12: Douleur et analgésie obstétricale

Chapitre 12 Douleur et analgésie obstétricale





Il n’est pas possible d’envisager ici la totalité des techniques décrites concernant l’anesthésie et l’analgésie obstétricales. Nous centrerons notre propos sur l’analgésie loco-régionale dont bénéficient actuellement plus de 75 % des parturientes en France. Nous parlerons sommairement des méthodes psychothérapiques (accouchement sans douleur) et physiothérapiques (acupuncture, anesthésie électrique). Le lecteur intéressé par ces techniques pourra se tourner vers des ouvrages plus spécialisés.



Analgésie loco-régionale



Anesthésie péridurale


C’est la plus utilisée des techniques d’anesthésie loco-régionale. Elle a été réalisée pour la première fois en France en 1901 grâce à l’action conjointe de deux urologues : les docteurs Sicard et Cathelin. Ce n’est qu’en 1949 que Curbello a imaginé la possibilité d’introduire un cathéter à travers l’’aiguille de ponction (aiguille de Tuohy). Avant cette invention, la durée d’action de l’anesthésie péridurale était, avec les anesthésiques locaux utilisés à cette époque, inférieure à une heure et il n’était pas envisageable de répéter indéfiniment les ponctions. Nous avions désormais la solution idéale à ce problème qui avait été la cause du retard entre la découverte de la péridurale et son utilisation en obstétrique. Avec le développement des moyens techniques et pharmacologiques actuels, elle a supplanté les autres méthodes d’analgésie qui sont toutes imparfaites et ne permettent en aucun cas de réaliser un acte chirurgical. Elle a aussi remplacé l’anesthésie générale, plus dangereuse et peu satisfaisante sur le plan psychologique.


C’est la seule technique qui permette d’assurer une analgésie du travail obstétrical sans altérer la conscience de la mère.


Sa puissance anesthésique permet aussi de réaliser dans le confort le plus absolu des actes chirurgicaux tels que les extractions instrumentales par voie basse et les césariennes, toujours dans le respect de l’intégrité psychologique de la parturiente, ce qui est fondamental dans un contexte aussi riche émotionnellement que celui de la naissance.




Principe et réalisation


La douleur de l’accouchement prend naissance au niveau des terminaisons nerveuses de l’utérus et des muscles du périnée. Ce message est acheminé via la moelle épinière jusqu’aux structures cérébrales où il est reconnu et interprété comme phénomène douloureux. L’injection d’un anesthésique local autour de la moelle épinière vient inverser la polarité membranaire des cellules nerveuses et jouer en quelque sorte le rôle d’un interrupteur dans un circuit électrique et empêcher l’arrivée du signal douloureux jusqu’au cerveau. En réalité, les modifications anatomiques et biochimiques locales qui sont le siège du phénomène douloureux sont bien réelles et persistantes, mais le message douloureux n’étant pas transmis au cerveau, la patiente ne le reconnaît plus en tant que tel.




Techniques d’abord de l’espace péridural (voir figure 12.2)


L’accès à l’espace péridural se fait par voie lombaire au niveau des espaces intervertébraux L2-L3, L3-L4 ou L4-L5. On ne doit jamais ponctionner au-dessus de l’espace L2-L3 car la moelle épinière se termine normalement en L1, et jamais au-dessous de L2. En respectant cette règle, on évite tout risque de blessure de la moelle au cours de la ponction. Il est souvent assez difficile de repérer, par la simple palpation du dos, le niveau exact de ponction. Actuellement, grâce à l’aide de l’échographie, on peut le situer de façon très précise, et ce quelle que soit la morphologie dorso-lombaire de la patiente Une anesthésie préalable de la peau avec une aiguille intradermique et de la lidocaïne à 1 % permet de rendre le passage de l’aiguille de Tuohy, à travers les différents plans, pratiquement indolore.


La pression dans l’espace péridural étant nulle ou négative, lorsque l’aiguille y pénètre, on ressent une brusque sensation de perte de résistance. On met ensuite en place un cathéter qui permet d’entretenir l’anesthésie autant qu’on le souhaite et on termine par le branchement d’un filtre antibactérien à l’extrémité libre du cathéter. Il faut toujours s’assurer qu’il n’y a aucun reflux par l’aiguille ou par le cathéter, soit de sang, soit de liquide céphalo-rachidien, auquel cas il serait nécessaire de réitérer la ponction dans un espace différent.


La grossesse provoque ou accentue une hyperlordose lombaire qui diminue l’angle d’abord de l’espace péridural. On compense cette difficulté en demandant à la parturiente d’adopter la position fœtale.


