23: Cancer du sein et maladies mammaires bénignes

Chapitre 23


Cancer du sein et maladies mammaires bénignes




Le cancer du sein invasif, le cancer non cutané le plus fréquent chez la femme aux États-Unis, a été diagnostiqué chez environ 180 000 femmes en 2010 et a entraîné environ 40 000 décès. L’incidence et la mortalité par cancer du sein semblent baisser aux États-Unis et dans certaines parties de l’Europe occidentale. Cela pourrait être lié à la détection précoce permise par la mammographie de dépistage, à la généralisation de la thérapie adjuvante systémique ainsi qu’à une diminution de l’hormonothérapie substitutive.



Cancer du sein





Épidémiologie et physiopathologie: De multiples facteurs de risque ont été identifiés (tableau 23-1). Le principal est le sexe. Le cancer du sein touche essentiellement les femmes ; chez les hommes, l’incidence est d’environ 1 % de celle enregistrée chez les femmes. Un deuxième facteur de risque essentiel est l’âge. Environ 75 % des cas de cancer du sein aux États-Unis sont diagnostiqués chez des femmes de plus de 50 ans.



Des antécédents familiaux de cancer du sein, qui constituent un troisième facteur de risque important, se retrouvent chez environ 20 % des patientes touchées ; le risque est particulièrement grand lorsque le cancer est survenu chez un parent au premier degré de moins de 50 ans. On estime à 5 à 8 % les cas de cancer du sein qui se développent dans des familles à haut risque. Plusieurs syndromes familiaux de cancer du sein associés à des anomalies moléculaires ont été identifiés. Le principal d’entre eux est le syndrome du cancer du sein et de l’ovaire, qui est lié à des mutations germinales des gènes de susceptibilité au cancer du sein, les gènes BRCA1 et BRCA2. Ces mutations sont héritées sur un mode autosomique dominant et peuvent donc être transmises par la lignée maternelle ou paternelle. Des études approfondies suggèrent qu’une mutation germinale de l’un de ces gènes fait courir un risque à vie de 50 à 85 %. Actuellement, la recherche de mutations dans BRCA1 et BRCA2 est considérée comme une option normale pour les femmes chez qui l’on suspecte une prédisposition héréditaire au cancer du sein, sur la base notamment d’une descendance juive ashkénaze ou de l’appartenance à une famille dont plusieurs membres ont eu un cancer du sein bilatéral ou un cancer précoce du sein ou de l’ovaire. Avant de tels tests génétiques, il importe d’expliquer la portée exacte de leurs résultats, en particulier de leurs limites, qu’ils soient positifs ou négatifs.


D’autres syndromes héréditaires de cancer (chapitre 3) comprennent le syndrome de Li-Fraumeni, qui est lié à des mutations germinales dans le gène suppresseur de tumeur p53, et le syndrome de Cowden, qui est associé à des mutations dans le gène PTEN. Enfin, en plus de ces syndromes de susceptibilité génétique à haute pénétrance, des études d’associations pangénomiques ont identifié un certain nombre de liaisons génétiques de faible pénétrance, notamment les polymorphismes de nucléotides individuels dans divers gènes. Il reste à établir s’il faut intégrer ces traits de faible pénétrance dans la pratique clinique et comment le faire.


Les facteurs de risque liés à la reproduction incluent la précocité des premières règles, une ménopause tardive, la nulliparité et une première grossesse tardive. Dans l’ensemble, ces facteurs se caractérisent par une exposition prolongée des seins aux estrogènes. L’association de plus en plus évidente entre obésité postménopausique et cancer du sein reflète probablement aussi l’effet des estrogènes. Certaines pathologies mammaires, comme l’hyperplasie atypique et le carcinome lobulaire in situ, augmentent les risques. Il se pourrait également que l’augmentation de la densité mammaire détectée par la mammographie soit un facteur de risque. Enfin, des facteurs environnementaux potentiels ont suscité beaucoup d’intérêt, notamment les rayonnements ionisants au cours de l’adolescence, l’hormonothérapie substitutive prolongée, l’utilisation continue de contraceptifs oraux et la consommation d’alcool. De vastes études n’ont pas démontré de manière convaincante une association à l’exposition aux pesticides estrogéniques ou à un régime alimentaire riche en matières grasses.



