Chapitre 23 Hémorragie en début de travail
conduite à tenir
Devant une hémorragie génitale au début du travail, deux étiologies sont à rechercher en priorité, en raison de leur gravité : le placenta praevia et l’hématome rétroplacentaire.
Conduite à tenir à l’entrée en salle de naissance
La démarche est triple, il faut :
Examen clinique
La vérification des échographies obstétricales de dépistage et du terme est importante.
Gestes immédiats à faire
Avant de rechercher l’étiologie, certains gestes doivent être faits en urgence.
La mise en place d’une voie d’abord veineuse sûre et efficace. Elle est installée pour permettre :
Un monitorage externe est mis en route pour apprécier les contractions utérines et surveiller la vitalité fœtale à mesure que la réanimation et le traitement de la cause de l’hémorragie sont mis en œuvre.
Conduite à tenir en fonction de l’étiologie
Placenta praevia
C’est la première étiologie qu’il faut évoquer devant une hémorragie en fin de grossesse.
Tableau clinique
Le placenta praevia se caractérise par l’insertion du placenta sur le segment inférieur de l’utérus. Le placenta peut être latéral (à distance de l’orifice interne du col), marginal (au ras du col), partiellement ou totalement recouvrant (figure 23.1).
Le placenta praevia hémorragique se rencontre dans moins de 0,5 % des grossesses [35]. La plupart du temps, la patiente a présenté des hémorragies avant le début du travail et l’insertion basse du placenta devrait être connue lors de l’échographie du 8e mois ou avant. Dans ces cas, une rechute de l’hémorragie en début de travail est à craindre. Parfois, la première hémorragie ne se produit qu’au début du travail.
Certains facteurs sont souvent associés au placenta praevia : âge maternel avancé, multiparité, utérus cicatriciel, nombre de césariennes (RR = 4,5 après une césarienne et 7,4 après deux) et antécédents d’avortements spontanés ou non (RR = 1,30) [4, 24], malformations utérines, fibromes sous-muqueux. Le tabagisme serait moins mis en cause [13].
Diagnostic
C’est l’échographie qui représente l’examen capital, à pratiquer avant le toucher vaginal. La précision de l’échographie vaginale est meilleure (92,8 %) que celle de l’échographie abdominale (75,6 %), surtout dans les formes postérieures ou chez l’obèse [28, 42]. Elle doit être pratiquée en milieu hospitalier.
Où accoucher avec un placenta praevia ?
Étant donné la gravité pour la mère et l’enfant de cette pathologie, une femme qui a un placenta praevia connu doit accoucher dans un établissement de niveau II ou III selon le terme. Si le placenta praevia est découvert lors de l’arrivée en salle de naissance, la patiente doit être transférée sauf urgence vitale ou accouchement imminent. Ce serait une faute d’accepter l’accouchement d’une femme avec un placenta praevia connu dans un établissement de niveau I. N’oublions pas que l’hémorragie reste encore la première cause de mortalité maternelle en France [12].
Conduite à tenir (figure 23.2)
Après 34 semaines d’aménorrhée
La césarienne immédiate s’impose si le placenta est recouvrant, si l’hémorragie est abondante, mettant en danger la mère, et s’il y a souffrance fœtale ou présentation autre que le sommet.
La rupture artificielle des membranes peut être proposée si le placenta est latéral ou marginal, l’hémorragie modérée, la présentation céphalique. Si la présentation descend et l’hémorragie diminue, l’accouchement est souvent possible par les voies naturelles ; il faut cependant surveiller étroitement la patiente et la vitalité fœtale. En cas de reprise de l’hémorragie, de dilatation traînante ou de souffrance fœtale, la césarienne est pratiquée.
Avant 34 semaines d’aménorrhée
Les bêtamimétiques sont contre-indiqués en période hémorragique du fait de leur effet vasodilatateur. Ils nécessitent un contrôle du pouls et de la tension artérielle, un électrocardiogramme, l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal sur 30 minutes et un bilan sanguin (glycémie, ionogramme, hémogramme).
