22 Manifestations cutanées des maladies internes
Syndromes paranéoplasiques cutanés
Certains signes cutanés sont assez spécifiques pour justifier une recherche de malignité occulte.
Les syndromes paranéoplasiques cutanés comprennent des manifestations cutanées associées ou liées à des affections malignes internes.
Ce chapitre aborde le prurit, la dermatomyosite, le syndrome de Sweet, le syndrome carcinoïde, le syndrome de glucagonome, le pemphigus paranéoplasique et le signe de Leser-Trélat.
Syndrome | Présentation clinique | Malignité |
---|---|---|
Syndrome de Bazex (acrokératose paranéoplasique) | Trois stades : (1) lésions psoriasiformes du bout des doigts et des orteils ; (2) kératodermie, des mains et des pieds ; (3) extension locale des lésions et apparition de nouvelles lésions sur les genoux, jambes, cuisses, bras | Carcinome de l’œsophage, de la langue, de la lèvre inférieure, des lobes supérieurs des poumons |
Erythema gyratum repens | Bandes érythémateuses cireuses se déplaçant rapidement avec une bordure serpigineuse et un motif imitant le grain du bois | Cancers du sein, du poumon, de l’estomac, de la vessie, de la prostate. Carcinome à cellules transitionnelles du rein |
Papillomatose cutanée floride | Les papules prurigineuses ne peuvent pas être distinguées de verrues virales habituelles. Les lésions apparaissent d’abord sur le dos des mains et des poignets, puis s’étendent sur le tronc et parfois sur le visage | Adénocarcinome gastrique et autres cancers intra-abdominaux. Cancers du sein, du poumon, des ganglions lymphatiques |
Hypertrichose lanugineuse acquise | La pilosité de type lanugo peut être maligne, près des sourcils, sur le front, les oreilles, le nez. Certains patients ont une atteinte extensive qui peut être facilement traitée | Tumeurs solides du poumon (à petites cellules ou non), tumeurs colorectales, tumeurs malignes des seins |
Ichthyose acquise | Desquamation diffuse, squames losangiques, remarquables sur le tronc et les membres, respectant les plis | Maladie de Hodgkin ; autres tumeurs malignes lymphoprolifératives ; cancers du poumon, du sein, du col de l’utérus |
Réticulohis-tiocytose multicentrique | Papules rouge-brun associées à une arthrite destructrice sévère. Lésions du visage, des mains, des oreilles et des avant-bras ; 50 % ont une atteinte de la muqueuse buccale | Un tiers des cas est associé à une affection maligne. Cancers du sein, du poumon, des muscles, du tractus gastro-intestinal ou génito-urinaire, ou du système sanguin |
Kératodermie palmoplantaire (kératose) | Épaississement de la peau des paumes et des plantes. Conduit à un aspect irrégulier, de pavage de la peau | Cancers du sein, du poumon, de l’estomac, leucémies, lymphomes |
Syndrome de Peutz-Jeghers | Macules pigmentées des lèvres et de la muqueuse buccale, polypose de l’intestin grêle | Adénocarcinome de l’estomac, du duodénum, du côlon |
Pachyderma-toglyphie | Paumes rugueuses, veloutées. Survient souvent en même temps que d’autres syndromes paranéoplasiques. Un acanthosis nigricans est associé dans 75 % des cas de pachydermatoglyphie | Les tumeurs malignes gastro-intestinales et des poumons sont les plus fréquentes. Tumeurs de la tête et du cou, génito-urinaires (ovaires) |
Prurit
Anamnèse
Le prurit est un symptôme commun de nombreuses dermatoses inflammatoires.
En l’absence de manifestations cutanées, le prurit généralisé peut indiquer une malignité occulte.
Le prurit qui est associé à une malignité interne est plus courant dans les affections malignes gastro-intestinales et lymphoprolifératives.
Manifestations cutanées
Le prurit peut être non spécifique et peut ne pas être associé à des modifications cutanées primitives évidentes.
Les patients peuvent se frotter ou se gratter inconsciemment pendant le sommeil ou pendant l’examen.
Le grattage peut laisser des marques œdémateuses linéaires, quadrillées, des excoriations, des lichénifications, ou une peau épaissie.
Des zones hémorragiques limitées ou des saignements peuvent être notés.