Manifestations cliniques: Le cancer du sein se manifeste souvent comme une anomalie mammographique, mais aussi comme une masse ou un épaississement asymétrique, un écoulement du mamelon ou des altérations de la peau ou du mamelon. Deux présentations cliniques inhabituelles sont la maladie de Paget du mamelon et le cancer mammaire inflammatoire. La maladie de Paget est une forme d’adénocarcinome touchant la peau et les conduits lactifères ; elle se manifeste par une excoriation du mamelon. Le cancer inflammatoire se reconnaît à la rougeur, la chaleur et l’œdème, qui reflètent souvent une infiltration cellulaire tumorale des vaisseaux lymphatiques dermiques du sein ; il ne doit pas être confondu avec une simple mastite.


Un écoulement du mamelon peut être dû à une tumeur maligne du sein. S’il est d’aspect laiteux, il est rarement associé à un diagnostic de malignité, mais s’il est clair ou contient du sang, un examen des seins avec mammographie s’impose, à laquelle il faudra souvent ajouter une biopsie-exérèse de toute zone suspecte. Une ductographie, et parfois une ductoscopie, peut être utilisée pour identifier la lésion responsable. Un écoulement de sang est souvent causé par un papillome intracanalaire.


Les douleurs mammaires sont fréquentes, surtout comme symptôme prémenstruel avant la ménopause. Mais elles peuvent également être provoquées par une tumeur maligne sous-jacente. Les patientes souffrant de douleurs localisées non cycliques devraient subir un examen des seins et une mammographie bilatérale. Si les résultats sont normaux, une échographie ou une imagerie par résonance magnétique (IRM) pourront exclure la faible probabilité de tumeur maligne.



Diagnostic: La démarche diagnostique est généralement déclenchée par la mise en évidence d’une image suspecte à une mammographie de dépistage ou par la palpation d’une anomalie dans le sein par la patiente elle-même ou un professionnel de santé. Que les lésions soient cliniquement occultes ou apparentes, l’histopathologie est obligatoire pour confirmation du diagnostic. Aujourd’hui, la cytoponction (aspiration à l’aiguille fine) et la biopsie au trocart ont remplacé les prélèvements par incision ou excision comme mesures diagnostiques habituelles. Lorsque les lésions suspectes sont palpables, la cytoponction et la biopsie au trocart peuvent être effectuées au cabinet médical, mais si la lésion est non palpable, la biopsie doit être guidée par mammographie, échographie ou IRM. Une revue systématique publiée récemment a montré que les biopsies stéréotaxiques ou échoguidées sont presque aussi précises que la biopsie à ciel ouvert et, surtout, entraînent moins de complications. Ces technologies permettent un diagnostic précis qui peut être suivi d’un plan de traitement définitif. Il est évident, cependant, que l’évaluation doit être approfondie si les résultats de la cytoponction ou de la biopsie sont douteux. Enfin, l’imagerie de l’autre sein est toujours recommandée afin qu’une lésion non suspectée puisse être détectée et analysée.



Stadification et marqueurs prédictifs et pronostiques: À l’origine, la stadification était fondée sur l’évaluation clinique de la taille de la tumeur, de la présence d’adénopathies et des signes de maladie métastatique, mais c’est l’histopathologie qui fournit les informations les plus précises sur la gravité de la tumeur et le pronostic. Le système de stadification du cancer du sein a été révisé en 2002 (tableaux 23-2 et 23-3).




La plupart des patientes atteintes de cancer du sein se présentent au stade I ou II de la maladie en l’absence de symptômes. Chez elles, les analyses de laboratoire peuvent être limitées à une numération globulaire, à la biochimie habituelle, et l’on peut se limiter à une simple radiographie thoracique, sans évaluation radiologique plus poussée. En revanche, les patientes avec des signes cliniques de phase III ou IV devraient subir une évaluation plus extensive, tomodensitométrie (TDM) et scintigraphie, à la recherche de métastases dans les sites habituels, les poumons, le foie, les os.


Les deux facteurs les plus déterminants du pronostic du cancer du sein au stade précoce sont le statut pathologique ganglionnaire et la taille de la tumeur. Les autres facteurs qui contribuent au pronostic sont : le récepteur α des estrogènes (RE), le récepteur de la progestérone (RP) et la protéine HER2, qui sert de récepteur membranaire du facteur de croissance épidermique ; ils sont classiquement dosés par immunohistochimie, bien que l’hybridation in situ en fluorescence (fluorescence in situ hybridization [FISH]) pour rechercher l’amplification du gène HER2 soit également utilisée. Le pronostic est considéré comme défavorable en cas de charge ganglionnaire importante, de mauvais grade histologique, de tumeur volumineuse, d’absence d’expression de RE et de PR et de surexpression de HER2.


