Chapitre 22 Tumeurs Malignes Vasculaires
Après plusieurs années de confusion sémantique, une classification des anomalies d’origine vasculaire a été proposée par l’ISSVA (International Society for the Study of Vascular Anomalies) en 1996. Cette classification est remarquable par sa clarté en divisant les anomalies vasculaires en tumeurs vasculaires, quand il existe une prolifération cellulaire manifeste, et en malformations vasculaires lors d’anomalies structurales des vaisseaux par perturbation de la morphogénèse vasculaire au cours du développement embryonnaire sans prolifération cellulaire (turn-over cellulaire endothélial normal).
Les tumeurs vasculaires malignes, classées parmi les sarcomes des tissus mous, sont des tumeurs malignes rares, représentant moins de 1 % de tous les sarcomes de l’adulte. Elles touchent essentiellement l’aorte, la veine cave inférieure (VCI) et l’artère pulmonaire. Ces tumeurs sont classées, selon leur siège, en tumeurs murales qui se développent au sein de la paroi vasculaire et qui sont dans 90 % des cas des léiomyosarcomes et dans 10 % des sarcomes moins différenciés, des chondrosarcomes ou des ostéosarcomes, et en tumeurs luminales à point de départ intimal représentées par le sarcome intimal et de rares angiosarcomes. Cette dénomination indique le point de départ du développement de ces tumeurs et non leur origine cellulaire qui reste encore discutée [1]. En dehors du sarcome intimal, les autres tumeurs ont un aspect histologique superposable à celui décrit dans leurs différentes localisations.
TUMEURS MALIGNES DE L’AORTE ET DE SES BRANCHES
Les tumeurs malignes primitives de l’aorte sont rares, et moins de 150 cas sont décrits depuis la première description en 1873 par Brodowski [2–4]. Elles posent de réelles difficultés diagnostiques par leur révélation tardive. Les symptômes révélateurs sont le plus souvent liés aux localisations secondaires ou aux complications d’aval, les paramètres morphologiques peuvent être confondus avec des lésions d’athérothrombose anodines, et leur diagnostic est parfois fait à l’occasion de l’étude anatomopathologique d’un « thrombus artériel », ou le plus souvent en post-mortem [5]. Elles posent également des difficultés en termes de procédures thérapeutiques pouvant être curatrices ou conservatrices, associées ou non à une chimiothérapie ou une radiothérapie complémentaire, avec un pronostic vital médiocre à court et moyen termes.
Manifestations cliniques
Les tumeurs primitives de l’aorte sont en soi paucisymptomatiques ou associées à des symptômes non spécifiques. Ces derniers sont dominés par les conséquences thromboemboliques. Chiche a rapporté, en 2003, cinq cas de tumeurs primitives de l’aorte et effectué une revue de 130 cas de la littérature [2]. Dans cette revue et celle plus récente de Brylka [4], les tumeurs primitives de l’aorte tendent à survenir préférentiellement chez les hommes (64 %), avec un âge moyen au diagnostic de 60 ans, avec des extrêmes allant de 3,5 mois à 85 ans. Sur le plan clinique, aucun symptôme n’est spécifique. Des signes généraux (asthénie, amaigrissement, fièvre) sont rarement révélateurs [2]. Les manifestations révélatrices sont dominées par les conséquences thromboemboliques d’aval qui comprennent par ordre de fréquence des tableaux d’ischémie aiguë de membre (20 %), une hypertension artérielle rénovasculaire (19 %), une claudication intermittente des membres inférieurs (16 %), un infarctus (11 %) ou un angor (3 %) mésentériques. La révélation par une masse palpable avec ou sans compression d’organe de voisinage est rare. Il en est de même des complications à type de rupture ou de fistule dans un organe de voisinage (arbre bronchique, veine cave, tube digestif, arbre bronchique) [2, 6–8]. En cas de localisation intracardiaque ou prévertébrale gauche, le tableau clinique peut être révélé par des accidents ischémiques cérébraux ou des ischémies de membres supérieurs [9]. Dans les localisations intracardiaques, des cas révélés par des épanchements péricardiques responsables de tamponnade, des insuffisances cardiaques avec ou sans trouble de rythme sont rapportés [10]. Un cas d’hypertension isolée des membres supérieurs révélant un angiosarcome de l’aorte thoracique descendante a été rapporté [11].
