21: Physiologie

CHAPITRE 21


Physiologie






I


L‘ŒIL




Pourquoi voit-on ? Le rôle de la fovéola


E. Bui Quoc


La fovéola est la zone centrale de la rétine dont on peut établir une définition anatomo-fonctionnelle. Si la macula est cette « tache » (en latin) visible au centre du fond d’œil, la fovéa est une « excavation », un « trou », une « fosse » (toujours en latin). Notre fovéola serait donc la petite excavation du centre de la rétine, que les OCT désormais peuvent analyser presque aussi précisément que les coupes anatomiques.


La fovéola est la zone qui correspond à trois particularités anatomiques majeures :



C’est au sein des segments externes des photorécepteurs que le stimulus visuel, sous forme de lumière c’est-à-dire de photons selon la théorie corpusculaire ou sous forme d’onde de longueur variable selon la théorie ondulatoire, va engendrer la transformation de ce signal en signal électrique après modification structurale (réversible) du pigment visuel [6].


Il existe de minimes différences dans la taille exacte de la fovéola selon la prise en compte de l’un des trois critères précédents mais, globalement, cette zone correspond à une zone d’un diamètre de 400 μm à 500 μm. La densité spatiale des cônes au centre de la fovéola atteint son maximum : 200 000 cônes/mm2, alors qu’elle chute à environ 80 000 cônes/mm2 en bordure de la fovéola. D’une part l’absence de vaisseaux et, d’autre part, la présence quasi unique des segments externes et internes des photorécepteurs permet au signal sensoriel de ne pas être parasité au sein de la fovéola.


Ces caractéristiques (signal pur non parasité et densité des cônes) font de la fovéola la zone de vision la plus précise de la rétine et c’est en son sein que l’acuité visuelle maximale est atteinte. Rappelons qu’une acuité visuelle de 10/10 correspond à la discrimination de deux points distincts à contraste maximal (égal à 1, c’est-à-dire noir sur blanc) visible à 5 mètres (équivalent de l’infini) pour un angle de 1 minute d’arc (il y a 60 minutes d’arc dans un degré d’angle visuel). Ces considérations optiques corrélées à la taille des cônes et à leur densité au centre de la fovéola expliquent pourquoi l’acuité visuelle maximale (du fait de la distance entre deux cônes) n’est pas de 10/10 (0,0 LogMAR) mais de 20/10 (– 0,3 LogMAR) (fig. 21-2).



Au plan angulaire, la zone fovéolaire de 500 μm de diamètre correspond à un angle visuel d’environ 1,4°, soit environ 2,5 Δ — rappelons que l’équivalence entre degré et dioptrie prismatique est approximative et varie légèrement selon l’angle de déviation d’un strabisme, d’autant plus que l’angle est grand ; la dioptrie prismatique équivaut à une déviation du rayon émergent d’un centimètre à un mètre de distance, soit un rapport de 1/100 ; il s’agit d’une tangente trigonométrique, soit un facteur de 1,745 puisque tan 1 = 0,01745. Cette zone des deux degrés centraux est stratégique. C’est la zone du méridien vertical central ; c’est la zone dont les projections dans les hémisphères cérébraux vont être doubles : à la fois directes et croisées (cf. infra « Méridien vertical central et unification des deux hémichamps visuels par le corps calleux »).





Architecture fonctionnelle de la rétine


E. Bui Quoc


La rétine est le premier niveau d’intégration de l’information visuelle. C’est une obligation impérative de toute façon, contrainte par la simple nécessité de faire passer l’information visuelle reçue par cent millions de photorécepteurs à travers un câble (le nerf optique) d’un million de fibres…


Le lecteur se souvient de ses cours de physiologie d’un siècle ou d’un autre et doit imaginer la rétine selon son organisation en trois dimensions [7] :




ORGANISATION RADIAIRE


Dans son organisation radiaire, la rétine est un circuit ou un réseau de neurones parfaitement organisé et agencé mais extrêmement compliqué. Trois classes principales de cellules se succèdent de la partie externe vers la partie interne. La partie externe est dirigée vers la sclère, la partie interne est dirigée vers le vitré. De l’extérieur vers l’intérieur (fig. 21-3), on retrouve :




Ces cellules sont connectées entre elles par des connexions synaptiques. Il existe d’autres cellules au sein de la rétine : les cellules amacrines et les cellules horizontales. Comme chacun sait, l’information sensorielle visuelle traverse la rétine pour aller stimuler les photorécepteurs, puis cette information est décodée, intégrée et fait le chemin inverse pour revenir vers la partie interne de la rétine.