La rétention hydrique d’origine hormonale diminue la résistance des différents plans ligamentaires traversés, ce qui oblige l’anesthésiste à pratiquer le geste avec dextérité et prudence. Lorsqu’on a franchi le ligament jaune, la dure-mère se laisse refouler sur une longueur de 3 à 5 mm au maximum. Au-delà de cette distance, il y a perforation de la dure-mère avec pour conséquence un risque important de céphalées que nous évoquerons plus loin. Pour le confort de la patiente et pour préserver la qualité de la circulation maternelle et fœtale, il est préférable de pratiquer la ponction de l’espace péridural chez une femme allongée en décubitus latéral gauche de façon à dégager la veine cave inférieure.



Effets physiologiques [32]




Actions cardio-vasculaires


Elles découlent de l’action de l’anesthésique local sur les fibres neurovégétatives. Le système nerveux sympathique se distribue en un contingent parasympathique cervical et sacré, et un contingent orthosympathique dorso-lombaire. Lorsqu’on pratique une anesthésie péridurale lombaire, on anesthésie essentiellement les fibres orthosympathiques qui gèrent le tonus vasomoteur de tout l’hémicorps inférieur. Il en résulte une vasodilatation qui peut entraîner une diminution importante du retour sanguin veineux aux cavités cardiaques, pouvant à l’extrême entraîner un collapsus (voire un arrêt cardiaque) maternel et une souffrance fœtale par diminution de la pression de perfusion placentaire secondaire à la diminution du débit cardiaque [27]. Cela est surtout vrai pour la césarienne. En raison des faibles concentrations et des faibles volumes d’anesthésique local utilisés pour l’accouchement par voie basse, l’incidence de cet effet vasodilatateur sur les constantes vitales maternelles et fœtales est en général très discrète.


Quatre mesures préventives permettront d’atténuer les conséquences de la vasodilatation périphérique :






À notre avis, la sage-femme doit pouvoir utiliser ce médicament en urgence car un retard dans la prise en charge d’un collapsus maternel ou d’une souffrance fœtale aiguë secondaire à l’hypotension maternelle pourrait être beaucoup plus grave de conséquences que l’administration d’éphédrine qui ne comporte pratiquement aucun risque. Elle doit néanmoins en avertir aussitôt l’anesthésiste-réanimateur et aussi l’obstétricien s’il existe des stigmates de souffrance fœtale.


La surveillance de la tension artérielle doit être rapprochée : toutes les 3 minutes pendant 15 minutes après l’injection d’anesthésique local. Elle pourra ensuite être espacée tous les quarts d’heure. Il est souhaitable d’associer, à la surveillance tensionnelle, le monitorage de l’électrocardiogramme et de la SAO2.


Aux concentrations d’anesthésique local utilisées pour l’analgésie obstétricale, la vasoplégie est très peu importante et la baisse de tension artérielle minime. En revanche, l’anesthésie péridurale ou la rachianesthésie pour césarienne peuvent entraîner une hypotension brutale et sévère. L’anesthésiste présent auprès de la patiente possède les moyens et les compétences pour surveiller et traiter cet incident, et il est parfois souhaitable d’instaurer un traitement hypotenseur préventif. On peut alors utiliser de l’éphédrine seule ou une association d’éphédrine et de néosynéphrine.






Pharmacologie



Anesthésiques locaux


Les anesthésiques locaux utilisés en anesthésie péridurale sont de la famille des amides.





Adjuvants




Morphiniques

Initialement considérés comme des adjuvants à utiliser dans des situations particulières, ils sont devenus quasi indissociables des anesthésiques locaux pour l’analgésie obstétricale. Leur intérêt réside dans le fait qu’ils agissent par des mécanismes complètement différents des anesthésiques locaux. De ce fait, il n’y a pas potentialisation des effets secondaires délétères de chacun des deux médicaments mais simplement synergie analgésique. Les morphiniques se fixent sur les récepteurs µ de la corne postérieure et de la moelle mais n’ont pas d’action sur le système neurovégétatif. Ils n’induisent donc pas d’hypotension artérielle par vasodilatation périphérique, ni de bloc moteur. Ils raccourcissent le délai d’action et allongent la durée d’action de l’anesthésique local tout en gommant plus ou moins les petites imperfections techniques telles que les analgésies asymétriques. Cela peut être considéré comme un avantage, en rendant parfois tolérable la douleur résiduelle dans un accouchement eutocique en cas de péridurale latéralisée. Ce peut être aussi un grand inconvénient si la seconde phase du travail se trouve être prolongée et hyperalgique et a fortiori si elle se termine par une assistance instrumentale, car le morphinique n’est jamais suffisant à lui seul pour traiter ce type de douleur. Il faut toujours techniquement corriger une péridurale imparfaite, même si cela passe par une nouvelle ponction si nécessaire. Rien n’est plus décevant que de s’être contenté d’un acte médical imparfait en cours de travail qui se termine par un échec de la gestion de la fin de l’accouchement.