Récemment, l’accent a été mis sur les marqueurs prédictifs RE, RP et HER2 comme guides dans le choix du traitement. Ceux-ci devraient être systématiquement évalués dans chaque cancer invasif. La plupart des tumeurs qui expriment RE ou RP, ou les deux, sont sensibles à l’hormonothérapie, tandis que celles qui en sont dépourvues répondent rarement à une telle thérapie. La surexpression de la protéine HER2 observée par immunohistochimie ou par FISH annonce une réponse favorable à l’anticorps monoclonal anti-HER2 qu’est le trastuzumab, ou au lapatinib, une petite molécule qui inhibe l’activité de tyrosine kinase du récepteur HER2. On manque encore de données concernant les relations entre l’efficacité de la chimiothérapie et l’expression des trois marqueurs, RE, RP ou HER2.


Des techniques moléculaires modernes ont permis une classification moléculaire des cancers du sein. Le profil des transcrits suggère que ces tumeurs peuvent être réparties en au moins cinq sous-types moléculaires : semblable au tissu mammaire normal, luminal A et B, HER2 et basal. Le sous-type luminal A et le luminal B expriment fréquemment le RE, mais le luminal A aurait un meilleur pronostic et répondrait mieux à l’hormonothérapie que le luminal B. Le sous-type basal est dominé par les tumeurs qui n’expriment pas RE, RP ni HER2 ; celles-ci sont dites triplement négatives et n’offrent pas de cible moléculaire facilement identifiable. Des tests multigéniques qui évaluent ces profils d’expression génique sont encore à l’étude, mais plusieurs sont déjà disponibles en pratique clinique. Un de ces tests, Oncotype Dx®, peut contribuer à l’identification, à un stade précoce, d’un cancer du sein positif pour un récepteur de stéroïde et qui pourrait être mieux neutralisé par l’ajout de la chimiothérapie au tamoxifène. Un autre test, Mammaprint®, peut être utile pour l’identification des jeunes femmes atteintes d’un cancer du sein au pronostic défavorable. Un certain nombre d’autres tests sont en cours de développement ; quant aux Oncotype Dx® et au Mammaprint®, ils font l’objet de vastes essais randomisés pour que les conditions de leur utilisation soient affinées et deviennent optimales.



Traitement



Traitement local du cancer du sein au stade précoce



Carcinome in situ


La sensibilisation du public au cancer du sein et le dépistage plus répandu par mammographie ont permis des diagnostics plus précoces : les carcinomes in situ représentent aujourd’hui 20 à 25 % des nouveaux cas (tableau 23-4). La plupart de ceux-ci sont des carcinomes canalaires in situ (CCIS). Environ 30 % de ceux-ci laissés sans traitement deviendraient invasifs dans le même sein. Le risque de métastase d’un CCIS est extrêmement faible. En conséquence, les choix de traitement sont centrés sur le sein concerné, l’exploration des ganglions axillaires n’étant pas systématique. La mastectomie totale, la thérapie traditionnelle, aboutit, avec une forte probabilité, à la guérison, mais pour de nombreuses femmes atteintes d’un CCIS, des études suggèrent que le sein peut être conservé. Ce procédé ne pourra être choisi que s’il ne déforme pas de manière excessive le sein, si la tumeur n’est pas trop étendue et si la patiente le souhaite. Plusieurs études ont suggéré que la taille et l’étendue des marges chirurgicales de la lésion étaient d’importants déterminants du résultat local. Il est essentiel que l’excision soit suffisamment large pour que les marges soient libres de tissu cancéreux. Il est crucial de confirmer que le CCIS a été excisé convenablement par un examen mammographique attentif de la tumeur réséquée et une mammographie du sein après exérèse. Un large essai randomisé a montré que l’association de la radiothérapie à la tumorectomie diminuait, mieux que la tumorectomie seule, la probabilité de récurrence in situ ou invasive. D’autres séries de données suggèrent qu’une exérèse locale seule peut être proposée lorsque l’histologie est favorable et lorsque les patientes sont prêtes à se soumettre à une surveillance étroite. En outre, l’utilisation du tamoxifène pendant 5 ans peut réduire d’environ 50 % la probabilité de récurrence homolatérale et le développement d’un cancer dans l’autre sein.