Certains patients peuvent avoir des squames et une xérose sans autres manifestations inflammatoires.
Lorsqu’il est associé à des symptômes gastro-intestinaux, une léthargie, une perte de poids, des sueurs nocturnes ou de l’anémie, le prurit peut constituer un avertissement motivant la recherche de malignité associée.
Évolution et pronostic
L’évolution clinique et le pronostic dépendent habituellement de l’affection maligne interne associée.
Le prurit peut être traité par des corticoïdes topiques, avec ou sans occlusion et avec photothérapie par ultraviolets.
Un traitement systémique par corticoïdes oraux peut être prescrit mais peut interférer avec les fonctions du système immunitaire et le traitement d’une affection maligne.
Diagnostic différentiel
Le prurit généralisé a de nombreuses causes.
La dermatite atopique, la dermite de contact, le psoriasis, la gale, une insuffisance rénale, un cholestase hépatique, les maladies lymphoprolifératives en sont quelques exemples.
Toutes les causes doivent être envisagées lors de l’évaluation d’un patient qui a un prurit généralisé de cause inconnue.
Traitement
En général, le prurit s’améliore avec le traitement de l’affection maligne associée.
Les antihistaminiques, les corticoïdes topiques, les émollients et les lotions antiprurigineuses sont utiles.
La photothérapie par ultraviolets peut être utile chez de nombreux patients.
Un traitement systémique par corticoïdes peut être prescrit mais peut interférer avec les fonctions du système immunitaire et le traitement d’une affection maligne.
Dermatomyosite
Anamnèse
Les adultes ayant une dermatomyosite sont davantage susceptibles d’avoir une atteinte maligne interne que les enfants.
La prévalence a été estimée à 5 à 50 %, la plus forte prévalence étant observée parmi les patients âgés.
Beaucoup de malignités sont découvertes après un diagnostic de dermatomyosite.
Les malignités associées les plus courantes sont les cancers de l’ovaire, du sein, du poumon et gastro-intestinaux.
Manifestations cutanées
Les manifestations de la dermatomyosite comprennent des papules violacées du dessus des mains et des articulations des doigts (papules de Gottron), des télangiectasies périunguéales, une coloration périorbitaire violacée ou héliotrope, une éruption violacée photosensible des épaules, du cou et du thorax (signe de Shawl), des paumes squameuses et inflammatoires (mains de mécanicien), et des zones de poïkilodermie.
Manifestations non cutanées
La dermatomyosite peut être associée à une faiblesse musculaire proximale (polymyosite).
Certains patients avec dermatomyosite peuvent avoir des calcifications des muscles.
Les patients qui ont une dermatomyosite avec des signes d’affection maligne interne, tels que fièvre, sueurs nocturnes, perte de poids, mais sans mise en évidence d’une affection maligne doivent être attentivement évalués.
Examens de laboratoire et explorations
L’histologie cutanée montre une dermatite d’interface avec une augmentation de la mucine cutanée.
Évaluation sérologique des anticorps Jo-1 pour dermatomyosite.
Si une polymyosite est suspectée, une biopsie musculaire, des examens électromyographiques et les taux de créatine phosphokinase (CPK) doivent être obtenus.
Il est particulièrement important de rechercher un carcinome ovarien ou du sein chez les femmes.
Évolution et pronostic
L’évolution clinique et le pronostic dépendent habituellement de la malignité interne associée.
Les signes et les symptômes de dermatomyosite peuvent augmenter ou diminuer indépendamment du statut de l’affection maligne, mais les rechutes ou les poussées peuvent signifier une rechute de l’affection maligne.
Traitement
Le traitement de l’affection maligne dépend du type de malignité.
Les patients ayant une dermatomyosite doivent d’abord être évalués pour la recherche d’une affection maligne.
Les patients qui ont une dermatomyosite doivent éviter les expositions solaires intenses qui peuvent déclencher ou exacerber les symptômes.
Certaines formes modérées de dermatomyosite peuvent être traitées avec des corticoïdes locaux et des émollients.
La dermatomyosite peut être traitée par des immunosuppresseurs systémiques, comprenant les corticoïdes systémiques, le mycophénolate mofétil, la ciclosporine, l’azathioprine, le méthotrexate.