Utilisés seuls, les morphiniques ne permettent pas d’obtenir une analgésie suffisante, surtout pour la seconde partie du travail. En monothérapie, il faudrait des doses qui pourraient s’avérer délétères pour le fœtus car le passage transplancentaire est rapide (inférieur à 3 minutes) et important [27]. Il faut donc les associer systématiquement aux anesthésiques locaux. On peut ainsi réduire les concentrations de chacun des deux produits et obtenir le meilleur rapport qualité d’analgésie/effets secondaires.


Pendant l’accouchement, on a recours aux morphiniques liposolubles. Le sufentanil est le seul morphinique à posséder l’AMM pour administration en anesthésie péridurale obstétricale. On l’utilise en bolus à la dose de 2,5 à 5 µg et en entretien à la dose de 0,25 µg/mL de solution en PCEA. Leur inconvénient principal est d’entraîner fréquemment du prurit. Ils peuvent aussi favoriser un état nauséeux et entraîner un léger état de dysphorie.


En raison de leur passage transplacentaire important et rapide, on a cru pendant longtemps qu’il était formellement interdit d’utiliser les morphiniques en obstétrique. L’expérience clinique nous a appris qu’aux doses préconisées, ces médicaments n’ont pas d’effet délétère sur l’état du fœtus à la naissance.




Nuances apportées par la situation obstétricale


Il faut ici rappeler en préambule la distribution des différentes voies de la douleur en obstétrique. Les sensations douloureuses correspondant à l’étirement des fibres musculaires du corps et du col utérin se projettent au niveau de la moelle en D10-D12 avec des rameaux accessoires pouvant aller de D9 à L1 (voir figure 12.3).


Les douleurs provoquées par la compression des muscles du petit bassin (psoas et releveurs du périnée) se projettent dans les racines sacrées de S1 à S4.


En première partie du travail, si la présentation est encore élevée, au maximum fixée, il suffit d’administrer de faibles volumes (6 à 8 mL) et de faibles concentrations (0,25 à 1 %) de Naropeine® associée à des morphiniques pour obtenir une bonne analgésie.


Une anesthésie aussi légère et aussi peu étendue n’a que de faibles répercussions neurovégétatives et motrices (tableau 12.1).


Tableau 12.1. Voies nerveuses intervenant dans la transmission de la douleur pendant les deux premières périodes du travail.












Stades du travail Voies nerveuses
Première période Fibres C empruntant le système sympathique (D10-D11-D12-L1)
Seconde période Idem + afférences somatiques fibres A, nerfs honteux internes S2-S3-S4.

Dès que la tête est engagée, il faut réaliser une analgésie étendue de D9-D10 en haut à S4 en bas, ce qui nécessite un volume d’anesthésique local plus important (8 à 12 mL) et une surveillance tensionnelle rapprochée. Il faut adapter la concentration au résultat désiré. Si la présentation est en variété postérieure, la rotation de la présentation se fera en appui sur le plan musculaire des releveurs du périnée. Théoriquement, on pourrait imaginer qu’un bloc moteur de la zone musculaire de ces muscles risque d’augmenter des vices de rotation et de progression de la tête fœtale. Donc, dans les variétés postérieures, tant que la tête n’est pas descendue sur le plancher pelvien, il y a intérêt à utiliser des concentrations d’anesthésique local relativement faibles, mais sans descendre au-dessous du seuil d’efficacité analgésique.


En revanche, pour le dégagement de la tête, quelle que soit la variété de position, un bloc musculaire permet un meilleur relâchement périnéal. S’il y a nécessité d’extraction instrumentale, il faudra augmenter la concentration d’anesthésique local en utilisant de la ropivacaïne à 2 %. En situation d’urgence, il faut parfois avoir recours à des anesthésiques locaux dont le délai d’action est plus court (lidocaïne à 1 ou 2 %).


