il n’y a pas de corrélation entre l’importance de la baisse et la sévérité de l’intoxication, même si une inhibition de plus de 90 % est couramment associée à une intoxication sévère [11, 27]. L’importance de chute des AChE et butyrylcholinestérases n’a pas de valeur prédictive pour l’évolution. Il existe une corrélation entre l’importance de la baisse des AChE et la sévérité de l’atteinte de la transmission neuromusculaire (estimée par l’étude des vitesses de conduction nerveuse couplée à l’électromyographie [EMG]) [27]. Quant au dosage des butyrylcholinestérases, il doit être interprété avec prudence car elles peuvent être abaissées soit spontanément (âge, sexe), au cours d’une grossesse, de certaines pathologies (hépatites, cirrhose, tumeurs malignes, brûlures étendues), lors de prise de médicaments (métoclopramine, cytotoxiques, antibiotiques…) [28, 29]. Le dosage spécifique des organophosphorés ou de leurs métabolites permet de confirmer que l’inhibition des cholinestérases fait suite à une exposition aux pesticides [30–33]. Le dosage du p-nitrophénol dans les urines permet d’estimer une exposition au parathion.
Prise en charge thérapeutique
Le traitement symptomatique repose sur le maintien des fonctions vitales : oxygénothérapie, intubation et ventilation contrôlée, remplissage vasculaire en cas d’hypotension (secondaire aux pertes liquidiennes mais aussi due à une vasoplégie), administration de sulfate de magnésium en cas de troubles du rythme cardiaque. Si une induction séquence rapide est nécessaire pour intuber le patient, l’utilisation du rocuronium est préférable à la succinylcholine qui pourrait aggraver les paralysies. En effet, la succinylcholine étant métabolisée par les butyrylcholinestérases, il résulte de l’utilisation de celle-ci, une paralysie neuromusculaire prolongée. Les convulsions sont rapidement contrôlées par l’administration intraveineuse de médications GABAergiques telles que le diazépam, le midazolam ou le lorazépam. Le bronchospasme isolé des accidents d’inhalation est traité par un aérosol anticholinergique (bromure d’ipratropium). L’utilité d’un lavage gastrique en particulier plus d’une heure après ingestion est remise en question [33, 34]. L’hémodialyse et l’hémoperfusion ne sont pas efficaces [35].
Les oximes doivent être administrées le plus précocement possible [33]. En France, c’est la pralidoxime qui est utilisée pour régénérer les acétylcholinestérases ; la posologie est d’un bolus de 2 g perfusés par voie intraveineuse sur 30 minutes (certains proposent 30 mg/kg) suivi d’une dose d’entretien de 1 g/h pendant 48 heures puis au-delà des 48 heures, 1 g toutes les 4 heures jusqu’au sevrage respiratoire. Chez l’enfant : 25–50 mg/kg intraveineuse en 30 minutes suivis par 10–20 mg/kg/h en continu [36].
Carbamates insecticides
Les carbamates insecticides ont une toxicité similaire à celle des insecticides organophosphorés. Ils inhibent les différentes cholinestérases mais de façon réversible, la liaison carbamate-AChE étant hydrolysé dans un délai de moins de 24 heures (sauf pour l’aldicarbe). Leur toxicité est très variable selon la molécule (tableau 23.3). Les carbamates ne sont ni cancérogènes, ni reprotoxiques, ni génotoxiques.
Très toxique (DL50 < 50 mg/kg) | Toxique (50 < DL50 < 200 mg/kg) | Peu toxique (DL50 > 200 mg/kg) |
---|---|---|
Aldicarb Aldoxycarb Aminocarb Bendiocarb Carbofuran Dimetan Dimetilan Dioxacarb Formetanate Methiocarb Methomyl Oxamyl Propoxur | Bufencarb Carbosulfan Pirimicarb Promecarb Thiodicarb Trimethacarb | BPMC Carbaryl Isoprocarb MPMC MTMC XMC |
Prise en charge thérapeutique
Le traitement du syndrome muscarinique repose sur l’atropine. Les oximes ne sont généralement pas recommandées. Cependant, l’utilisation de la pralidoxime serait bénéfique dans l’intoxication par l’aldicarbe [37, 38]. L’idée que l’utilisation des oximes ne serait contre-indiquée que pour les intoxications par le carbaryle est remise en cause [39, 40] et dans tous les autres cas, si la réponse à l’atropine est insuffisante (ou si des organophosphorés sont associés), la pralidoxime doit être recommandée.
