Diplopie
I Définition
La diplopie est la vision double d’un objet unique. Nous nous intéresserons aux diplopies binoculaires, c’est-à-dire qui ne sont présentes que les deux yeux ouverts et disparaissent à l’occlusion de l’un ou de l’autre œil.
Une diplopie monoculaire (fig. 22.1A) persiste en revanche à l’occlusion de l’œil sain et disparaît à l’occlusion de l’œil atteint ; elle peut avoir une cause :
• cornéenne : astigmatisme important, taie cornéenne, kératocône ;
• irienne (iridodialyse traumatique) ;
Fig. 22.1 Diplopie monoculaire et binoculaire.
A : diplopie monoculaire. L’œil gauche voit en permanence une image dédoublée, du fait de la diffraction des rayons au niveau de la cornée, de l’iris ou du cristallin : la diplopie disparaît à l’occlusion de l’œil gauche, mais persiste à l’occlusion de l’œil droit. B : diplopie binoculaire. L’objet fixé par l’œil droit le projette sur la macula ; du fait de la perte de parallélisme des deux yeux, ce même objet se projette en dehors de la macula de l’œil droit : chaque œil voit donc une image unique et la diplopie disparaît à l’occlusion de n’importe lequel des deux yeux.
Une telle diplopie monoculaire devra conduire à un examen ophtalmologique sans caractère d’urgence.
Les diplopies binoculaires (fig. 22.1B), en revanche, sont un trouble du parallélisme oculomoteur, avec généralement une implication neurologique ou orbitaire requérant souvent une prise en charge urgente.
II Anatomie
A Muscles oculomoteurs
Six muscles oculomoteurs assurent les mouvements de chaque globe oculaire :
B Nerfs oculomoteurs
Les six muscles oculomoteurs sont sous la dépendance de trois nerfs oculomoteurs :
Les noyaux des nerfs oculomoteurs sont situés dans le tronc cérébral.
Ils donnent naissance aux racines des nerfs oculomoteurs qui cheminent jusqu’à la sortie du tronc cérébral.
Aux racines font suite les troncs des nerfs oculomoteurs, de la sortie du tronc cérébral jusqu’aux muscles effecteurs.
On décrit de plus :
• des voies supranucléaires, qui relient des centres corticaux aux noyaux des nerfs oculomoteurs ; il s’agit du centre de la latéralité, qui assure les mouvements conjugués des deux yeux dans le regard horizontal droit ou gauche, du centre de la verticalité qui assure les mouvements oculaires conjugués des deux yeux dans le regard en haut et en bas, et du centre de la convergence mis en jeu dans le passage à la vision de près (lecture, etc.) ;
• des voies internucléaires qui relient les noyaux oculomoteurs entre eux. Par exemple, le regard à droite fait intervenir le droit latéral droit et le droit médial gauche ; il fait intervenir des voies internucléaires reliant les noyaux du VI droit et du III gauche ; les voies internucléaires sont situées dans le faisceau longitudinal médian (« bandelette longitudinale postérieure »).
III Physiologie – Physiopathologie
Il existe, pour chaque œil, six muscles oculomoteurs auxquels il faut ajouter le muscle releveur de la paupière supérieure, ainsi que la motricité de la pupille et de l’accommodation. La commande nerveuse est volontaire ou automaticoréflexe et véhiculée par les trois nerfs crâniens oculomoteurs avec la répartition suivante :
A Champ d’action d’un muscle oculomoteur
C’est la position où son action est maximale et où l’étude clinique est la plus caractéristique. Schématiquement, les champs d’action sont pour chacun des muscles oculomoteurs (fig. 22.2 et 22.3 et tableau 22.1) :
• droit supérieur : en haut et en dehors ;
• droit inférieur : en bas et en dehors ;
• oblique supérieur : en bas et en dedans ;
Tableau 22.1
(N.B. : pour mémoire, action et champ d’action d’un muscle sont deux notions différentes et ne concordent pas forcément : par exemple, l’oblique supérieur a une action d’abaissement et d’abduction mais son champ d’action est le regard en bas et en dedans ; en clinique, c’est le champ d’action de chaque muscle que l’on étudie.)