Lorsque l’accouchement est eutocique, on peut laisser réapparaître un certain seuil de douleur à la phase expulsive pour que la patiente perçoive mieux le besoin de pousser et coopère davantage. Cela s’obtient en évitant de faire des réinjections tardives et attendre que le niveau d’analgésie commence à régresser. En procédant ainsi, on peut espérer diminuer le nombre d’extractions instrumentales rendues nécessaires par un défaut de coopération de la patiente. Cette préconisation largement répandue d’utiliser de très faibles doses est actuellement fortement recommandée en France. Il nous paraît néanmoins important de nuancer cette affirmation qui doit respecter le niveau d’analgésie souhaité par la patiente d’une part et les exigences chirurgicales obstétricales d’autre part qui nécessitent une anesthésie parfaite et se déroulent d’autant mieux que le bloc moteur est plus puissant. Les preuves de son efficacité à diminuer la fréquence des interventions chirurgicales obstétricales méritent des études complémentaires. Sous prétexte de faire croire aux parturientes que leur accouchement se passera d’autant mieux qu’elles souffrent « un peu…. », on aboutit trop souvent à des terminaisons à la limite de l’humainement supportable, ce qui est antinomique avec l’objectif proposé, et attendu, d’un accouchement sans douleur. Beaucoup de patientes, qui ont bien suivi les cours sur la préparation à la naissance, « poussent » très bien, même si elles bénéficient d’une excellente analgésie. Un périnée distendu facilite le passage du fœtus ; et même si une aide à l’expulsion sur une tête fœtale « à la vulve » est nécessaire chez une patiente dont la poussée volontaire est un peu insuffisante, il semble bien acquis que cela n’est absolument pas délétère pour le fœtus. Il n’y a pas de preuve médicale réelle et le choix de la patiente reste primordial. La meilleure analgésie obstétricale est tout d’abord celle qui donne la meilleure satisfaction à la mère (donc à adapter au souhait de chaque patiente) et permet à l’équipe obstétricale de travailler dans le confort et la sécurité absolus.


Actuellement, le mode d’administration des anesthésiques locaux par pompe contrôlée par la patiente elle-même (patient-controled epidural anaesthesia ou PCEA) a supplanté les réinjections itératives [9]. Cela a pour avantage de diminuer la contrainte de disponibilité de l’anesthésiste et de permettre à la patiente d’adapter le moment de l’injection à celui de la réapparition de la douleur et sans délai. Cela permet aussi à l’équipe obstétricale de participer à la gestion de l’analgésie en fonction de l’évolution de l’accouchement [10]. Ce mode d’injection, qui donne une satisfaction globale à tout l’environnement obstétrical, nous a permis de nous rendre compte que, malgré l’administration de doses systématisées que l’on croyait délétères en termes de mécanique obstétricale, cela n’avait que très peu (ou pas) d’incidence sur la terminaison du travail. En raison de ces avantages, la PCEA est devenue quasi systématique dans les centres pratiquant l’anesthésie péridurale en obstétrique. Toutes les patientes ne souhaitent pas le même degré d’analgésie au cours du travail, surtout en phase d’expulsion, et grâce à leur implication par l’intermédiaire de la PCEA, elles peuvent aussi moduler l’analgésie en fonction de leur souhait lorsque l’accouchement est eutocique. En pratique, il est souhaitable que la parturiente informe l’équipe obstétricale de son désir avant de s’administrer un bolus. Ils peuvent alors de concert adapter l’analgésie à la progression du travail.



Indications et contre-indications de la péridurale


Très restreintes pour certains, très larges pour d’autres, elles sont plus le fait de la compétence et de la confiance réciproque des membres de l’équipe médicale dans la gestion de l’accouchement sous péridurale, que de la situation obstétricale elle-même. Dans une étude [9], 87 % des femmes qui n’ont pas eu de péridurale l’ont fait volontairement ou du fait d’un travail trop rapide. Actuellement, dans les maternités qui se sont organisées autour de la pratique de la péridurale, le taux dépasse les 80 % et les contre-indications à la péridurale sont très exceptionnelles.



Indications


En dehors de l’extrême urgence, l’anesthésie loco-régionale est toujours préférable à l’anesthésie générale.


Pour essayer de comprendre pourquoi il peut subsister encore quelques interrogations sur le bien-fondé de l’utilisation de la péridurale pour certains membres de l’équipe médicale obstétricale, nous allons évoquer les principales situations en soulignant ce qu’elles justifient comme adaptations dans la conduite de la péridurale et de la surveillance obstétricale de l’accouchement sous cette technique d’analgésie.


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Jul 2, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 12: Douleur et analgésie obstétricale

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