La tocolyse par Tractocile® permet de retarder l’accouchement de façon significative sans augmentation du risque de saignement et de transfusion [10] et sans augmentation de la morbidité et mortalité maternelle [44].
En pratique, 80 % des placentas praevia nécessitent une césarienne (figure 23.3). Il faut prévoir du sang avec le centre de transfusion, et se faire aider par un opérateur chevronné si on est un opérateur peu expérimenté, car l’intervention peut être difficile et très hémorragique, surtout si le placenta est antérieur. En l’absence d’hémorragie vaginale très importante, l’anesthésie loco-régionale est indiquée car elle protège d’une spoliation sanguine par rapport à l’anesthésie générale [20].
Complications du placenta praevia
Il y a danger ici pour la mère et pour le fœtus.
La mère court un risque hémorragique
Si elle accouche par voie basse, c’est l’hémorragie de la délivrance. Le placenta est ici inséré sur le segment inférieur qui se contracte mal. Il faut recourir alors à la délivrance artificielle ou à la révision utérine si le placenta est expulsé. Une perfusion d’ocytociques est posée. En cas d’hémorragie persistante, on peut avoir recours aux injections de prostaglandines, voire à une embolisation artérielle par voie fémorale ou axillaire rétrograde avec injection de Spongel®.
Si l’état hémodynamique de la patiente est instable et que l’embolisation n’est pas réalisable, on pratique une ligature bilatérale des hypogastriques (voir la technique dans Pratique chirurgicale en gynécologie-obstétrique, 3e édition, Elsevier-Masson, p. 275), un capitonnage utérin (techniques de B-Lynch, de Cho), une triple ligature (technique de Tsirulnikov), voire même une hystérectomie d’hémostase (voir Chapitre 26, p. 375).
La césarienne ne protège pas du risque hémorragique, surtout en cas de placenta praevia antérieur. Comparée à une population témoin de césarienne, le risque relatif de transfusion sanguine est 6,5 fois plus important et, dans 4,5 % des cas, une hystérectomie d’hémostase est nécessaire [41]. Si un placenta praevia est diagnostiqué pendant la grossesse, en l’absence d’anémie, des transfusions autologues pourraient être envisagées lors de la césarienne avec récupération sanguine par cell-saver.
Pronostic maternel
La mortalité maternelle diminue régulièrement pour être inférieure à 1 %, voire nulle dans les dernières statistiques [11]. L’hémorragie et la défibrination sont responsables des décès.
La morbidité maternelle reste élevée dans 20 à 60 % des cas.
L’anémie prédispose aux accidents infectieux (endométrite, septicémie) et thrombo-emboliques. La prévention de l’iso-immunisation Rhésus chez les femmes Rhésus négatif est faite dans les suites de couches ; l’efficacité doit être vérifiée par le test de Kleihauer.
Pronostic néonatal
La mortalité périnatale liée à la prématurité et aux chocs hémorragiques maternels est en baisse : 3 à 8 % depuis 10 ans, voire 2,3 % pour Crane et al. [18]. L’extraction par voie haute améliore le pronostic dans toutes les variétés de placenta praevia.
La morbidité néonatale est consécutive aux détresses respiratoires (20 %), aux anémies (8,8 à 25,5 %) et aux hypotrophies nécessitant un accueil pédiatrique à la naissance.
Placenta accreta
Le placenta accreta est défini par l’insertion des villosités choriales placentaires directement en contact avec les fibres musculaires du myomètre sur tout ou partie de la face maternelle et pénétrant plus ou moins profondément dans le myomètre. Il est dit increta s’il envahit le myomètre et percreta s’il dépasse le myomètre, envahissant parfois la vessie (figure 23.4). Le plus souvent, le terme de placenta accreta est utilisé pour les trois formes.