Le message visuel est composé de lumière, c’est-à-dire d’une radiation électromagnétique (onde/photon). La lumière visible, c’est-à-dire qui est captée par les photorécepteurs, va de 400 nm à 700 nm de longueur d’onde. Le stimulus a donc une longueur d’onde, une intensité lumineuse, mais aussi un contraste, un mouvement. Il existe un premier traitement de l’information au niveau de la rétine, des photorécepteurs aux cellules bipolaires. Les afférences synaptiques entre les photorécepteurs et les cellules bipolaires se font par deux voies : directe et indirecte, correspondant à une opposition centre/périphérie, avec ainsi des champs récepteurs « centre ON »/« périphérie OFF » ou l’inverse. Le second traitement de l’information au niveau de la rétine se fait des cellules bipolaires aux cellules ganglionnaires. Le message est transmis des cellules bipolaires aux cellules ganglionnaires qui présentent la même organisation ON/OFF ou OFF/ON. Il existe différents types de cellules ganglionnaires : on en trouve trois types dans la rétine du chat (selon la taille du corps cellulaire et des arborisations dendritiques) : α, β et γ ; chez le macaque comme chez l’homme, on trouve de grandes cellules de type M (magnus) et de petites cellules de type P (parvus). Elles correspondent à deux voies :



Les bâtonnets fonctionnent en ambiance dite « scotopique » (pour faire simple : la pénombre) avec une saturation de leur activité à mesure que la luminosité augmente. En revanche, les cônes voient leur activité augmenter au fur et à mesure que la luminosité augmente, avec des seuils de saturation beaucoup plus élevée. Ceci explique que :




ORGANISATION TANGENTIELLE


Dans son organisation tangentielle, il existe une systématisation dans l’orientation des axones des cellules ganglionnaires qui vont former le nerf optique. Les fibres des quadrants nasal supérieur et nasal inférieur chemine de façon directe vers le nerf optique, de même que le faisceau interpapillomaculaire. Les axones des quadrants temporaux prennent une orientation d’autant plus arquée qu’ils sont proches de la macula qu’ils contournent. Cette organisation point par point est conservée au niveau du nerf optique : les fibres centrales correspondent au faisceau interpapillomaculaire alors que les fibres périphériques se répartissent autour de façon concentrique (fig. 21-4).






Champs récepteurs, rétinotopie


E. Bui Quoc



NOTION DE CHAMP RÉCEPTEUR


Le champ récepteur d’une cellule du système visuel (quel que soit l’étage étudié) peut être défini comme la région de la rétine au niveau de laquelle une variation de la stimulation lumineuse (stimulus positif ou négatif) entraîne une modification du potentiel membranaire de la cellule [8]. Sur la figure 21-5, on retrouve une schématisation d’une étude électrophysiologique dans le cortex visuel d’un mammifère. Une microélectrode reliée à une chaîne d’enregistrement est introduite dans le cortex visuel dans une zone précise et connue, selon des repères stéréotaxiques — c’est-à-dire que la tête de l’animal est fixée dans un plan précis de telle sorte que l’expérimentateur sait, lorsque le cerveau est découvert, que tel endroit du cortex par rapport à des repères osseux va correspondre au cortex visuel 17 ou 18, dans une région centrale ou périphérique du champ visuel. La microélectrode permet d’enregistrer l’activité électrique évoquée d’un neurone ou d’un groupe de neurones du cortex visuel. Dans un tel paradigme expérimental, on peut stimuler visuellement un œil ou l’autre ou les deux. En effet si, pas exemple, la microélectrode se situe dans la couche IV du cortex visuel primaire où se trouvent des cellules monoculaires, il y aura une réponse à la stimulation d’un seul des deux yeux ; en revanche, si la microélectrode se situe dans la couche II/III du cortex visuel primaire où se situent des cellules binoculaires, elles répondront à la stimulation des deux yeux. On a donc un œil ipsilatéral à l’enregistrement et un œil controlatéral à l’enregistrement. Quelle que soit la zone étudiée (IV ou II/III), la (ou les) cellule(s) ne va (vont) répondre — c’est-à-dire engendrer une activité électrique qu’on enregistre — que si la zone du champ visuel stimulé correspond à son (leurs) champ(s) récepteur(s). Ce champ récepteur correspond à une zone du champ visuel stimulé et, partant, à une zone rétinienne précise. Cette zone rétinienne correspond au champ récepteur. L’enregistrement peut être réalisé dans le cortex visuel primaire mais aussi à n’importe quel endroit du système visuel : corps géniculé latéral dorsal, cortex visuel secondaire, etc.