B Mouvements oculaires bilatéraux
Les mouvements oculaires bilatéraux, conjugués des deux yeux (versions), font intervenir des muscles synergiques sur les deux yeux ; par exemple, le regard à droite est assuré par le droit latéral droit et le droit médial gauche.
C Vision binoculaire
1 Lois de Hering et de Sherrington
La vision binoculaire est assurée grâce à la synergie d’action entre muscles oculomoteurs : chaque muscle possède un antagoniste homolatéral et un synergiste (agoniste) controlatéral ; ainsi, par exemple, le droit latéral droit a comme antagoniste le droit médial droit et comme agoniste le droit médial gauche.
Cette synergie est réglée par les lois de Hering et de Sherrington :
• la loi de Hering est propre à l’oculomotricité : lors de mouvements binoculaires, l’influx nerveux est envoyé en quantités égales aux muscles agonistes des deux yeux ; ainsi, dans le regard à droite, droit latéral droit et droit médial gauche reçoivent en même temps la même quantité d’influx nerveux, mécanisme assurant le parallélisme des deux yeux dans les différentes directions du regard ;
• selon la loi de Sherrington, de plus, quand les muscles synergistes se contractent, les muscles antagonistes se relâchent ; par exemple, le regard à droite fait intervenir la contraction du droit latéral droit et du droit médial gauche, et parallèlement selon la loi de Sherrington le relâchement du droit médial droit (antagoniste du droit latéral droit) et du droit latéral gauche (antagoniste du droit médial gauche).
Un cas particulier est celui des vergences, terme désignant des mouvements oculaires de sens opposé des deux yeux ; il s’agit essentiellement de la convergence permettant la vision de près.
2 Correspondance sensorielle
Un objet se projette sur les deux yeux sur des points rétiniens dits « points rétiniens correspondants », permettant une localisation identique par les deux yeux. Par exemple, un objet situé dans le champ visuel droit est vu par deux points rétiniens correspondants situés sur la rétine nasale de l’œil droit et la rétine temporale de l’œil gauche, un objet situé droit devant est vu par les maculas des deux yeux.
Si le parallélisme des deux yeux disparaît, un objet fixé par la macula d’un œil sera fixé par une autre zone, extramaculaire, de l’autre œil ; c’est la « correspondance rétinienne anormale » : le même objet est alors localisé de façon différente par les deux yeux, phénomène responsable d’une vision double = diplopie.
IV Diagnostic positif
A Signes fonctionnels
Le sujet se plaint d’un dédoublement d’un objet, survenant toujours dans la même direction mais disparaissant à l’occlusion de l’un ou l’autre des deux yeux, et n’étant perçu que les deux yeux ouverts. Peuvent être associés à cette vision double : des céphalées, des vertiges, des nausées ou des vomissements.
Attention : la diplopie peut être méconnue lorsqu’il existe un ptosis ou un œdème palpébral, qui « occlut » l’œil paralysé et supprime ainsi l’une des deux images.
(N.B. : la diplopie est absente dans les paralysies de fonction.)
B Interrogatoire
L’interrogatoire précisera :
C Inspection
L’inspection recherche une attitude vicieuse ou compensatrice de la tête : la tête se met spontanément dans le champ d’action du muscle atteint pour compenser la diplopie. On parle aussi de torticolis compensateur.
L’inspection recherchera une déviation du globe en position primaire, c’est-à-dire tête droite, axe visuel dirigé droit devant sur un point à l’infini. Par exemple, dans une paralysie du VI, l’œil est dévié en dedans (« strabisme paralytique convergent »). La recherche d’une déviation primaire est facilitée par l’étude des reflets cornéens : les reflets cornéens d’une source lumineuse dirigée sur les yeux d’un sujet normal se projettent tous deux au centre de la pupille alors qu’en cas de déviation, l’un des deux reflets n’est pas centré.