L’incidence du placenta accreta a été multipliée par dix dans les cinquante dernières années et serait de 1/2 500 accouchements [33]. Il est plus fréquent chez les femmes qui ont un utérus cicatriciel du fait d’une ou plusieurs césariennes, d’une myomectomie ou d’une chirurgie pour malformation utérine. Il est plus fréquent si la cicatrice est associée à un placenta praevia antérieur situé sur celle-ci. Dans ce cas le risque augmente avec le nombre de cicatrices, passant de 24 % chez la femme qui a eu une césarienne à 67 % chez celle qui a eu trois césariennes ou plus.
Si le diagnostic est suspecté on doit :
L’intervention sera programmée vers 36–37 semaines en l’absence de saignements. Les problèmes techniques de la césarienne sont détaillés dans le Chapitre 31, p. 466.
Une étude française [37] portant sur 167 cas de placenta accreta a montré que 131 (78 %) avaient eu un traitement conservateur avec succès mais une morbidité assez lourde, de 6 %. Par ailleurs, 36 femmes ont eu une hystérectomie première et 18 une hystérectomie secondaire après échec du traitement conservateur (10 %). Le traitement conservateur est donc possible en sachant que la résorption du placenta est en moyenne de 13 semaines (4 à 60 semaines). Après le traitement conservateur, 96 femmes ont été suivies : 8 avaient une aménorrhée du fait d’une synéchie ; 27 désiraient une grossesse : 24 eurent 34 grossesses (dont une grossesse extra-utérine, 2 IVG, 10 fausses-couches spontanées) et 21 accouchèrent après 34 SA (77 %), mais avec un fort taux de récidive (6/21 = 28 %) et 20 % eurent une hémorragie du post-partum [38].
Hématome rétroplacentaire
Tableau clinique
L’hématome rétroplacentaire (HRP) ou décollement prématuré d’un placenta normalement inséré survient lorsqu’un placenta normalement inséré se détache de la déciduale basale avant la naissance de l’enfant.
Le tableau est plus grave que celui du placenta praevia car à l’hémorragie, liée au décollement, se surajoutent souvent des troubles de la coagulation [1]. Malgré les progrès réalisés dans la surveillance de la grossesse, et le traitement de la toxémie gravidique, la fréquence de l’hématome placentaire semble peu diminuer : 0,5 % des accouchements. L’accident est responsable d’une mortalité périnatale de 20 à 35 % et d’une morbidité néonatale importante, 10 % des enfants survivants développant des troubles neurologiques importants [46].
Un certain nombre de facteurs favorisent le décollement prématuré d’un placenta normalement inséré de façon spontanée : l’hypertension artérielle [3], le tabagisme, la rupture prématurée des membranes prolongée [5, 26], une chorioamniotite [8], des antécédents d’hématome rétroplacentaire, des déficits en acide folique [34], la consommation de cocaïne [25]. Les troubles de la crase sanguine sont présents dans 20 à 30 % des cas [1]. Le mécanisme est lié à une coagulation intravasculaire disséminée associée à une coagulation rétroplacentaire. Dans les formes sévères, des taux de PDF ou de D-dimères sont significatifs. La baisse importante du fibrinogène s’accompagne secondairement d’une thrombopénie. Dans 20 % des cas, il faut redouter une inertie utérine résistant au traitement par l’ocytocine.
Sher [39], dans une étude statistique de 850 décollements prématurés d’un placenta normalement inséré, a retrouvé 86 coagulopathies de consommation et a observé, dans 20 % des cas, une inertie au traitement par l’ocytocine. Il a remarqué que l’inertie utérine s’observait surtout dans les cas où les produits de dégradation de la fibrine avaient un taux supérieur à 320 µg/mL. L’inertie utérine serait liée à l’élévation du taux de PDF, de thromboplastine et, peut-être, à d’autres facteurs liés à la coagulopathie. Il est donc capital de dépister l’hémorragie rétroplacentaire dès son début avant qu’une coagulopathie grave ne soit installée.