Insecticides organochlorés
Épidémiologie
Du fait de l’interdiction ou de réglementation très stricte dans l’utilisation des insecticides organochlorés en Europe et aux États-Unis, les cas d’exposition sont rares actuellement dans ces pays. En 2008, sur 88 022 cas d’exposition à un pesticide rapportés par les centres antipoison américains, un insecticide organochloré était impliqué dans 655 cas. Il n’y avait aucun cas grave ni de décès notifié [1]. Compte tenu de l’efficacité et du faible coût de production des insecticides organochlorés, ils sont encore utilisés dans les pays en voie de développement malgré les recommandations de la convention de Stockholm de 2001. En 2002, en Inde, une contamination alimentaire par de l’endosulfan est responsable de l’intoxication de 36 enfants dont trois vont décéder. Certains insecticides organochlorés tels que le γ-hexachlorocyclohexane (lindane) sont utilisés comme antipoux et ont été une source d’intoxication par mauvais usage. Actuellement, d’autres scabicides sont utilisés pour remplacer le lindane.
Pharmacocinétique
À des degrés divers, l’absorption des insecticides organochlorés peur se faire par ingestion, inhalation et contact cutané. La pénétration cutanée varie selon l’insecticide. Si le lindane et les cyclodiènes ont une bonne pénétration du derme, le DDT et le toxaphène sont faiblement absorbés par cette voie [41]. Les organochlorés sous forme solide sont peu volatils. La contamination par voie respiratoire s’observe lors de l’inhalation d’aérosol ou de poussières. Celles-ci peuvent être secondairement dégluties (salive, mucosités nasales) et être à l’origine d’une absorption digestive. Une fois absorbés, la majorité des insecticides organochlorés sont stockés dans le tissu adipeux sous forme inchangée. Ceux dont le métabolisme est lent pourront être détectés dans le lait. Lors de leur métabolisation, les organochlorés sont d’abord déchlorés puis oxydés et conjugués. Ils subissent ensuite un cycle entéro-hépatique après leur excrétion dans la bile.
Particularités selon l’âge : les enfants et les personnes âgées sont plus sensibles et développent plus facilement une atteinte neurologique lors de l’application cutanée de certains organochlorés [42–44]. Chez l’enfant, la peau est moins kératinisée alors que, chez le sujet âgé, la peau est atrophiée avec comme conséquence dans ces deux populations, une peau plus perméable à l’absorption des insecticides organochlorés.
Toxicité
Une irritation cutanée est observée en cas de contact. L’application d’une solution de lindane sur la peau peut être responsable de la survenue de convulsions chez l’enfant [45]. Un jeune garçon de 3 ans a présenté des nausées et vomissements puis des convulsions suivies d’un coma après l’application sur la peau d’une crème contenant 1 % de lindane pour le traitement d’une gale, à la sortie de son bain. La concentration sanguine en lindane à la 72e heure était mesurée à 54 ng/mL [46]. L’ingestion est responsable de signes digestifs : hypersalivation, nausées, vomissements, diarrhées, douleurs abdominales. Un cas de pancréatite est rapporté avec le chlordane et le lindane. Les effets les plus graves sont le résultat d’une stimulation du système nerveux central. Les effets apparaissent en quelques minutes à plusieurs heures, typiquement dans les 1 à 2 heures qui suivent l’ingestion. Des prodromes sont possibles pour le DDT à type de tremblements alors qu’ils sont absents pour le lindane, les cyclodiènes et le toxaphène : les premiers signes sont d’emblée des mouvements myocloniques ou des convulsions. Les autres signes observés sont une asthénie, des céphalées, des vertiges, une ataxie, des tremblements, une agitation, une confusion, un délire, une désorientation, une amnésie, une hyperesthésie ou des paresthésies atteignant la face, la langue, la bouche ou les extrémités, une faiblesse des membres inférieurs, des myoclonies, des fasciculations, une dépression du système nerveux central (somnolence à coma). Les convulsions peuvent être retardées (5 à 6 heures) si l’estomac est plein (après un repas). Elles peuvent durer plusieurs jours avec les cyclodiènes (aldrine, dieldrine, endrine, heptachlore, endosulfan). Les convulsions ne sont pas observées avec la chlordécone ou le DDT.
