Chapitre 21 Psychopathologie du sujet âgé
La définition du sujet âgé, au vu du seul critère d’âge, est peu satisfaisante et controversée. On peut donc envisager, dans une perspective psychopathologique, de définir qu’un adulte devient une personne âgée lorsqu’il adopte certaines spécificités, liées au vieillissement, tant sur le plan psychologique que sur le plan psychopathologique.
Le vieillissement psychique
On assiste au cours du vieillissement à une modification des traits de caractère fondamentaux qui ne peuvent plus être intégrés harmonieusement dans un ensemble. La personne qui jadis était prudente devient, avec l’âge, méfiante ; l’extraverti joyeux devient bavard ; le craintif devient hypocondriaque ; la personne avec des traits histrioniques adopte facilement des mouvements régressifs. La personne âgée n’a aussi plus la force de se tourner vers des choses nouvelles et se limite à sa vie intérieure. Cet éloignement du monde extérieur, l’isolement et le fait de rester fermé aux stimulations et aux excitations extérieures tendraient à ranimer son imagination et son intuition. L’émotivité et l’affectivité s’affaiblissent, se traduisant souvent par de l’apathie et de l’égocentrisme. En présence de situations nouvelles, elle réagit de manière rigide et stéréotypée.
La personne âgée réagit au vieillissement, selon différentes modalités en relation avec la crainte de la mort. De nombreuses attitudes apparemment incompréhensibles des vieillards y sont liées. Comme moyen de défense, le sujet utilise alors le refoulement, le déplacement et la négation. Par ailleurs, des rapports ont été établis entre l’appréhension ressentie devant la transformation du corps, la destruction jusqu’à la mort et des réactions psychopathologiques telles que la dépression, les idées délirantes et les plaintes hypocondriaques. La personne âgée cherche à projeter à l’extérieur la source de son malaise. Elle se met à avoir peur des autres, développe des phobies ou bien se réfugie dans de vains essais de se recréer en imagination une nouvelle jeunesse, source de sentiments de culpabilité.
• un premier stade avec une importance croissante du souvenir ;
• un deuxième avec un début de manque de mémoire ;
• un troisième avec un éloignement de la réalité ;
• un quatrième correspondant à l’effarement, l’émoussement affectif, la démotivation, la confusion et la désorientation ;
• un cinquième avec l’apparition d’un manque de contrôle sphinctérien et une incontinence ;
• et un sixième avec une impotence complète s’approchant du stade fœtal.
Le vieillissement peut être ici considéré comme un processus de décroissance au cours duquel le sujet âgé est soumis à un mouvement pulsionnel inverse à celui qu’il avait rencontré au cours de l’adolescence que certains appellent « désengagement ». Ainsi le sujet âgé dénoue d’anciens liens et se retire peu à peu des relations affectives qu’il avait avec son entourage. Cet égocentrisme est étroitement lié au narcissisme qui apparaît encore renforcé par son éloignement de l’objet. La personne avec un grand âge n’est plus guère bouleversée par la perte d’êtres proches, tandis que la nourriture, le sommeil et l’évacuation ont pris une très grande importance pour elle.
Psychopathologie du sujet âgé
C’est dans ce paysage psychique que peuvent survenir différents troubles psychopathologiques dont beaucoup d’entre eux vont emprunter évidemment à la symptomatologie observable chez l’adulte, mais avec certaines particularités du fait de l’association fréquente avec des pathologies somatiques et des interférences étiopathogéniques ou médicamenteuses [1, 3, 5].
Dépression
Pathologie mentale la plus fréquente chez la personne âgée, encore trop souvent sous-estimée, mise sur le compte du vieillissement, elle est insuffisamment diagnostiquée et traitée. Dans la plupart des cas, sa présentation diffère peu de celle de l’adulte, mais il existe des masques de la dépression du sujet âgé.