NOTION DE RÉTINOTOPIE


La rétinotopie reflète une organisation particulière et précise des neurones visuels [8]. Ainsi, des cellules voisines de la rétine transmettent des informations à des sites voisins de leurs structures cibles, quelles qu’elles soient. Cependant, la rétinotopie ne correspond pas à une superposition exacte, car les cellules visuelles de la rétine ne représentent pas l’espace de la même façon : de même qu’au niveau du cortex moteur existe une surreprésentation de la main, il existe une surreprésentation de la macula dans les structures cérébrales impliquées dans la vision. La cartographie du champ visuel sur une structure cérébrale où l’on retrouve une rétinotopie est donc souvent déformée, car les cellules de la rétine ne représentent pas toutes l’espace visuel de façon proportionnelle. Sur la figure 21-6 sont représentés de façon schématique la rétine de l’œil droit et les cortex visuels droit et gauche. La rétine est artificiellement divisée en une zone maculaire, une zone moyenne et une zone périphérique. La rétine temporale (zones 1, 3, 5, 7, 9, 11) se projette de façon directe dans le cortex visuel droit. La rétine nasale (zones 2, 4, 6, 8, 10, 12) se projette dans le cortex visuel gauche. La rétinotopie est reflétée par le fait que les zones adjacentes d’une hémirétine se retrouvent adjacentes dans une même configuration au niveau de la carte rétinotopique corticale : par exemple, la zone 1 adjacente aux zones 3 et 5, la zone 11 adjacente aux zones 7 et 9.



La notion d’amplification maculaire provient du fait que la représentation des zones rétiniennes n’est pas proportionnelle au niveau du cortex, mais que — comme on le devine sur la figure 21-6 — la zone maculaire a une représentation disproportionnée par rapport aux autres zones plus périphériques.


Il existe une superposition au niveau cortical :






Propriétés de la scène visuelle (orientation, mouvement, vitesse, relief, etc.)


E. Bui Quoc


La scène visuelle est d’une richesse extrême. Le physiologiste va lui attribuer des propriétés (avec l’arrière-pensée de les relier aux propriétés fondamentales des neurones visuels qu’il va étudier) : localisation dans l’espace, orientation, fréquence spatiale (haute ou basse, c’est-à-dire détails fins ou plus grossiers, respectivement), contraste, direction de mouvement, binocularité, couleur [9], etc.


Tout cela est dans la figure 21-7 que nous présentons : cette vue de la baie de Sydney montre la ville dans la partie haute du champ visuel en opposition à la nature et la mer dans la partie basse, des détails des arbres du premier plan et des images plus flous des immeubles de la ville, un contraste du ciel bleu mais presque blanc lorsqu’on se rapproche de l’horizon, un mouvement des bateaux, une perspective, donc un relief, des couleurs bleus venant stimuler nos cônes de courtes longueurs d’onde et des couleurs vertes venant stimuler nos cônes de moyenne longueur d’onde…



Les psychophysiciens cherchant à étudier les capacités de reconnaissance visuelle définissent d’autres attributs, et cela pourrait être renouvelé à l’infini. Ainsi, Green et Wolfe en 2011 [5] définissent :



– le caractère naturel (fig. 21-8) ou urbain (fig. 21-9) d’une scène visuelle ;




– la profondeur importante (fig. 21-10) ou faible (fig. 21-11) ;




– la « navigabilité », c’est-à-dire la possibilité pour le sujet d’imaginer qu’il puisse se mouvoir facilement ou pas sur la scène représentée, cette navigabilité pouvant être haute (fig. 21-12) ou faible (fig. 21-13) ;




– le caractère éphémère bas (fig. 21-14) ou élevé (fig. 21-15) d’un paysage.