In vitro, certains organochlorés ont une activité œstrogénique-like et sont considérés comme des perturbateurs endocriniens. Si certaines études cas-témoins ont rapporté un possible rôle des organochlorés dans la survenue de cancer du sein, des études plus récentes n’ont pas retrouvé d’augmentation de risque de survenue de cancer lors de l’exposition aux insecticides organochlorés [47]. L’IARC a classé le DDT et son métabolite DDE comme cancérogène potentiel pour l’homme. Quelques cas d’anémie aplasique et d’anémie mégaloblastique sont rapportés lors de l’exposition au lindane ou au chlordane. Une rhabdomyolyse avec acidose lactique est décrite lors de l’ingestion de lindane. Certains auteurs ont évoqué une possible relation entre l’exposition chronique à des insecticides organochlorés et la survenue d’une sclérose latérale amyotrophique ; des cas de porphyries mixtes ou cutanées ont été décrits avec le lindane.
Analytique
Les insecticides organochlorés peuvent être identifiés par chromatographie en phase gazeuse. Lors d’une ingestion de lindane, une concentration sérique de 0,12 mg/L serait corrélée avec une somnolence alors que des convulsions et un coma sont observés pour des concentrations sériques de 20 mg/L [48]. Les décès publiés sont associés à des concentrations en endosulfan compris entre 1,5 et 30 mg/L alors des valeurs moyennes de 0,5 mg/L sont mesurées chez les survivants [49], des concentrations sanguines mortelles de 544 mg/L sont rapportés pour l’eldrine [50]. Cependant, l’identification et le dosage de l’insecticide organochloré ne sont pas nécessaires à la prise en charge de l’intoxication. Comme ils sont stockés dans les tissus graisseux, les organochlorés peuvent être dosés dans le lait maternel ou dans une biopsie de tissu adipeux pour confirmer une exposition ancienne.
Prise en charge thérapeutique
Le traitement est symptomatique avec protection des voies aériennes, maintien des fonctions vitales. Les convulsions sont contrôlées par les benzodiazépines, parfois associées au pentobarbital ou au propofol dans les états de mal épileptique (endosulfan) [51]. La phénytoïne ne doit pas être utilisée pour les convulsions dues au lindane ou à la chlordécone car dans un modèle animal, la phénytoïne aggrave les signes neurologiques dus au lindane et à la chlordécone. Par ailleurs, une femme de 32 ans traitée pour une épilepsie par de la phénytoïne, boit accidentellement entre 10 et 25 mL d’une solution de lindane à 1 %. Rapidement elle présente des vomissements et des convulsions durant 1 à 2 minutes. Le taux sérique du lindane est mesuré à 0,13 μg/mL et celui de la phénytoïne à 7 mg/dL [52].
Décontamination
En cas d’exposition cutanée ou oculaire, le rinçage est impératif. Le lavage gastrique ne peut être envisagé que pour des ingestions massives vues précocement. Cependant toutes les précautions doivent être prises pour éviter l’inhalation bronchique et le risque de survenue de pneumopathie chimique car les insecticides organochlorés sont fréquemment dissous dans des solvants hydrocarbures. Le charbon activé peut être administré pour diminuer l’absorption digestive mais plusieurs études chez l’animal tendent à montrer que les insecticides organochlorés sont peu absorbés sur le charbon alors que la cholestyramine aurait un meilleur pouvoir absorbant [49, 53].
Pyrèthres et insecticides pyréthrinoïdes
Toxicité
Les pyréthrinoïdes de synthèse sont divisés en deux classes basées sur l’absence (type I) ou la présence (type II) d’un groupement α-cyano à l’origine d’une toxicité différente [54] ; les types I induisent des tremblements avec ataxie suivis d’une paralysie flasque. Le type II a des effets plus importants incluant une hypersensibilité, des tremblements, des convulsions, une hypersialorrhée, une hyperexcitabilité musculaire et une paralysie.