Pour les cas évolués et les cas les plus difficiles, le cyclophosphamide et le rituximab peuvent être prescrits.
Syndrome de Sweet
Anamnèse
Le syndrome de Sweet s’appelle également la dermatose neutrophilique fébrile aiguë.
Il s’agit d’une éruption récurrente, parfois douloureuse, associée à de la fièvre, une hyperleucocytose et des arthralgies.
Les femmes sont plus souvent atteintes que les hommes.
Le syndrome de Sweet peut être associé à une infection aiguë ou à une lymphoprolifération maligne.
La leucémie myéloïde aiguë est l’affection maligne la plus communément associée.
Manifestations cutanées
Les lésions du syndrome de Sweet sont des papules coalescentes et des plaques rouges, œdémateuses, pseudovésiculeuses.
Les lésions varient de 0,5 à 5 cm et peuvent être sensibles à la palpation, asymptomatiques ou douloureuses.
Les lésions du syndrome de Sweet sont fréquemment localisées au visage et au dos des mains ou diffuses.
Syndrome carcinoïde
Anamnèse
Le syndrome carcinoïde comporte des flushs épisodiques et intenses apparaissant sur le visage, le cou et la partie supérieure du corps.
Une tumeur neuro-endocrine cause la libération de médiateurs vasoactifs (comme la sérotonine) dans la circulation systémique. La plupart des tumeurs carcinoïdes apparaissent dans l’intestin grêle, généralement l’appendice.
Habituellement, les médiateurs vasoactifs libérés par ces tumeurs sont inactivés dans le foie avant d’atteindre la circulation systémique.
Lorsque les tumeurs carcinoïdes métastasent dans le foie, les médiateurs ont accès à la circulation systémique.
Les tumeurs carcinoïdes peuvent également survenir dans les poumons et alors libérer des médiateurs dans la circulation systémique.
Manifestations non cutanées
La plupart des tumeurs carcinoïdes surviennent dans l’intestin grêle, habituellement l’appendice.
Habituellement, les médiateurs vasoactifs libérés à partir des tumeurs sont inactivés dans le foie avant d’atteindre la circulation générale. Quand des tumeurs carcinoïdes métastasent au foie, les médiateurs ont accès à la circulation générale.
Les tumeurs carcinoïdes peuvent aussi apparaître dans le poumon (bronches) et alors libérer des médiateurs dans la circulation générale.
Examens de laboratoire et explorations
Taux urinaires élevés en acide 5-hydroxy-indole-acétique après 24 heures de collecte des urines et augmentation de la sérotonine dans le sang.
Les patients ayant des résultats cutanés suggérant une malignité interne, en l’absence de malignité connue, doivent être précisément évalués.
Des examens radiographiques par scanner ou IRM peuvent être utilisés pour suivre l’évolution de ces tumeurs.
Syndrome de glucagonome
Manifestations cutanées
L’érythème migrateur nécrolytique constitue l’éruption du syndrome de glucagonome.
L’éruption est généralisée, mais elle privilégie les plis inguinaux, les fesses et les cuisses.
L’érythème cutané brillant est formé de taches polycycliques évoluant en bulles flasques ; il desquame et laisse des zones dénudées et une collerette de squames.
Le processus est dynamique, changeant et se prolongeant chaque jour.
Pemphigus paranéoplasique
Anamnèse
Le pemphigus paranéoplasique est une maladie immunologique douloureuse des muqueuses avec formation de bulles.
Il représente un signe de malignité interne, le plus souvent de nature lymphoproliférative.
La leucémie lymphocytaire chronique est l’affection maligne la plus communément associée.
La plupart des patients meurent des complications du pemphigus paranéoplasique ou de la malignité sous-jacente.
Examens de laboratoire
La biopsie cutanée montre une acantholyse suprabasale semblable au pemphigus vulgaire.
Les anticorps dirigés contre les protéines situées sur les kératinocytes et à la jonction dermoépidermique peuvent être observés dans la peau (immunofluorescence directe) et dans le sérum (immunofluorescence indirecte).
Les anticorps sériques sont dirigés contre les desmogléines 1 et 3, la desmoplakine, l’envoplakine et la périplakine.
Signe de Leser-Trélat
Évolution et pronostic
L’évolution clinique et le pronostic dépendent habituellement de la malignité interne associée.