Les informations brutes à transformer en une perception significative (qui a du sens) sont donc innombrables et le système visuel accomplit des tâches très diverses telles que la lecture — tâche sensorielle, motrice…, mais bien différente selon qu’on lise des mots dans un alphabet occidental ou des idéogrammes extrême-orientaux — ou la reconnaissance des visages, pour laquelle il est défini des aires corticales particulières impliquées situées dans l’hémisphère droit : l’aire occipitale des visages (dans le lobe occipital inférieur), l’aire fusiforme des visages (qui constitue la partie centrale du gyrus fusiforme), l’aire des visages dans le sillon temporal supérieur. C’est I’IRM fonctionnelle qui a permis en particulier de mettre en évidence ces aires atteintes dans la prosopagnosie (affection caractérisée par l’impossibilité de reconnaître des visages) [11]. Mais comment définir un visage ? Comment imaginer qu’un neurone alpha ou bêta va savoir reconnaître ce doux visage dont le caractère de profil accentue la difficulté de reconnaissance (fig. 21-16). Quels attributs de cette image permettent la reconnaissance : le contour du visage, l’expression devinée, la couleur ou la texture de la chevelure ?





Ceci dit, pour conclure, les attributs de la scène visuelle sont si riches, si complexes que, dans le traitement de l’amblyopie, il suffit d’ouvrir l’œil — l’autre, l’œil sain, étant occlus — pour avoir une stimulation particulièrement riche de l’œil amblyope.



Mise au point de l’image sur la rétine


P. Lebranchu


L’accommodation correspond à une modification dynamique du pouvoir dioptrique de l’œil permettant de garder net le point de focalisation de l’image sur la rétine, quelle que soit la distance entre l’œil et l’objet [4, 10, 12]. Cette modification du pouvoir dioptrique de l’œil en fonction de la distance passe par une modification de la forme du cristallin. L’accommodation est une réaction physiologique, principalement déclenchée par la défocalisation de l’image sur la rétine (le flou rétinien), mais également par la convergence ou la sensation de proximité.



OPTIQUE DE L’ACCOMMODATION


Considérons un œil emmétrope non accommodant : l’image d’un objet situé à l’infini (au-delà de 6 mètres) est projetée nette sur la rétine. Lorsque cet objet se rapproche, le pouvoir dioptrique de l’œil doit augmenter pour maintenir une image nette sur la rétine.


Un œil est défini comme emmétrope lorsque les rayons lumineux d’un objet situé à l’infini (optiquement, au-delà de 6 mètres) se focalisent sur la rétine sans l’aide d’une correction optique ni phénomène accommodatif. Son pouvoir optique est alors parfaitement adapté à sa longueur axiale, permettant de focaliser les rayons lumineux qui pénètrent par la cornée sur la rétine, en traversant la pupille et le cristallin. Pour un œil emmétrope regardant à l’infini, le pouvoir dioptrique est d’environ 63 δ, réparti pour environ deux tiers dans la cornée et pour un tiers dans le cristallin. Lorsque cet objet se rapproche, le pouvoir dioptrique de l’œil doit augmenter pour maintenir une image nette sur la rétine.


Le punctum remotum de l’œil au repos correspond au point le plus éloigné que l’œil voit net sans accommoder. Optiquement, il s’agit de l’intersection entre l’axe optique et les rayons lumineux qui, partant de la fovéola, traversent les dioptres cristalliniens et cornéens :



Le punctum proximum correspond au point le plus proche vu net lorsque l’accommodation est maximale. Le parcours accommodatif correspond à la distance entre les punctum remotum et punctum proximum, zone de vision nette sur l’axe visuel. L’inverse de cette distance correspond au pouvoir accommodatif, exprimé en dioptries.


Les capacités d’accommodation se mettent en place dans les trois premiers mois. Elles sont d’emblée maximales et diminuent progressivement tout au long de la vie (fig. 21-17), passant progressivement de 18,5 δ à l’âge d’un an à moins de 1 δ après soixante ans. Cette diminution progressive est principalement due à la majoration de la rigidité cristallinienne. La presbytie correspond au moment de la vie où cette perte d’accommodation devient symptomatique, généralement lorsque le pouvoir accommodatif devient inférieur à 3 δ. Elle survient en général au cours de la cinquième décennie.