Examens morphologiques ou imagerie conventionnelle
Les deux examens morphologiques (complémentaires ou radiologiques) principaux permettant d’évoquer le diagnostic de tumeur primitive de l’aorte sont l’angio-IRM et l’angioscanner aortique (fig. 22-1). Il semble toutefois que l’IRM présente une meilleure résolution permettant de distinguer une lésion tumorale d’une plaque d’athérothrombose banale. La tumeur primitive peut apparaître comme une « plaque » tapissant la paroi interne de l’aorte en cas de tumeur dite « murale » ou une masse bourgeonnante endoluminale ou un thrombus endoluminal en cas de tumeur luminale [2, 12–14]. En IRM, elle apparaît hypo-intense en T1 et hyperintense en T2 [13, 15] (fig. 22-2).
Figure 22-2 Angio-IRM aortique montrant une tumeur aortique polylobée avec une prise de contraste périphérique après injection de gadolinium (coupe axiale écho de gradient T1 avec saturation du signal de la graisse) [13].
L’injection de gadolinium avec un rehaussement tumoral permet de distinguer les limites tumorales non seulement des lésions athéromateuses associées mais également des localisations secondaires adjacentes [2,13]. L’IRM et le scanner permettent d’apprécier le volume de la tumeur sur l’aorte et l’extension à ses branches. Ils peuvent également permettre le diagnostic de localisations tumorales secondaires ou de lésions ischémiques hépatiques, spléniques, rétropéritonéales, mésentériques ou pelviennes ou pulmonaires par emboles artériels.
Le diagnostic de tumeur vasculaire par une artériographie conventionnelle n’est pas simple et, en règle générale, d’autres examens (IRM, Scanner) sont souvent nécessaires. Elle peut mettre en évidence une amputation irrégulière de la lumière à angle de raccordement progressif correspondant à la tumeur alors que le reste du vaisseau est de calibre régulier et normal et permet surtout d’apprécier les conséquences thromboemboliques d’aval et les possibilités de revascularisation (fig. 22-3). Elle présente comme principal inconvénient un risque théorique de détachement d’emboles en cas de tumeur polypoïde [2].
Figure 22-3 Aorto-artériographie préopératoire montrant une sténose extensive irrégulière de l’aorte abdominale avec une occlusion de l’artère rénale droite, révélant un sarcome intimal aortique [2].
La tomographie par émission de positons au [18 F]-FDG n’a pas été spécifiquement évaluée dans les tumeurs primitives artérielles. Néanmoins, dans notre expérience et dans quelques cas de la littérature [4,16], cet examen peut être utile en mettant en évidence un hypermétabolisme aortique anormal et pour apprécier les localisations tumorales secondaires avant le traitement ou au cours du suivi thérapeutique.
Diagnostic anatomopathologique
Le diagnostic de tumeur maligne de l’aorte ou de ses branches est le plus souvent posé lors de l’étude anatomopathologique d’un « thrombus artériel » ou d’emboles tumoraux périphériques au niveau du poumon, du foie, du rachis, du pancréas, du rein ou bien encore lors d’une autopsie [17].
Le sarcome intimal est une tumeur des gros vaisseaux de développement luminal, localisée le plus souvent à l’aorte et l’artère pulmonaire. Il prend naissance dans l’intima, se développe en surface formant des bourgeons luminaux ou des plaques irrégulières et friables, responsables d’embolies périphériques et de métastases en aval. Sa présentation anatomoclinique est différente de celles des autres tumeurs des gros vaisseaux (tableau 22-1).
La tumeur reste le plus souvent limitée à l’intima, par endroits très nettement épaissie, fait saillie dans la lumière (fig. 22-4A), ailleurs elle envahit et détruit la média avec des zones d’extension à l’adventice.