Les malignités habituellement associées sont les adénocarcinomes de l’estomac, du foie, du pancréas et colorectaux.
D’autres cancers moins fréquemment associés sont ceux du sein, du poumon et de l’appareil urinaire.
Syndromes paranéoplasiques cutanés héréditaires
Les syndromes paranéoplasiques cutanés héréditaires impliquent des manifestations cutanées liées à des affections héréditaires ou génétiques comportant un risque accru de malignité interne.
Ce chapitre aborde le syndrome de Cowden, le syndrome de Gardner et le syndrome de Muir-Torre.
Anamnèse
Diverses lésions cutanées peuvent être associées à une malignité interne.
L’identification de tels signes a de la valeur seulement si elle mène à la prévention, à la détection précoce ou au traitement de la malignité interne.
De nombreuses génodermatoses comportent un risque accru de malignité.
Les patients présentant un tel trouble héréditaire peuvent tirer bénéfice d’une surveillance accrue.
Les tests génétiques et la consultation peuvent être importants pour les patients et leurs familles.
Cancer | Lésions cutanées | Syndrome |
---|---|---|
Cancer colorectal | Carcinome ou adénome sébacé, kératoacanthome | Muir-Torre, phénotype de CCHNP |
Polypes intestinaux | Hyperpigmentation cutanéomuqueuse | Peutz-Jeghers |
Cancer colorectal avec polypes | Kystes épidermoïdes, fibromes, lipomes, pilomatricomes | Polypose adénomateuse familiale (syndrome de Gardner) |
Cancer rénal (cancer à cellules claires, oncocytomes hybrides à cellules claires) | Triade de lésions incluant fibrofolliculomes, trichodiscomes et acrochordons | Birt-Hogg-Dubé |
Carcinome rénal (cancer rénal papillaire de type II) | Léiomyomes cutanés | Léiomyomatose héréditaire et carcinome à cellules rénales |
Prolactinome | Angiofibromes, collagénomes, taches café au lait, lipomes sous-cutanés | Néoplasie endocrinienne multiple de type 1 |
Cancer médullaire de la thyroïde), phéochromocytome, hyperplasie parathyroïdienne primitive | Lichen amyloïde | Néoplasie endocrinienne multiple de type 2A |
Cancer médullaire de la thyroïde, phéochromocytome | Nodules pédiculés, neuromes muqueux, neuromes cornéens, flushs | Néoplasie endocrinienne multiple de type 2B (syndrome de Wagenmann-Frobese) |
Cancer du sein, cancer folliculaire de la thyroïde, cancer endométrial | Trichilemmomes faciaux, kératoses acrales, papillomatose orale | syndrome de Cowden (syndrome des hamartomes par mutation du gène PTEN) |
Carcinome basocellulaire | Acrochordons, pits palmoplantaires, kystes épidermoïdes, nævus | Nævomatose basocellulaire (syndrome de Gorlin) |
CCHNP : cancer colorectal héréditaire non polyposique.
Adapté de Winship IM, Dudding TE (2008) Lessons from the skin – cutaneous features of familial cancer. Lancet Oncol 9(5) : 462–72.
Syndrome de Cowden
Le syndrome de Cowden, ou syndrome des hamartomes multiples, est une affection rare, autosomique dominante, affectant plusieurs organes.
Les personnes affectées développent des tumeurs bénignes et malignes, des lésions cutanées et des tumeurs d’autres organes.
Un carcinome des canaux galactophores du sein se manifeste chez plus de 30 % des patientes ayant un syndrome de Cowden.
Les cancers de la thyroïde et de l’utérus sont aussi plus fréquents
Le trichilemomme est la manifestation cutanée caractéristique.
Manifestations cutanées
Dans le cas du syndrome de Cowden, un type caractéristique de papules faciales et orales se développe au début de l’âge adulte.
La papule faciale la plus caractéristique est le trichilemomme.
Les trichilemmomes mesurent de 1 à 3 mm, sont lisses et de la couleur de la peau et sont concentrés autour des yeux, du nez, des régions malaires et de la bouche.
Les papules muqueuses orales mesurent 1 mm de diamètre, sont lisses et blanches, fusionnant sur la langue et la gencive.
Des kératoses ponctuées des paumes et des plantes se manifestent chez environ la moitié des patients.