ANATOMIE DE L’ACCOMMODATION


Le cristallin est composé de protéines solubles organisées autour d’un noyau puis d’un cortex, entouré d’une capsule élastique. Les fibres cristalliniennes qui le composent peuvent glisser les unes sur les autres. Il s’agit d’une structure déformable sphérique, dont le rayon de courbure est plus court sur la face postérieure (6 mm) que sur la face antérieure (6 mm au repos, 10 à 11 mm allongé). Le cristallin est suspendu par des centaines de fibres zonulaires, s’insérant de son équateur aux procès ciliaires. Au repos, le corps ciliaire exerce sur les fibres zonulaires une traction constante, imposant au cristallin une forme allongée. L’accommodation entraîne la contraction du muscle ciliaire (fig. 21-18), situé sous les procès ciliaires. Le diamètre du cercle musculaire zonulaire diminue, relâchant la traction des fibres zonulaires sur le cristallin. L’élasticité intrinsèque du cristallin lui permet alors de reprendre une forme sphérique, en augmentant principalement le rayon de courbure de sa face antérieure. Différents mécanismes simultanés permettent une augmentation du pouvoir réfractif cristallinien. La principale contribution est due à la modification de forme de la lentille cristallinienne, en particulier la variation du rayon de courbure de la capsule antérieure. Dans une moindre mesure, l’arrondissement asymétrique du cristallin vers l’avant déplace son centre optique antérieurement. Enfin, l’accumulation de fibres cristalliniennes sous la capsule antérieure augmente son indice de réfraction. Parallèlement, ces phénomènes s’accompagnent d’une diminution du diamètre pupillaire. Ce myosis diminue les aberrations optiques pénétrant dans le globe.



La désaccommodation est un mécanisme actif, correspondant anatomiquement aux phénomènes inverses. Le relâchement du muscle ciliaire diminue le diamètre du cercle musculaire ciliaire, augmente la tension des fibres zonulaires, allonge le cristallin en diminuant son rayon de courbure : le pouvoir dioptrique du cristallin est alors diminué.


L’accommodation est à la fois un mécanisme rapide (latence : 400 ms) mais pouvant se maintenir de façon prolongée. Le muscle ciliaire est un muscle lisse atypique, présentant des fibres musculaires dont la contraction rapide provoque des modifications brusques de la tension sur le cristallin. Il contient également des fibres musculaires toniques, qui se contractent plus lentement mais maintiennent une tension permanente des fibres zonulaires. Il est innervé par les fibres parasympathiques cheminant dans les nerfs ciliaires courts, qui provoquent sa contraction. Au contraire, les fibres sympathiques, cheminant dans le ganglion cervical supérieur, provoquent son relâchement. Les systèmes parasympathiques et sympathiques contrôlent respectivement l’accommodation et la désaccommodation. Les parasympathicomimétiques provoquent une contraction du muscle ciliaire et du sphincter de l’iris ; les parasympatholytiques (atropine, cyclopentolate…) inhibent le muscle ciliaire et le sphincter de l’iris.


La rigidité du cristallin augmente avec l’âge. L’amplitude d’accommodation diminue progressivement jusqu’à disparaître complètement durant la cinquantaine [2]. Au-delà, la lecture à mi-distance est essentiellement permise par la profondeur de champ secondaire à la contraction pupillaire, plutôt qu’à une réelle modification de courbure cristallinienne.



Pourquoi divise-t-on la fonction visuelle selon une organisation magnocellulaire, parvocellulaire et koniocellulaire ?


E. Bui Quoc


L’information sensorielle (le stimulus visuel) qui arrive sur la rétine subit un traitement de l’information (rôle de décodeur et d’intégrateur de la rétine) avant d’être transmise au cerveau où se fait l’intégration du message (perception). La division en deux voies principales magnocellulaire et parvocellulaire évoquée plus haut (cf. « Architecture fonctionnelle de la rétine ») existe tout le long des voies visuelles vers le cortex visuel primaire en passant par le corps géniculé latéral dorsal, structure située sous le thalamus qui est le premier relais synaptique des axones des cellules ganglionnaires — système à trois neurones : un neurone ganglionnaire dont l’axone fait synapse avec un neurone du corps géniculé latéral dorsal dont l’axone va lui faire synapse avec un neurone du cortex visuel dans la couche IV.


L’étude anatomique de la couche des cellules ganglionnaires de la rétine montre qu’il existe trois types principaux de cellules (une vingtaine a été individualisée) [1] :



Lorsqu’on enregistre l’activité électrique évoquée de ces cellules (par électrophysiologie, par exemple), on réalise que les cellules ganglionnaires M ont un champ récepteur de grande taille, qu’elles répondent à un faible contraste (différentiel de luminosité entre « centre ON » et « périphérie OFF », ou l’inverse). Des cellules bipolaires font synapse avec elles. Au contraire, les cellules ganglionnaires P ont un champ récepteur de petite taille et l’opposition centre/périphérie du couple photorécepteur/cellule bipolaire qui lui est relié correspond à une opposition de couleur — cône de type M (medium, pour longueur d’onde moyenne « verte ») en opposition avec cône de type L (long, de longueur d’onde longue « rouge ») (fig. 21-19).