Les pyréthrinoïdes pénètrent dans l’organisme par ingestion, inhalation ou absorption cutanée [55, 56]. En raison d’une inactivation digestive (hydrolyse par des estérases du tube digestif) et hépatique (hydroxylations multiples) importantes et précoces, la toxicité des pyréthrinoïdes par ingestion est extrêmement faible chez tous les mammifères (DL50 > 1 g/kg). Les métabolites sont éliminés dans les urines. Il n’y a pas de corrélation entre la concentration urinaire des métabolites et la symptomatologie clinique. Les pyréthrinoïdes sous forme inchangée peuvent être dosés dans le plasma, leur concentration peut expliquer les signes cliniques. Cependant, les pyréthrinoïdes ne restent détectables dans le plasma que quelques heures après l’exposition. La majorité des cas d’intoxication humaine est le fait des pyréthrinoïdes de type II. Lors de l’exposition, en quelques minutes (moins d’une heure), on observe des signes locaux irritatifs : cutanée (érythème prurigineux, papules, vésicules), oculaire (lésions de la cornée possibles), ORL (rhinorrhée, éternuements, congestion nasale, picotements de gorge), respiratoire (oppression thoracique, toux, dyspnée, voire bronchospasme irritatif de mécanisme non allergique), neurologiques (dysesthésies faciales ou des extrémités à type de sensation de cuisson et prurit, engourdissement des lèvres ou de la langue) et des signes d’intoxication systémique : céphalées, vertiges, ataxie, fasciculations, convulsions possibles si intoxication importante, coma avec dépression respiratoire (surtout en cas de solvant hydrocarbure), tachycardie sinusale (rare) d’évolution transitoire, hypotension, collapsus, troubles de l’excitabilité myocardique, surtout en cas d’hypoxie ou d’administration de catécholamines ; une pneumopathie d’inhalation peut compliquer le tableau clinique en cas de fausse route notamment si le solvant de l’insecticide est un hydrocarbure. Les troubles digestifs sont rares et non spécifiques : nausées, vomissements, douleurs abdominales, crampes abdominales, ténesme, gastrite. Les paresthésies semblent être dose-dépendantes et spontanément réversibles en moins de 24 heures. Elles sont la conséquence de la stimulation directe des terminaisons sensitives locales et non d’une atteinte systémique.
Des patch-tests positifs étaient rapportés chez 70 % des travailleurs exposés professionnellement aux insecticides pyréthrinoïdes [57].
Prise en charge thérapeutique
Elle repose sur le maintien des fonctions vitales et un traitement symptomatique. Il n’y a pas d’antidote. Du fait de la présence de solvants hydrocarbures dans les préparations ou de surfactants, le lavage gastrique est déconseillé car il expose, en l’absence de protection des voies aériennes, au risque de survenue d’une pneumopathie d’inhalation. Les benzodiazépines sont efficaces sur les convulsions. L’application locale de pommade à la vitamine E semble améliorer et abréger les paresthésies [58].
Insecticides formamidines
Toxicité aiguë
Les intoxications par l’amitraze sont généralement bénignes. L’absorption cutanée est faible et négligeable par voie respiratoire, l’absorption orale est rapide et importante. Les symptômes apparaissent dans un délai de 30 minutes à 2 heures. L’amitraze est responsable d’une dépression du système nerveux central (somnolence, coma), d’un myosis, d’une bradycardie, d’une hypotension artérielle, de vomissements et d’une hypersialorrhée. Sont aussi rapportées, hypothermie, diarrhée, douleur abdominale et dépression respiratoire. Les convulsions sont plus fréquentes chez les enfants. Une tachycardie et des torsades de pointe sont aussi décrites au décours d’exposition à l’amitraze. Sur le plan biologique, une hyperglycémie et une augmentation modérée des transaminases hépatiques sont fréquemment rapportées [59]. Le chlordiméforme est aussi impliqué dans la survenue d’une méthémoglobinémie et d’une hématurie sur cystite hémorragique. Il n’y a pas de cas rapporté de méthémoglobinémie avec l’amitraze malgré que l’un de ses métabolites, le 2,4-diméthyl aniline soit connu pour être à l’origine de méthémoglobinémie toxique. La guérison est généralement obtenue dans les 24 à 48 heures, si les décès restent rares, ils sont possibles dans les intoxications sévères. Plusieurs cas de pneumopathie d’inhalation sont décrits dans la littérature. C’est généralement le solvant, du xylène, présent dans la préparation qui en est à l’origine. Un cas de tentative de suicide chez un homme de 35 ans qui a bu entre 50 et 100 mL d’une solution à base d’amitraze (soit entre 6,25 g et 12,5 g d’amitraze). À son arrivée aux urgences 3 heures après l’ingestion, il présente un coma (score de Glasgow à 3) avec une bradycardie à 35/min, une hypothermie à 34,5 °C, une tension artérielle imprenable et fait un arrêt respiratoire. Il est intubé, ventilé et reçoit de l’atropine et de dopamine associée à un remplissage vasculaire. Il reprend conscience 22 heures après l’ingestion et est extubé à la 24e heure. Il va présenter une hyperglycémie à 5 g/L durant 5 jours et va guérir sans séquelle.