Dans une perspective psychopathologique, rappelons que les facteurs de risque et la pathologie cérébrale sous-jacente jouent un rôle dans l’expression de la dépression tardive chez le sujet âgé. Sont à connaître le rôle spécifique des pathologies somatiques chroniques, des difficultés cognitives, des situations interpersonnelles et sociales nouvelles (solitude, isolement, conflits interpersonnels, notamment problèmes de voisinage), des conséquences de la retraite, notamment la réduction des activités, de l’existence d’un mauvais support social, en particulier l’absence de relation de confiance, de la perte d’autonomie, des changements de domicile, du constat d’une vie insatisfaisante, des tensions affectives durables et des traumatismes psychiques réitérés (comme la prise en charge d’un conjoint ou d’un proche, malade), d’une intelligence prémorbide de niveau faible. Pour le sexe masculin, des échanges relationnels appauvris avec l’épouse exposent à un risque de dépression plus élevé, alors que, pour les femmes, le fait de se retrouver seule abaisserait ce risque. En outre, les symptômes dépressifs chez le sujet âgé sont fréquemment associés à un grand nombre de facteurs organiques. En particulier, la pathologie vasculaire cérébrale joue un rôle dans la survenue de la dépression dite « tardive ». Chez un sujet âgé dépressif (surtout si c’est un premier épisode ou s’il y a résistance thérapeutique), il faut rechercher une dysthyroïdie, une maladie de Parkinson et une dénutrition (carence en folates), un déficit sensoriel et ne pas sous-estimer le rôle dépressogène de certaines médications (bêtabloquants, antihypertenseurs centraux, neuroleptiques, cimétidine, benzodiazépines, etc.).
Sur le plan sémiologique, les principaux masques sont :
• le masque somatique où les plaintes somatiques prédominent sans tristesse ;
• le masque hypocondriaque qui s’en rapproche : le sujet âgé se plaint alors d’un mauvais fonctionnement d’une ou de plusieurs parties de son corps et multiplie les demandes d’examens et de traitements ;
• le masque délirant, dans lequel la symptomatologie prédominante est marquée par des idées de préjudice, de persécution et parfois de jalousie. Des faits banaux sont interprétés péjorativement par la personne âgée : on s’introduit chez elle, on déplace des objets, on la vole, on lui veut du mal, on en veut à sa morale. Cette symptomatologie délirante interprétative et imaginative comporte parfois des phénomènes hallucinatoires. L’évolution peut être marquée par une altération des relations sociales avec des comportements quérulents, procéduriers et agressifs ;
• le masque hostile, caractérisé par un changement par rapport à un état antérieur marqué par une attitude agressive. Le sujet âgé devient irritable, susceptible, ombrageux, querelleur, coléreux et hostile à son entourage. Il est aussi méfiant, agité et émotionnellement labile ;
• le masque anxieux, dans lequel il existe des accès itératifs d’angoisse inexpliquée, une inquiétude permanente, parfois reliée à des faits anodins, une grande appréhension et une impossibilité à se détendre. Le sujet âgé peut être terrassé par une grande inhibition et d’importantes ruminations ;
• le masque démentiel, dans lequel de vraies altérations des compétences intellectuelles s’affichent. Le sujet est désorienté, ne mémorise plus et exprime un vide intellectuel. Il ne peut pas se concentrer et se montre maladroit dans les activités de la vie quotidienne. Il ne sait plus exécuter certaines tâches, ne reconnaît plus certains objets ou personnes et son discours peut devenir incompréhensible. Le comportement est aussi souvent perturbé : le sujet est agité, déambule, chute, crie, ne tient pas en place. Parfois, il est au contraire plutôt figé, mutique et se confine alors progressivement au lit ;
• une autre situation atypique, représentée par la dépression conative centrée sur la démotivation. Il y a un désengagement affectif et relationnel, une inutilité d’être, un renoncement. Il en découle des négligences envers soi-même, autrui et l’environnement. Ce masque conatif est aussi marqué par une perte de la volonté, de l’amorçage de l’action et par une grande apathie. C’est une forme fréquente en institution (cette personne âgée que l’on déplace d’une chaise à l’autre, docile, passive, sans initiative).
La dépression « vasculaire » (post-stroke depression), concept récent, s’inscrit dans un contexte de pathologie cérébrale vasculaire confirmée par une imagerie cérébrale (présence d’hypodensités de la substance blanche). Elle se caractérise par un ralentissement psychomoteur marqué, une apathie et des troubles des fonctions exécutives. L’hypothèse d’une atteinte des systèmes préfrontaux ou de leurs modulateurs par des lésions macroscopiques ou par une accumulation de microlésions au-delà d’un certain seuil critique a été évoquée aboutissant à une hypofrontalité. Il en découle l’intérêt de traiter les facteurs de risque cérébrovasculaires à titre préventif.