Ainsi, la voie des cellules ganglionnaires P est responsable de la vision des détails, des couleurs, des contrastes, alors que la voie des cellules ganglionnaires M est impliquée dans la détection du mouvement.


Il existe par ailleurs une voie accessoire dont le réseau correspond à des champs récepteurs de grande taille et à une opposition de couleur bleu/jaune, car en lien avec les cônes de type S (short) de longueur d’onde courte « bleue », en opposition avec les cônes L et M combinés.


Les axones des cellules ganglionnaires M, P et non M-non P sont ségrégés selon trois voies M, P et K et vont former synapse avec les neurones correspondants du corps géniculé latéral dorsal (CGLd) (fig. 21-20). Le CGLd comporte six couches de corps cellulaires séparées par des couches d’axones et de dendrites :




Il existe au niveau du CGLd une rétinotopie, une ségrégation entre les afférences venant de l’œil droit et de l’œil gauche.


Les deux ensembles magnocellulaire et parvocellulaire comportent des neurones dont les champs récepteurs ont des propriétés concentriques « centre ON » et « centre OFF », comme les cellules rétiniennes ganglionnaires. Une couche donnée du CGLd reçoit ses afférences uniquement de la rétine ipsilatérale (champ rétinien temporal) ou controlatérale (champ rétinien nasal). Ceci est la conséquence de la bifurcation des axones au niveau du chiasma. De ce fait, le CGLd d’un hémisphère reçoit les informations de la moitié opposée du champ visuel : hémichamp visuel droit pour le CGL gauche et respectivement hémichamp visuel gauche pour le CGL droit.




Comme les cellules ganglionnaires, les neurones P et M du CGLd possèdent des propriétés différentes. La principale différence réside dans la sensibilité au contraste de couleur. Les neurones P répondent aux changements de couleurs et peu aux changements de luminance des couleurs. Les neurones M répondent faiblement aux changements de couleur, mais sont très sensibles aux contrastes de luminance entre la partie sombre et la partie brillante du stimulus.



BIBLIOGRAPHIE



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2. Cochener, B, Albou-Ganem, C, Renard, GLa presbytie. Rapport à la Société Française d’Ophtalmologie. Paris: Elsevier Masson, 2012.


3. Duane, A. Studies in monocular and binocular accommodation with their clinical applications. Am J Ophthalmol. 1922; 5(Series 3):865–877.


4. Glasser, A, Accommodation. Adler’s Physiology of the eye. 11th edition. Elsevier Saunders, 2011.


5. Green, MR, Wolfe, JM. Global image properties do not guide visual search. J Vis. 2011; 11:1–9.


6. Rodieck, RW. Pluie de photons sur les cônes. In: La Vision. Bruxelles: De Boeck; 2003:68–101.


7. Rodieck, RW. Architecture fonctionnelle de la rétine. In: La Vision. Bruxelles: De Boeck; 2003:36–55.


8. Rodieck, RW. Voir. In: La Vision. Bruxelles: De Boeck; 2003:326–360.


9. Ross, MG, Oliva, A. Estimating perception of scene layout properties from global image features. J Vis. 2010; 10:21–25.


10. Roth, A. Accommodation. In: Roth A, Gomez A, Péchereau A, eds. La réfraction de l’œil : du diagnostic à l’équipement optique. Paris: Elsevier Masson, 2007.


11. Sacks, OL’Œil de l’esprit. Paris: Le Seuil, 2012.


12. Von Noorden, GK, Campos, EC. The near vision complex. In Binocular vision and ocular motility, 6th edition, St Louis: Mosby; 2002:85–100.



II


OPTIQUE ET RÉFRACTION




Quelle correction prescrire ?


Le but de la correction optique est d’emmétropiser l’œil amétrope, c’est-à-dire de focaliser sur sa rétine l’image d’un objet situé à l’infini sans effort accommodatif de mise au point. En fait, il s’agit plutôt d’une compensation optique que d’une correction au sens strict, car le port de cette correction ne supprimera pas l’amétropie ni ne modifiera son évolution.


Un œil est dit emmétrope lorsque l’image d’un objet situé à l’infini se forme sur sa rétine sans effort accommodatif. Une véritable emmétropie ne peut s’affirmer qu’après cycloplégie. S’il existe un défaut de réfraction, la focalisation de l’image ne se fait plus sur la rétine : ce défaut réfractif constitue une amétropie (fig. 21-21).