Analytique
En présence d’une cyanose, il faut mesurer les gaz du sang et doser la méthémoglobinémie. Dans un cas, un taux plasmatique d’amitraze est mesuré à 100 ng/mL deux heures après l’ingestion chez un patient resté asymptomatique alors que dans un autre cas, le patient a juste présenté des vertiges pour une concentration d’amitraze à 500 ng/mL. Les dosages ne sont pas nécessaires à la prise en charge thérapeutique sauf s’il y a un doute sur l’étiologie ou en cas de problème médico-légal [60]. Compte tenu de la similitude des symptômes avec ceux d’une intoxication aux organophosphorés, un taux normal des cholinestérases érythrocytaires et des pseudocholinestérases permet d’exclure l’étiologie organophosphorée.
Prise en charge thérapeutique
Elle est symptomatique avec maintien des fonctions vitales. Compte tenu de la relative faible toxicité de l’amitraze et de la présence de solvant hydrocarbure, le lavage gastrique est déconseillé sauf dans les cas d’ingestion massive ou de la prise conjointe de toxiques plus graves. Dans ces cas, la protection des voies aériennes (intubation) est indispensable. La bradycardie est traitée par l’administration d’atropine éventuellement associée à un sympatomimétique [61, 62]. La yohimbine et l’atipamézole ont été utilisés avec succès chez le chien [63] ; certains auteurs recommandent l’utilisation du DMPS dans le traitement des intoxications au chlordimeforme en Chine [64].
Imidaclopride
Toxicité
L’imidaclopride n’est pas irritant pour la peau et les muqueuses mais le solvant notamment s’il s’agit de N-méthylpyrrolidone peut être responsable de lésions des muqueuses ; en cas d’ingestion, les symptômes apparaissent dans l’heure [65]. Plusieurs cas humains d’ingestion massive d’imidaclopride sont publiés et font état d’une somnolence, de tremblements avec ataxie, de diminution du tonus musculaire avec des épisodes de crampes, d’un arrêt respiratoire, de coma [66] et de troubles du rythme cardiaque (bradycardie, tachycardie, fibrillation ventriculaire) [65, 67, 68]. Une phase de stimulation précède celle de dépression du système nerveux central. Un arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire est survenu 2 heures après l’ingestion de 200 mL d’une solution à base d’imidaclopride (19,2 mg). La patiente est décédée à la 12e heure dans un tableau de choc réfractaire.
Diquat
Clinique
Par contact, les préparations à base de diquat sont responsables de lésions irritantes à caustiques. L’atteinte de la muqueuse buccale avec sensations de brûlure et ulcérations hémorragiques est fréquemment observée lors des ingestions de diquat. Un œdème atteignant la langue et l’hypopharynx nécessitant une intubation est aussi rapporté. Des épistaxis et une irritation respiratoire sont également rapportés lors de l’inhalation de gouttelettes pendant la préparation de la bouillie ou de son épandage, de même que la survenue de conjonctivite ou de kératite par suite de projection oculaire. Un cas de nécrose extensive de la muqueuse vaginale et de la vulve consécutive à une injection intravaginale d’une solution de diquat à 6 % a été publié [71].
Analytique
Lors du test à la dithionite de sodium, le diquat colore les urines en vert [72]. Un test négatif six heures après l’ingestion signe généralement une faible quantité ingérée. Plusieurs techniques permettent de doser simultanément le diquat et le paraquat dans les liquides biologiques [73, 74].