Le sarcome intimal est défini histologiquement comme une tumeur mésenchymateuse maligne des artères de gros calibre selon la classification de l’OMS (18) Il s’agit habituellement d’une tumeur peu différenciée de nature fibroblastique ou myofibroblastique pouvant contenir des territoires bien différenciés rappelant un rhabdomyosarcome, un ostéosarcome ou un angiosarcome. Cette tumeur peut être de densité cellulaire variable, constituée de cellules souvent très atypiques, de grande taille, tantôt fusiformes et disposées en courts faisceaux, ailleurs globuleuses (fig. 22-4A). Les limites cytoplasmiques sont peu nettes, les noyaux sont monstrueux et nucléolés et le cytoplasme abondant parfois clair. Les mitoses sont fréquentes. Ces cellules tumorales forment des nappes denses ou sont situées dans un stroma fibrohyalin ou œdémateux, modérément inflammatoire. À l’étude immunohistochimique, les cellules tumorales expriment la vimentine (fig. 22-4B); l’expression des marqueurs musculaires (α-actine-musculaire lisse et desmine) est variable. Selon l’OMS, le sarcome intimal n’exprime habituellement pas les marqueurs vasculaires (CD31, CD34 et facteur VIII); toutefois ces anticorps peuvent marquer les territoires présentant une différenciation angiosarcomateuse (fig. 22-4C).
Sur le plan étiopathogénique, la nature de ces sarcomes intimaux est encore discutée. Il semble impossible de déterminer leur origine cellulaire, en raison du caractère multipotent des cellules de l’intima qui sont douées d’une grande capacité de différenciation. En se basant sur des critères morphologiques, immunohistochimiques ou ultrastructuraux, une origine myofibroblastique ou endothéliale a été proposée. Les angiosarcomes seront traités dans le chapitre « tumeurs vasculaires périphériques ».
Bilan d’extension
Les localisations préférentielles des tumeurs malignes de l’aorte sont par ordre de fréquence l’aorte thoracique descendante (35 %), l’aorte abdominale (27 %), l’aorte thoracoabdominale (26,5 %), l’aorte ascendante et la crosse de l’aorte (11 %) [2]. Une extension par contiguïté aux organes de voisinage est rare et se voit le plus souvent au cours des sarcomes à développement mural ou envahissant les 3 tuniques pariétales. Des localisations secondaires sont retrouvées chez 50 à 80 % des patients [2, 4, 19]. Ces localisations secondaires peuvent être tissulaires isolées (50 %), des emboles métastatiques isolés (27 %) ou une combinaison de métastases tissulaires et d’emboles métastatiques (24 %). Globalement, dans 46 % des cas, les métastases sont multiples ou associées à des emboles tumoraux. Les localisations tissulaires les plus fréquentes sont, par ordre de fréquence, osseuses (27 %), pulmonaires (15 %), cutanées (9 %), rénales (7 %), surrénaliennes (7 %) et intestinales (7 %) [2]. Les emboles tumoraux sont localisés préférentiellement dans les artères des membres inférieurs (43 %), du tube digestif (32 %), rénales (19,5 %) et cérébrales (5.5 %) [2]. Dans ces conditions, le bilan d’extension d’une tumeur maligne de l’aorte ou de ses branches doit comprendre une scintigraphie osseuse, une tomodensitométrie thoracique, abdominale et pelvienne. Une imagerie cérébrale peut être proposée en cas de lésion de l’aorte ascendante et de la crosse de l’aorte. L’intérêt de la tomographie par émission de positons au [18 F]-FDG n’a pas été évalué dans les sarcomes de l’aorte mais, au regard de l’expérience acquise dans la prise en charge des sarcomes des tissus mous, sa prescription devrait être proposée comme partie intégrante du bilan d’extension [20, 21].
Facteurs étiologiques
Il n’y a pas de données sur les facteurs étiologiques. Toutefois, certains auteurs ont rapporté la survenue de sarcomes de l’aorte au voisinage de prothèses vasculaires, plus spécifiquement en Dacron [22], faisant suspecter un effet carcinogène lié à ce matériel prothétique [17].