L’œil amétrope est donc un œil dans lequel l’image d’un objet situé à l’infini ne se forme plus sur la rétine ; elle se forme soit en avant, œil myope (fig. 21-22 et 21-23), soit un arrière, œil hypermétrope (fig. 21-24 et 21-25). Selon que la focalisation se fait en un point ou en deux focales, l’amétropie sera stigmate ou astigmate (fig. 21-26).







La normalisation du système accommodatif en vision de loin est nécessaire à l’équilibre oculomoteur en stabilisant la vergence accommodative.



PRESCRIPTION D’UNE CORRECTION OPTIQUE


La prescription d’une correction optique a plusieurs buts :



La compensation de l’amétropie comporte deux étapes :



Lorsque l’amétropie est connue, il convient de mesurer l’acuité visuelle de chaque œil, dépistant ainsi une éventuelle amblyopie, unilatérale ou bilatérale, si une valeur seuil n’est pas obtenue.


Dès lors, la correction optique peut également participer au traitement de cette amblyopie, comme support de verres pénalisants.



CORRECTION OPTIQUE SELON L’ÂGE


La correction optique connaît différentes modalités de prescription selon l’âge du patient. Rappelons les quatre âges réfractifs :






LA PRESBYTIE


Elle marque un tournant dans la vie réfractive du patient, puisqu’il doit porter une correction en vision de près afin de suppléer sa déficience accommodative due à la sclérose de son cristallin (presbus, « vieux » ; opsis, « la vue »). C’est souvent l’âge de décompensation de vieux strabismes car les amétropies frustes non corrigées jusqu’alors sont révélées par la presbytie. Le principe de la correction optique totale s’applique toujours et suffit à résoudre grand nombre d’asthénopies.


Rappelons que le travail sur écran, s’il ne dégrade pas la vision, sert de révélateur aux amétropies légères, surtout astigmates, aux déséquilibres oculomoteurs latents, ainsi qu’aux syndromes secs a minima aggravés par la rareté du clignement devant l’écran.



CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE


La correction optique viendra en complément, soit par une implantation après chirurgie de la cataracte, soit sous forme d’aide visuelle par différents systèmes grossissants en cas de dégénérescence maculaire (type lunettes de Galilée, fig. 21-27).






Anisométropie et aniséiconie



GÉNÉRALITÉS


L’œil normal ou emmétrope (eu, « bon » ; metron, « mesure ») est composé essentiellement de deux dioptres, l’un fixe, la cornée, d’une puissance de 44 δ en moyenne (rayon de courbure moyen de 7,7 mm), l’autre variable, le cristallin, permettant la mise au point en vision de près, de puissance moyenne 21 δ (fig. 21-28). Ces paramètres n’étant pas constants d’un sujet à l’autre, l’emmétropie est un rapport harmonieux entre la longueur L de l’œil (22 mm à 25 mm) et la puissance de la cornée (rayon R, de 7,2 mm à 8,3 mm), permettant une focalisation rétinienne de l’image d’un objet situé à l’infini, sans effort. L’analyse statistique de ces deux paramètres, longueur L et rayon R, montre qu’il est possible d’établir une relation linéaire de régression avec une excellente corrélation (r2 = 0,97), résumée par la formule :



image


Cette harmonie est la conséquence du processus d’emmétropisation dont les mécanismes ne sont pas parfaitement connus (rôle de la rétine).


Une dysharmonie entre longueur de l’œil et puissance réfractive, conduit à une amétropie :



Dans l’anisométropie (aniso, « différent » ; metron, « mesure ») apparaît une asymétrie réfractive entre les deux yeux. Les yeux sont des jumeaux réfractifs ; pour plus de 95 % de la population, la différence d’amétropie n’excède pas une dioptrie. L’anisométropie est légère (1 δ à 2 δ), moyenne (2 δ à 4 δ) ou forte (supérieure à 5 δ). L’anisométropie risque d’entraîner une différence de taille d’images perçues par chaque rétine, nommée aniséiconie (fig. 21-29), source de gêne fonctionnelle.



Il existe deux types fondamentaux d’anisométropie :




ANISOMÉTROPIE CONGÉNITALE


Les conséquences de l’anisométropie congénitale sont multiples.