La controverse continue quant à savoir si le carcinome lobulaire in situ (CLIS) est vraiment une lésion maligne. Habituellement, il est découvert fortuitement lors d’une biopsie prélevée pour d’autres indications. Le risque de développement en cancer invasif dans l’un ou l’autre sein semble être de 25 %. En général, en cas de CLIS, l’expectative avec examen régulier des seins et mammographie est de mise. Si d’autres facteurs de risque menacent ou si les patientes souffrent d’anxiété extrême, c’est alors qu’une mastectomie totale bilatérale pourrait être envisagée. Enfin, plusieurs vastes études de chimioprévention indiquent que, chez ces patientes, le tamoxifène ou le raloxifène réduisent les risques.



Cancer du sein invasif



Chirurgie


Depuis de nombreuses années, la mastectomie radicale (ablation du sein, des ganglions axillaires et des pectoraux) était considérée comme le traitement par excellence du cancer du sein, mais aujourd’hui, elle est rarement pratiquée. Plusieurs essais randomisés ont montré de façon consistante que, pour les cancers du sein au stade I ou II, la survie après tumorectomie avec conservation du sein (TCS) et radiothérapie était la même qu’après mastectomie radicale modifiée (ablation du sein et des ganglions lymphatiques). Les contre-indications médicales à la TCS sont : la présence de plusieurs tumeurs, une radiothérapie précédente, une grossesse en cours qui exclut le recours à la radiothérapie en temps opportun, la probabilité d’un résultat esthétique médiocre et un refus de la patiente. Le nombre de patientes qui ont subi une TCS a considérablement augmenté, mais à l’intérieur des États-Unis, de grandes différences géographiques subsistent. Les patientes qui subissent une mastectomie devraient être informées sur les possibilités de reconstruction à partir de tissus autologues ou d’implants ; celle-ci peut avoir lieu au moment de la résection ou à tout moment par la suite.


Puisque le risque de propagation micrométastatique à distance est fortement corrélé avec le nombre de ganglions axillaires impliqués, un curage axillaire a été traditionnellement pratiqué ; cela fournissait des informations pronostiques. Une tendance vers la restriction de la chirurgie axillaire afin de minimiser l’incidence de lymphœdème postopératoire (voir plus loin) a conduit à la mise au point de techniques dites du « ganglion sentinelle ». Après injection d’une substance radioactive ou d’un colorant bleu, ou les deux, dans la zone qui entoure la tumeur primitive, le traceur est entraîné rapidement dans le ganglion lymphatique axillaire dominant, le ganglion sentinelle, qui peut ainsi être localisé et retiré par le chirurgien. Si le ganglion sentinelle est normal, les autres ganglions sont susceptibles de l’être également, et aucun curage axillaire n’est nécessaire. Actuellement, celui-ci n’est conseillé qu’aux patientes ayant des ganglions axillaires palpables ou un ganglion sentinelle histologiquement impliqué. Pour les patientes porteuses d’une petite tumeur, sans extension dans les ganglions axillaires, de vastes études randomisées ont montré que la technique du ganglion sentinelle donne des résultats semblables à ceux du curage axillaire classique.



Radiothérapie adjuvante


La radiothérapie s’est avérée essentielle en cas de TCS, car après tumorectomie seule, le taux de récidive de cancer du sein atteint 40 %, alors qu’il est inférieur à 10 % après radiothérapie du sein entier 1. Des études en cours tentent d’identifier les patientes dont la tumeur paraît d’un pronostic si favorable que la radiothérapie pourrait être évitée. Un vaste essai suggère qu’elle s’avère peu utile chez les femmes âgées de plus de 70 ans avec de petites tumeurs exprimant le RE et traitées par le tamoxifène. La recherche actuelle se concentre également sur une radiothérapie plus ciblée ; un plus petit champ serait irradié efficacement et en toute sécurité (radiothérapie partielle du sein) ou durant une plus courte période.


Le rôle de la radiothérapie après mastectomie continue d’être un sujet de débat. Sur la base des résultats de différents essais randomisés ainsi que d’une méta-analyse qui suggèrent un allongement de la survie, les radio-oncologues sont nombreux à recommander une irradiation après mastectomie pour les patientes ayant plus de trois ganglions envahis et discutent de son bien-fondé pour celles dont un à trois ganglions sont impliqués.

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May 6, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on 23: Cancer du sein et maladies mammaires bénignes

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