CONSÉQUENCES MONOCULAIRES


Le risque d’amblyopie monoculaire n’est pas strictement proportionnel à l’anisométropie mais augmente avec elle ; ce risque existe dès qu’un œil focalise mal et perçoit des images rétiniennes floues ; à la différence de l’amblyopie strabique, qui est une amblyopie par inhibition, l’amblyopie anisométropique est une amblyopie par privation d’afférences visuelles correctes provoquant un défaut de maturation des cellules cérébrales (corps genouillés, cortex occipital).


Dans ses formes légères, son pronostic est meilleur que celui de l’amblyopie strabique mais son diagnostic plus tardif, en dehors d’un examen systématique, allongera son traitement.


Elle s’associe parfois à l’amblyopie strabique, l’œil le plus amétrope étant la plupart du temps l’œil dominé.


Il faut distinguer cette anisométropie de la pseudo-anisométropie des yeux amblyopes dont le pouvoir accommodatif est faible ; la différence se comblera après cycloplégies successives dégorgeant l’hypermétropie de l’œil dominant.




COMMENT TRAITER ?


La correction optique totale, prescrite sous cycloplégie, est obligatoire et reste l’épine dorsale de tout traitement en sensorimotricité.


C’est après l’essai de la correction optique totale qu’il convient de mesurer l’acuité visuelle ; le juge de paix de toute mesure d’acuité visuelle reste sa valeur obtenue subjectivement sous cycloplégie dès que la coopération le permet ; si l’enfant est trop jeune, la correction optique totale, mesurée au réfractomètre sous cycloplégie, sera prescrite.


Une différence de valeur d’acuité visuelle entre les deux yeux signe la présence d’une amblyopie, qualifiée de :



Cette amblyopie sera traitée par les moyens classiques de l’amblyopie :



Il ne faut pas craindre la survenue d’un déséquilibre oculomoteur en cas de correction paradoxale (myopique chez le convergent ou hypermétropique chez le divergent) : toujours se souvenir que le monoculaire a le pas sur le binoculaire, et la correction sur la déviation.



ANISOMÉTROPIE ACQUISE


De nombreux cas de figure sont possibles.




MÉCONNAISSANCE D’UN ÉTAT ANTÉRIEUR ANISOMÉTROPIQUE


La restauration d’une isométropie postopératoire, ou emmétropisation, n’est pas toujours à rechercher : il faut respecter l’état antérieur et ne pas trop s’en écarter. Certes, la chirurgie de la cataracte, par la pose d’un implant, efface une amétropie soit en la diminuant (myopie forte devenant moyenne) soit en la supprimant (hypermétropie ou myopie). Là encore, la connaissance de l’état antérieur est capitale ; en particulier, il faut chercher à savoir si le sujet était porteur de lentilles de contact et avait connu l’emmétropie réfractive.


Un bilan orthoptique est obligatoire avant toute chirurgie réfractive, ainsi qu’une cycloplégie.


Bien expliquer au patient la situation et lui donner le choix quant à l’état réfractif postopératoire souhaité (faire signer la fiche d’information).


En chirurgie réfractive, avant tout geste opératoire devant une anisométropie, faire un test de tolérance réfractive par un essai de lentilles de contact, dont les conditions optiques sont identiques à celles de la chirurgie réfractive.


Dans le strabisme, éviter une inversion de dominance de fixation, toujours source d’inconfort visuel.





ANISÉICONIE


L’aniséiconie (aniso, « différent » ; eikon, « image ») est un trouble de la vision binoculaire provoqué par une perception d’image de taille différente par chaque œil (Bangerter).


Classiquement, il existe une aniséiconie :



Insistons sur la nécessité de la prévention de telles situations par un bilan préopératoire sensorimoteur complet : c’est la connaissance de l’état antérieur :



– lorsqu’un œil a subi une chirurgie réfractive ou cristallinienne et qu’un déséquilibre apparaît, il est encore possible de corriger le trouble par la chirurgie du second œil : c’est le cas d’une opacification asymétrique des cristallins, où un œil est plus atteint que l’autre qui conserve encore une bonne vision ; s’il existe une forte amétropie antérieure, le choix de l’amétropie résiduelle postopératoire est délicat si on hésite à opérer immédiatement le second œil qui garde encore une bonne vision ; en cas de complication sur celui-ci, l’analyse expertale risquerait de mettre en cause la responsabilité du praticien lors d’une procédure ;


– si les deux yeux ont déjà été opérés et que le déséquilibre apparaît après la chirurgie du second œil, les possibilités de traitement sont plus limitées : explantation d’un cristallin artificiel, lentille de contact ou retouche réfractive.

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May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 21: Physiologie

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